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Un entretien avec Alexandre Rahr, directeur du Centre Berthold Beitz (Conseil allemand de politique étrangère)
Q. - Récemment le patriarche Cyrille a évoqué lors d’une interview les récents évènements politiques en Russie. Que pensez-vous de cette interview ?
A.R. - C’est une interview empreinte de sagesse et de modération. Le patriarche a préféré intervenir dès maintenant, sans attendre que la situation ne devienne encore plus tendue comme cela s’était passé en 1993 lors du conflit entre le Kremlin et le parlement. A l’époque le patriarche Alexis II a grandement contribué à ce qu’une solution soit trouvée à ce conflit. L’histoire ne se répète pas. Mais il est indispensable de calmer les passions. En effet, tous ceux qui sont sorties dans la rue ne sont pas des agents d’influence ou des révolutionnaires voulant déstabiliser le pays. Une classe moyenne s’est constituée. Elle est formée de gens qui se considèrent comme des patriotes et qui aspirent à ce que le pays soit dirigé d’une manière efficace et compétente. Bien des choses leur déplaisent dans la politique qui est menée ces dernières années. Il s’agit d’un mouvement de protestation initié par les classes moyennes. L’Eglise se montre vigilante à ce qui se passe et dit espérer une évolution constructive.
Q. - Récemment le patriarche Cyrille a évoqué lors d’une interview les récents évènements politiques en Russie. Que pensez-vous de cette interview ?
A.R. - C’est une interview empreinte de sagesse et de modération. Le patriarche a préféré intervenir dès maintenant, sans attendre que la situation ne devienne encore plus tendue comme cela s’était passé en 1993 lors du conflit entre le Kremlin et le parlement. A l’époque le patriarche Alexis II a grandement contribué à ce qu’une solution soit trouvée à ce conflit. L’histoire ne se répète pas. Mais il est indispensable de calmer les passions. En effet, tous ceux qui sont sorties dans la rue ne sont pas des agents d’influence ou des révolutionnaires voulant déstabiliser le pays. Une classe moyenne s’est constituée. Elle est formée de gens qui se considèrent comme des patriotes et qui aspirent à ce que le pays soit dirigé d’une manière efficace et compétente. Bien des choses leur déplaisent dans la politique qui est menée ces dernières années. Il s’agit d’un mouvement de protestation initié par les classes moyennes. L’Eglise se montre vigilante à ce qui se passe et dit espérer une évolution constructive.
Q. - Faut-il en conclure que l’Eglise et son patriarche s’ingèrent dans la sphère du politique ?
A.R. - Ce n’est pas mon avis. L’Eglise n’a nullement l’intention de devenir un acteur politique. D’autre part l’Eglise représente une grande force dans la société, elle est la conscience de notre peuple. Je pense aux Russes qui se considérent orthodoxes. La voix du patriarche est pour eux importante, elle est à même de faire revenir la paix et la tranquillité. D’autre part le patriarche Cyrille dit clairement au pouvoir qu’il est indispensable d’être à l’écoute des protestataires.
Q. - Peut-on dire que cette interview est un signe de conformisme de la part de l’Eglise orthodoxe ?
A.R. - Le patriarche Cyrille, un véritable leader spirituel, a mérité le respect en montrant qu’il est un homme moderne et qu’il parle le langage de son temps. Ce n’est pas un homme politique mais son influence dans le pays est considérable. Il peut, il doit, dirai-je, faire part de son analyse des évènements qui se produisent en Russie. Le pays entame aujourd’hui une étape compliquée de son devenir. En Occident comme en Russie les milieux libéraux sont persuadés que l’Eglise appartient au XIX siècle et qu’elle devrait donc se tenir à l’écart de la vie de la cité. Disons que si en Occident cette manière de voir est valable, elle ne l’est pas en Russie.
Après 80 ans de dictature communiste la Russie est à la recherche de ses racines, elle se remémore la Russie d’avant la révolution, elle se souvient de la manière de vivre à l’époque, elle revient à la foi chrétienne. Religiosité, foi, ecclésialité, tout ceci a été perdu pendant les décennies communistes. Il sera très difficile à la Russie de se frayer une voix sans que tout cela ne renaisse. Une Russie moderne sans Eglise paraît impensable. L’Eglise contribue à plus de cohérence sociale. Il est très important à mes yeux que le patriarche Cyrille de même qu’Alexis II, son prédécesseur, n’ont pas voulu que l’Eglise devienne le siège du nationalisme et de l’extrémisme.
Q. - Est-ce que le patriarche occupe une place qui lui est propre dans la vie de la société. A-t-il vocation a jouer un rôle dans la vie de la société et, si oui, lequel ?
