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V.GOLOVANOW
Chroniques d'Abitibi 5
Dans Chroniques d'Abitibi 2 le père Georges racontait son cheminement vers l'Orthodoxie puis il a raconté son passage à Saint Serge et la découverte de l'Eglise de l'émigration des années 1980 dans les Chroniques d'Abitibi 4. Dans le passage suivant il montre particulièrement les difficultés d'adaptation dans l'Orthodoxie en Occident à la fin du siècle dernier pour qui "n'était pas d'origine orthodoxe" (sic), témoignage particulièrement intéressant puisqu'il confirme et explique les positions de nombre de nos intervenants…
Comme précédemment, je laisse la plume au père Georges en ajoutant titres et sous-titres.
Hièromoine cycliste
Il faut dire que je n'étais pas précisément le «hiéromoine parfait», tel qu’on peut se l'imaginer. Car j’avais un vélo, rangé dans un recoin de l'Institut. L'institut Saint-Serge était un endroit relativement abrité de la rumeur de la très grande ville : le quadrilatère, plantée d'arbres et assez verdoyant, donne sur les arrières de grands immeubles haussmanniens. Une fois franchie la grille donnant sur l'extérieur, il suffit de remonter la rue de Crimée, pour arriver dans le magnifique parc des Buttes-Chaumont, qui est véritablement un lieu théologique : les grands noms de la pensée russe en ont foulé les allées sablées, et le petit temple pseudo-antique qui couronne l'escarpement rocheux qui se dresse au milieu du parc, abrita les réflexions métaphysiques de nombre de théologiens. Malgré ces indiscutables qualités, l'environnement reste celui d'une mégalopole.
Chroniques d'Abitibi 5
Dans Chroniques d'Abitibi 2 le père Georges racontait son cheminement vers l'Orthodoxie puis il a raconté son passage à Saint Serge et la découverte de l'Eglise de l'émigration des années 1980 dans les Chroniques d'Abitibi 4. Dans le passage suivant il montre particulièrement les difficultés d'adaptation dans l'Orthodoxie en Occident à la fin du siècle dernier pour qui "n'était pas d'origine orthodoxe" (sic), témoignage particulièrement intéressant puisqu'il confirme et explique les positions de nombre de nos intervenants…
Comme précédemment, je laisse la plume au père Georges en ajoutant titres et sous-titres.
Hièromoine cycliste
Il faut dire que je n'étais pas précisément le «hiéromoine parfait», tel qu’on peut se l'imaginer. Car j’avais un vélo, rangé dans un recoin de l'Institut. L'institut Saint-Serge était un endroit relativement abrité de la rumeur de la très grande ville : le quadrilatère, plantée d'arbres et assez verdoyant, donne sur les arrières de grands immeubles haussmanniens. Une fois franchie la grille donnant sur l'extérieur, il suffit de remonter la rue de Crimée, pour arriver dans le magnifique parc des Buttes-Chaumont, qui est véritablement un lieu théologique : les grands noms de la pensée russe en ont foulé les allées sablées, et le petit temple pseudo-antique qui couronne l'escarpement rocheux qui se dresse au milieu du parc, abrita les réflexions métaphysiques de nombre de théologiens. Malgré ces indiscutables qualités, l'environnement reste celui d'une mégalopole.
. Et cela finit par être usant. Paris est une ville magnifique lorsqu'on la visite, mais pour y habiter, c'est une autre question. Le métro est comme le téléphone : c'est une invention pratique et désagréable. La millième fois que vous prenez le métro parisien, on finit par en avoir vraiment assez de son air mille fois respiré, des gens hagards qui y titubent, du danger latent de ses couloirs déserts, du désespoir et de la détresse que vous sentez, parmi tout le troupeau des gens qui s'y précipitent.
