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"La Vie"
par Frédéric Théobald
Date de sortie cinéma : 13 janvier 2010
Avec son nouveau film, Tsar, Pavel Lounguine s’attaque à un mythe russe toujours brûlant, entre foi et politique.
Eisenstein, qui, en 1942, se lança dans l’aventure, vit le second volet de son diptyque censuré, Staline s’étant sans doute reconnu dans cette figure paranoïaque. Filmer la figure d’Ivan IV, dit le Terrible, c’est, en Russie, s’attaquer à un mythe.
Pavel Lounguine, lui, relate un épisode particulier du règne du premier tsar : sa confrontation avec le métropolite Philippe. En 1565, Ivan tira son ami d’enfance de son monastère de Solovski pour le mettre à la tête de l’Église orthodoxe. Mais le nouveau prélat, loin d’être un allié, va s’opposer corps et âme au tsar. Au péril de sa vie. Conflit spirituel, incandescent et violent. Tortures, décapitation, supplices en tout genre…
Tsar n’est pas une œuvre émolliente. Mais un film à grand spectacle, où action et métaphysique s’entrechoquent dans un Moscou rarement vu au cinéma. Âmes sensibles, s’abstenir ! Mais si La Vie parraine le film, c’est parce que cette violence est au service d’une réflexion aiguë sur ce qu’il peut y avoir de plus russe dans les rapports entre religion et pouvoir. Sujet brûlant, qui a provoqué un vif débat en Russie.
Jusqu’ici, vous avez ausculté la Russie contemporaine, pourquoi ce retour sur la figure d’Ivan le Terrible ?
Il est impossible de comprendre la Russie sans s’interroger sur ce personnage qui demeure le plus important de notre histoire. Ivan IV fut le premier à se donner le titre de tsar (du latin caesar) et il a créé la matrice du pouvoir russe qui demeure inchangée.
par Frédéric Théobald
Date de sortie cinéma : 13 janvier 2010
Avec son nouveau film, Tsar, Pavel Lounguine s’attaque à un mythe russe toujours brûlant, entre foi et politique.
Eisenstein, qui, en 1942, se lança dans l’aventure, vit le second volet de son diptyque censuré, Staline s’étant sans doute reconnu dans cette figure paranoïaque. Filmer la figure d’Ivan IV, dit le Terrible, c’est, en Russie, s’attaquer à un mythe.
Pavel Lounguine, lui, relate un épisode particulier du règne du premier tsar : sa confrontation avec le métropolite Philippe. En 1565, Ivan tira son ami d’enfance de son monastère de Solovski pour le mettre à la tête de l’Église orthodoxe. Mais le nouveau prélat, loin d’être un allié, va s’opposer corps et âme au tsar. Au péril de sa vie. Conflit spirituel, incandescent et violent. Tortures, décapitation, supplices en tout genre…
Tsar n’est pas une œuvre émolliente. Mais un film à grand spectacle, où action et métaphysique s’entrechoquent dans un Moscou rarement vu au cinéma. Âmes sensibles, s’abstenir ! Mais si La Vie parraine le film, c’est parce que cette violence est au service d’une réflexion aiguë sur ce qu’il peut y avoir de plus russe dans les rapports entre religion et pouvoir. Sujet brûlant, qui a provoqué un vif débat en Russie.
Jusqu’ici, vous avez ausculté la Russie contemporaine, pourquoi ce retour sur la figure d’Ivan le Terrible ?
Il est impossible de comprendre la Russie sans s’interroger sur ce personnage qui demeure le plus important de notre histoire. Ivan IV fut le premier à se donner le titre de tsar (du latin caesar) et il a créé la matrice du pouvoir russe qui demeure inchangée.