A.R. - La fonction de patriarche est apparue dans l’histoire du pays bien avant celle de président. Le patriarche a une présence dans la durée historique et non dans l’ici et maintenant. De nos jours le patriarche ne peut avoir de fonctions politiques mais cela ne signifie pas qu’il n’exerce aucune influence sur la situation politique et sociale. La personnalité du patriarche Cyrille est très forte, aussi sa voix est parfaitement entendue. Il est de mise aujourd’hui d’estimer que la religion appartient au passé, que le monde est entré dans un âge post-chrétien et que l’Eglise ne peut que freiner le progrès de l’humanité.
La Russie s’est délivrée du communisme et rien n’y est similaire à ce qui existe ailleurs. L’Eglise rappelle qu’il y a une continuité dans l’évolution de l’humanité. Le patriarche représente un trait d’union entre le passé et le présent, entre les diverses forces politiques et sociales.
Q. - On reproche souvent à l’Eglise de garder le silence face aux problèmes et aux difficultés du temps présent. L’interview récente du patriarche est-elle une réponse aux questions qui préoccupent aujourd’hui les gens ?
A.R. - Le patriarcat de Moscou a recouvert la liberté il y a seulement 20 ans et il serait irréel de s’attendre à des réponses exhaustives. En effet, le monde change à vue d’œil, des questions surgissent, nombreuses, auxquelles l’Eglise n’est pas à même de donner une réponse univoque. Or, ce sont des réponses sages et réfléchies que l’on attend de l’Eglise.
L’Eglise ne doit pas s’immiscer dans la politique au jour le jour. D’ailleurs cela ne se produira pas en Russie. Nous observons un phénomène contraire : les hommes politiques viennent dans les églises pour y être vus espérant que cela leur apportera des voix. Ce sont des procédés qui ont également cours en Occident et je n’y vois rien de condamnable. L’essentiel est de ne pas réduire la foi à une recette politique et télévisuelle. Mais quand un responsable politique nous dit être devenu croyant et participer aux sacrements, comment ne pas s’en réjouir ?
La société russe a été horriblement mutilée pendant les décennies staliniennes, sous Brejnev c’est le cynisme qui a régné. De nos jours je vois que les gens, un peu partout dans le pays, affluent de plus en plus nombreux dans les paroisses. Qui, sinon l’Eglise, garderait et diffuserait les valeurs de la morale en ce XXI siècle sans foi ni loi.
Q - De nouveaux diocèses viennent d’être constitués. Que pensez-vous de cette évolution ?
A.R. - J’ai été formé au sein de l’Eglise orthodoxe russe hors frontières. Nous avons toujours éprouvé un grand respect à l’égard de la tradition. L’émigration russe a eu le grand mérite de maintenir, ne fût-ce qu’un peu, l’orthodoxie à l’étranger et d’éduquer plusieurs générations de croyants. Grâce à la réunion canonique avec l’Eglise mère, en 2007, ce grand pan de la société russe peut se sentir appartenant à nouveau au pays.
La venue en Russie de la Ceinture de la Vierge, accueillie par Vladimir Poutine, suscite l’ironie en Occident. Les journaux ridiculisent ceux qui attendent des heures pour pouvoir vénérer une relique. Je les laisse ricaner. L’Eglise renaît, son rôle devient comparable à ce qu’il était à l’époque de Byzance. L’Eglise orthodoxe ne doit pas se couper de ses racines, comme l’ont fait les protestants. Nous sommes, et c’est là notre erreur principale, tournés exclusivement vers le futur. Nous nous détournons de notre passé.
Je suis certain que l’Eglise orthodoxe russe ne succombera pas à cette tentation.
Traduction " Parlons d'orthodoxie"
En russe Interfax religion
A.R. - Ce n’est pas mon avis. L’Eglise n’a nullement l’intention de devenir un acteur politique. D’autre part l’Eglise représente une grande force dans la société, elle est la conscience de notre peuple. Je pense aux Russes qui se considérent orthodoxes. La voix du patriarche est pour eux importante, elle est à même de faire revenir la paix et la tranquillité. D’autre part le patriarche Cyrille dit clairement au pouvoir qu’il est indispensable d’être à l’écoute des protestataires.
Q. - Peut-on dire que cette interview est un signe de conformisme de la part de l’Eglise orthodoxe ?
A.R. - Le patriarche Cyrille, un véritable leader spirituel, a mérité le respect en montrant qu’il est un homme moderne et qu’il parle le langage de son temps. Ce n’est pas un homme politique mais son influence dans le pays est considérable. Il peut, il doit, dirai-je, faire part de son analyse des évènements qui se produisent en Russie. Le pays entame aujourd’hui une étape compliquée de son devenir. En Occident comme en Russie les milieux libéraux sont persuadés que l’Eglise appartient au XIX siècle et qu’elle devrait donc se tenir à l’écart de la vie de la cité. Disons que si en Occident cette manière de voir est valable, elle ne l’est pas en Russie.