Lorsque le temps le permettait, le vélo était ma planche de salut : je pouvais respirer à l'air libre, en dehors de ces souterrains ! C'est ainsi que l'on me voyait circuler dans les rues de Paris, avec mon « orthodoxie pliable » ficelée sur le porte-bagages. Pour aller jusqu'à Asnières, je passais devant le Moulin-Rouge, Pigalle, et autres endroits pittoresques. Cela m'a permis de bien connaître la Ville de Paris, passant par les petites rues pour éviter les grands boulevards, dangereux pour les deux-roues. Et lorsque je revenais à l'Institut à des heures indues, après les Vigiles, je crois que ce moyen de transport m'a permis d'échapper à un certain nombre d'agressions : le passage furtif et silencieux d'un vélo n’est guère remarqué par un groupe de loubards à la recherche d'une victime. Je suis même allé depuis Paris jusqu’à Bussy-en-Othe (au Nord de la Bourgogne) en vélo, en passant une nuit à la belle étoile. Une fois arrivé au Monastère, je me suis fait «accueillir comme un chien au milieu d'un jeu de quilles» par Mère Théodosie, à l'époque Supérieure de la communauté, qui estimait que cela était tout-à-fait incompatible avec la respectabilité souhaitée de la part d'un auguste membre du clergé orthodoxe… Sans doute avait-elle raison.
Pendant l'été, je mettais mon vélo sur le train, et j’allais visiter, par monts et par vaux, une région de France, afin d'en voir les églises romanes. Je garde d'excellents souvenirs de ces randonnées : j'ai contemplé des paysages beaux comme des tableaux, j'ai respiré le grand air, décrassant mes poumons de toute la pollution parisienne ; cela me faisait faire un bon exercice physique, indispensable après cette existence trop sédentaire et studieuse pendant l'année, et - pourquoi ne pas le dire - je replongeais avec délices dans ma culture latine et occidentale.
Douce France
Les églises romanes témoignent de la chrétienté indivise, en cette terre de France. Par ailleurs, en dehors des considérations purement théologiques, lorsqu’on touche de ses doigts un mur du XIIe siècle, on y reconnaît la main du tailleur de pierre, et celle du maçon qui y a travaillé. Ce n'est pas encore la production plus standardisée de l'époque gothique. À l'époque romane, c'est le symbole qui dirige la forme. Au XIIIe siècle, à l'époque gothique, se produit la recherche de l'exploit technologique, en cherchant à couvrir le maximum de surface à la plus grande hauteur, avec le moins de matériaux possibles. C'est très moderne, mais cela s'éloigne totalement de la vision du cosmos ainsi que des relations entre Dieu et l'être humain, qui forment le tissu de la chrétienté du premier millénaire.
Lorsque le temps le permettait, le vélo était ma planche de salut : je pouvais respirer à l'air libre, en dehors de ces souterrains ! C'est ainsi que l'on me voyait circuler dans les rues de Paris, avec mon « orthodoxie pliable » ficelée sur le porte-bagages. Pour aller jusqu'à Asnières, je passais devant le Moulin-Rouge, Pigalle, et autres endroits pittoresques. Cela m'a permis de bien connaître la Ville de Paris, passant par les petites rues pour éviter les grands boulevards, dangereux pour les deux-roues. Et lorsque je revenais à l'Institut à des heures indues, après les Vigiles, je crois que ce moyen de transport m'a permis d'échapper à un certain nombre d'agressions : le passage furtif et silencieux d'un vélo n’est guère remarqué par un groupe de loubards à la recherche d'une victime. Je suis même allé depuis Paris jusqu’à Bussy-en-Othe (au Nord de la Bourgogne) en vélo, en passant une nuit à la belle étoile. Une fois arrivé au Monastère, je me suis fait «accueillir comme un chien au milieu d'un jeu de quilles» par Mère Théodosie, à l'époque Supérieure de la communauté, qui estimait que cela était tout-à-fait incompatible avec la respectabilité souhaitée de la part d'un auguste membre du clergé orthodoxe… Sans doute avait-elle raison.
Pendant l'été, je mettais mon vélo sur le train, et j’allais visiter, par monts et par vaux, une région de France, afin d'en voir les églises romanes. Je garde d'excellents souvenirs de ces randonnées : j'ai contemplé des paysages beaux comme des tableaux, j'ai respiré le grand air, décrassant mes poumons de toute la pollution parisienne ; cela me faisait faire un bon exercice physique, indispensable après cette existence trop sédentaire et studieuse pendant l'année, et - pourquoi ne pas le dire - je replongeais avec délices dans ma culture latine et occidentale.
