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Le diacre André Psarev, enseignant au séminaire de Jordanville, s’entretient avec Vladimir Bourega, vice-recteur de l’Académie de théologie de Kiev "Bogoslov.ru"
Traduction Nikita Krivocheine
Diacre André Psarev - Vous êtes le seul historien de l’Eglise orthodoxe russe (EOR) qui avez étudié la situation de l’orthodoxie en Tchécoslovaquie pendant la première moitié du XX siècle. Comment se fait-il qu’il n’y aie pas eu dans ce pays une seule paroisse relevant de l’Eglise Hors Frontières (EORHF) ?
Vladimir Bourega - Il faut rappeler qu’à Ladomirovo, en Slovaquie, il y avait le monastère Saint Job de Potchaev qui était dans l’obédience du Synode de l’EORHF (Sremski Karlovci). Mais, en effet, dans l’ensemble il n’y avait pas dans ce pays de communautés EORHF. Cela s’explique pour beaucoup par la personnalité de l’évêque Serge (Korolev). Il a vécu à Prague pendant plus de vingt ans en y étant le pasteur de l’émigration russe. Il avait été fait moine par le métropolite Euloge (Gueorguievsky) qu’il a toujours considéré comme son père spirituel.
Traduction Nikita Krivocheine
Diacre André Psarev - Vous êtes le seul historien de l’Eglise orthodoxe russe (EOR) qui avez étudié la situation de l’orthodoxie en Tchécoslovaquie pendant la première moitié du XX siècle. Comment se fait-il qu’il n’y aie pas eu dans ce pays une seule paroisse relevant de l’Eglise Hors Frontières (EORHF) ?
Vladimir Bourega - Il faut rappeler qu’à Ladomirovo, en Slovaquie, il y avait le monastère Saint Job de Potchaev qui était dans l’obédience du Synode de l’EORHF (Sremski Karlovci). Mais, en effet, dans l’ensemble il n’y avait pas dans ce pays de communautés EORHF. Cela s’explique pour beaucoup par la personnalité de l’évêque Serge (Korolev). Il a vécu à Prague pendant plus de vingt ans en y étant le pasteur de l’émigration russe. Il avait été fait moine par le métropolite Euloge (Gueorguievsky) qu’il a toujours considéré comme son père spirituel.
Jamais l’idée d’abandonner la juridiction du métropolite Euloge ne l’avait effleuré. Son prestige était très grand dans les milieux émigrés en Tchécoslovaquie et c’est sans doute ce qui explique l’absence dans le pays d’une juridiction EORHF. Une seule fois des paroissiens ont voulu s’éloigner de l’évêque Serge et créer à Prague une juridiction EORHF. Mgr Serge a su, dans sa sagesse, ne pas laisser ces projets se réaliser. D’ailleurs les fidèles praguois ne considéraient pas comme étant insurmontables les différences qui existaient entre le métropolite Euloge et le Synode de Karlovci. La réconciliation personnelle survenue en mai 1934 entre les métropolites Euloge et Antoine (Khrapovitzky) avait été perçue comme le rétablissement de l’unité de l’orthodoxie hors Russie. Aussi, en été 1934, lors des solennités à l’occasion du vingtième anniversaire du procès de Marmora-Sigeth qui se sont déroulées en Transcarpathie l’évêque Serge à concélébré avec l’évêque de Detroit Vitaly (Maximenko) (EORHF). En 1934 également, Mgr Vitaly a été invité à y officier par une paroisse de Prague. La situation de l’orthodoxie à cette époque était loin d’être univoque en Tchécoslovaquie.
- Vous êtes l’auteur de plusieurs articles portant sur les relations en Tchécoslovaquie et en Pologne pendant la seconde guerre entre l’EORHF et les autres juridictions orthodoxes. Quelles étaient les relations pendant la deuxième guerre entre le métropolite Séraphin (Lyade) de Berlin (EORHF)et les entités orthodoxes dans ces deux pays ?
