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"Ejednevny Journal"
Un article de Nikita Krivochéine
Et le calendrier et le cours de ce que l’on appelle « le temps » sont différents pour l’Église de ce qu’ils sont pour le commun des incroyants : ce n’est donc pas pécher que de ne pas respecter le décompte des mois par douzaines. Ce décompte « pas très canonique » est d’autant plus pratique que de nombreux événements ont eu lieu en janvier, aux alentours du Nouvel An grégorien.
Il y a une semaine, à l’église de la Mère de Dieu du Signe, les Parisiens étaient invités à écouter l’archiprêtre Georges Mitrofanov parler de son livre La Tragédie de la Russie – Sujets « interdits » du xxe siècle. Bien que cet événement ait été annoncé à l’avance, on vérifia le principe « beaucoup d’appelés… ». Peut-être que là est la preuve de ce qu’il y a toujours une distance entre la métropole et les déjà plus très jeunes petits-enfants des émigrants qui avaient une conscience russe. Malgré la chute du rideau de fer, la possibilité que les émigrants ont depuis de se rendre fréquemment en Russie, il y a beaucoup d’aberrations dans la perception de ce pays, ils ressemblent aux Québécois qui ne cessent de maugréer contre la France : rien n’est semblable à l’original « d’alors ». Qu’est-ce qui pourrait encore être semblable ? Les Français émigrés au Québec vivent séparés de la métropole depuis plus de trois siècles ! Pour les Russes la séparation a été moins longue, mais la rupture avec le milieu ambiant a été beaucoup plus douloureuse.
Et pourtant au petit groupe qui l’a applaudi le père Georges a annoncé que les Russes n’ont pas non plus une conscience suffisante de ce qui se passe dans leur pays. Par exemple, dans leur réflexion sur la chute, presque sans effusion de sang, des Soviets et la répression des mouvements de protestation en 1991 et 1993. Selon son interprétation, cette variante de contre-révolution « soft » n’est pas vraiment une contre-révolution, mais la manifestation d’une fatigue et d’une indifférence nationales.
Un article de Nikita Krivochéine
Et le calendrier et le cours de ce que l’on appelle « le temps » sont différents pour l’Église de ce qu’ils sont pour le commun des incroyants : ce n’est donc pas pécher que de ne pas respecter le décompte des mois par douzaines. Ce décompte « pas très canonique » est d’autant plus pratique que de nombreux événements ont eu lieu en janvier, aux alentours du Nouvel An grégorien.
Il y a une semaine, à l’église de la Mère de Dieu du Signe, les Parisiens étaient invités à écouter l’archiprêtre Georges Mitrofanov parler de son livre La Tragédie de la Russie – Sujets « interdits » du xxe siècle. Bien que cet événement ait été annoncé à l’avance, on vérifia le principe « beaucoup d’appelés… ». Peut-être que là est la preuve de ce qu’il y a toujours une distance entre la métropole et les déjà plus très jeunes petits-enfants des émigrants qui avaient une conscience russe. Malgré la chute du rideau de fer, la possibilité que les émigrants ont depuis de se rendre fréquemment en Russie, il y a beaucoup d’aberrations dans la perception de ce pays, ils ressemblent aux Québécois qui ne cessent de maugréer contre la France : rien n’est semblable à l’original « d’alors ». Qu’est-ce qui pourrait encore être semblable ? Les Français émigrés au Québec vivent séparés de la métropole depuis plus de trois siècles ! Pour les Russes la séparation a été moins longue, mais la rupture avec le milieu ambiant a été beaucoup plus douloureuse.
Et pourtant au petit groupe qui l’a applaudi le père Georges a annoncé que les Russes n’ont pas non plus une conscience suffisante de ce qui se passe dans leur pays. Par exemple, dans leur réflexion sur la chute, presque sans effusion de sang, des Soviets et la répression des mouvements de protestation en 1991 et 1993. Selon son interprétation, cette variante de contre-révolution « soft » n’est pas vraiment une contre-révolution, mais la manifestation d’une fatigue et d’une indifférence nationales.
Et moi, naïvement, au début des années 1990, j’ai intitulé « Victoire de l’Armée blanche » un papier que j’ai commis pour les Moskovskie Novosti (les Nouvelles de Moscou) de l’après perestroïka !
Selon le père Georges, le xxe siècle s’est révélé absurde, au sens qu’Albert Camus donnait à ce mot, et le happy end plutôt mollasson. Il n’est pas ici question du jugement sur Vlassov ou Iline, pas plus que de l’amour partagé entre A. Podabrinek et les vétérans du PCU (bolchévique). Il est question de la composition de l’air, de ce spleen qui vous envahit à la lecture de l’Ezhednevnyj zhurnal (la Revue quotidienne), lors des rencontres avec ses auteurs en visite à Paris, ou avec les amis venant de Russie.
