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"La plénitude de la vénération rendue aux icônes, que ce soit dans la production des icônes ou dans la prière devant elles, ne peut pas être isolée de la totalité de la foi parce que, comme l’indiquent les prières de bénédiction, cette vénération puise essentiellement à la même source théologique que tout notre culte d’adoration.
Il se peut qu’elle ne soit qu’un ruisseau parmi tant d’autres, mais l’eau est la même, laquelle monte de l’unique source de la seule Église." Mère Thekla (1)
Nous connaissons tous le rite de bénédiction des icônes et nous pensons qu'il fait intrinsèquement partie de la tradition orthodoxe.
Certains en contestent pourtant le bien fondé en arguant qu'il est apparu tardivement: sans remonter au 1er millénaire (l'absence de rite de consécration servit d'argument aux iconoclastes pour nier la sainteté des icônes), cette pratique n'avait certainement pas cours en Russie avant les réformes Nikonniennes (1653-1656) puisque les Vieux-Croyants n'y ont pas recours.
UN RITE TARDIF
Le rite de bénédiction des icônes est inscrit pour la première fois dans les offices orthodoxes peu avant ces réformes, dans le Trebnik (2) slavon du saint métropolite de Kiev Pierre Moghila (1646)(3); il suit de près le "Rituale Romanum" catholique (1614), qui codifie l’antique usage de bénir de nombreux biens à l’intérieur de la messe, à la fin du canon. Ce bref vade-mecum est axé sur la discipline des sacrements, alors battue en brèche par les Protestants.
Il se peut qu’elle ne soit qu’un ruisseau parmi tant d’autres, mais l’eau est la même, laquelle monte de l’unique source de la seule Église." Mère Thekla (1)
Nous connaissons tous le rite de bénédiction des icônes et nous pensons qu'il fait intrinsèquement partie de la tradition orthodoxe.
Certains en contestent pourtant le bien fondé en arguant qu'il est apparu tardivement: sans remonter au 1er millénaire (l'absence de rite de consécration servit d'argument aux iconoclastes pour nier la sainteté des icônes), cette pratique n'avait certainement pas cours en Russie avant les réformes Nikonniennes (1653-1656) puisque les Vieux-Croyants n'y ont pas recours.
UN RITE TARDIF
Le rite de bénédiction des icônes est inscrit pour la première fois dans les offices orthodoxes peu avant ces réformes, dans le Trebnik (2) slavon du saint métropolite de Kiev Pierre Moghila (1646)(3); il suit de près le "Rituale Romanum" catholique (1614), qui codifie l’antique usage de bénir de nombreux biens à l’intérieur de la messe, à la fin du canon. Ce bref vade-mecum est axé sur la discipline des sacrements, alors battue en brèche par les Protestants.
Le saint métropolite Pierre Moghila lutta aussi activement contre le Protestantisme, qui arrivait en Pologne dont faisait partie la métropole de Kiev; il y consacra en particulier sa célèbre "Confession de foi orthodoxe" (1642) et ce fut aussi l'un des objectifs de la rédaction de ce nouveau Trebnik: les icônes étant refusées par les Protestants, leur consécration y a alors toute sa raison d'être. Le rite de bénédiction des icônes, sous une forme simplifiée, fut aussi introduit dans l'Euchologe Grec, publié à Venise en 1730.
L'introduction de ces rites a toutefois donné lieu à des débats aux XVIII-XIXe siècles, comme l'explique l'étude historique érudite du père Stéphane Bigham (4), les opposants revenant essentiellement aux arguments produits au VIII-IXe siècles contre les iconoclastes ("les images sont efficaces à cause de leur ressemblance avec la personne représentée," ibidem,) et accusant cet usage de copier les Latins (nous voyons qu'en fait l'apparition est concomitante)... Mais cet usage devint tradition et le rite de bénédiction fait maintenant partie des Euchologes et Trebniks en usage.
L'introduction de ces rites a toutefois donné lieu à des débats aux XVIII-XIXe siècles, comme l'explique l'étude historique érudite du père Stéphane Bigham (4), les opposants revenant essentiellement aux arguments produits au VIII-IXe siècles contre les iconoclastes ("les images sont efficaces à cause de leur ressemblance avec la personne représentée," ibidem,) et accusant cet usage de copier les Latins (nous voyons qu'en fait l'apparition est concomitante)... Mais cet usage devint tradition et le rite de bénédiction fait maintenant partie des Euchologes et Trebniks en usage.
