A propos de la situation au sein de l'Archevêché: "Ne pas répudier le patrimoine"
Moscou (Mensuel KIFA , avril 2013)

Le 15 janvier 2013 Mgr Gabriel (de Vylder), archevêque de Comane, qui a pendant 10 ans été à la tête de l’ Archevêché des Églises Orthodoxes Russes en Europe Occidentale a dû quitter sa chaire pour de graves raisons de santé. Le Métropolite Emmanuel, de France, Président de l’Assemblée des Evêques Orthodoxes de France a été nommé locum tenens de l’Archevêché. Conformément aux statuts il doit faire procéder aux élections d’un nouvel archevêque dans un délai de quatre mois, c’est-à-dire avant le début de mai. C’est l’Assemblée de l’archevêché constituée de représentants du clergé et des laïcs qui procède statutairement à cette élection. Cependant, et c’est pour la première fois depuis que cette entité existe, que la liste des candidats établie le 13 février par le Conseil de l’archevêché n’a pas a été approuvée. Dans une lettre datée du 4 mars le patriarche Bartholomé a proposé au locum tenens d’assumer ses responsabilités à titre provisoire en tant qu’exarque du patriarche. Par conséquent l’Assemblée générale qui devait se tenir les 29 et 30 mars pour procéder à l’élection a été remplacée par une Assemblée extraordinaire sans pouvoir décisionnel. La rédaction de KIFA a sollicité à ce sujet les commentaires de M. D.Struve en russe et du père Georges Kotchetkov

A propos de la situation au sein de l'Archevêché: "Ne pas répudier le patrimoine"
KIFA : - L’archevêché est menacé de disparition. N’y a-t-il pas eu des erreurs commises peut-être dans le passé qui ont conduit à une cette situation ?

Le père Georges : - Cette situation est l’aboutissement d’une longue période, d’un chapitre important qui est sur le point de se fermer. Une étape nouvelle a commencé dans la vie de l’Eglise russe et de tout ce qui lui est lié.La tradition dite « Eulogienne » et l’exarchat russe en Europe occidentale ont une très grande importance pour toute l’Orthodoxie, pour l’Eglise russe et pour la Russie. Tout ceci ne saurait être ignoré ou sous-estimé. La juridiction « Eulogienne » a réuni les meilleurs esprits, nombre de grands hommes, a donné des saints à la diaspora russe. Ces personnalités attirent jusqu’à présent ceux, partout dans le monde, qui veulent aller de l’avant sans revenir sur le passé.

Jamais cette entité n’a été d’apparence forte ou grande, elle a toujours vécu au bord de la misère mais a maintenu sa liberté. L’archevêché a toujours été lié avec la Russie, avec son histoire. Son souhait était de retourner dans le pays et de acquitter de ses dettes à l'égard de la Patrie. Comment ne pas admirer ceux dans l’émigration russe qui ont quitté leur pays malgré eux et qui s’estimaient toujours être les débiteurs de la Russie, de l’Eglise russe et de son peuple. Ils savaient que le cataclysme qui avait frappé la Russie et qui avait détruit ce grand pays, sa grande culture et son grand peuple ne pouvait s’éterniser et devait tôt ou tard disparaître. On espérait d’abord que ce serait bientôt et l’on y travaillait d’arrache-pied et dans l’abnégation. C’était un véritable élan créateur. Mais certains de ces émigrés étaient porteurs des défauts, voire des péchés, de l’ancienne société russe. Souvent ils étaient divisés, ils n’aspiraient pas à l’unité, ne percevaient pas leur vocation à tous et à chacun. Souvent ils ne voulaient pas et ne pouvaient pas se comprendre les uns les autres ; il leur arrivait d’idéaliser à la fois l’ancienne et la nouvelle Russie. Ils voulaient voir la Russie dans toute sa beauté ce qui les conduisait à préconiser la vocation messianique mondiale du peuple russe. C’était, certes, une grave erreur. Parfois le mal auquel ils ne pouvaient efficacement résister à cause de l’absence d’unité parmi eux pénétrait dans leur propre milieu. Je ne pense pas en l’occurrence aux divisions au sein de l’Eglise, c’est un sujet à part.

Et voilà que cette grande histoire touche à sa fin.
Il nous faut établir le bilan du XX siècle. Malheureusement cette tâche n’est toujours pas accomplie en Russie où il fallait tout d’abord accepter la portée spirituelle de l’exploit des Nouveaux martyrs et confesseurs et s’imprégner de leur expérience. Elle ne l’est pas non plus hors de la Russie où il fallait adopter la même démarche à l’ égard des grands ancêtres de l’émigration. Il y là inaboutissement et approche erronée. La Russie reste l’otage d’une idéologie omniprésente, otage de ses préjugés et de ses contradictions. Nous ne nous sommes pas libéré de la confusion que les décennies communistes ont semées dans les âmes. Décennies de crimes terribles et d’admirables exploits de sainteté. Les Russes de la diaspora n’ont pas eu la sagesse indispensable pour comprendre qu’en préservant sa liberté et son patrimoine spirituel il fallait faire plus pour sauvegarder la langue du pays et se sentir encore plus responsable à l’égard de la Russie et de sa culture. Le seul qui pendant de longues années a été d’une manière quasi surnaturelle et admirable à la hauteur de cette mission est Nikita Alexeevitch Struve. Mais personne, je le crains, n’est conscient de nos jours de ce que l’archevêché se trouve aujourd’hui au bord du dépérissement, voire de la disparition.