Un point positif : l’historien pétersbourgeois est venu en soutane. Rappeler comme il l’a fait cette vertu chrétienne qui se nomme « Espérance » fut plus que bienvenu. L’une des personnes présentes a même estimé que le père Mitrofanov est une réincarnation de la vieille Matriona de Soljenitsyne sans laquelle il n’existe aucuns village, ville, pays.
Le hiéromoine Alexandre Siniakov, recteur du premier séminaire à l’étranger de l’Église orthodoxe russe qui a été inauguré cet automne non loin de Paris, s’apprête à demander au père Georges de revenir en France pour présenter son livre. En 2009-2010 se sont inscrits en première année une dizaine de jeunes séminaristes venus de l’espace ex-soviétique (un séminariste vient de Colombie), voilà une belle réserve pour l’avenir des paroisses orthodoxes. On verra plus tard où seront affectés ces futurs prêtres, à Toulouse ou à Maloyaroslavets, quoi qu’il en soit les fruits d’une telle confrontation religieuse et culturelle devraient être plus abondants que les résultats de trois accords START ou de cinq visites présidentielles. Qui sait, peut-être que la formule de Kipling « L’occident est l’occident, l’orient est l’orient et ils ne s’uniront jamais » ne sera, enfin, plus actuelle.
L’existence même de ce séminaire en terres de Gaule où sont prévus des cours en Sorbonne et dans des établissements catholiques, des rencontres avec des évêques catholiques, a provoqué chez les fondamentalistes russes une explosion de haine indignée. Internet depuis deux semaines déverse des anathèmes et des accusations contre le recteur du séminaire tels qu’il passerait pour une prostituée de la religion entretenue par les hérétiques du Vatican… La fureur de ces gens ne vise pas tant ce nouvel établissement du Patriarcat de Moscou en France que le cap de l’Église tout entière fixé dès les années soixante par le métropolite Nicodème et poursuivi par le métropolite, actuellement patriarche, Cyrille ainsi que par l’archevêque Hilarion. Ce cap est celui du rapprochement de toutes les églises chrétiennes pour s’opposer en commun à l’athéisme, à la sécularisation radicale, à l’agnosticisme ainsi qu’à tout extrémisme. Les intégristes (tout comme ceux du monastère de Bogolioubovo) voient dans cet objectif un abandon des fondements de la vraie foi, un renoncement à l’Orthodoxie et le « danger » de l’œcuménisme. C’est une lutte d’arrière-garde, les arguments des accusateurs, en Russie comme en Occident, sont irrecevables !
À propos, lors de l’inauguration officielle du séminaire étaient présents l’ambassadeur de la Fédération de Russie en France, Alexandre Orlov, l’archevêque de Paris, le cardinal André Vingt-Trois, l’évêque catholique du diocèse, le préfet du département, des représentants des ministères de l’intérieur et des cultes ainsi que de la justice… Car telle a été l’ampleur de l’événement ! En route vers la Chine, l’archevêque de Volokolamsk, Mgr Hilarion, a fait un crochet par Paris pour présider avec ferveur la liturgie. Cet été (alors que la polémique sur le bar à brochettes « Chez les antisoviétique » et le livre du père Georges Mitrofanov battait son plein) son discours « Buchenwald = Vorkouta » (c’en est, bien évidemment, une formulation simplifiée) a été entendu des orthodoxes de France.
Jamais encore l’Église orthodoxe russe n’avait, rejetant les formules vagues et générales, donné une telle appréciation des quatre-vingts ans de régime soviétique. Un peu plus tard, le hiéromoine Philippe (Riabykh), adjoint de Mgr Hilarion, s’est exprimé tout aussi clairement. On aura remarqué que Mgr Gabriel (de Vylder), archevêque du Patriarcat de Constantinople à concélébré la liturgie de l’inauguration du séminaire. Cette rencontre à Paris d’évêques de deux Églises qui ne sont pas en relations d’amour réciproque (cf. ce qui se passe en Ukraine) faisait penser au radeau de Tilsitt : les prémices d’un dégel deviennent de plus en plus évidentes dans les relations inter-ecclésiales.
La décision du Tribunal de Grande Instance de Nice, ce 20 janvier, déclarant la Russie légitime propriétaire de la cathédrale Saint-Nicolas met fin à un conflit de plusieurs années dont, j’en suis profondément convaincu, le clergé de la cathédrale de Nice porte la responsabilité. Ses représentants ont publié dans la presse de nombreux articles selon lesquels la Russie « est toujours en régime soviétique et l’Église russe une succursale du KGB et un épigone de l’URSS ». Le règlement de ce conflit foncier sera, espérons-le, salutaire et réparateur dans les relations entre les patriarcats de Constantinople et de Moscou. La Russie a su présenter des preuves convaincantes de son droit à la propriété de la cathédrale de Nice.
