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MÉDITATION SUR LA FÊTE AVEC LE PÈRE LEV GILLET
La deuxième des grandes fêtes d’été est la Transfiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ, que nous célébrons le 6 (19) août [1].
Les textes de l’Ancien Testament que nous entendons au cours des vêpres, le soir du 18 août, nous préparent à comprendre le mystère de la Transfiguration. Nous entendons tout d’abord (Ex 24, 12-18) le récit du séjour de Moïse sur le Sinaï, lorsqu’il y passa quarante jours et quarante nuits. Les raisons du choix de ce texte sont très compréhensibles. Moïse est un des personnages de l’Ancienne Alliance qui sont présents auprès de Jésus transfiguré, d’après le récit évangélique.
Puis il y a le thème de la montagne : " Monte vers moi sur la montagne et demeures-y ". C’est aussi sur une montagne que Jésus sera transfiguré. Il y a le parallélisme – et le contraste – entre les deux modes de révélation reçue sur la montagne : dans le premier cas, Dieu donne à Moïse une loi écrite sur des tables de pierre ; dans le deuxième cas, Dieu manifeste le personne vivante de son Fils unique. Enfin, la lumière ou la nuée de la présence divine, cette " gloire " qui pour les Hébreux avait une signification physique – " … La nuée couvrit la montagne, et la gloire du Seigneur s’établit sur le mont Sinaï… Cette gloire du Seigneur revêtait… l’aspect d’une flamme dévorante couronnant la montagne… " – annonce déjà la lumière de la Transfiguration. Nous lisons ensuite (Ex 33, 11-23 – 34, 4-6, 8) un épisode dont chaque parole peut merveilleusement s’appliquer à notre propre vie spirituelle.
La deuxième des grandes fêtes d’été est la Transfiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ, que nous célébrons le 6 (19) août [1].
Les textes de l’Ancien Testament que nous entendons au cours des vêpres, le soir du 18 août, nous préparent à comprendre le mystère de la Transfiguration. Nous entendons tout d’abord (Ex 24, 12-18) le récit du séjour de Moïse sur le Sinaï, lorsqu’il y passa quarante jours et quarante nuits. Les raisons du choix de ce texte sont très compréhensibles. Moïse est un des personnages de l’Ancienne Alliance qui sont présents auprès de Jésus transfiguré, d’après le récit évangélique.
Puis il y a le thème de la montagne : " Monte vers moi sur la montagne et demeures-y ". C’est aussi sur une montagne que Jésus sera transfiguré. Il y a le parallélisme – et le contraste – entre les deux modes de révélation reçue sur la montagne : dans le premier cas, Dieu donne à Moïse une loi écrite sur des tables de pierre ; dans le deuxième cas, Dieu manifeste le personne vivante de son Fils unique. Enfin, la lumière ou la nuée de la présence divine, cette " gloire " qui pour les Hébreux avait une signification physique – " … La nuée couvrit la montagne, et la gloire du Seigneur s’établit sur le mont Sinaï… Cette gloire du Seigneur revêtait… l’aspect d’une flamme dévorante couronnant la montagne… " – annonce déjà la lumière de la Transfiguration. Nous lisons ensuite (Ex 33, 11-23 – 34, 4-6, 8) un épisode dont chaque parole peut merveilleusement s’appliquer à notre propre vie spirituelle.
Dieu dit à Moïse : " J’irai moi-même, et je te donnerai le repos ". Moïse demande à Dieu : " Fais-moi, de grâce, voir ta gloire ". Dieu répond : " Je ferai passer devant toi toute ma splendeur… mais tu ne peux pas voir ma face ". Moïse vient au rendez-vous fixé par Dieu ; il se tient debout sur le Sinaï, ayant dans ses mains les tables de la loi. " Le Seigneur descendit en forme de nuée… Seigneur passa devant lui et cria : Seigneur, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et fidélité… ".
Dieu nous parle intérieurement comme il parlait à Moïse, " face à face, comme un homme converse avec un ami ".
