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«La théologie orthodoxe doit conserver ses fondations patristiques, mais elle doit aussi aller au-delà des Pères si elle espère répondre à une nouvelle situation créée par des siècles de développement philosophique. Et dans cette nouvelle synthèse ou reconstruction, la tradition philosophique occidentale (source et mère de la philosophie religieuse russe des XIXe et XXe siècles) plutôt qu’hellénique, doit fournir à la théologie un cadre conceptuel. Il s’agit donc de tenter de “transposer” la théologie en une autre “clef” et cette transposition est considérée comme la tâche spécifique et la vocation de la théologie russe.» Père Alexandre Schmemann (1)
"Le fondamentalisme orthodoxe"
L'article du docteur et archonte George E. Demacopoulos "Le fondamentalisme orthodoxe" (2) est très intéressant car il met le doigt sur cette fracture qui se produit actuellement au sein de l'Orthodoxie et dont nous sommes peu conscients en Occident.
"Le fondamentalisme orthodoxe"
L'article du docteur et archonte George E. Demacopoulos "Le fondamentalisme orthodoxe" (2) est très intéressant car il met le doigt sur cette fracture qui se produit actuellement au sein de l'Orthodoxie et dont nous sommes peu conscients en Occident.
Nous voyons en effet la théologie orthodoxe telle que nous la présentent les porte-paroles des Églises, comme les métropolites Hilarion de Volokolamsk (Moscou) ou Jean de Pergame (Constantinople), pour ne citer que les plus en vue, et en France les théologiens encore groupés autour de l'Institut St. Serge. Ils ont une lecture des Pères ouverte à la réflexion et cherchant à trouver des réponses aux défis du monde actuel, lancée par le courant "néo-patristique" du père Nicolas Afanassieff et de "l'école de Paris" avant-guerre, reprise et développé par les "nouveaux théologiens" grecs après les années 1960 (3) et que des théologiens Russe poursuivent.
Mais dans les pays de tradition orthodoxe les clercs et moines que George E. Demacopoulos appelle "fondamentalistes" (et qu'on appelle aussi "zélotes") sont largement majoritaires. Comme il écrit "ils réduisent tout l'enseignement théologique à un sous-ensemble d'axiomes théologiques et puis mesurent l'acceptabilité des autres selon ces critères-là". Cette définition rejoint celle que donne le père Pierre Meschtcherinov de la "subculture normative" qui "coince le catéchumène dans des "règles", une ecclésiologie purement superficielle, une piété liturgique rigide, des pratiques de direction spirituelle autoritaires et mystificatrices, une morale et une spiritualité altérées, une pratique ascétique fondée sur le principe «l’homme pour le sabbat» et enfin un activisme politique passéiste et monarchiste… Pour garder l'authenticité /de sa vie en Christ/ contre la routine, ces croyants doivent se libérer du courant "ecclésio-subculturel": prendre leur propre mesure des jeunes, offices, préparations à l'Eucharistie, sortir du cadre infantile de la paternité spirituelle, analyser de façon critique telle ou telle formulation des Pères, séparer l'essence de l'Eglises des contingences politico-économico-idéologiques actuelles et même, d'une certaine façon, s'affranchir du poids de l'histoire de l'Eglise pour appréhender l'Eglise de façon personnelle plutôt qu'historique. Ainsi cette démarche est parfaitement légitime pour tous les croyants sincères (qui constituent toujours le "petit troupeau" comme il est écrit dans Luc 12,32)". (4) "La lecture fondamentaliste des Pères et de la Bible ne mènent pas à Dieu mais à l'idolâtrie" écrit de son côté George E. Demacopoulos (ibid.)
Une déchirure?
Nous voyons en fait se concrétiser les deux réalités de l'Orthodoxie actuelle qu'avait déjà soulignées le père Alexandre Schmemann il y a un demi siècle:
- d'une part cette approche fondamentaliste, conservatrice, cherchant à imposer à tous des règles et des recettes qui ont en fait été développées par et pour les moines; l'accent est mis sur le respect des normes de l'ascèse corporelle pour accéder au Salut et l'attente du Jugement Dernier en craignant la punition des fautes.
- de l'autre une Orthodoxie ouverte, plus libérale, où l'accent est mis sur la recherche personnelle et l'appréhension individuelle des consignes traditionnelles permettant une authenticité de la vie quotidienne en Jésus Christ; ses tenants mettent en avant les réponses que l'Orthodoxie doit apporter aux défis du monde actuel et sur la joie du Chrétien comme témoignage du Règne présent et à venir.
Cette déchirure est-elle irrémédiable? On pourrait penser que ces deux approches sont complémentaires: si la première apporte la sécurité d'un système normatif aux croyants et évite les dérives modernistes, la seconde permet aux plus créatifs de vivre une vie chrétienne plus riche et plus naturelle et aux théologiens de répondre aux défis de la modernité. Toutefois, si les tenants de l'Orthodoxie ouverte s'accommodent très bien des règles normatives mises en avant par leurs contradicteurs – il est clair qu'elles constituent une base et un point de départ incontournables pour qui veut véritablement comprendre et rejoindre l'Orthodoxie, les "fondamentalistes", par contre, ne tolèrent aucun dépassement et aucun ouverture et cherchent à rejeter tous les autres. Il semble d'ailleurs que c'est cette condamnation des recherches "néo-patristiques" et des approches vivantes de la foi orthodoxe qui occupe l'essentiel de la pensée "fondamentaliste": ainsi George E. Demacopoulos fait allusion à ce d'un contre-congrès qui s'est tenu au Pirée et dont les actes ne montrent effectivement qu'une suite d'attaques, imprécations et anathèmes contre les tenants de la théologie néo-patristique, clairement baptisée "Post-Patristic Heresy" (5). Les cris d'alarme lancés par le Dr. Demacopoulos et le père Pierre semblent donc totalement justifiés: si les dirigeants de l'Eglise orthodoxe ne font pas le nécessaire pour rapprocher ces deux courants et pour empêcher la radicalisation du courant fondamentaliste, l'Orthodoxie risque d'aller vers un nouveau schisme important comme celui des Vieux-Croyants qui déchire l'Église russe depuis 350 ans.
