Laurence Guillon

Française russifiée et orthodoxe, j'ai vécu 16 ans en Russie. J'ai fait là bas la connaissance du père Valentin Asmus, de son épouse Inna et de leurs nombreux enfants, et suis devenue quasiment un membre de la famille, par ce curieux effet de phagocytage propre aux Russes. J'ai consacré ces vers à la paroisse du père Valentin, Pokrov na Krasnoselskoïi dans la quartier des trois gares, et à sa matouchka, avec laquelle je me rendais aux offices des grandes fêtes, car ils vivaient juste à côté, dans un immeuble stalinien impressionnant.

Où est-elle mon église, son clocher dans l’hiver,
Perché sur le lacis des longs chemins de fer
Qui portaient vers l’Asie de somnolents trains verts ?
Où est-elle cette amie qui marchait à mon bras,
Sur le pont enneigé, allant à petits pas,

Corpulente et joviale, tandis que tout là bas,
Des fantômes pressés bousculaient les frimas,
Tordant leurs blancs cheveux dans les rayons des phares
Qui cherchaient dans la nuit le chemin des trois Gares.

Où sont les hautes vitres de la nef bleutée,
Fleuries de cierges d’or et d’encens embrumées,
Portes du paradis dans l’enfer retrouvées ?
Et sous l’iconostase, les sapins et les fleurs
Répandant alentour leurs prenantes odeurs?
Les douces auréoles et les sombres visages
Qu’éclairaient de grands yeux et de vagues lueurs,
Les enfants chahuteurs, les vieillards recueillis,
Les minces jeunes filles, si fraîches et si sages
Et les garçons barbus, aux beaux regards songeurs,
Les chasubles brillantes du clergé réjoui ?

Au retour, sur le pont, dans un brouillard cuivré,
Nous voyions suspendues, bien au dessus des voies,
Les lanternes géantes des hôtels éclairés,
Quelques points lumineux, ça et là clairsemés,
Bleus dans les serpents gris qui rampaient vers les gares,
Emportant des wagons jusqu’aux rigides barres,
Bétonnées par là bas dans les remous du froid.
Les croyants se hâtaient, évitant le verglas,
Les ivrognes hagards et les chiens affamés,
Vous marchiez à mon bras d’un pas mal assuré,
Mon cœur s’élargissait au son du carillon
Trébuchant, infini, s’envolant et tintant,
Retentissant tout clair au travers des flocons,
Et s’en allant quêtant par delà l’horizon,
L’étoile de Noël au faîte des nuées.

2010, France

Rédigé par Laurence Guillon le 28 Décembre 2010 à 10:17 | 2 commentaires | Permalien



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