Sa personnalité complexe a beaucoup compté : c’était un homme éminemment doué et instruit, à la fois musicien et écrivain, mais en même temps son cas ressort de la maladie mentale avec une double, voire une triple personnalité ! Il n’était pas seulement un tyran, mais aussi un tortionnaire doublé d’un maniaque. Entre deux séances de tortures qu’il infligeait de sa propre main, il pleurait, se lamentait et priait…
Du règne d’Ivan le Terrible, vous avez retenu un épisode : le conflit qui l’a opposé au métropolite de Moscou, Philippe…
Cet affrontement est emblématique de son action : pour imposer son pouvoir d’essence divine, Ivan IV devait sacrifier ce hiérarque. Il vivait dans un rêve apocalyptique, persuadé que la fin du monde était proche et Philippe était un obstacle, car il incarnait une vérité absolue, une vérité religieuse qui l’encombrait et concurrençait la sienne. Selon Ivan IV, puisque son pouvoir émanait de Dieu, il n’avait pas besoin de signer un contrat avec ses sujets. Le seul registre possible était celui de l’adoration. Si les récoltes étaient mauvaises, si la guerre était perdue, c’est que le peuple n’aimait pas suffisamment son souverain. Et tout manque d’amour appelait une punition. Pour le tsar, chacun était coupable, chacun était un traître, donc peu importait de rechercher et châtier les vrais responsables. Concrètement, on pouvait torturer et décapiter le premier venu. Le métropolite Philippe, qui s’est opposé ouvertement à cette idée d’adoration aveugle du pouvoir, devait dès lors être éliminé. Philippe incarne ces êtres humains qui, même dans les époques les plus sinistres, sont prêts à sacrifier leur vie.
Le métropolite apparaît aussi comme un homme ouvert et tourné vers l’avenir…
C’est un homme de la Renaissance. J’ai découvert qu’il était non seulement ingénieur, mais aussi un brillant inventeur et un architecte. Ivan le Terrible est, lui, resté jusqu’à sa mort un homme profondément du Moyen Âge, qui refusait tout changement politique, culturel, esthétique… À cause d’Ivan le Terrible, la Russie
a raté sa Renaissance. Il a cassé quelque chose dans le pays. Et, plus ou moins, nous ne sommes jamais sortis du Moyen Âge.
Le tsar que vous dépeignez semble autant un roi païen qu’un souverain chrétien…
Pour moi, c’était un hérétique. Il s’est éloigné de la religion orthodoxe. Mais sa garde rapprochée était habillée comme des moines. Il a créé une église étrange dans son palais et il disait la messe pendant la nuit, de minuit à 5 heures du matin, entouré de ses guerriers. Ivan IV adorait le théâtre et le déguisement. Cette mise en scène échappe à notre raison, on ne peut la comprendre, mais on peut la montrer. Et la saisir avec notre intelligence intérieure. Cela fait penser aux procès sous Staline qui prenaient la forme de spectacles où chacun devait tenir un rôle et réciter un texte.
Une scène montre bien comment Ivan pouvait à la fois être dans le dénuement, priant comme un ascète, puis revêtir tous les symboles et l’apparat du trône et dès lors se montrer impitoyable…
Le tsar effectivement s’incarne à la fois dans la puissance du roi et dans la faiblesse de l’humain. Dans le film, j’ai utilisé pour les dialogues des citations de ses très
nombreuses lettres. Dans l’une d’elles, il écrit : "Comme être humain, je suis mauvais, je suis le dernier des pécheurs, mais comme tsar, je suis parfait." Avec Ivan IV, la vérité se dédouble : vous avez la vérité du pouvoir et celle du peuple. Cela crée cette schizophrénie qui perdure depuis cinq siècles. En Russie, tout est double. Jusqu’à la religion ! D’un côté, vous avez un Christ officiel, sévère, qui punit, de l’autre, un Christ du peuple, bon et doux. Sous le communisme vous aviez la vérité officielle et la vérité des gens simples, l’une et l’autre ne se confondant jamais. À l’école, chaque enfant savait distinguer entre le discours autorisé en classe et les propos tenus à la maison.
Et aujourd’hui ?
Ivan IV avait créé une garde rapprochée, l’opritchniki, composée de cavaliers, tels qu’on les voit dans le film, avec des têtes de chien accrochées à leur selle. Il a divisé la Russie en deux, en donnant un droit de vie et de mort à ses hommes sur le reste du pays. Staline a fait la même chose avec le KGB. Et en ce début de XXIe siècle, rien n’a changé : tous ceux qui sont liés aux forces de l’ordre – si on peut appeler cela ordre – sont au-dessus de la loi et à l’abri des juridictions. On vire à une forme de banditisme incontrôlable!
Comment votre film a-t-il été accueilli en Russie ?