V.Golovanow - Références:
(1) A. SCHMEMANN, « Russian Theology : 1920-1972. An Introductory Survey », cité en français par Pantelis KALAÏTZIDIS
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Mais dans les pays de tradition orthodoxe les clercs et moines que George E. Demacopoulos appelle "fondamentalistes" (et qu'on appelle aussi "zélotes") sont largement majoritaires. Comme il écrit "ils réduisent tout l'enseignement théologique à un sous-ensemble d'axiomes théologiques et puis mesurent l'acceptabilité des autres selon ces critères-là". Cette définition rejoint celle que donne le père Pierre Meschtcherinov de la "subculture normative" qui "coince le catéchumène dans des "règles", une ecclésiologie purement superficielle, une piété liturgique rigide, des pratiques de direction spirituelle autoritaires et mystificatrices, une morale et une spiritualité altérées, une pratique ascétique fondée sur le principe «l’homme pour le sabbat» et enfin un activisme politique passéiste et monarchiste… Pour garder l'authenticité /de sa vie en Christ/ contre la routine, ces croyants doivent se libérer du courant "ecclésio-subculturel": prendre leur propre mesure des jeunes, offices, préparations à l'Eucharistie, sortir du cadre infantile de la paternité spirituelle, analyser de façon critique telle ou telle formulation des Pères, séparer l'essence de l'Eglises des contingences politico-économico-idéologiques actuelles et même, d'une certaine façon, s'affranchir du poids de l'histoire de l'Eglise pour appréhender l'Eglise de façon personnelle plutôt qu'historique. Ainsi cette démarche est parfaitement légitime pour tous les croyants sincères (qui constituent toujours le "petit troupeau" comme il est écrit dans Luc 12,32)". (4) "La lecture fondamentaliste des Pères et de la Bible ne mènent pas à Dieu mais à l'idolâtrie" écrit de son côté George E. Demacopoulos (ibid.)
Une déchirure?
Nous voyons en fait se concrétiser les deux réalités de l'Orthodoxie actuelle qu'avait déjà soulignées le père Alexandre Schmemann il y a un demi siècle:
- d'une part cette approche fondamentaliste, conservatrice, cherchant à imposer à tous des règles et des recettes qui ont en fait été développées par et pour les moines; l'accent est mis sur le respect des normes de l'ascèse corporelle pour accéder au Salut et l'attente du Jugement Dernier en craignant la punition des fautes.
- de l'autre une Orthodoxie ouverte, plus libérale, où l'accent est mis sur la recherche personnelle et l'appréhension individuelle des consignes traditionnelles permettant une authenticité de la vie quotidienne en Jésus Christ; ses tenants mettent en avant les réponses que l'Orthodoxie doit apporter aux défis du monde actuel et sur la joie du Chrétien comme témoignage du Règne présent et à venir.
Cette déchirure est-elle irrémédiable? On pourrait penser que ces deux approches sont complémentaires: si la première apporte la sécurité d'un système normatif aux croyants et évite les dérives modernistes, la seconde permet aux plus créatifs de vivre une vie chrétienne plus riche et plus naturelle et aux théologiens de répondre aux défis de la modernité. Toutefois, si les tenants de l'Orthodoxie ouverte s'accommodent très bien des règles normatives mises en avant par leurs contradicteurs – il est clair qu'elles constituent une base et un point de départ incontournables pour qui veut véritablement comprendre et rejoindre l'Orthodoxie, les "fondamentalistes", par contre, ne tolèrent aucun dépassement et aucun ouverture et cherchent à rejeter tous les autres. Il semble d'ailleurs que c'est cette condamnation des recherches "néo-patristiques" et des approches vivantes de la foi orthodoxe qui occupe l'essentiel de la pensée "fondamentaliste": ainsi George E. Demacopoulos fait allusion à ce d'un contre-congrès qui s'est tenu au Pirée et dont les actes ne montrent effectivement qu'une suite d'attaques, imprécations et anathèmes contre les tenants de la théologie néo-patristique, clairement baptisée "Post-Patristic Heresy" (5). Les cris d'alarme lancés par le Dr. Demacopoulos et le père Pierre semblent donc totalement justifiés: si les dirigeants de l'Eglise orthodoxe ne font pas le nécessaire pour rapprocher ces deux courants et pour empêcher la radicalisation du courant fondamentaliste, l'Orthodoxie risque d'aller vers un nouveau schisme important comme celui des Vieux-Croyants qui déchire l'Église russe depuis 350 ans.
V.Golovanow - Références:
(1) A. SCHMEMANN, « Russian Theology : 1920-1972. An Introductory Survey », cité en français par Pantelis KALAÏTZIDIS
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Rédigé par Vladimir Golovanow le 7 Mai 2015 à 10:15
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