À tous ceux (dont M. Michel Sollogoub) qui n’acceptent pas cette décision nous avons envie de demander : sont-ils aussi contre la restitution massive de biens ecclésiaux conduite en Fédération de Russie ? Les musées (dans le meilleur des cas), les instituts de recherches, les entrepôts, les prisons installés durant les années de pouvoir soviétique dans des monastères et des temples n’apprécient guère ces changements. Avoir disposé pendant de nombreuses années des autels et des cellules leur a aussi donné le sentiment de « propriété pleine et entière ».
Est-ce que Michel Sollogoub protesterait si la Fédération de Russie décidait, perspective aujourd’hui peu probable, de restituer les biens confisqués par les bolchéviks à ses ancêtres et aux miens ? Je ne le pense pas.
Oui, l’émigration a entretenu les églises laissées à l’abandon par Octobre 1917, mais elle le faisait dans l’espoir de la chute des Soviets (elle a toujours espéré pouvoir revenir dans la Patrie). Et c’est enfin arrivé !
Dans l’article du Figaro dont Michel Sollogoub extrait une citation de l’ambassadeur (pas encore ministre) A.A. Avdeev, nous trouvons un chiffre intéressant : en 2008 les entrées des touristes visitant la cathédrale Saint-Nicolas ont rapporté à l’Archevêché des églises russe (Patriarcat de Constantinople) la modique somme de 580.784 €.
Il est pour le moins désagréable de perdre un procès alors qu’on était persuadé être dans son bon droit.
Espérons que le jugement du tribunal de Nice deviendra avec le temps une passerelle permettant le rétablissement de liens amicaux entre les juridictions, leur clergé et leurs paroissiens, pour une aptitude à mieux nous entendre et nous comprendre.
traduction pour "Parlons d'orthodoxie" Marc F.
Liens- Interfax
Religare.ru
Portal-credo.ru
Selon le père Georges, le xxe siècle s’est révélé absurde, au sens qu’Albert Camus donnait à ce mot, et le happy end plutôt mollasson. Il n’est pas ici question du jugement sur Vlassov ou Iline, pas plus que de l’amour partagé entre A. Podabrinek et les vétérans du PCU (bolchévique). Il est question de la composition de l’air, de ce spleen qui vous envahit à la lecture de l’Ezhednevnyj zhurnal (la Revue quotidienne), lors des rencontres avec ses auteurs en visite à Paris, ou avec les amis venant de Russie.
Un point positif : l’historien pétersbourgeois est venu en soutane. Rappeler comme il l’a fait cette vertu chrétienne qui se nomme « Espérance » fut plus que bienvenu. L’une des personnes présentes a même estimé que le père Mitrofanov est une réincarnation de la vieille Matriona de Soljenitsyne sans laquelle il n’existe aucuns village, ville, pays.
Le hiéromoine Alexandre Siniakov, recteur du premier séminaire à l’étranger de l’Église orthodoxe russe qui a été inauguré cet automne non loin de Paris, s’apprête à demander au père Georges de revenir en France pour présenter son livre. En 2009-2010 se sont inscrits en première année une dizaine de jeunes séminaristes venus de l’espace ex-soviétique (un séminariste vient de Colombie), voilà une belle réserve pour l’avenir des paroisses orthodoxes. On verra plus tard où seront affectés ces futurs prêtres, à Toulouse ou à Maloyaroslavets, quoi qu’il en soit les fruits d’une telle confrontation religieuse et culturelle devraient être plus abondants que les résultats de trois accords START ou de cinq visites présidentielles. Qui sait, peut-être que la formule de Kipling « L’occident est l’occident, l’orient est l’orient et ils ne s’uniront jamais » ne sera, enfin, plus actuelle.
L’existence même de ce séminaire en terres de Gaule où sont prévus des cours en Sorbonne et dans des établissements catholiques, des rencontres avec des évêques catholiques, a provoqué chez les fondamentalistes russes une explosion de haine indignée. Internet depuis deux semaines déverse des anathèmes et des accusations contre le recteur du séminaire tels qu’il passerait pour une prostituée de la religion entretenue par les hérétiques du Vatican… La fureur de ces gens ne vise pas tant ce nouvel établissement du Patriarcat de Moscou en France que le cap de l’Église tout entière fixé dès les années soixante par le métropolite Nicodème et poursuivi par le métropolite, actuellement patriarche, Cyrille ainsi que par l’archevêque Hilarion. Ce cap est celui du rapprochement de toutes les églises chrétiennes pour s’opposer en commun à l’athéisme, à la sécularisation radicale, à l’agnosticisme ainsi qu’à tout extrémisme. Les intégristes (tout comme ceux du monastère de Bogolioubovo) voient dans cet objectif un abandon des fondements de la vraie foi, un renoncement à l’Orthodoxie et le « danger » de l’œcuménisme. C’est une lutte d’arrière-garde, les arguments des accusateurs, en Russie comme en Occident, sont irrecevables !