Comme devant Moïse, il fait passer sa bonté plutôt que sa gloire. Mais, plus heureux que Moïse, nous savons que la face de Dieu peut-être contemplée par nous dans la personne du Fils. Enfin nous lisons (dans les textes traduits des Septante, 3 R 19, 3-16) deux épisodes de la vie du prophète Élie. C’est d’abord sa retraite de quarante jours sur le mont Horeb, où un ange lui apporte du pain et de l’eau ; puis c’est la révélation de la présence divine, non dans le feu, le vent et le tremblement de terre, mais dans " le bruit d’une brise légère ".
Ces trois lectures de l’Ancien Testament associent les personnes de Moïse et d’Élie, parce que tous deux seront témoins de la Transfiguration de Notre Seigneur.
Aux matines, nous entendons le récit de la Transfiguration dans l’évangile selon Saint Luc (9, 28-36). À la liturgie, nous entendons ce même récit dans l’évangile selon Saint Matthieu (17, 1-9). L’épître lue à la liturgie est la deuxième écrite par Pierre (1, 10-19) : celui-ci était, avec Jacques et Jean, un des trois témoins oculaires de la Transfiguration. Aussi trouverons-nous particulièrement émouvant le rappel qu’il fait de ce mystère : " … nous fûmes témoins oculaires de sa majesté… Lorsque la gloire pleine de majesté lui transmit cette parole : Celui-ci est mon Fils bien-aimé… Cette voix, nous, nous l’avons entendue ; elle venait du ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte… ". Pierre compare ces paroles à celle des prophètes, qui sont encore " plus ferme " (soit parce que les lecteurs de Pierre n’ont pas eu la même expérience que lui ; soit que lui-même, par humilité, mette l’Écriture au-dessus de sa propre expérience ; soit qu’il veuille souligner l’autorité divine de l’ensemble des prophéties). La parole prophétique, semblable à la lumière de la Transfiguration, " brille dans un lieu obscur ", dit Pierre, " jusqu’à ce que le jour commence à poindre et que l’astre du matin se lève dans vos cœurs ".
Essayons maintenant de considérer quelques aspects du récit évangélique de la Transfiguration.
Jésus prend avec lui ses trois plus intimes disciples. Dieu se manifeste parfois aux pécheurs d’une manière extraordinaire. Mais, en général, le privilège de contempler Dieu et d’entrer dans la joie de la Transfiguration est réservé à ceux qui ont suivi longtemps et fidèlement le Maître.
Jésus conduit ses disciples sur une haute montagne [2]. Avant d’atteindre à la lumière de la Transfiguration, les ascensions pénibles de l’ascèse sont nécessaires.
L’aspect habituel de Jésus est changé. Sa face resplendit " comme le soleil ". Son vêtement devient " d’une blancheur fulgurante ". C’est en ceci que consiste la Transfiguration. Ce Jésus que les disciples connaissaient bien et dont l’aspect, dans la vie quotidienne, ne différait pas de celui des autres leur apparaît soudain sous une forme nouvelle et glorieuse. Une expérience semblable peut se produire, dans notre vie intérieure, de trois manières. Parfois notre image intérieure de Jésus devient (aux yeux de notre âme) si lumineuse, si resplendissante, qu’il nous semble vraiment voir la gloire de Dieu sur sa face : la beauté divine du Christ devient en quelque sorte pour nous un objet d’expérience. Parfois aussi nous éprouvons d’une façon intense que la lumière intérieure, cette lumière donnée à tout homme venant en ce monde pour guider sa pensée et son action, s’identifie à la personne de Jésus-Christ : la puissance de la loi morale se fond avec la personne du Fils, l’attrait du sacrifice nous fait entrevoir le Sauveur sacrifié et entendre son appel. Parfois enfin nous devenons conscients de la présence de Jésus dans tel homme ou dans telle femme que Dieu a mis sur notre route, surtout quand il nous est donné de nous pencher avec compassion sur leurs souffrances : cet homme ou cette femme se transfigure en Jésus-Christ, sous les yeux de la foi. On pourrait, de ce dernier fait, dégager une méthode précise de spiritualité, une méthode de transfiguration applicable à tous, partout et toujours.
