Plusieurs études récentes permettent de cerner au plus prés la réalité et l'évolution de l'Orthodoxie en Russie, confirmant en fait les informations des articles précédants

Nombre d'orthodoxes et participation aux offices toujours en hausse significative.

J'avais souligné le quadruplement du nombre d'Orthodoxes en Russie depuis 25 ans (ibid.) Le "Fond d'étude de l'opinion publique" (FOM). (http://fom.ru/TSennosti/11587) permet d'aller dans le détail de cette progression.

71 millions d'Orthodoxes en plus: le nombre de sondés se considérant comme orthodoxes atteint 68% (soit 95 millions, ce qui se rapproche des chiffres que donne l'étude Pew: 71% et 101 million…) contre 52% en 1997 et 17% en 1989 d'après le centre Levada (24 millions à population constante). Cette hausse se fait aux dépends des "sans religions", qui passent de 35 à 19%. L'Islam est stable à 6-7% et les autres religions n'atteignent pas de chiffres significatifs.

Russie: nombre d'Orthodoxes et pratique en hausse mais…
Hausse de la participation aux offices (Cette question est suivie depuis 2000 par le FOM).

- 8%, soit plus de 11 millions, vont à l'église au moins une fois par mois contre 5% en 2000 (respectivement 11% et 9% de ceux qui se déclarent Orthodoxes) et 2% en 1991 d'après Levada (3,5 millions). Ce critère définit la pratique de base en Russie (ibid. FOM) et place clairement la Russie en tête des pays orthodoxes.

- 45% vont à l'église chaque année, soit une hausse de 9 points en 14 ans.

Participation encore faible (questions posées depuis 2000 à ceux qui se déclarent Orthodoxes)

"Frémissement" des communions: le nombre de ceux qui communient tous les mois reste excessivement faible (2%, chiffres non significatifs!), mais ceux qui communient au moins une fois par an (tradition du XIXe siècle) gagnent 3 points (15% contre 12% en 2000) au dépends de ceux qui ne communient jamais (61% au lieu de 64%).

Augmentation du recours à la prière: le nombre de ceux qui ne prient jamais s'est réduit de 35 à 30%, principalement au profit de ceux qui prient avec leurs propres mots qui sont 40% contre 34% en 2000.

Par contre, augmentation de ceux qui ne lisent jamais aucun texte religieux (!): ils sont majoritaires (58%) parmi ceux qui se déclarent Orthodoxes (!) contre 44% en 2000. Et la part de ceux qui lisent l'Evangiles et/ou d'autres textes religieux baisse de 24% à 18%...

***

Religion culturelle et religiosité ritualiste

Orthodoxes sans religion: 39% de ceux qui se déclarent Orthodoxes ne vont pratiquement jamais à l'église, 61% ne communient jamais, 79%, ne respecte aucun carême, 80% ne lisent ni l'évangile ni aucun texte religieux. Le sondage de 2013 comportaient des questions complémentaires qui montrent que seulement 57% des soi-disant Orthodoxes croient que l'univers a été crée par Dieu et 43% croient que l'âme ira au paradis ou en enfer alors que 25% croient à la réincarnation…

Un autre sondage fait en 2012 par "Sreda" ciblait plus précisément l'appartenance religieuse des russes. Là seuls 41% disait "appartenir à l'Eglise orthodoxe russe", auxquels il faudrait ajouter les "Orthodoxes hors EOR" (1,5%) et les "Vieux-Croyants" (<0,5%). La différence par rapport au 68-70% des enquêtes du FOM serait probablement dans les 25% qui ont répondu là "croyants sans religion" alors que ce choix n'est pas proposé par le FOM. Il faut aussi noter que à la question sur la pratique posée spécifiquement à ceux qui se déclaraient Orthodoxes, à peine 34% affirmait "suivre les commandements religieux autant que possible"…

Il est donc clair qu'une bonne partie (les 2/3 d'après le sondage Sreda) de ceux qui se considèrent comme Orthodoxes n'adhérent pratiquement pas à la doctrine religieuse. Leur appartenance à l'Orthodoxie est avant tout un marqueur culturel comme le souligne encore un autre sondage: 74% des russes considèrent que "l'Orthodoxie est indispensable à la Russie". Il faut d'ailleurs noter que cela ne concerne pas uniquement les Orthodoxes puisque ceux qui se disent musulmans (6-7% pour le FOM, environ 6% pour Sreda) les ¾ se disent ni "Sunnites ni Chiites", ce qui dénote aussi une appartenance floue à la religion.