Douce France
Les églises romanes témoignent de la chrétienté indivise, en cette terre de France. Par ailleurs, en dehors des considérations purement théologiques, lorsqu’on touche de ses doigts un mur du XIIe siècle, on y reconnaît la main du tailleur de pierre, et celle du maçon qui y a travaillé. Ce n'est pas encore la production plus standardisée de l'époque gothique. À l'époque romane, c'est le symbole qui dirige la forme. Au XIIIe siècle, à l'époque gothique, se produit la recherche de l'exploit technologique, en cherchant à couvrir le maximum de surface à la plus grande hauteur, avec le moins de matériaux possibles. C'est très moderne, mais cela s'éloigne totalement de la vision du cosmos ainsi que des relations entre Dieu et l'être humain, qui forment le tissu de la chrétienté du premier millénaire.
J'ai découvert de très belles régions : en la montagneuse Auvergne, tout était à 45° : cela demandait pas mal d'efforts pour le cycliste. Mais ces efforts étaient largement récompensés par d'admirables paysages. Au début, je n'avais même pas de tente, jusqu'au moment où je me suis fait copieusement tremper par un orage nocturne… Les années suivantes, le soir je dépliais une tente microscopique, ce qui m'évitait d'être couvert de rosée le lendemain matin. J'étais devenu un expert pour remplacer les rayons des roues de vélo, dont l'un ou l'autre finissait par se briser. À un moment donné, ma vieille bécane devenait vraiment chancelante. Je l'avais fixée à une grille, à Paris, avec une grosse chaîne. Quelqu'un m'a rendu le grand service de sectionner la chaîne et de me le voler. C'est ainsi que j'ai pu ultérieurement franchir les méandres du Lot et découvrir encore d'autres régions, à bord d'un bon vélo nettement plus performant. J'étais cuit par le soleil, et personne ne pouvait savoir où j’étais. C'était la seule façon de ne pas être constamment poursuivi pour des remplacements dans des paroisses agonisantes.
«Bouche-trou »
Finalement, après cinq ans, j'ai obtenu mon diplôme de maîtrise en théologie, après avoir soutenu un mémoire sur « la question du péché originel dans la théologie de la rédemption ». Ce qui était difficile dans ces études à l'Institut Saint-Serge, c'est qu'il n'y avait pas de perspectives : Mgr Georges Wagner m'a dit, de vive voix : «vous n'êtes pas russe ; je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire de vous». Il n'était évidemment absolument pas question de me charger d'une paroisse, car je n'avais pas les bons gènes… En fait, il désirait continuer de m'avoir sous la main pour exercer le rôle éternel de « bouche-trou » dans les diverses paroisses en difficulté. Lors de ma cinquième année d'études, j'ai réellement ressenti les effets que pouvait donner dans l'organisme à la fois la pollution, le stress et un mauvais équilibre de vie, au sein d’une l'énorme ville comme Paris.
Je comprends vraiment pourquoi le Patriarcat de Moscou a désiré installer son Séminaire à l'extérieur de l'agglomération parisienne. L'influence d'une mégapole est foncièrement négative et inhumaine. L'être humain n'est pas fait pour vivre au milieu de ces gigantesques accumulations de béton et de maçonnerie, et surtout parmi les tensions et les énergies négatives générées par l'ensemble de ces esprits humains, constamment brutalisés par leur environnement. À un moment donné, j’ai eu un accroc de santé, et je me suis retrouvé dans un hôpital. J'ai été soigné « à charge de la Ville de Paris », car je n'avais aucune ressource. Après une intervention chirurgicale, je me suis retrouvé sur le trottoir, en assez mauvais état, me tenant péniblement debout, alors que j'avais mission de célébrer dans une église russe, le dimanche suivant. Tout cela m'a fait réfléchir : certainement, j'allais laisser ma santé, à ce rythme.
«Bouche-trou »
Finalement, après cinq ans, j'ai obtenu mon diplôme de maîtrise en théologie, après avoir soutenu un mémoire sur « la question du péché originel dans la théologie de la rédemption ». Ce qui était difficile dans ces études à l'Institut Saint-Serge, c'est qu'il n'y avait pas de perspectives : Mgr Georges Wagner m'a dit, de vive voix : «vous n'êtes pas russe ; je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire de vous». Il n'était évidemment absolument pas question de me charger d'une paroisse, car je n'avais pas les bons gènes… En fait, il désirait continuer de m'avoir sous la main pour exercer le rôle éternel de « bouche-trou » dans les diverses paroisses en difficulté. Lors de ma cinquième année d'études, j'ai réellement ressenti les effets que pouvait donner dans l'organisme à la fois la pollution, le stress et un mauvais équilibre de vie, au sein d’une l'énorme ville comme Paris.