Vladimir Bourega - Je commencerai par la Tchécoslovaquie. Après l’occupation allemande les autorités d’occupation ont commencé à appliquer leur propre politique en matière de religion. Il s’agissait « d’unifier » la vie religieuse dans les territoires occupés. Les autorités allemandes ont poussé les évêques locaux (Mgr Gorazd, un Tchèque, et Mgr Serge) à adhérer à la juridiction berlinoise du métropolite Séraphin (Lyade). Le métropolite Séraphin avait d’ailleurs à plusieurs reprises souligné qu’il ne tenait pas à s’adjoindre les diocèses orthodoxes de Bohême et de Moravie. Il disait vouloir protéger et soutenir les communautés orthodoxes dans ces territoires. Des formes d’organisation de la vie orthodoxe en Tchécoslovaquie acceptables bien que canoniquement imparfaites furent trouvées. Officiellement l’archevêque Gorazd n’avait pas rompu ses liens avec l’Eglise Serbe tandis que Mgr Serge n’avait pas quitté l’obédience du métropolite Euloge. Tous deux avaient signé avec le métropolite Séraphin un accord par lequel ils reconnaissaient son autorité canonique à titre provisoire. D’ailleurs cet accord n’a pas évité à l’évêque Gorazd d’être jugé et fusillé en 1942 lorsque des agents tchèques parachutés par les Britanniques furent découverts cachés dans la crypte de la cathédrale de Prague.
La situation était différente en Pologne. Le statut de l’Eglise autocéphale n’était pas reconnu par tout le monde. La transition des diocèses des territoires occupés par la Wehrmacht sous la juridiction du métropolite de Berlin aurait signifié la disparition de l’autocéphalie en Pologne. Ce pays a été investi par Hitler dix huit mois après la Tchécoslovaquie. Il n’y avait plus dans les hautes sphères du Reich de cohérence quant à la politique ecclésiale à suivre dans les territoires occupés. Le ministère des affaires ecclésiales insistait sur le regroupement de toutes les communautés orthodoxes dans les territoires annexés et la disparition de l’autocéphalie polonaise. Cela revenait à placer les orthodoxes polonais sous l’autorité de Berlin. Il existait un plan consistant à mettre en place une Eglise orthodoxe autocéphale et supranationale du Troisième Reich. Le ministère nazi avait même tenté d’entamer à ce sujet des pourparlers avec Constantinople. Cependant, le Ministère des affaires étrangères et le service international du parti national-socialiste ne souhaitaient pas ce regroupement. Ces administrations estimaient qu’il était dans l’intérêt de l’Allemagne d’accorder son soutien aux communautés orthodoxes locales souhaitant mener une existence indépendante. C’est cette attitude qui eut le dessus, l’Eglise autocéphale de Pologne put continuer à exister, il fut cependant décidé de « l’ukrainiser ». Deux projets furent donc mis en œuvre en Tchécoslovaquie et en Pologne, de conceptions différentes : c’est la politique d’unification qui fut appliquée en Tchécoslovaquie, alors que l’autocéphalie avait prévalu en Pologne. Après le début de la guerre avec l’URSS la Pologne fut impliquée dans le processus du renouveau « autocéphaliste » en Ukraine.
* * *
- Que pouvez-vous dire du rite occidental dans l’orthodoxie ?
Vladimir Bourega - On dit parfois que le rite occidental est dans l’Eglise orthodoxe « un uniatisme à l’envers ». Il s’agit des communautés confessant la foi orthodoxe mais vivant dans le respect des règles liturgiques occidentales. On peut dire que c’est une sorte de reflet miroir des greco-catholiques, c’est-à-dire des communautés fidèles au dogme romain mais observant le rite oriental. C’est déjà au XIX siècle que les premières communautés orthodoxes de rite occidental firent leur apparition. Il s’agissait de contribuer à la mission orthodoxe en Europe occidentale à majorité catholique. L’évêque Gorazd, nous en avons parlé plus haut, avait été prêtre catholique avant de se convertir à l’orthodoxie. Avec l’accord de l’Eglise orthodoxe serbe il a conservé à titre temporaire le rite occidental dans les communautés orthodoxes de Tchéqu ie et de Moravie. Ce n’est que progressivement que les paroisses de son diocèse ont adopté le rite orthodoxe. C’est là une page peu connue mais très intéressante de l’histoire : des vestiges du rite occidental se sont longtemps maintenus dans l’orthodoxie tchécoslovaque.