Auprès de Jésus apparaissent Moïse et Élie. Moïse représente la loi. Élie représente les prophètes. Jésus est l’accomplissement de toute loi et de toute prophétie. Il est le terme final de toute l’Ancienne Alliance. Il est la plénitude de toute la révélation divine.
Moïse et Élie s’entretiennent avec Jésus de sa Passion prochaine.
Cet aspect de la Transfiguration n’est, en général, pas assez remarqué. On ne peut pas, dans la vie de Jésus, séparer les mystères glorieux des mystères douloureux. C’est au moment où Jésus se prépare à sa Passion qu’il est transfiguré. Nous n’entrerons dans la joie de la Transfiguration que si, dans notre propre vie, nous acceptons la croix.
Pierre voudrait se fixer dans la béatitude de la Transfiguration. Il suggère à Jésus la construction de trois tentes. Ainsi un fidèle, au début de sa vie spirituelle, désire prolonger les " consolations ", les moments de douceur intime. Jésus laisse sans réponse la suggestion de Pierre. Ni aux premiers disciples ni à nous-mêmes il n’est permis de se soustraire aux durs travaux de la plaine et de s’établir dès maintenant dans une paix qui n’appartient qu’à la vie future.
La nuée lumineuse de la Présence divine couvre le sommet de la montagne. Du milieu de la nuée, une voix se fait entendre : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, mon Élu, écoutez-le ". Les mêmes paroles, ou presque, avaient déjà été prononcées par la même voix, lors du baptême de Jésus. Elles donnent à la scène de la Transfiguration tout son sens. Pourquoi Jésus change-t-il d’aspect ? Pourquoi s’enveloppe-t-il de lumière ? Ce n’est pas pour offrir aux apôtres un spectacle impressionnant et réconfortant. C’est pour traduire à l’extérieur le témoignage solennel que le Père rend à son Fils. Et le Père lui-même donne une conclusion pratique à la vision : " Écoutez-le ". Une grâce extraordinaire ne produit son effet que si elle nous rend plus attentifs et plus obéissants à la Parole divine.
Les disciples sont terrassés d’effroi. Jésus les touche et les rassure. " Et, eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus, seul (Mt 17,8) ". Nous pouvons trouver à cette phrase des sens divers, également vrais. D’une part, la condition normale du disciple de Jésus, en ce monde, est de s’attacher à la personne de Jésus sans que celle-ci revête les attributs extérieurs de la gloire divine ; le disciple doit voir " Jésus, seul ", Jésus dans son humilité ; si, à de rares moments, son image nous semble enveloppée de lumière, et si nous croyons entendre la voix du Père désignant le Fils à notre affection, ces éclairs ne durent pas ; et nous devons aussitôt retrouver Jésus là où il se trouve habituellement, au milieu de nos humbles et parfois difficiles devoirs quotidiens. Voir " Jésus, seul ", cela signifie encore : concentrer sur Jésus seul notre attention et notre regard, ne point nous laisser distraire par les choses du monde ni par les hommes et les femmes que nous rencontrons, bref, rendre Jésus suprême et unique dans notre vie. Est-ce à dire qu’il faille fermer les yeux au monde qui nous entoure et qui souvent a besoin de nous ? Quelques-uns sont appelés à rester absolument seuls avec le Maître : qu’ils soient fidèles à cette vocation. Mais la plupart des disciples de Jésus, vivant au milieu du monde, peuvent donner aux mots " Jésus, seul " encore une autre interprétation. Sans renoncer à un contact reconnaissant avec les choses créées, à un contact aimant et dévoué avec les hommes, ils peuvent atteindre un degré de foi et de charité où Jésus deviendra transparent à travers les hommes et les choses ; toute beauté naturelle, toute beauté humaine deviendront la frange de la beauté même du Christ ; nous verrons son reflet dans tout ce qui, en d’autres, attire et mérite notre sympathie ; bref, nous aurons " transfiguré " le monde, et, dans tous ceux sur lesquels nous ouvrirons les yeux, nous trouverons " Jésus seul ".
