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Vladimir Golovanow
Au plan ethnosociologique (1) nous pouvons distinguer trois profils bien distincts dans l'Orthodoxie de tradition russe, et ils me semblent se retrouver dans toutes les juridictions canoniques (mais je suis preneur de toute information confirmant ou infirmant ce point de vue que je ne puis appuyer que sur des observations personnelles très parcellaires):
- a) Les descendants d'immigrés de tradition orthodoxe familiale (d'un côté au moins, y compris des conjoints) me semblent encore les plus nombreux, tant parmi les fidèles que parmi les clercs, ainsi que dans les conseils paroissiaux et les instances diocésaines; mais ils comptent peu de moines et moniales et, largement prédominant voire hégémonique au siècle dernier, ce groupe devrait voir son importance baisser dans l'avenir (malgré le combat d'arrière garde désespéré que livrent certains de ses représentants en prétendant "parler au nom de l'émigration russe").
Au plan ethnosociologique (1) nous pouvons distinguer trois profils bien distincts dans l'Orthodoxie de tradition russe, et ils me semblent se retrouver dans toutes les juridictions canoniques (mais je suis preneur de toute information confirmant ou infirmant ce point de vue que je ne puis appuyer que sur des observations personnelles très parcellaires):
- a) Les descendants d'immigrés de tradition orthodoxe familiale (d'un côté au moins, y compris des conjoints) me semblent encore les plus nombreux, tant parmi les fidèles que parmi les clercs, ainsi que dans les conseils paroissiaux et les instances diocésaines; mais ils comptent peu de moines et moniales et, largement prédominant voire hégémonique au siècle dernier, ce groupe devrait voir son importance baisser dans l'avenir (malgré le combat d'arrière garde désespéré que livrent certains de ses représentants en prétendant "parler au nom de l'émigration russe").
- b) Les "nouveaux arrivants" sont probablement le deuxième groupe numérique parmi les fidèles, tout au moins pour les juridictions qui dépendent des Eglise d'Europe de l'Est et à Daru (ce qui recouvre la grande majorité de l'Orthodoxie en Europe occidentale). Ils me semblent avoir relativement peu de prêtres (sauf dans le diocèse de Chersonèse?), pratiquement pas de moines et moniales et sont encore peu représentés dans les conseils. Ils sont concentrés dans les grandes villes (Paris, Lyon, Marseille…) et leur arrivée récente commence à marquer fortement le profil général de l'Orthodoxie en Occident.
-c) Les "convertis"(2), très minoritaires parmi les fidèles mais relativement surreprésentés parmi les prêtres, dans les monastères et dans les conseils car les laïcs comme les clercs font généralement preuve de beaucoup d'activité dans l'Eglise. Leur importance numérique devrait croitre si l'action missionnaire continue au rythme que j'ai pu constater dans quelques endroits, en particulier en province. (Je souligne à nouveau que cette observation est très partielle et je souhaite rassembler des témoignages pour la conforter… ou l'infirmer!)
* * *
Nous voyons ainsi s'opérer un changement dans la composition ethnosociologique de l'Orthodoxie occidentale, le groupe A perdant progressivement sa prédominance au profit des groupes B et C qui sont nettement différenciés.
UN FOSSE CULTUREL entre les groupes B et C?
Le groupe C est loin d'être homogène: il y a parmi les "convertis" des tenants de la tradition la plus rigoureuse, mais la majorité des membres les plus actifs me semble plus tentée par une approche qui questionne les traditions et soupçonne les "nouveaux arrivants" de "tendances intégristes et rétrogrades". J'ai ainsi entendu contester leur attachement au slavon, qui empêche de comprendre, les tenues "coincées" (fichus/jupes noires) qui ne témoignent pas de la joie chrétienne, les métanies à répétition et les "signes de croix essuie-glaces", le fétichisme de l'eau-bénite et de la vénération "thérapeutique" ( 3 ) des icônes et des reliques, les pèlerinages …
Le groupe B est de fait plus homogène et proche des traditions (en tout cas pour ce qui concerne les arrivants des ex-pays socialistes). Ses représentants n'apprécient ni les innovations modernistes, ni le passage au français (ils souhaitent se confesser dans leur langue maternelle et prier dans celle à laquelle ils sont habitués), ni le laxisme des tenues, les eucharisties sans confessions, la rareté des offices en province… Pour certains cela peut aller jusqu'à un ralliement aux "Vitalistes" (vécu à Lyon).