Les patriotes, qui sont un groupement hétéroclite de communistes, de monarchistes et de nationalistes d’extrême droite, attachés à un pouvoir absolu, ont détesté et manifesté pour l’interdiction des projections. La Russie n’est pas un pays qui vit dans l’Histoire. Mais dans la mythologie. Personne ne s’intéresse aux faits. Les gens ne veulent pas connaître la réalité du règne d’Ivan le Terrible. Ivan IV a engendré ce mythe typiquement russe qui veut que le pouvoir soit implacable, féroce, dans l’intérêt même de la nation. Le deuxième mythe veut que la Russie soit entourée de pays ennemis qui concourent à sa perte et que l’Occident déteste la Russie. Pour le Russe moyen, dès son réveil, un gouvernant européen ou américain n’a qu’une chose en tête : comment faire une crasse à la Russie ! Et n’essayez pas de le convaincre du contraire ! Aujourd’hui, un nouveau mythe émerge : l’URSS aurait été un pays puissant et prospère et ce havre de bonheur aurait été victime de la mauvaise volonté et du complot d’une poignée de méchants. Les gens veulent oublier l’impasse économique et spirituelle du communisme, ils effacent de leur mémoire les queues interminables devant les magasins pour un morceau de saucisson…
En 2008, lors de la sortie de l’Île, vous parliez de renouveau de la spiritualité. Vous confirmez ?
Il y a une aspiration à la spiritualité. Toutefois, la vie réelle tire les gens vers le matériel. On ne compte guère plus de 4 % des Russes qui soient pratiquants. Mais tout un chacun arbore des signes religieux, des croix en or, des icônes…
On peut croire sans aller à l’église…
L’idée de quelqu’un qui croit en lui, et est sa propre église, est très proche de ma vision de la foi. Après Ivan, qui a éliminé le métropolite et les grands hiérarques, l’Église est tombée sous la tutelle de l’État. Ensuite, avec Pierre le Grand, elle est devenue une sorte de ministère de l’idéologie. Le roi étant comme à Byzance le prêtre suprême. Il n’y a que depuis deux décennies que l’Église orthodoxe est enfin indépendante et fait ses premiers pas dans la vie nouvelle…
Une publication antérieure de notre blog ICI
Et en russe "FOMA"
Du règne d’Ivan le Terrible, vous avez retenu un épisode : le conflit qui l’a opposé au métropolite de Moscou, Philippe…
Cet affrontement est emblématique de son action : pour imposer son pouvoir d’essence divine, Ivan IV devait sacrifier ce hiérarque. Il vivait dans un rêve apocalyptique, persuadé que la fin du monde était proche et Philippe était un obstacle, car il incarnait une vérité absolue, une vérité religieuse qui l’encombrait et concurrençait la sienne. Selon Ivan IV, puisque son pouvoir émanait de Dieu, il n’avait pas besoin de signer un contrat avec ses sujets. Le seul registre possible était celui de l’adoration. Si les récoltes étaient mauvaises, si la guerre était perdue, c’est que le peuple n’aimait pas suffisamment son souverain. Et tout manque d’amour appelait une punition. Pour le tsar, chacun était coupable, chacun était un traître, donc peu importait de rechercher et châtier les vrais responsables. Concrètement, on pouvait torturer et décapiter le premier venu. Le métropolite Philippe, qui s’est opposé ouvertement à cette idée d’adoration aveugle du pouvoir, devait dès lors être éliminé. Philippe incarne ces êtres humains qui, même dans les époques les plus sinistres, sont prêts à sacrifier leur vie.
Le métropolite apparaît aussi comme un homme ouvert et tourné vers l’avenir…
C’est un homme de la Renaissance. J’ai découvert qu’il était non seulement ingénieur, mais aussi un brillant inventeur et un architecte. Ivan le Terrible est, lui, resté jusqu’à sa mort un homme profondément du Moyen Âge, qui refusait tout changement politique, culturel, esthétique… À cause d’Ivan le Terrible, la Russie
a raté sa Renaissance. Il a cassé quelque chose dans le pays. Et, plus ou moins, nous ne sommes jamais sortis du Moyen Âge.
Le tsar que vous dépeignez semble autant un roi païen qu’un souverain chrétien…
Pour moi, c’était un hérétique. Il s’est éloigné de la religion orthodoxe. Mais sa garde rapprochée était habillée comme des moines. Il a créé une église étrange dans son palais et il disait la messe pendant la nuit, de minuit à 5 heures du matin, entouré de ses guerriers. Ivan IV adorait le théâtre et le déguisement. Cette mise en scène échappe à notre raison, on ne peut la comprendre, mais on peut la montrer. Et la saisir avec notre intelligence intérieure. Cela fait penser aux procès sous Staline qui prenaient la forme de spectacles où chacun devait tenir un rôle et réciter un texte.