Le mystère de la Transfiguration a encore un autre aspect que les textes scripturaires de la fête n’indiquent pas clairement, mais que les chants liturgiques soulignent. " Pour montrer la transformation de la nature humaine… lors de ton Second et redoutable Avènement… Sauveur… tu t’es transfiguré… ô toi qui as sanctifié tout l’univers par ta lumière… ". Ces paroles, que nous chantons à matines , font allusion au caractère cosmique et eschatologique de la Transfiguration.
La nature entière – qui maintenant subit les conséquences du péché, cause du mal physique – sera affranchie, renouvelée, lorsque le Christ reviendra glorieusement, à la fin des temps. Cette transformation du monde est proposée à notre croyance, à notre espoir, à notre attente. Il faut se garder toutefois d’exagérer cet aspect de la Transfiguration au détriment des autres [3]. Les évangiles nous montrent que le sens premier, fondamental, de la Transfiguration concerne la personne même de Notre Seigneur, que son Père glorifie avant de le laisser aller à la Passion. Les effusions envers le mystère de la transfiguration de la " terre " ne doivent pas voiler cette vérité : à savoir que la Transfiguration est d’abord, avant tout, la Transfiguration du Fils bien-aimé.
Enfin la Transfiguration est aussi une révélation du Père et de l’Esprit. Elle soulève le voile qui recouvre pour nous, en cette vie terrestre, la vie intime des trois personnes divines. Disons avec toute l’Église, dans la neuvième ode des matines : " Tenons-nous spirituellement dans la cité du Dieu vivant et considérons avec admiration la divinité immatérielle du Père et de l’Esprit resplendissant dans le Fils unique ".
NOTES
[1] La fête de la Transfiguration a commencé à être célébré au IV<sup>e siècle, en Asie, probablement chez les Arméniens. Ceux-ci la célèbrent d’une manière particulièrement solennelle : ils s’y préparent par un jeûne de six jours et la font durer trois jours. Comme plusieurs autres fêtes chrétiennes, la Transfiguration semble avoir remplacé une fête païenne, une " fête de la nature " : la bénédiction des fruits nouveaux, le jour de la Transfiguration, est peut être un vestige de cette origine. Très tôt adoptée dans l’Église grecque, cette fête ne s’est introduite qu’au IX<sup>e siècle dans l’Église latine ; et encore n’est-ce qu’au XV<sup>e siècle qu’elle a été généralement adoptée en Occident.
[2] Les évangiles ne nomment pas cette montagne. Les textes liturgiques parlent du Thabor. On a fait remarquer que l’Hermon correspondrait mieux aux données évangéliques. Néanmoins la tradition relative au Thabor avait cours en Palestine dès le IV<sup>e siècle.
[3] Une certaine école contemporaine de pensée orthodoxe voudrait mettre la Transfiguration au centre de tout le mystère chrétien et insiste avec outrance sur la transformation du cosmos. Le caractère essentiellement christologique de la Transfiguration et son lien avec les souffrances messianiques est ainsi méconnu. D’autre part, quelques mystiques byzantins du moyen âge ont attribué à la " lumière du Thabor " une place que ni les Écritures ni les Pères de l’Église ne lui donnent. L’Orthodoxie ne se réduit pas à la Transfiguration et à la nuit de Pâques, comme certains de ses apologètes tendraient à le faire croire. Il faut admirer la sagesse avec laquelle l’Église, dans son cycle liturgique, met chaque chose à sa place et dans ses vraies proportions, s’efforçant de maintenir un équilibre harmonieux entre les divers aspects de l’unique mystère.
Extrait du livre "L'An de grâce du Seigneur",
signé « Un moine de l'Église d'Orient »,
Éditions AN-NOUR (Liban) ;
Éditions du Cerf, 1988.
Dieu nous parle intérieurement comme il parlait à Moïse, " face à face, comme un homme converse avec un ami ".