À propos, lors de l’inauguration officielle du séminaire étaient présents l’ambassadeur de la Fédération de Russie en France, Alexandre Orlov, l’archevêque de Paris, le cardinal André Vingt-Trois, l’évêque catholique du diocèse, le préfet du département, des représentants des ministères de l’intérieur et des cultes ainsi que de la justice… Car telle a été l’ampleur de l’événement ! En route vers la Chine, l’archevêque de Volokolamsk, Mgr Hilarion, a fait un crochet par Paris pour présider avec ferveur la liturgie. Cet été (alors que la polémique sur le bar à brochettes « Chez les antisoviétique » et le livre du père Georges Mitrofanov battait son plein) son discours « Buchenwald = Vorkouta » (c’en est, bien évidemment, une formulation simplifiée) a été entendu des orthodoxes de France.
Jamais encore l’Église orthodoxe russe n’avait, rejetant les formules vagues et générales, donné une telle appréciation des quatre-vingts ans de régime soviétique. Un peu plus tard, le hiéromoine Philippe (Riabykh), adjoint de Mgr Hilarion, s’est exprimé tout aussi clairement. On aura remarqué que Mgr Gabriel (de Vylder), archevêque du Patriarcat de Constantinople à concélébré la liturgie de l’inauguration du séminaire. Cette rencontre à Paris d’évêques de deux Églises qui ne sont pas en relations d’amour réciproque (cf. ce qui se passe en Ukraine) faisait penser au radeau de Tilsitt : les prémices d’un dégel deviennent de plus en plus évidentes dans les relations inter-ecclésiales.
La décision du Tribunal de Grande Instance de Nice, ce 20 janvier, déclarant la Russie légitime propriétaire de la cathédrale Saint-Nicolas met fin à un conflit de plusieurs années dont, j’en suis profondément convaincu, le clergé de la cathédrale de Nice porte la responsabilité. Ses représentants ont publié dans la presse de nombreux articles selon lesquels la Russie « est toujours en régime soviétique et l’Église russe une succursale du KGB et un épigone de l’URSS ». Le règlement de ce conflit foncier sera, espérons-le, salutaire et réparateur dans les relations entre les patriarcats de Constantinople et de Moscou. La Russie a su présenter des preuves convaincantes de son droit à la propriété de la cathédrale de Nice.
À tous ceux (dont M. Michel Sollogoub) qui n’acceptent pas cette décision nous avons envie de demander : sont-ils aussi contre la restitution massive de biens ecclésiaux conduite en Fédération de Russie ? Les musées (dans le meilleur des cas), les instituts de recherches, les entrepôts, les prisons installés durant les années de pouvoir soviétique dans des monastères et des temples n’apprécient guère ces changements. Avoir disposé pendant de nombreuses années des autels et des cellules leur a aussi donné le sentiment de « propriété pleine et entière ».
Est-ce que Michel Sollogoub protesterait si la Fédération de Russie décidait, perspective aujourd’hui peu probable, de restituer les biens confisqués par les bolchéviks à ses ancêtres et aux miens ? Je ne le pense pas.
Oui, l’émigration a entretenu les églises laissées à l’abandon par Octobre 1917, mais elle le faisait dans l’espoir de la chute des Soviets (elle a toujours espéré pouvoir revenir dans la Patrie). Et c’est enfin arrivé !
Dans l’article du Figaro dont Michel Sollogoub extrait une citation de l’ambassadeur (pas encore ministre) A.A. Avdeev, nous trouvons un chiffre intéressant : en 2008 les entrées des touristes visitant la cathédrale Saint-Nicolas ont rapporté à l’Archevêché des églises russe (Patriarcat de Constantinople) la modique somme de 580.784 €.
Il est pour le moins désagréable de perdre un procès alors qu’on était persuadé être dans son bon droit.
Espérons que le jugement du tribunal de Nice deviendra avec le temps une passerelle permettant le rétablissement de liens amicaux entre les juridictions, leur clergé et leurs paroissiens, pour une aptitude à mieux nous entendre et nous comprendre.
traduction pour "Parlons d'orthodoxie" Marc F.
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Rédigé par l'équipe de rédaction le 27 Janvier 2010 à 16:35
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