"À L’INTÉRIEUR DE TOUTE L’ACTIVITÉ LITURGIQUE DE L’ÉGLISE"
Le père Stéphane cite en particulier la brochure de Mère Thekla , qui a traduit les prières de bénédiction des icônes du métropolite Pierre Moghila, en y ajoutant une petite préface intéressante dont nous citons un extrait en introduction de notre article (le père Stéphane ne l'apprécie pas beaucoup car elle va à l'encontre de sa thèse…)
Pour Mère Thekla "une icône, avant les prières de bénédiction, n’est pas vraiment une icône et elle ne le devient véritablement qu’après ces prières". Le père Stéphane qualifie cela de "Une pratique et une théologie qui la justifie", ce qui n'a rien de surprenant dans la doctrine orthodoxe: "chez nous, le gardien de la foi {uperaspistis tis thriskias) est le corps de l'Église, c'est-à-dire le peuple lui-même, qui vient préserver sa foi immuable et conforme à celle de ses Pères," écrivent les Patriarches orientaux en 1848 (5). Les évêques reconnaissent la vérité et la proclament et le peuple doit encore la "recevoir", précise le métropolite de Diokleia Kalistos (Ware) (6), et c'est bien l'application de cette doctrine que nous voyons exactement dans ce cas: proclamation dans les Euchologes et Trebniks puis large réception par une pratique quasi générale...
Outre la volonté d'opposer la vénération des icônes à leur refus par les Protestants, on peut noter que l'introduction de ce rite chez les Orthodoxes comme chez les Latins est concomitante avec la multiplication des images pieuses aussi bien par l'imprimerie (les premières typographies du "Monde russe" sont installées à la fin du XVIe siècle: Moscou, 1550-60, Lvov/Lviv vers 1570,) que par la prolifération des écoles iconographiques, de qualités très variables, qui finirent par "produire" des icônes en quantité industrielle... Les icônes des églises étaient toujours bénies et leur multiplication dans les maisons privées ainsi que la diffusion d'images jugées hétérodoxes ont alors pu susciter le besoin de les bénir pour les rattacher à la vie de la communauté chrétienne et en vérifier la conformité à la foi orthodoxe. Mère Thècle confirme aussi cette explication : "les prières /de la bénédiction/ placent clairement la vénération des icônes à l’intérieur de toute l’activité liturgique de l’Église, afin qu’il soit établi que cette vénération forme une partie intégrante de l’orthodoxie: une confession de foi." (Ibid.)
V.G.
Le père Stéphane cite en particulier la brochure de Mère Thekla , qui a traduit les prières de bénédiction des icônes du métropolite Pierre Moghila, en y ajoutant une petite préface intéressante dont nous citons un extrait en introduction de notre article (le père Stéphane ne l'apprécie pas beaucoup car elle va à l'encontre de sa thèse…)
Pour Mère Thekla "une icône, avant les prières de bénédiction, n’est pas vraiment une icône et elle ne le devient véritablement qu’après ces prières". Le père Stéphane qualifie cela de "Une pratique et une théologie qui la justifie", ce qui n'a rien de surprenant dans la doctrine orthodoxe: "chez nous, le gardien de la foi {uperaspistis tis thriskias) est le corps de l'Église, c'est-à-dire le peuple lui-même, qui vient préserver sa foi immuable et conforme à celle de ses Pères," écrivent les Patriarches orientaux en 1848 (5). Les évêques reconnaissent la vérité et la proclament et le peuple doit encore la "recevoir", précise le métropolite de Diokleia Kalistos (Ware) (6), et c'est bien l'application de cette doctrine que nous voyons exactement dans ce cas: proclamation dans les Euchologes et Trebniks puis large réception par une pratique quasi générale...
Outre la volonté d'opposer la vénération des icônes à leur refus par les Protestants, on peut noter que l'introduction de ce rite chez les Orthodoxes comme chez les Latins est concomitante avec la multiplication des images pieuses aussi bien par l'imprimerie (les premières typographies du "Monde russe" sont installées à la fin du XVIe siècle: Moscou, 1550-60, Lvov/Lviv vers 1570,) que par la prolifération des écoles iconographiques, de qualités très variables, qui finirent par "produire" des icônes en quantité industrielle... Les icônes des églises étaient toujours bénies et leur multiplication dans les maisons privées ainsi que la diffusion d'images jugées hétérodoxes ont alors pu susciter le besoin de les bénir pour les rattacher à la vie de la communauté chrétienne et en vérifier la conformité à la foi orthodoxe. Mère Thècle confirme aussi cette explication : "les prières /de la bénédiction/ placent clairement la vénération des icônes à l’intérieur de toute l’activité liturgique de l’Église, afin qu’il soit établi que cette vénération forme une partie intégrante de l’orthodoxie: une confession de foi." (Ibid.)
V.G.
Renvois:
(1) Fille d'un avocat, Mère Thekla (1918-2011) est née à Kilslovodsk, dans le Nord Caucase, en pleine Révolution russe. Peu après, sa famille a émigré en Angleterre où elle a grandi. Elle a fondé en 1971 la première communauté orthodoxe en Angleterre avec une autre religieuse, Mère Maria, à côté de Whitby, sur la côte nord-est de l’Angleterre et y vécut jusqu’à sa mort (https://orthodoxe-ordinaire.blogspot.com/…/mere-thecle-john…). Ce texte est extrait de Mother Thekla, "The blessing of Ikons", Minneapolis MN, Light and Life Publishing company, aucune date, p. 1.