Le groupe A est aussi très hétérogène, avec des personnalités très "modernistes" et d'autres "traditionalistes", comme le montrent les querelles qui remontent aux années 30 du siècle dernier. Toutefois, la plupart sont particulièrement tolérants et ils sont sans doute les mieux placés pour "servir de passerelle" (dixit le patriarche Bartholomé) et garder une unité ecclésiale. Encore faudrait-il qu'ils arrêtent de se chamailler entre eux!
AVANCER VERS L'UNITE?
une icône de la Trinité
Un clivage plus explicite me semble exister concernant notre organisation ecclésiologique: la majeure parti du groupe B et une grande partie du groupe A tiennent à garder des liens privilégiés avec leur Eglise-mère alors que bon nombre de "convertis" et certains membres du groupe A (4) se sentent peu concernés par cela et insistent sur le fait que la plénitude de l'Eglise est réalisée dans "d'Eglise locale" – en fait l'évêque et son diocèse.
Pourtant il s'agit là d'une déviation purement occidentale de l'ecclésiologie orthodoxe: contrairement à un Protestant ou un Catholique, l'Orthodoxe n'appartient pas directement "à l'Orthodoxie", mais à l'une des Eglises orthodoxes et c'est par l'intermédiaire des primats, qui sont en communion directe par la commémoration réciproque, que se réalise l'Unité de l'Orthodoxie. Cette doctrine est symbolisée par la chrismation, puisque le chrême est consacré par le primat, et la commémoration liturgique des primats qui caractérise bien l'appartenance à une Eglise autocéphale comme le rappelait récemment le patriarche Cyrille. En effet, les Eglises orthodoxes ne sont pas de simples divisions administratives, comme dans l'Eglise catholique, mais représentent une part essentiel du mystère de l'Eglise: "l'Église orthodoxe est une icône de la Trinité, (...) reproduisant sur terre le mystère de l'unité dans la diversité (...) De même que chaque personne de la Trinité est autonome, de même l'Église est faite de beaucoup d'Églises autocéphales indépendantes; et de même que dans la Trinité les trois personnes sont égales, dans l'Église aucun évêque ne prétend à un pouvoir absolu sur les autres." (5).
Ainsi, icônes de chacune des Personnes de la Trinité, les Églises autocéphales ont un charisme propre qui participe au charisme trinitaire de l'Église et présentent ensemble le Corps du Christ dans sa plénitude. Il est donc normal que cette "diversité dans l'unité" , ce charisme de chacune des Eglises orthodoxes, soient aussi présents dans la diaspora où chaque Orthodoxe est entré dans une Eglise spécifique par son baptême et sa chrismation.
COMMENT AVANCER?
Je ne crois pas que l'unité de l'Orthodoxie en Occident se fera "par la base", comme le rêve depuis bientôt 50 ans le "Fraternité orthodoxe", mais je pense que l'impulsion viendra d'une décision des primats. Pour l'Eglise russe en particulier, comme l'écrivait le P. Jean Meyendorff dans ce passage que je cite souvent, cela représente "...la politique qu'à toujours suivi le Patriarcat de Moscou, dont le but canonique et missionnaire a toujours été une Eglise pour les Américains, fondée avec la bénédiction de l'Eglise mère et invitant tous les candidats à se joindre librement à elle." En remplaçant "Américain" par "Européen", ne retrouve-t-on pas, avec 20 ans d'avance, la conclusion de la lettre d'avril 2003 du patriarche Alexis 2 de bienheureuse mémoire? (6)
Mais il est bien clair que chacune des Eglises concernées doit commencer par mettre de l'ordre chez elle: des conflits comme ceux de Nice, Liège, Londres, Biarritz… sont impensables à l'intérieur d'une Eglise locale, même en devenir!