Un cercle d’émigrés russes en France a lancé un projet de création d’une « Eglise orthodoxe de rite occidental ». Le maître d’œuvre de ce projet était Eugraphe Kovalevsky qui devint par la suite prêtre du patriarcat de Moscou, puis évêque de l’EORHF. En 1936 le métropolite Serge (Starogorodsky) promulgua un décret établissant les principes de fonctionnement des communautés de rite occidental. De telles communautés avaient fait leur apparition non seulement en France mais aussi ailleurs. Autant que je sache de telles communautés n’existent plus au sein du patriarcat de Moscou. Il y en a cependant dans le cadre d’autres Eglises locales.
- Que pensez-vous personnellement du rite occidental ?
Vladimir Bourega - D’un point de vue théologique il n’y a aucun obstacle à ce que le rite occidental soit appliqué par l’Eglise orthodoxe. Le Concile Vatican II a dans son décret «Orientalium Ecclesiarum » officiellement reconnu que la tradition liturgique de l’Eglise d’Orient fait partie de la Tradition ecclésiale qui remonte aux saints Apôtres.Il incombe de même aux orthodoxes de reconnaître que le rite occidental appartient à l’ancienne Tradition de l’Eglise. Mais comment ne pas constater que les efforts en vue d’introduire dans la pratique de l’Eglise orthodoxe d’anciennes traditions liturgiques occidentales ont mis à jour des problèmes graves. Le père Eugraphe Kovalevsky, déjà cité, s’est appliqué à reconstituer en France les anciens rites gallicans *
Mais des liturgistes connus disent qu’il s’agissait plutôt d’une sorte d’improvisation. Le père Eugraphe s’adonnait à l’expérimentation et tenait à faire passer ses innovations comme relevant de l’ancienne tradition. Le patriarcat de Moscou, comme d’ailleurs l’Institut Saint Serge de Paris (métropolite Euloge) manifestaient une grande retenue à l’égard des expériences liturgiques du père Eugraphe. Tout ce que je sais du père Eugraphe m’incline à dire que c’était une sorte, si l’on peut s’exprimer ainsi, de voyou ecclésial. Vladimir Lossky avait regretté l’ordination de Kovalevsky. Il disait : « Conférer la prêtrise à Eugraphe est comme équiper d’un pistolet quelqu’un au psychisme déréglé ». La personnalité de Kovalevsky a conféré au rite occidental dans l’orthodoxie une odeur de soufre. D’ailleurs, abstraction faite de Kovalevsly, il faut constater que le rite occidental n’a pas beaucoup apporté à la mission orthodoxe en Europe.
- Que direz-vous de l’attitude de l’EORHF à l’égard du rite occidental ?
Vladimir Bourega - Il m’est difficile de donner une réponse exhaustive. Je ne crois que l’histoire des relations entre la communauté Kovalevsky et l’EORHF est un sujet qui mérite qu’on l’étudie spécialement. Plusieurs coups ont été portés au projet de la mise en place en Europe d’une Eglise orthodoxe de rite occidental. Le Concile des évêque de l’Eglise Hors-Frontières a non seulement interdit Kovalevsky a divinis , il l’a excommunié. A ce moment, Eugraphe, déjà devenu l’évêque Jean-Nectaire, était en conflit avec l’EORHF. Aujourd’hui l’Eglise Catholique Orthodoxe Apostolique Française ** telle que créée par Kovalevsky continue à exister en tant qu’entité non reconnue par les Eglises orthodoxes locales. Ses tentatives de s’intégrer aux Eglises Roumaine, puis Serbe ont échoué.
