Prudence du Patriarcat de Constantinople sur l'Ukraine
Dans l'interview citée dans ma note précédente, le p. Job Getcha avait aussi développé le thème ukrainien. Il s'est félicité du début de déblocage qui s'est produit grâce aux rencontres des primats en 2008 et 2009: la question a ainsi été mise à l'ordre du jour des réunions interorthodoxes à la suite du succès des contacts de l'an dernier entre le patriarche Bartholomé I et le patriarche Alexis II de bienheureuse mémoire. "Après dix ans de relations tendues, dit le p. Job, ce dernier a participé a la réunion de primats en octobre dernier avec Mgr Vladimir (Sabodan), primat de l'Église autonome d'Ukraine qui a demandé par lettre à tous les primats de régler le problème ukrainien d'une façon conciliaire."

"Le processus préconciliaire a été réactivé après cette synaxe. Une Conférence a eu lieu à Chambézy /en juin/. Lorsque le Patriarche de Moscou a rendu visite au Patriarche de Constantinople, les deux primats ont passé en revue ce qui était fait et restait à faire. Bien entendu, la question ukrainienne ne sera pas réglée très vite dans le cadre de ce processus, mais elle n'est certainement pas oubliée. Au contraire, bien des progrès ont été obtenus en un an."

"L'appel del' "Eglise autocéphale ukrainienne" (1), continue le p. Job, demandant au patriarcat de Constantinople de contribuer à "renforcer la conscience catholique ecclésiale en Ukraine"(2) est un pas important vers la solution du problème de la division de l'Église orthodoxe. L'EOAU abandonne en fait le principe ethnophilitiique, qui est la cause essentielle de la division de l'Église orthodoxe, et recherche la communion avec le plerum de l'Église orthodoxe(3). Bien entendu, il serait mieux et plus efficace si toutes les structures ecclésiales, qui ne sont pas actuellement en communion avec le plerum de l'Église orthodoxe, prenaient une telle décision. Je pense que le patriarcat de Constantinople considérera que cet appel est positif, mais la résolution de la question ukrainienne reste liée au processus préconciliaire, comme je l'ai déjà dit" conclut-il.

Il me semble donc claire que Constantinople n'a pas suscité et ne répondra pas à cet appel. Étant donné l'accent mis par le p. Job sur l'action des patriarche Alexis II et Cyrille I, qualifiée de très positive, et la lettre de Mgr Vladimir, il me semble que Constantinople laisse le champ libre au Patriarcat de Moscou pour négocier une solution qui sera ensuite entérinée par le concile… Et Moscou n'a pas attendu pour avancer: les discussions avec les dissidents sont entamées (cf. note sur L’Eglise orthodoxe ukrainienne).

Toutefois, interrogé sur une interview de Mgr Hilarion (Alfeev), que le père Job affirme respecter comme ami et comme théologien, il lance une remarque gratuitement polémique: "il fait là plus preuve de la subjectivité politicienne d'un fonctionnaire ecclésial que de l'objectivité scientifique d'un théologien" et il cite comme exemple le problème de l'autocéphalie de l'Ukraine: elle est impossible pour Mgr Hilarion "car Russie, Ukraine et Biélorussie font partie d'un seul espace spirituel". Irrecevable répond le p. Job eu égard à l'histoire récente de l'Orthodoxie: d'une part le territoire politique de la Grèce actuelle est partagé entre 2 juridictions – l'Église de Grèce, pour le sud et le centre, et le Patriarcat Œcuménique pour le nord et l'Athos, et d'autre part, si on suivait Mgr Hilarion, les Églises de Pologne et de Slovaquie et Tchéquie devraient toujours faire partie de l'Eglise russe. Répondant ainsi totalement à coté du sujet, le p. Job me parait faire là lui-même "plus preuve de la subjectivité politicienne d'un fonctionnaire ecclésial que de l'objectivité scientifique d'un théologien".
Pourtant ce sujet de l'acquisition de l'autonomie et de l'autocéphalie par une église locale est important et d'actualité: il est aussi à l'ordre du jour des conférences préconciliaires.

Le p. Job aurait pu rajouter à sa liste des Église issues de l'Église russe: l'Église de Finlande et celle des Amériques (OCA), ainsi que l'archevêché de Daru… Il est certain que la ligne directrice l'Église russe, comme l'a écrit le p. Jean Meyendorff "a toujours été une Église pour les Américains /ou chaque autre pays/, fondée avec la bénédiction de l'Église mère et invitant tous les candidats à se joindre librement à elle". (4) Les autocéphalies (ou autonomies) citées ci-dessus ont toutes été accordées par l'Église russe sur demande des Églises concernées. Le cas de l'espace Russie-Ukraine-Biélorussie (et je rajouterais Lettonie, Lituanie, Estonie, Moldavie, Kazakhstan…etc.) est bien différent puisque c'est l'écrasante majorité des membres de ces Églises locales qui ne veut pas de l'autocéphalie, comme on l'a encore vu lors du voyage de Cyrille I en Ukraine… D'ailleurs, les Églises qui l'ont demandée, bénéficient d'une très large autonomie, qui équivaut de fait à l'autocéphalie (cf. en particulier les explications de Philarète sur la situation en Ukraine).

Notes

(1) "Église orthodoxe autocéphale ukrainienne"

(2) Il s'agit de l'appel du 28 août dernier; cf. note dédiée


(3) Le P" Job fait ici allusion qu fait que, dans la diaspora depuis 1945, l'EOAU s'est toujours refusée à entrer dans aucune structure canonique… tout comme l'EORHF!

(4) Cf. nécrologie du P. Alexandre Schmemann annexée à l'édition russe du Journal, après une 1ère publication dans "St Vladimir's Theological Quarterly, 28, 1984", pp 3-10.
Traduit du russe par V. Golovanow).

Rédigé par Vladimir Golovanow le 18 Septembre 2009 à 13:09 | Permalien



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