Je comprends vraiment pourquoi le Patriarcat de Moscou a désiré installer son Séminaire à l'extérieur de l'agglomération parisienne. L'influence d'une mégapole est foncièrement négative et inhumaine. L'être humain n'est pas fait pour vivre au milieu de ces gigantesques accumulations de béton et de maçonnerie, et surtout parmi les tensions et les énergies négatives générées par l'ensemble de ces esprits humains, constamment brutalisés par leur environnement. À un moment donné, j’ai eu un accroc de santé, et je me suis retrouvé dans un hôpital. J'ai été soigné « à charge de la Ville de Paris », car je n'avais aucune ressource. Après une intervention chirurgicale, je me suis retrouvé sur le trottoir, en assez mauvais état, me tenant péniblement debout, alors que j'avais mission de célébrer dans une église russe, le dimanche suivant. Tout cela m'a fait réfléchir : certainement, j'allais laisser ma santé, à ce rythme.
Comment devenir Orthodoxe quand on est Québécois
Catholique ou Protestant? Dans l'Institut, je conversais de temps en temps avec Mario Rousseau, qui était un Canadien venant passer une année d'études théologiques. Nous ne participions pas aux mêmes cours, à quelques exceptions près. Le parcours de cet étudiant canadien était « hors normes » : il était né dans un petit village au Nord du Québec, où la probabilité d'avoir un contact avec l'Église orthodoxe était pratiquement nulle. Son grand-père était bedeau dans l'église paroissiale (ensuite sa tante, puis sa cousine…), et lui-même y travaillait régulièrement. À un moment donné, le curé de cette église eut l'imprudence de dire, dans son sermon, que « les protestants avaient enlevé de la Bible tout ce qui concerne le Pape et la Sainte Vierge ». Mario eut des doutes, et demanda à des Évangélistes protestants de lui fournir une Bible « Louis Segond ». Par ailleurs, il acquit une Bible de « Jérusalem », acceptée par les Catholiques romains. Pendant tout un hiver, il éplucha les vingt-sept livres du Nouveau Testament, mot par mot. À l’issue de cette minutieuse analyse, il en vint à cette conclusion : «nulle part, on ne parle du Pape dans le Nouveau Testament, et très peu de la Mère de Dieu». Le curé avait donc menti ou, plus probablement, il n’avait jamais lu ces textes… Le doute s’instilla dans son esprit. Il se mit à s’intéresser aux autres Confessions chrétiennes. Rapidement, il constata le fait que, dans les diverses dénominations protestantes, des éléments fondamentaux du christianisme originel avaient été abandonnés : dans l'Église des premiers temps, existaient des presbytres et des épiscopes, alors que l'idée même du sacerdoce avait été évacuée du protestantisme calviniste. Les chrétiens des premiers temps se réunissaient le dimanche matin pour l'Eucharistie, dans la conviction de communier au Corps et au Sang du Christ ressuscité, alors que la Cène est réduite à un rite de fraternité, dans les communautés protestantes.
Anglican? À part le protestantisme, il était possible d'envisager l'anglicanisme. L'Église anglicane reconnaît à la fois l'épiscopat et le sacerdoce, et célèbre l'Eucharistie. Mais c'est « l'Église des Anglais ! » Au Québec, le contentieux historique existant entre les Québécois francophones et les Anglais - ressentis comme des occupants - ce contentieux pèse lourd… Dans la ville de Québec, qui est entièrement francophone, on ne parle qu'Anglais dans la cathédrale anglicane. Partout au Québec, de nombreuse églises anglicanes sont fermées, car les fidèles préfèrent désaffecter leur église, plutôt que d'y laisser dire un seul mot de français. C'est un comportement qui est presque orthodoxe… Ainsi donc, le poids de l'Histoire ne permettait pas d'envisager l'adhésion à l'anglicanisme.
Reste l'Église orthodoxe. Rappelons-nous qu'à cette époque, l'Internet n'existait pas encore ; se procurer un livre sur l'Orthodoxie était relativement difficile. Mario rassembla de la documentation. Lorsqu'il était à Montréal, il tenta de s'informer sur l'heure des Offices, à l'église orthodoxe russe Sts-Pierre-et-Paul. L’horaire était affiché uniquement en Russe. Après avoir sonné à la porte du presbytère, il se trouva face au prêtre qui le considéra avec suspicion ; il ne parlait que Russe et Anglais. Ce dernier lui dit que l'église catholique était un peu plus loin… Avec persévérance, Mario franchit le seuil de cette église, où chacun le considérait comme un meuble transparent, et où, pendant un an, nul ne lui dit jamais bonjour. Le premier voyage que Mario fit en-dehors du Québec, le fut à destination du Mont-Athos.