Après 80 ans de dictature communiste la Russie est à la recherche de ses racines, elle se remémore la Russie d’avant la révolution, elle se souvient de la manière de vivre à l’époque, elle revient à la foi chrétienne. Religiosité, foi, ecclésialité, tout ceci a été perdu pendant les décennies communistes. Il sera très difficile à la Russie de se frayer une voix sans que tout cela ne renaisse. Une Russie moderne sans Eglise paraît impensable. L’Eglise contribue à plus de cohérence sociale. Il est très important à mes yeux que le patriarche Cyrille de même qu’Alexis II, son prédécesseur, n’ont pas voulu que l’Eglise devienne le siège du nationalisme et de l’extrémisme.
Q. - Est-ce que le patriarche occupe une place qui lui est propre dans la vie de la société. A-t-il vocation a jouer un rôle dans la vie de la société et, si oui, lequel ?
A.R. - La fonction de patriarche est apparue dans l’histoire du pays bien avant celle de président. Le patriarche a une présence dans la durée historique et non dans l’ici et maintenant. De nos jours le patriarche ne peut avoir de fonctions politiques mais cela ne signifie pas qu’il n’exerce aucune influence sur la situation politique et sociale. La personnalité du patriarche Cyrille est très forte, aussi sa voix est parfaitement entendue. Il est de mise aujourd’hui d’estimer que la religion appartient au passé, que le monde est entré dans un âge post-chrétien et que l’Eglise ne peut que freiner le progrès de l’humanité.
La Russie s’est délivrée du communisme et rien n’y est similaire à ce qui existe ailleurs. L’Eglise rappelle qu’il y a une continuité dans l’évolution de l’humanité. Le patriarche représente un trait d’union entre le passé et le présent, entre les diverses forces politiques et sociales.
Q. - On reproche souvent à l’Eglise de garder le silence face aux problèmes et aux difficultés du temps présent. L’interview récente du patriarche est-elle une réponse aux questions qui préoccupent aujourd’hui les gens ?
A.R. - Le patriarcat de Moscou a recouvert la liberté il y a seulement 20 ans et il serait irréel de s’attendre à des réponses exhaustives. En effet, le monde change à vue d’œil, des questions surgissent, nombreuses, auxquelles l’Eglise n’est pas à même de donner une réponse univoque. Or, ce sont des réponses sages et réfléchies que l’on attend de l’Eglise.
L’Eglise ne doit pas s’immiscer dans la politique au jour le jour. D’ailleurs cela ne se produira pas en Russie. Nous observons un phénomène contraire : les hommes politiques viennent dans les églises pour y être vus espérant que cela leur apportera des voix. Ce sont des procédés qui ont également cours en Occident et je n’y vois rien de condamnable. L’essentiel est de ne pas réduire la foi à une recette politique et télévisuelle. Mais quand un responsable politique nous dit être devenu croyant et participer aux sacrements, comment ne pas s’en réjouir ?
La société russe a été horriblement mutilée pendant les décennies staliniennes, sous Brejnev c’est le cynisme qui a régné. De nos jours je vois que les gens, un peu partout dans le pays, affluent de plus en plus nombreux dans les paroisses. Qui, sinon l’Eglise, garderait et diffuserait les valeurs de la morale en ce XXI siècle sans foi ni loi.
Q - De nouveaux diocèses viennent d’être constitués. Que pensez-vous de cette évolution ?
A.R. - J’ai été formé au sein de l’Eglise orthodoxe russe hors frontières. Nous avons toujours éprouvé un grand respect à l’égard de la tradition. L’émigration russe a eu le grand mérite de maintenir, ne fût-ce qu’un peu, l’orthodoxie à l’étranger et d’éduquer plusieurs générations de croyants. Grâce à la réunion canonique avec l’Eglise mère, en 2007, ce grand pan de la société russe peut se sentir appartenant à nouveau au pays.
La venue en Russie de la Ceinture de la Vierge, accueillie par Vladimir Poutine, suscite l’ironie en Occident. Les journaux ridiculisent ceux qui attendent des heures pour pouvoir vénérer une relique. Je les laisse ricaner. L’Eglise renaît, son rôle devient comparable à ce qu’il était à l’époque de Byzance. L’Eglise orthodoxe ne doit pas se couper de ses racines, comme l’ont fait les protestants. Nous sommes, et c’est là notre erreur principale, tournés exclusivement vers le futur. Nous nous détournons de notre passé.
Je suis certain que l’Eglise orthodoxe russe ne succombera pas à cette tentation.
Traduction " Parlons d'orthodoxie"
En russe Interfax religion
Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 24 Janvier 2012 à 13:11
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