L’histoire de l’EORHF ne fait pas partie du programme d’études des Eglises slaves. J’enseigne l’histoire des Eglises slaves à l’Académie de théologie de Kiev. Il y est question de l’histoire des Eglises Serbe, Bulgare, Polonaise et Tchécoslovaque. Comment ne pas traiter du rôle joué par l’EORHF dans la vie de ces Eglises pendant la deuxième guerre ?
- Qu’est-ce qui vous attire et qu’est-ce qui suscite en vous une réaction de rejet dans l’histoire de l’EORHF ?
Vladimir Bourega - Il me semble très important que cette juridiction aie non seulement maintenu mais aussi renforcé la tradition monastique dans les conditions de l’exil. La pratique monastique du monastère Saint Job en Slovaquie Orientale est un phénomène unique dans la vie de l’émigration russe. Cette école monastique a exercé une grande influence sur la vie ecclésiale de la diaspora. L’EORHF a voulu maintenir au mieux la tradition. C’est sa force et, en même temps, sa faiblesse. Une vision missionnaire productive n’y a pas été élaborée, ceci à la différence de l’exarchat « Eulogien ». Un modèle de vie ecclésiale ouvert à l’Occident a été élaboré à Paris, les résultats missionnaires de ce modèle sont remarquables. Les « Hors Frontières » se sont axés sur le maintien de la tradition ce qui les a fait mettre de coté la nécessité missionnaire de toute vie ecclésiale. De là à dire que cela suscite en moi une sorte de rejet… Il s’agit plutôt à mes yeux d’une réalité historique qui mérite une étude attentive et approfondie.
* anciens rites gallicans
** l’Eglise Catholique Orthodoxe Apostolique Française
- Vous êtes l’auteur de plusieurs articles portant sur les relations en Tchécoslovaquie et en Pologne pendant la seconde guerre entre l’EORHF et les autres juridictions orthodoxes. Quelles étaient les relations pendant la deuxième guerre entre le métropolite Séraphin (Lyade) de Berlin (EORHF)et les entités orthodoxes dans ces deux pays ?
Vladimir Bourega - Je commencerai par la Tchécoslovaquie. Après l’occupation allemande les autorités d’occupation ont commencé à appliquer leur propre politique en matière de religion. Il s’agissait « d’unifier » la vie religieuse dans les territoires occupés. Les autorités allemandes ont poussé les évêques locaux (Mgr Gorazd, un Tchèque, et Mgr Serge) à adhérer à la juridiction berlinoise du métropolite Séraphin (Lyade). Le métropolite Séraphin avait d’ailleurs à plusieurs reprises souligné qu’il ne tenait pas à s’adjoindre les diocèses orthodoxes de Bohême et de Moravie. Il disait vouloir protéger et soutenir les communautés orthodoxes dans ces territoires. Des formes d’organisation de la vie orthodoxe en Tchécoslovaquie acceptables bien que canoniquement imparfaites furent trouvées. Officiellement l’archevêque Gorazd n’avait pas rompu ses liens avec l’Eglise Serbe tandis que Mgr Serge n’avait pas quitté l’obédience du métropolite Euloge. Tous deux avaient signé avec le métropolite Séraphin un accord par lequel ils reconnaissaient son autorité canonique à titre provisoire. D’ailleurs cet accord n’a pas évité à l’évêque Gorazd d’être jugé et fusillé en 1942 lorsque des agents tchèques parachutés par les Britanniques furent découverts cachés dans la crypte de la cathédrale de Prague.