À cette époque, il n'était pas encore devenu orthodoxe. Il parvint à son but, malgré une grève de la compagnie d'aviation française - grève qui, comme chacun le sait, est en France un sport national. Une fois revenu au Québec, Mario continua ses recherches sur la Foi orthodoxe. Mario écrivit à Mgr Sylvestre, qui résidait en l'église Sts Pierre-et-Paul, à Montréal. Dans sa lettre, Mario demandait s'il existait des églises ou un monastère orthodoxe au Québec ? Mgr Sylvestre transmit la lettre de Mario à un prêtre orthodoxe d'origine arménienne, le Père Grégoire Papazian. Celui-ci lui répondit par ces mots : « Cela fait déjà deux fois que vous importunez Mgr Sylvestre. Avec le nom que vous avez, je doute fort que vous soyez d'origine orthodoxe». Mario répondit derechef : «Avec le nom que vous avez, vous n'êtes sûrement pas, vous non plus, de naissance orthodoxe. Mais avec une telle attitude, il ne faut pas s'étonner qu'il n'existe pas de convertis ». Après ce premier contact, Mario rendit visite au Père Grégoire Papazian, en son ermitage. Là, il rencontra le Père Stéphane Bigham, un prêtre américain qui venait au Québec pour fonder une paroisse francophone. Quelques années plus tard, le Père Stéphane reçut Mario dans l’Orthodoxie.
Mario collabora ensuite à la fondation de la paroisse orthodoxe francophone Saint-Benoît, à Montréal. À un moment donné, il désira approfondir ses connaissances théologiques, et voulut faire un an d'études à l'Institut Saint-Serge, à Paris, ce qui explique le fait que j’ai pu l’y rencontrer. Mario résista vaillamment à toute tentative de russification, et fut le cauchemar de la professeure de Russe… Québécois, il entra à l'Institut Saint-Serge ; québécois, il en ressortit. La professeure de Russe lui disait : «dans une perspective missionnaire, M. Rousseau, veuillez bien prononcer le Slavon !» Au chœur, Mario chantait : « bogorochtchouiou mouchchouia tzarstvouchouïou… » et cela passait très bien.
L'appel de la Providence: Un jour, Mario me donna une information qui n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd : le Père Grégoire Papazian avait construit un ermitage juste à côté du cimetière orthodoxe russe de Rawdon, à une soixantaine de kilomètres au nord de Montréal. Le Père Grégoire avait par la suite quitté son ermitage pour s'établir en un autre lieu, laissant inoccupées l'église, ainsi que la petite maison attenante. Je vis en cette annonce une œuvre de la Providence : Mgr Georges Wagner m’opposait une fin de non-recevoir, et me laissait clairement savoir qu'il n'y avait aucune place pour moi dans l'archevêché de la « Rue Daru ». L'existence de cet ermitage désaffecté, de l'autre côté de l'Atlantique, était certainement un signe du Seigneur à mon égard. De son côté, le Père Stéphane Bigham s'activait, pour obtenir les autorisations nécessaires. C'est ainsi qu'un jour, avec armes et bagages, je partis pour commencer une nouvelle vie, en terre canadienne. Dans ma poche, était glissée la lettre dimissoriale qui me permettait de passer sous l'égide de l'Église orthodoxe en Amérique (O.C.A.). Cette lettre avait été signée avec enthousiasme par Mgr Georges Wagner, très heureux de se débarrasser d'un francophone.