Quelles sont donc les erreurs commises ?
Je crois que les mauvais choix ont été faits à la fin des années 80 et au début des années 90 du siècle dernier. C’est alors que l’archevêché n’a plus voulu se considérer russe et à s’est même senti gêné de sa russité. A la suite de plusieurs générations d’immersion dans la société occidentale l’archevêché a souhaité une vie confortable et sans ennuis dans ce bas monde, il ne s’est que trop bien adapté à des conditions de vie qui ne laissent rien désirer. Ses paroissiens ont oublié la langue et ne sont plus conscients de ce qui a été accompli par leurs ancêtres, ces grands prédécesseurs au sein de l’archevêché. Cette entité n’a pas pris conscience de la nécessité de changer en profondeur pour que l’admirable expérience de cette église régie par les dispositions du grand Concile de Moscou 1917-1918 puisse être transmise à la Russie ainsi qu’au plérome de l’orthodoxie. Cette expérience est unique, seule l’Eglise autocéphale d’Amérique (OCA), branche de l’Eglise orthodoxe russe la connaît. La vocation de l’archevêché consistait à témoigner des résultats du Concile afin de les préserver de l’influence des forces marginales et rétrogrades en Russie et dans le monde, Grèce y compris. Il était indispensable de diffuser l’expérience du père Serge Boulgakov, de Nicolas Berdiaev, de ne pas les abjurer, de ne pas se laisser prendre aux provocations de ceux qui les faisaient passer presque comme des hérétiques s’étant écarté de l’orthodoxie.

Pendant toutes ces décennies l’Archevêché a su garder son identité russe car il était conscient de sa personnalité particulière, de sa spécificité au sein de l’orthodoxie universelle. Mais dès que l’on s’est mis à se dire que l’Аrchevêché était la semence de l’orthodoxie locale en France ainsi qu’en Europe occidentale, que c’était l’avenir de tous et de tout il ne fallait pas ce faisant oublier ses propres limites, ses racines, sa responsabilité et son destin qui n’était en rien universel mais tout à fait concret et tangible. Destin d’une voie étroite, celle du service de la Russie et de l’Eglise russe. Comment ne pas être conscient que seule cette voie, celle du patrimoine et de la russité qu’il était envisageable, fût-ce vêtu à l’européenne, de rester fidèle à sa vocation et de mieux servir le plérôme orthodoxe, Grèce, Europe occidentale, Amérique, etc. Comment ignorer, ne fût-ce que pour un instant, cette manifeste volonté Divine, son devoir à l’égard de la Russie et de son Église, ce legs des ancêtres, de tous ceux qui ont été actifs au sein de l’émigration russe. Les aïeux de ceux qui, grâce à eux, appartiennent à l’orthodoxie, ont hérité d’une expérience unique, d’une vision particulière du monde et de l’homme, de l’Eucharistie, de la vie, de l’amour, de la liberté, de la création et de la personnalité. Si tout cela est d’ores et déjà perdu, comment s’étonner qu’il y ait tant de mécontents : au sein de l’archevêché, à Constantinople ainsi qu’à Moscou ?

Je ne peux que regretter le cours des évènements.
J’ai été le témoin de cette évolution. Au début des années 90 j’ai essayé, maladroitement peut-être et sans finesse, d’expliquer lorsque me trouvant en France qu’il est indispensable, et cela en toute urgence, de dire les offices en russe, de catéchiser les adultes, de contribuer à la création de communautés et de fraternités sans, en aucun cas, renoncer à ses racines russes et à la langue russe. Tout cela en continuant à vivre le plus pleinement possible en Occident, au sein de ses familles, dans un autre environnement linguistique, parmi des gens dont les origines n’ont absolument rien de russe. Je n’ai été ni entendu, ni compris. On ne faisait que me répondre : « nous avons tout l’indispensable et nous n’avons besoin de rien ». Ce qui signifiait : c’est en Russie que tout va mal, nous,au contraire, nous n’avons pas de problèmes.

Bien plus tard, déjà après le décès de l’archevêque Serge (Konovaloff) lorsque Mgr Gabriel (de Vylder) qui jouissait de toute mon estime s’est un peu brutalement orienté exclusivement sur Constantinople et, en même temps, sur tout ce qui n’était pas russe (surtout pas russe à relent soviétique)je disais qu’il ne faut pas s’en laisser conter, d’où que viennent les provocations. Il fallait préserver et faire croître son talent. Son talent propre, et non des qualités abstraites quelles qu’elles soient car cela est pratiquement impossible. Là aussi je n’ai pas été entendu ! D’une manière un peu provinciale tout ce qui était russe était considéré comme soviétique… Cela à tous les niveaux, gens d’église et laïcs. Quelle amertume, quelle tristesse que de voir cela, surtout pendant ces dernières années. Mais il était inconcevable d’adopter cette vision.
Il est aujourd’hui impossible de faire marche arrière et j’en suis parfaitement conscient. L’archevêché n’en aurait d’ailleurs pas l’énergie. Il y a en son sein des personnalités admirables mais des changements radicaux me paraissent inconcevables. Quelle pitié! Je déplore non seulement la dissolution du patrimoine russe, l’échec que subissent l’Eglise et le peuple russe. Voilà une œuvre divine vouée à la stérilité. Mais Dieu est miséricordieux et je continue à garder espoir. D’une manière ou d’une autre le Seigneur fera de sorte à ce que son Eglise, à ce que l’Eglise russe, à ce que notre pays trouvent une issue à cette impasse. Nous viendrons à une véritable renaissance ecclésiale, indispensable pour nous tous, que ce soit en Russie ou en Occident, à Paris, à Bruxelles, en Amérique ou où que ce soit ailleurs.

KIFA, N°5 (159), avril 2013
Traduction P.O.


A propos de la situation au sein de l'Archevêché: "Ne pas répudier le patrimoine"

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 23 Mai 2013 à 11:18 | 120 commentaires | Permalien



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