C'est pour cela que je pense indispensable d'assainir d'abord les relations entre les entités de tradition russe: si non s'unir, du moins clarifier une situation ecclésiale actuellement controversée. Il me semblerait donc logique que ceux qui choisissent Constantinople intègrent les métropoles grecques (cela semble bien entamé en Angleterre), les autres rejoignant la métropole de l'Eglise russe en Europe occidental qui va très probablement être constituée comme l'avait proposé le patriarche Alexis II.
Et, après cette remise en ordre interne, les modalités de la progression vers l'unification locale dépendront des décisions du Concile panorthodoxe et de la volonté de chacune des Eglise, car rien ne peut se faire sans le consensus de tous en Orthodoxie.
Notes
(1) Plan ethnosociologique
(2) Selon la définition du père Serge Model
(3)Je me réfère là à ce "catalogue de saints rappelant les listes de spécialistes dans les hôpitaux" dont parle l'archiprêtre Georges Mitrofanov
(4) NB: je ne suis absolument pas en mesure de juger du partage des opinions dans les groupes: j'ai constaté que ces opinions différentes sont représentées dans les groupes A et B, mais en quelles propositions? La encore je suis demandeur de témoignages!
(5) Mgr Kallistos Ware, "L'orthodoxie. L'Eglise des sept Conciles", p.311
(6) ALEXIS II PATRIARCHE DE MOSCOU ET DE TOUTE LA RUSSIE (OLTR)
-c) Les "convertis"(2), très minoritaires parmi les fidèles mais relativement surreprésentés parmi les prêtres, dans les monastères et dans les conseils car les laïcs comme les clercs font généralement preuve de beaucoup d'activité dans l'Eglise. Leur importance numérique devrait croitre si l'action missionnaire continue au rythme que j'ai pu constater dans quelques endroits, en particulier en province. (Je souligne à nouveau que cette observation est très partielle et je souhaite rassembler des témoignages pour la conforter… ou l'infirmer!)
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Nous voyons ainsi s'opérer un changement dans la composition ethnosociologique de l'Orthodoxie occidentale, le groupe A perdant progressivement sa prédominance au profit des groupes B et C qui sont nettement différenciés.
UN FOSSE CULTUREL entre les groupes B et C?
Le groupe C est loin d'être homogène: il y a parmi les "convertis" des tenants de la tradition la plus rigoureuse, mais la majorité des membres les plus actifs me semble plus tentée par une approche qui questionne les traditions et soupçonne les "nouveaux arrivants" de "tendances intégristes et rétrogrades". J'ai ainsi entendu contester leur attachement au slavon, qui empêche de comprendre, les tenues "coincées" (fichus/jupes noires) qui ne témoignent pas de la joie chrétienne, les métanies à répétition et les "signes de croix essuie-glaces", le fétichisme de l'eau-bénite et de la vénération "thérapeutique" ( 3 ) des icônes et des reliques, les pèlerinages …
Le groupe B est de fait plus homogène et proche des traditions (en tout cas pour ce qui concerne les arrivants des ex-pays socialistes). Ses représentants n'apprécient ni les innovations modernistes, ni le passage au français (ils souhaitent se confesser dans leur langue maternelle et prier dans celle à laquelle ils sont habitués), ni le laxisme des tenues, les eucharisties sans confessions, la rareté des offices en province… Pour certains cela peut aller jusqu'à un ralliement aux "Vitalistes" (vécu à Lyon).
Le groupe A est aussi très hétérogène, avec des personnalités très "modernistes" et d'autres "traditionalistes", comme le montrent les querelles qui remontent aux années 30 du siècle dernier. Toutefois, la plupart sont particulièrement tolérants et ils sont sans doute les mieux placés pour "servir de passerelle" (dixit le patriarche Bartholomé) et garder une unité ecclésiale. Encore faudrait-il qu'ils arrêtent de se chamailler entre eux!
AVANCER VERS L'UNITE?
une icône de la Trinité
Un clivage plus explicite me semble exister concernant notre organisation ecclésiologique: la majeure parti du groupe B et une grande partie du groupe A tiennent à garder des liens privilégiés avec leur Eglise-mère alors que bon nombre de "convertis" et certains membres du groupe A (4) se sentent peu concernés par cela et insistent sur le fait que la plénitude de l'Eglise est réalisée dans "d'Eglise locale" – en fait l'évêque et son diocèse.