La situation était différente en Pologne. Le statut de l’Eglise autocéphale n’était pas reconnu par tout le monde. La transition des diocèses des territoires occupés par la Wehrmacht sous la juridiction du métropolite de Berlin aurait signifié la disparition de l’autocéphalie en Pologne. Ce pays a été investi par Hitler dix huit mois après la Tchécoslovaquie. Il n’y avait plus dans les hautes sphères du Reich de cohérence quant à la politique ecclésiale à suivre dans les territoires occupés. Le ministère des affaires ecclésiales insistait sur le regroupement de toutes les communautés orthodoxes dans les territoires annexés et la disparition de l’autocéphalie polonaise. Cela revenait à placer les orthodoxes polonais sous l’autorité de Berlin. Il existait un plan consistant à mettre en place une Eglise orthodoxe autocéphale et supranationale du Troisième Reich. Le ministère nazi avait même tenté d’entamer à ce sujet des pourparlers avec Constantinople. Cependant, le Ministère des affaires étrangères et le service international du parti national-socialiste ne souhaitaient pas ce regroupement. Ces administrations estimaient qu’il était dans l’intérêt de l’Allemagne d’accorder son soutien aux communautés orthodoxes locales souhaitant mener une existence indépendante. C’est cette attitude qui eut le dessus, l’Eglise autocéphale de Pologne put continuer à exister, il fut cependant décidé de « l’ukrainiser ». Deux projets furent donc mis en œuvre en Tchécoslovaquie et en Pologne, de conceptions différentes : c’est la politique d’unification qui fut appliquée en Tchécoslovaquie, alors que l’autocéphalie avait prévalu en Pologne. Après le début de la guerre avec l’URSS la Pologne fut impliquée dans le processus du renouveau « autocéphaliste » en Ukraine.
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- Que pouvez-vous dire du rite occidental dans l’orthodoxie ?
Vladimir Bourega - On dit parfois que le rite occidental est dans l’Eglise orthodoxe « un uniatisme à l’envers ». Il s’agit des communautés confessant la foi orthodoxe mais vivant dans le respect des règles liturgiques occidentales. On peut dire que c’est une sorte de reflet miroir des greco-catholiques, c’est-à-dire des communautés fidèles au dogme romain mais observant le rite oriental. C’est déjà au XIX siècle que les premières communautés orthodoxes de rite occidental firent leur apparition. Il s’agissait de contribuer à la mission orthodoxe en Europe occidentale à majorité catholique. L’évêque Gorazd, nous en avons parlé plus haut, avait été prêtre catholique avant de se convertir à l’orthodoxie. Avec l’accord de l’Eglise orthodoxe serbe il a conservé à titre temporaire le rite occidental dans les communautés orthodoxes de Tchéqu ie et de Moravie. Ce n’est que progressivement que les paroisses de son diocèse ont adopté le rite orthodoxe. C’est là une page peu connue mais très intéressante de l’histoire : des vestiges du rite occidental se sont longtemps maintenus dans l’orthodoxie tchécoslovaque.
Un cercle d’émigrés russes en France a lancé un projet de création d’une « Eglise orthodoxe de rite occidental ». Le maître d’œuvre de ce projet était Eugraphe Kovalevsky qui devint par la suite prêtre du patriarcat de Moscou, puis évêque de l’EORHF. En 1936 le métropolite Serge (Starogorodsky) promulgua un décret établissant les principes de fonctionnement des communautés de rite occidental. De telles communautés avaient fait leur apparition non seulement en France mais aussi ailleurs. Autant que je sache de telles communautés n’existent plus au sein du patriarcat de Moscou. Il y en a cependant dans le cadre d’autres Eglises locales.
- Que pensez-vous personnellement du rite occidental ?