Une scène montre bien comment Ivan pouvait à la fois être dans le dénuement, priant comme un ascète, puis revêtir tous les symboles et l’apparat du trône et dès lors se montrer impitoyable…
Le tsar effectivement s’incarne à la fois dans la puissance du roi et dans la faiblesse de l’humain. Dans le film, j’ai utilisé pour les dialogues des citations de ses très
nombreuses lettres. Dans l’une d’elles, il écrit : "Comme être humain, je suis mauvais, je suis le dernier des pécheurs, mais comme tsar, je suis parfait." Avec Ivan IV, la vérité se dédouble : vous avez la vérité du pouvoir et celle du peuple. Cela crée cette schizophrénie qui perdure depuis cinq siècles. En Russie, tout est double. Jusqu’à la religion ! D’un côté, vous avez un Christ officiel, sévère, qui punit, de l’autre, un Christ du peuple, bon et doux. Sous le communisme vous aviez la vérité officielle et la vérité des gens simples, l’une et l’autre ne se confondant jamais. À l’école, chaque enfant savait distinguer entre le discours autorisé en classe et les propos tenus à la maison.
Et aujourd’hui ?
Ivan IV avait créé une garde rapprochée, l’opritchniki, composée de cavaliers, tels qu’on les voit dans le film, avec des têtes de chien accrochées à leur selle. Il a divisé la Russie en deux, en donnant un droit de vie et de mort à ses hommes sur le reste du pays. Staline a fait la même chose avec le KGB. Et en ce début de XXIe siècle, rien n’a changé : tous ceux qui sont liés aux forces de l’ordre – si on peut appeler cela ordre – sont au-dessus de la loi et à l’abri des juridictions. On vire à une forme de banditisme incontrôlable!
Comment votre film a-t-il été accueilli en Russie ?
Les patriotes, qui sont un groupement hétéroclite de communistes, de monarchistes et de nationalistes d’extrême droite, attachés à un pouvoir absolu, ont détesté et manifesté pour l’interdiction des projections. La Russie n’est pas un pays qui vit dans l’Histoire. Mais dans la mythologie. Personne ne s’intéresse aux faits. Les gens ne veulent pas connaître la réalité du règne d’Ivan le Terrible. Ivan IV a engendré ce mythe typiquement russe qui veut que le pouvoir soit implacable, féroce, dans l’intérêt même de la nation. Le deuxième mythe veut que la Russie soit entourée de pays ennemis qui concourent à sa perte et que l’Occident déteste la Russie. Pour le Russe moyen, dès son réveil, un gouvernant européen ou américain n’a qu’une chose en tête : comment faire une crasse à la Russie ! Et n’essayez pas de le convaincre du contraire ! Aujourd’hui, un nouveau mythe émerge : l’URSS aurait été un pays puissant et prospère et ce havre de bonheur aurait été victime de la mauvaise volonté et du complot d’une poignée de méchants. Les gens veulent oublier l’impasse économique et spirituelle du communisme, ils effacent de leur mémoire les queues interminables devant les magasins pour un morceau de saucisson…
En 2008, lors de la sortie de l’Île, vous parliez de renouveau de la spiritualité. Vous confirmez ?
Il y a une aspiration à la spiritualité. Toutefois, la vie réelle tire les gens vers le matériel. On ne compte guère plus de 4 % des Russes qui soient pratiquants. Mais tout un chacun arbore des signes religieux, des croix en or, des icônes…
On peut croire sans aller à l’église…
L’idée de quelqu’un qui croit en lui, et est sa propre église, est très proche de ma vision de la foi. Après Ivan, qui a éliminé le métropolite et les grands hiérarques, l’Église est tombée sous la tutelle de l’État. Ensuite, avec Pierre le Grand, elle est devenue une sorte de ministère de l’idéologie. Le roi étant comme à Byzance le prêtre suprême. Il n’y a que depuis deux décennies que l’Église orthodoxe est enfin indépendante et fait ses premiers pas dans la vie nouvelle…
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Et en russe "FOMA"
Rédigé par l'équipe de rédaction le 9 Janvier 2010 à 11:06
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