Le surgissement de l'Orthodoxie dans l'existence de Mario Rousseau est un fait beaucoup plus remarquable que ma propre découverte de la Foi orthodoxe. Il a vécu son enfance dans un milieu où rien ne permettait de découvrir l'existence de l'Église orthodoxe. Certes, il voyait parfois passer, en la ville de Val-d'Or, la silhouette furtive, en soutane noire, du père David Shevchenko,. Celui-ci prenait l'autobus pour se rendre en l'une des églises russes qu'il desservait dans la région, ou en Ontario. Mais ce prêtre ne parlait à personne, tout simplement parce qu'il ne s'exprimait qu’en Russe. De toute manière, son action pastorale était absolument limitée à la petite colonie de l'émigration russe. - De toute évidence, la venue de Mario Rousseau dans l'Église orthodoxe est une œuvre directe de l'Esprit-Saint. Aucune raison culturelle ni sociologique n’a pu motiver, ni ne peut expliquer cette démarche. - En ce qui me concerne, je découvrirai plus tard qu'il faut être prudent, lorsqu'on affirme que tel événement de la vie est un signe de la Providence…
Catholique ou Protestant? Dans l'Institut, je conversais de temps en temps avec Mario Rousseau, qui était un Canadien venant passer une année d'études théologiques. Nous ne participions pas aux mêmes cours, à quelques exceptions près. Le parcours de cet étudiant canadien était « hors normes » : il était né dans un petit village au Nord du Québec, où la probabilité d'avoir un contact avec l'Église orthodoxe était pratiquement nulle. Son grand-père était bedeau dans l'église paroissiale (ensuite sa tante, puis sa cousine…), et lui-même y travaillait régulièrement. À un moment donné, le curé de cette église eut l'imprudence de dire, dans son sermon, que « les protestants avaient enlevé de la Bible tout ce qui concerne le Pape et la Sainte Vierge ». Mario eut des doutes, et demanda à des Évangélistes protestants de lui fournir une Bible « Louis Segond ». Par ailleurs, il acquit une Bible de « Jérusalem », acceptée par les Catholiques romains. Pendant tout un hiver, il éplucha les vingt-sept livres du Nouveau Testament, mot par mot. À l’issue de cette minutieuse analyse, il en vint à cette conclusion : «nulle part, on ne parle du Pape dans le Nouveau Testament, et très peu de la Mère de Dieu». Le curé avait donc menti ou, plus probablement, il n’avait jamais lu ces textes… Le doute s’instilla dans son esprit. Il se mit à s’intéresser aux autres Confessions chrétiennes. Rapidement, il constata le fait que, dans les diverses dénominations protestantes, des éléments fondamentaux du christianisme originel avaient été abandonnés : dans l'Église des premiers temps, existaient des presbytres et des épiscopes, alors que l'idée même du sacerdoce avait été évacuée du protestantisme calviniste. Les chrétiens des premiers temps se réunissaient le dimanche matin pour l'Eucharistie, dans la conviction de communier au Corps et au Sang du Christ ressuscité, alors que la Cène est réduite à un rite de fraternité, dans les communautés protestantes.
Anglican? À part le protestantisme, il était possible d'envisager l'anglicanisme. L'Église anglicane reconnaît à la fois l'épiscopat et le sacerdoce, et célèbre l'Eucharistie. Mais c'est « l'Église des Anglais ! » Au Québec, le contentieux historique existant entre les Québécois francophones et les Anglais - ressentis comme des occupants - ce contentieux pèse lourd… Dans la ville de Québec, qui est entièrement francophone, on ne parle qu'Anglais dans la cathédrale anglicane. Partout au Québec, de nombreuse églises anglicanes sont fermées, car les fidèles préfèrent désaffecter leur église, plutôt que d'y laisser dire un seul mot de français. C'est un comportement qui est presque orthodoxe… Ainsi donc, le poids de l'Histoire ne permettait pas d'envisager l'adhésion à l'anglicanisme.
Reste l'Église orthodoxe. Rappelons-nous qu'à cette époque, l'Internet n'existait pas encore ; se procurer un livre sur l'Orthodoxie était relativement difficile. Mario rassembla de la documentation. Lorsqu'il était à Montréal, il tenta de s'informer sur l'heure des Offices, à l'église orthodoxe russe Sts-Pierre-et-Paul. L’horaire était affiché uniquement en Russe. Après avoir sonné à la porte du presbytère, il se trouva face au prêtre qui le considéra avec suspicion ; il ne parlait que Russe et Anglais. Ce dernier lui dit que l'église catholique était un peu plus loin… Avec persévérance, Mario franchit le seuil de cette église, où chacun le considérait comme un meuble transparent, et où, pendant un an, nul ne lui dit jamais bonjour. Le premier voyage que Mario fit en-dehors du Québec, le fut à destination du Mont-Athos.