Comme devant Moïse, il fait passer sa bonté plutôt que sa gloire. Mais, plus heureux que Moïse, nous savons que la face de Dieu peut-être contemplée par nous dans la personne du Fils. Enfin nous lisons (dans les textes traduits des Septante, 3 R 19, 3-16) deux épisodes de la vie du prophète Élie. C’est d’abord sa retraite de quarante jours sur le mont Horeb, où un ange lui apporte du pain et de l’eau ; puis c’est la révélation de la présence divine, non dans le feu, le vent et le tremblement de terre, mais dans " le bruit d’une brise légère ".
Ces trois lectures de l’Ancien Testament associent les personnes de Moïse et d’Élie, parce que tous deux seront témoins de la Transfiguration de Notre Seigneur.
Aux matines, nous entendons le récit de la Transfiguration dans l’évangile selon Saint Luc (9, 28-36). À la liturgie, nous entendons ce même récit dans l’évangile selon Saint Matthieu (17, 1-9). L’épître lue à la liturgie est la deuxième écrite par Pierre (1, 10-19) : celui-ci était, avec Jacques et Jean, un des trois témoins oculaires de la Transfiguration. Aussi trouverons-nous particulièrement émouvant le rappel qu’il fait de ce mystère : " … nous fûmes témoins oculaires de sa majesté… Lorsque la gloire pleine de majesté lui transmit cette parole : Celui-ci est mon Fils bien-aimé… Cette voix, nous, nous l’avons entendue ; elle venait du ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte… ". Pierre compare ces paroles à celle des prophètes, qui sont encore " plus ferme " (soit parce que les lecteurs de Pierre n’ont pas eu la même expérience que lui ; soit que lui-même, par humilité, mette l’Écriture au-dessus de sa propre expérience ; soit qu’il veuille souligner l’autorité divine de l’ensemble des prophéties). La parole prophétique, semblable à la lumière de la Transfiguration, " brille dans un lieu obscur ", dit Pierre, " jusqu’à ce que le jour commence à poindre et que l’astre du matin se lève dans vos cœurs ".
Essayons maintenant de considérer quelques aspects du récit évangélique de la Transfiguration.
Jésus prend avec lui ses trois plus intimes disciples. Dieu se manifeste parfois aux pécheurs d’une manière extraordinaire. Mais, en général, le privilège de contempler Dieu et d’entrer dans la joie de la Transfiguration est réservé à ceux qui ont suivi longtemps et fidèlement le Maître.
Jésus conduit ses disciples sur une haute montagne [2]. Avant d’atteindre à la lumière de la Transfiguration, les ascensions pénibles de l’ascèse sont nécessaires.
L’aspect habituel de Jésus est changé. Sa face resplendit " comme le soleil ". Son vêtement devient " d’une blancheur fulgurante ". C’est en ceci que consiste la Transfiguration. Ce Jésus que les disciples connaissaient bien et dont l’aspect, dans la vie quotidienne, ne différait pas de celui des autres leur apparaît soudain sous une forme nouvelle et glorieuse. Une expérience semblable peut se produire, dans notre vie intérieure, de trois manières. Parfois notre image intérieure de Jésus devient (aux yeux de notre âme) si lumineuse, si resplendissante, qu’il nous semble vraiment voir la gloire de Dieu sur sa face : la beauté divine du Christ devient en quelque sorte pour nous un objet d’expérience. Parfois aussi nous éprouvons d’une façon intense que la lumière intérieure, cette lumière donnée à tout homme venant en ce monde pour guider sa pensée et son action, s’identifie à la personne de Jésus-Christ : la puissance de la loi morale se fond avec la personne du Fils, l’attrait du sacrifice nous fait entrevoir le Sauveur sacrifié et entendre son appel. Parfois enfin nous devenons conscients de la présence de Jésus dans tel homme ou dans telle femme que Dieu a mis sur notre route, surtout quand il nous est donné de nous pencher avec compassion sur leurs souffrances : cet homme ou cette femme se transfigure en Jésus-Christ, sous les yeux de la foi. On pourrait, de ce dernier fait, dégager une méthode précise de spiritualité, une méthode de transfiguration applicable à tous, partout et toujours.