(2) Euchologe (grec) ou Trebnik (russe): livre liturgique contenant tous les rites accomplis par les prêtres et les évêques, les bénédictions et offices spéciaux pour la sanctification de toute la vie, jusque dans ses aspects les plus modernes (https://www.pagesorthodoxes.net/ress…/livres-liturgiques.htm).
(3) Saint Pierre Moghila (1597-1647, métropolite de Kiev et de Halych de 1633 à sa mort) fut un personnalité orthodoxe de premier plan. Il rebâtit la métropole de Kiev, dévastée après l'Union de Brest (1595-1596, la majorité des évêques de la Métropole de Kiev décident de rompre avec Constantinople pour rejoindre Rome. La métropole appartenait alors à la "République des Deux Nations" /Pologne-Lituanie catholique/. Le métropolite Pierre parvint à reconstituer une hiérarchie orthodoxe) fonda à Kiev la première Académie en pays orthodoxe, combattit par ses écrits l'Uniatisme et le Protestantisme. Saint Pierre Moghila a été canonisé par l'Église russe en 1996-2005
(4) https://www.academia.edu/38053225/B%C3%A9nir_les_ic%C3%B4nes_Conforme_%C3%A0_la_Tradition_de_l%C3%89glise_orthodoxe_oui_ou_non?fbclid=IwAR3sGraCAGP2ZAPplLI5eAVrm9SQY_abBT_Ortjp_fwoWvm6YMMljbhXIkg Le père Stéphane est prêtre au Québec. Il a soutenu son doctorat dans le domaine de l'art chrétien à l'Université de Montréal en 1989 et publié plusieurs recherches sur l'art de l'icône. Il est chargé de cours à la Faculté de théologie, d'éthique et de philosophie de l'Université de Sherbrooke, en théologie orthodoxe.
(5) http://abitibi-orthodoxe.ca/page7.html
(6) Mgr Kallistos Ware "L'Orthodoxie : L'Église des sept Conciles", Éditions du Cerf, Paris, 2002, p.325-326
(1) Fille d'un avocat, Mère Thekla (1918-2011) est née à Kilslovodsk, dans le Nord Caucase, en pleine Révolution russe. Peu après, sa famille a émigré en Angleterre où elle a grandi. Elle a fondé en 1971 la première communauté orthodoxe en Angleterre avec une autre religieuse, Mère Maria, à côté de Whitby, sur la côte nord-est de l’Angleterre et y vécut jusqu’à sa mort (https://orthodoxe-ordinaire.blogspot.com/…/mere-thecle-john…). Ce texte est extrait de Mother Thekla, "The blessing of Ikons", Minneapolis MN, Light and Life Publishing company, aucune date, p. 1.
(2) Euchologe (grec) ou Trebnik (russe): livre liturgique contenant tous les rites accomplis par les prêtres et les évêques, les bénédictions et offices spéciaux pour la sanctification de toute la vie, jusque dans ses aspects les plus modernes (https://www.pagesorthodoxes.net/ress…/livres-liturgiques.htm).
(3) Saint Pierre Moghila (1597-1647, métropolite de Kiev et de Halych de 1633 à sa mort) fut un personnalité orthodoxe de premier plan. Il rebâtit la métropole de Kiev, dévastée après l'Union de Brest (1595-1596, la majorité des évêques de la Métropole de Kiev décident de rompre avec Constantinople pour rejoindre Rome. La métropole appartenait alors à la "République des Deux Nations" /Pologne-Lituanie catholique/. Le métropolite Pierre parvint à reconstituer une hiérarchie orthodoxe) fonda à Kiev la première Académie en pays orthodoxe, combattit par ses écrits l'Uniatisme et le Protestantisme. Saint Pierre Moghila a été canonisé par l'Église russe en 1996-2005
(4) https://www.academia.edu/38053225/B%C3%A9nir_les_ic%C3%B4nes_Conforme_%C3%A0_la_Tradition_de_l%C3%89glise_orthodoxe_oui_ou_non?fbclid=IwAR3sGraCAGP2ZAPplLI5eAVrm9SQY_abBT_Ortjp_fwoWvm6YMMljbhXIkg Le père Stéphane est prêtre au Québec. Il a soutenu son doctorat dans le domaine de l'art chrétien à l'Université de Montréal en 1989 et publié plusieurs recherches sur l'art de l'icône. Il est chargé de cours à la Faculté de théologie, d'éthique et de philosophie de l'Université de Sherbrooke, en théologie orthodoxe.
(5) http://abitibi-orthodoxe.ca/page7.html
(6) Mgr Kallistos Ware "L'Orthodoxie : L'Église des sept Conciles", Éditions du Cerf, Paris, 2002, p.325-326
Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 20 Mai 2020 à 03:06
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