Vladimir Bourega - D’un point de vue théologique il n’y a aucun obstacle à ce que le rite occidental soit appliqué par l’Eglise orthodoxe. Le Concile Vatican II a dans son décret «Orientalium Ecclesiarum » officiellement reconnu que la tradition liturgique de l’Eglise d’Orient fait partie de la Tradition ecclésiale qui remonte aux saints Apôtres.Il incombe de même aux orthodoxes de reconnaître que le rite occidental appartient à l’ancienne Tradition de l’Eglise. Mais comment ne pas constater que les efforts en vue d’introduire dans la pratique de l’Eglise orthodoxe d’anciennes traditions liturgiques occidentales ont mis à jour des problèmes graves. Le père Eugraphe Kovalevsky, déjà cité, s’est appliqué à reconstituer en France les anciens rites gallicans *
Mais des liturgistes connus disent qu’il s’agissait plutôt d’une sorte d’improvisation. Le père Eugraphe s’adonnait à l’expérimentation et tenait à faire passer ses innovations comme relevant de l’ancienne tradition. Le patriarcat de Moscou, comme d’ailleurs l’Institut Saint Serge de Paris (métropolite Euloge) manifestaient une grande retenue à l’égard des expériences liturgiques du père Eugraphe. Tout ce que je sais du père Eugraphe m’incline à dire que c’était une sorte, si l’on peut s’exprimer ainsi, de voyou ecclésial. Vladimir Lossky avait regretté l’ordination de Kovalevsky. Il disait : « Conférer la prêtrise à Eugraphe est comme équiper d’un pistolet quelqu’un au psychisme déréglé ». La personnalité de Kovalevsky a conféré au rite occidental dans l’orthodoxie une odeur de soufre. D’ailleurs, abstraction faite de Kovalevsly, il faut constater que le rite occidental n’a pas beaucoup apporté à la mission orthodoxe en Europe.
- Que direz-vous de l’attitude de l’EORHF à l’égard du rite occidental ?
Vladimir Bourega - Il m’est difficile de donner une réponse exhaustive. Je ne crois que l’histoire des relations entre la communauté Kovalevsky et l’EORHF est un sujet qui mérite qu’on l’étudie spécialement. Plusieurs coups ont été portés au projet de la mise en place en Europe d’une Eglise orthodoxe de rite occidental. Le Concile des évêque de l’Eglise Hors-Frontières a non seulement interdit Kovalevsky a divinis , il l’a excommunié. A ce moment, Eugraphe, déjà devenu l’évêque Jean-Nectaire, était en conflit avec l’EORHF. Aujourd’hui l’Eglise Catholique Orthodoxe Apostolique Française ** telle que créée par Kovalevsky continue à exister en tant qu’entité non reconnue par les Eglises orthodoxes locales. Ses tentatives de s’intégrer aux Eglises Roumaine, puis Serbe ont échoué.
L’histoire de l’EORHF ne fait pas partie du programme d’études des Eglises slaves. J’enseigne l’histoire des Eglises slaves à l’Académie de théologie de Kiev. Il y est question de l’histoire des Eglises Serbe, Bulgare, Polonaise et Tchécoslovaque. Comment ne pas traiter du rôle joué par l’EORHF dans la vie de ces Eglises pendant la deuxième guerre ?
- Qu’est-ce qui vous attire et qu’est-ce qui suscite en vous une réaction de rejet dans l’histoire de l’EORHF ?
Vladimir Bourega - Il me semble très important que cette juridiction aie non seulement maintenu mais aussi renforcé la tradition monastique dans les conditions de l’exil. La pratique monastique du monastère Saint Job en Slovaquie Orientale est un phénomène unique dans la vie de l’émigration russe. Cette école monastique a exercé une grande influence sur la vie ecclésiale de la diaspora. L’EORHF a voulu maintenir au mieux la tradition. C’est sa force et, en même temps, sa faiblesse. Une vision missionnaire productive n’y a pas été élaborée, ceci à la différence de l’exarchat « Eulogien ». Un modèle de vie ecclésiale ouvert à l’Occident a été élaboré à Paris, les résultats missionnaires de ce modèle sont remarquables. Les « Hors Frontières » se sont axés sur le maintien de la tradition ce qui les a fait mettre de coté la nécessité missionnaire de toute vie ecclésiale. De là à dire que cela suscite en moi une sorte de rejet… Il s’agit plutôt à mes yeux d’une réalité historique qui mérite une étude attentive et approfondie.
* anciens rites gallicans
** l’Eglise Catholique Orthodoxe Apostolique Française
Rédigé par Nikita Krivocheine le 25 Août 2012 à 13:02
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