À cette époque, il n'était pas encore devenu orthodoxe. Il parvint à son but, malgré une grève de la compagnie d'aviation française - grève qui, comme chacun le sait, est en France un sport national. Une fois revenu au Québec, Mario continua ses recherches sur la Foi orthodoxe. Mario écrivit à Mgr Sylvestre, qui résidait en l'église Sts Pierre-et-Paul, à Montréal. Dans sa lettre, Mario demandait s'il existait des églises ou un monastère orthodoxe au Québec ? Mgr Sylvestre transmit la lettre de Mario à un prêtre orthodoxe d'origine arménienne, le Père Grégoire Papazian. Celui-ci lui répondit par ces mots : « Cela fait déjà deux fois que vous importunez Mgr Sylvestre. Avec le nom que vous avez, je doute fort que vous soyez d'origine orthodoxe». Mario répondit derechef : «Avec le nom que vous avez, vous n'êtes sûrement pas, vous non plus, de naissance orthodoxe. Mais avec une telle attitude, il ne faut pas s'étonner qu'il n'existe pas de convertis ». Après ce premier contact, Mario rendit visite au Père Grégoire Papazian, en son ermitage. Là, il rencontra le Père Stéphane Bigham, un prêtre américain qui venait au Québec pour fonder une paroisse francophone. Quelques années plus tard, le Père Stéphane reçut Mario dans l’Orthodoxie.
Mario collabora ensuite à la fondation de la paroisse orthodoxe francophone Saint-Benoît, à Montréal. À un moment donné, il désira approfondir ses connaissances théologiques, et voulut faire un an d'études à l'Institut Saint-Serge, à Paris, ce qui explique le fait que j’ai pu l’y rencontrer. Mario résista vaillamment à toute tentative de russification, et fut le cauchemar de la professeure de Russe… Québécois, il entra à l'Institut Saint-Serge ; québécois, il en ressortit. La professeure de Russe lui disait : «dans une perspective missionnaire, M. Rousseau, veuillez bien prononcer le Slavon !» Au chœur, Mario chantait : « bogorochtchouiou mouchchouia tzarstvouchouïou… » et cela passait très bien.
L'appel de la Providence: Un jour, Mario me donna une information qui n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd : le Père Grégoire Papazian avait construit un ermitage juste à côté du cimetière orthodoxe russe de Rawdon, à une soixantaine de kilomètres au nord de Montréal. Le Père Grégoire avait par la suite quitté son ermitage pour s'établir en un autre lieu, laissant inoccupées l'église, ainsi que la petite maison attenante. Je vis en cette annonce une œuvre de la Providence : Mgr Georges Wagner m’opposait une fin de non-recevoir, et me laissait clairement savoir qu'il n'y avait aucune place pour moi dans l'archevêché de la « Rue Daru ». L'existence de cet ermitage désaffecté, de l'autre côté de l'Atlantique, était certainement un signe du Seigneur à mon égard. De son côté, le Père Stéphane Bigham s'activait, pour obtenir les autorisations nécessaires. C'est ainsi qu'un jour, avec armes et bagages, je partis pour commencer une nouvelle vie, en terre canadienne. Dans ma poche, était glissée la lettre dimissoriale qui me permettait de passer sous l'égide de l'Église orthodoxe en Amérique (O.C.A.). Cette lettre avait été signée avec enthousiasme par Mgr Georges Wagner, très heureux de se débarrasser d'un francophone.
Le surgissement de l'Orthodoxie dans l'existence de Mario Rousseau est un fait beaucoup plus remarquable que ma propre découverte de la Foi orthodoxe. Il a vécu son enfance dans un milieu où rien ne permettait de découvrir l'existence de l'Église orthodoxe. Certes, il voyait parfois passer, en la ville de Val-d'Or, la silhouette furtive, en soutane noire, du père David Shevchenko,. Celui-ci prenait l'autobus pour se rendre en l'une des églises russes qu'il desservait dans la région, ou en Ontario. Mais ce prêtre ne parlait à personne, tout simplement parce qu'il ne s'exprimait qu’en Russe. De toute manière, son action pastorale était absolument limitée à la petite colonie de l'émigration russe. - De toute évidence, la venue de Mario Rousseau dans l'Église orthodoxe est une œuvre directe de l'Esprit-Saint. Aucune raison culturelle ni sociologique n’a pu motiver, ni ne peut expliquer cette démarche. - En ce qui me concerne, je découvrirai plus tard qu'il faut être prudent, lorsqu'on affirme que tel événement de la vie est un signe de la Providence…
Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 23 Mai 2013 à 12:05
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