Auprès de Jésus apparaissent Moïse et Élie. Moïse représente la loi. Élie représente les prophètes. Jésus est l’accomplissement de toute loi et de toute prophétie. Il est le terme final de toute l’Ancienne Alliance. Il est la plénitude de toute la révélation divine.
Moïse et Élie s’entretiennent avec Jésus de sa Passion prochaine.
Cet aspect de la Transfiguration n’est, en général, pas assez remarqué. On ne peut pas, dans la vie de Jésus, séparer les mystères glorieux des mystères douloureux. C’est au moment où Jésus se prépare à sa Passion qu’il est transfiguré. Nous n’entrerons dans la joie de la Transfiguration que si, dans notre propre vie, nous acceptons la croix.
Pierre voudrait se fixer dans la béatitude de la Transfiguration. Il suggère à Jésus la construction de trois tentes. Ainsi un fidèle, au début de sa vie spirituelle, désire prolonger les " consolations ", les moments de douceur intime. Jésus laisse sans réponse la suggestion de Pierre. Ni aux premiers disciples ni à nous-mêmes il n’est permis de se soustraire aux durs travaux de la plaine et de s’établir dès maintenant dans une paix qui n’appartient qu’à la vie future.
La nuée lumineuse de la Présence divine couvre le sommet de la montagne. Du milieu de la nuée, une voix se fait entendre : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, mon Élu, écoutez-le ". Les mêmes paroles, ou presque, avaient déjà été prononcées par la même voix, lors du baptême de Jésus. Elles donnent à la scène de la Transfiguration tout son sens. Pourquoi Jésus change-t-il d’aspect ? Pourquoi s’enveloppe-t-il de lumière ? Ce n’est pas pour offrir aux apôtres un spectacle impressionnant et réconfortant. C’est pour traduire à l’extérieur le témoignage solennel que le Père rend à son Fils. Et le Père lui-même donne une conclusion pratique à la vision : " Écoutez-le ". Une grâce extraordinaire ne produit son effet que si elle nous rend plus attentifs et plus obéissants à la Parole divine.
Les disciples sont terrassés d’effroi. Jésus les touche et les rassure. " Et, eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus, seul (Mt 17,8) ". Nous pouvons trouver à cette phrase des sens divers, également vrais. D’une part, la condition normale du disciple de Jésus, en ce monde, est de s’attacher à la personne de Jésus sans que celle-ci revête les attributs extérieurs de la gloire divine ; le disciple doit voir " Jésus, seul ", Jésus dans son humilité ; si, à de rares moments, son image nous semble enveloppée de lumière, et si nous croyons entendre la voix du Père désignant le Fils à notre affection, ces éclairs ne durent pas ; et nous devons aussitôt retrouver Jésus là où il se trouve habituellement, au milieu de nos humbles et parfois difficiles devoirs quotidiens. Voir " Jésus, seul ", cela signifie encore : concentrer sur Jésus seul notre attention et notre regard, ne point nous laisser distraire par les choses du monde ni par les hommes et les femmes que nous rencontrons, bref, rendre Jésus suprême et unique dans notre vie. Est-ce à dire qu’il faille fermer les yeux au monde qui nous entoure et qui souvent a besoin de nous ? Quelques-uns sont appelés à rester absolument seuls avec le Maître : qu’ils soient fidèles à cette vocation. Mais la plupart des disciples de Jésus, vivant au milieu du monde, peuvent donner aux mots " Jésus, seul " encore une autre interprétation. Sans renoncer à un contact reconnaissant avec les choses créées, à un contact aimant et dévoué avec les hommes, ils peuvent atteindre un degré de foi et de charité où Jésus deviendra transparent à travers les hommes et les choses ; toute beauté naturelle, toute beauté humaine deviendront la frange de la beauté même du Christ ; nous verrons son reflet dans tout ce qui, en d’autres, attire et mérite notre sympathie ; bref, nous aurons " transfiguré " le monde, et, dans tous ceux sur lesquels nous ouvrirons les yeux, nous trouverons " Jésus seul ".