Religiosité ritualiste: à la question du sondage de 2013 (ibid) "à quoi sert la prière" c'est la réponse "demander de l'aide" qui arrive en tête (26%), si on y ajoute que 52% ne lisent aucun texte sacré, ni même religieux, et quand on voit par contre l'affluence vers les reliques (plusieurs millions de personnes ont vénéré la ceinture de la Vierge Marie ou les Présents des Mages), on comprends que ce sont les rites qui sont essentiels pour la majorité de ceux qui se rendent régulièrement à l'église. Il s'avère aussi que ce sont ces Orthodoxes "écclésialisés" ("воцерковленные" selon la terminologie du FOM) qui croient le plus que des "extraterrestres" sont venus sur terre et ont contacté les humains… Il y a donc une très grande part d'irrationnel dans la religiosité actuelle des Orthodoxes russe que certains sociologues qualifient de "magique" en suivant l'analyse anthropologique de Bronislav Malinovski (qui reprend en grande partie la classification de Durkheim, moins connu en Russie.)

Russie: nombre d'Orthodoxes et pratique en hausse mais…
A l'opposé de la France

La situation en Russie est à l'opposé de ce que nous connaissons en France et c'est probablement cela qui explique qu'il y ait autant de mauvaises interprétations du phénomène.

La diminution de la conscience catholique dans notre pays et la progression corrélative des "sans religion" est mise en évidence par toutes les études (voir en particulier "Le catholicisme en France" du CSA, graphique joint). De plus 4,5% seulement de nos concitoyens vont maintenant à la messe chaque dimanche, 15 % y allant de l'ordre d'une fois par mois environ (cf. "La Croix"). Ces chiffres sont proches de ceux de la Russie mais leur dynamique est clairement inverse: on peut dire que les courbes se sont croisées …

Et la conscience religieuse est aussi totalement différente: cela fait longtemps que le Catholicisme est remplacé en France par la laïcité et les droits de l'homme comme marqueur identitaire du discours dominant; en revanche, ceux qui se réclament du catholicisme ont généralement la foi et s'efforcent de respecter les commandements de l'Eglise contrairement aux Russes. C'est évidement la conséquence de l'éducation: les Catholiques de France ont fait leur catéchisme et se coulent naturellement dans les pas de leurs ainés, d'autant plus que l'Eglise catholique va à leur rencontre en abaissant ses exigences (carême, eucharistie, messe "participative"…) alors que les Orthodoxes russes ont eu tout à apprendre et à découvrir par eux-mêmes et que l'Eglise garde toujours ses règles strictes…

Quel avenir pour l'Orthodoxie en Russie?

Avec les limites indiquées, l'essor de l'Orthodoxie en Russie depuis 25 ans est indéniable, ce qui justifie la qualification du phénomène de "miracle" et de "résurrection". Il s'agit bien entendu d'abord d'un essor quantitatif, le nombre de paroisses et de clercs suivant celui des croyants: il a été multiplié par 3,5 depuis 1990 pour atteindre environ 35 000 en 2013 et cet accroissement continu régulièrement au rythme de 7-800 par an. Il est clair que cette augmentation du nombre d'église et de prêtres explique en grande partie la croissance des pratiquants: leur nombre a été multiplié par 4 depuis 1991 pour dépasser onze millions et, "au rythme actuel, il atteindra les 40 millions en Russie dans les 20 prochaines années" prévoit le Patriarche Cyrille.

Cette croissance s'accompagne d'une mutation générationnelle, puisqu'il y a maintenant beaucoup de jeunes dans les églises et parmi les prêtres, et d'une mutation qualitative, les nouveaux arrivants apportant un sang neuf et des connaissances de bases qui se développeront encore avec l'introduction des fondements de l'Orthodoxie à l'école, option que choisissent en priorité les parents Orthodoxes, et l'introduction de chaires de théologie dans les universités. Même la résistance de la vieille garde communiste, surtout dans les administrations, est en train de baisser: Ziouganov, le chef du parti communiste, a été décoré de la médaille d'honneur de l'Eglise par le patriarche en juin dernier…

Il va de soi que cette mutation est un défi pour l'Eglise qui doit aussi renouveler ses méthodes… Les changements structurels introduits par le patriarche Cyrile depuis son élection sont clairement un début de réponse cf. "Où va l'Eglise en Russie?"

Vladimir Golovanow

Rédigé par Vladimir Golovanow le 28 Août 2014 à 11:25 | 0 commentaire | Permalien



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