Pourtant il s'agit là d'une déviation purement occidentale de l'ecclésiologie orthodoxe: contrairement à un Protestant ou un Catholique, l'Orthodoxe n'appartient pas directement "à l'Orthodoxie", mais à l'une des Eglises orthodoxes et c'est par l'intermédiaire des primats, qui sont en communion directe par la commémoration réciproque, que se réalise l'Unité de l'Orthodoxie. Cette doctrine est symbolisée par la chrismation, puisque le chrême est consacré par le primat, et la commémoration liturgique des primats qui caractérise bien l'appartenance à une Eglise autocéphale comme le rappelait récemment le patriarche Cyrille. En effet, les Eglises orthodoxes ne sont pas de simples divisions administratives, comme dans l'Eglise catholique, mais représentent une part essentiel du mystère de l'Eglise: "l'Église orthodoxe est une icône de la Trinité, (...) reproduisant sur terre le mystère de l'unité dans la diversité (...) De même que chaque personne de la Trinité est autonome, de même l'Église est faite de beaucoup d'Églises autocéphales indépendantes; et de même que dans la Trinité les trois personnes sont égales, dans l'Église aucun évêque ne prétend à un pouvoir absolu sur les autres." (5).
Ainsi, icônes de chacune des Personnes de la Trinité, les Églises autocéphales ont un charisme propre qui participe au charisme trinitaire de l'Église et présentent ensemble le Corps du Christ dans sa plénitude. Il est donc normal que cette "diversité dans l'unité" , ce charisme de chacune des Eglises orthodoxes, soient aussi présents dans la diaspora où chaque Orthodoxe est entré dans une Eglise spécifique par son baptême et sa chrismation.
COMMENT AVANCER?
Je ne crois pas que l'unité de l'Orthodoxie en Occident se fera "par la base", comme le rêve depuis bientôt 50 ans le "Fraternité orthodoxe", mais je pense que l'impulsion viendra d'une décision des primats. Pour l'Eglise russe en particulier, comme l'écrivait le P. Jean Meyendorff dans ce passage que je cite souvent, cela représente "...la politique qu'à toujours suivi le Patriarcat de Moscou, dont le but canonique et missionnaire a toujours été une Eglise pour les Américains, fondée avec la bénédiction de l'Eglise mère et invitant tous les candidats à se joindre librement à elle." En remplaçant "Américain" par "Européen", ne retrouve-t-on pas, avec 20 ans d'avance, la conclusion de la lettre d'avril 2003 du patriarche Alexis 2 de bienheureuse mémoire? (6)
Mais il est bien clair que chacune des Eglises concernées doit commencer par mettre de l'ordre chez elle: des conflits comme ceux de Nice, Liège, Londres, Biarritz… sont impensables à l'intérieur d'une Eglise locale, même en devenir!
C'est pour cela que je pense indispensable d'assainir d'abord les relations entre les entités de tradition russe: si non s'unir, du moins clarifier une situation ecclésiale actuellement controversée. Il me semblerait donc logique que ceux qui choisissent Constantinople intègrent les métropoles grecques (cela semble bien entamé en Angleterre), les autres rejoignant la métropole de l'Eglise russe en Europe occidental qui va très probablement être constituée comme l'avait proposé le patriarche Alexis II.
Et, après cette remise en ordre interne, les modalités de la progression vers l'unification locale dépendront des décisions du Concile panorthodoxe et de la volonté de chacune des Eglise, car rien ne peut se faire sans le consensus de tous en Orthodoxie.
Notes
(1) Plan ethnosociologique
(2) Selon la définition du père Serge Model
(3)Je me réfère là à ce "catalogue de saints rappelant les listes de spécialistes dans les hôpitaux" dont parle l'archiprêtre Georges Mitrofanov
(4) NB: je ne suis absolument pas en mesure de juger du partage des opinions dans les groupes: j'ai constaté que ces opinions différentes sont représentées dans les groupes A et B, mais en quelles propositions? La encore je suis demandeur de témoignages!
(5) Mgr Kallistos Ware, "L'orthodoxie. L'Eglise des sept Conciles", p.311
(6) ALEXIS II PATRIARCHE DE MOSCOU ET DE TOUTE LA RUSSIE (OLTR)
Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 12 Octobre 2011 à 12:38
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