Le mystère de la Transfiguration a encore un autre aspect que les textes scripturaires de la fête n’indiquent pas clairement, mais que les chants liturgiques soulignent. " Pour montrer la transformation de la nature humaine… lors de ton Second et redoutable Avènement… Sauveur… tu t’es transfiguré… ô toi qui as sanctifié tout l’univers par ta lumière… ". Ces paroles, que nous chantons à matines , font allusion au caractère cosmique et eschatologique de la Transfiguration.
La nature entière – qui maintenant subit les conséquences du péché, cause du mal physique – sera affranchie, renouvelée, lorsque le Christ reviendra glorieusement, à la fin des temps. Cette transformation du monde est proposée à notre croyance, à notre espoir, à notre attente. Il faut se garder toutefois d’exagérer cet aspect de la Transfiguration au détriment des autres [3]. Les évangiles nous montrent que le sens premier, fondamental, de la Transfiguration concerne la personne même de Notre Seigneur, que son Père glorifie avant de le laisser aller à la Passion. Les effusions envers le mystère de la transfiguration de la " terre " ne doivent pas voiler cette vérité : à savoir que la Transfiguration est d’abord, avant tout, la Transfiguration du Fils bien-aimé.
Enfin la Transfiguration est aussi une révélation du Père et de l’Esprit. Elle soulève le voile qui recouvre pour nous, en cette vie terrestre, la vie intime des trois personnes divines. Disons avec toute l’Église, dans la neuvième ode des matines : " Tenons-nous spirituellement dans la cité du Dieu vivant et considérons avec admiration la divinité immatérielle du Père et de l’Esprit resplendissant dans le Fils unique ".
NOTES
[1] La fête de la Transfiguration a commencé à être célébré au IV<sup>e siècle, en Asie, probablement chez les Arméniens. Ceux-ci la célèbrent d’une manière particulièrement solennelle : ils s’y préparent par un jeûne de six jours et la font durer trois jours. Comme plusieurs autres fêtes chrétiennes, la Transfiguration semble avoir remplacé une fête païenne, une " fête de la nature " : la bénédiction des fruits nouveaux, le jour de la Transfiguration, est peut être un vestige de cette origine. Très tôt adoptée dans l’Église grecque, cette fête ne s’est introduite qu’au IX<sup>e siècle dans l’Église latine ; et encore n’est-ce qu’au XV<sup>e siècle qu’elle a été généralement adoptée en Occident.
[2] Les évangiles ne nomment pas cette montagne. Les textes liturgiques parlent du Thabor. On a fait remarquer que l’Hermon correspondrait mieux aux données évangéliques. Néanmoins la tradition relative au Thabor avait cours en Palestine dès le IV<sup>e siècle.
[3] Une certaine école contemporaine de pensée orthodoxe voudrait mettre la Transfiguration au centre de tout le mystère chrétien et insiste avec outrance sur la transformation du cosmos. Le caractère essentiellement christologique de la Transfiguration et son lien avec les souffrances messianiques est ainsi méconnu. D’autre part, quelques mystiques byzantins du moyen âge ont attribué à la " lumière du Thabor " une place que ni les Écritures ni les Pères de l’Église ne lui donnent. L’Orthodoxie ne se réduit pas à la Transfiguration et à la nuit de Pâques, comme certains de ses apologètes tendraient à le faire croire. Il faut admirer la sagesse avec laquelle l’Église, dans son cycle liturgique, met chaque chose à sa place et dans ses vraies proportions, s’efforçant de maintenir un équilibre harmonieux entre les divers aspects de l’unique mystère.
Extrait du livre "L'An de grâce du Seigneur",
signé « Un moine de l'Église d'Orient »,
Éditions AN-NOUR (Liban) ;
Éditions du Cerf, 1988.
Rédigé par l'équipe de rédaction le 18 Août 2011 à 20:30
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