Les églises contemporaines à l'épreuve de la tradition. A quoi doivent ressembler les églises construites aujourd'hui?
Oksana Golovko, 18 janvier 2014
Traduction pour "PO" Laure Durand-Viel

Un recueil intitulé "Eglises russes du XXI siècle – Réflexions sur l'architecture religieuse contemporaine" a été présenté au Musée de l'architecture. Des architectes, des prêtres et des spécialistes d'histoire de l'art discutent de la construction des églises aujourd'hui. Faut-il s'en tenir strictement aux traditions séculaires, ou faut-il être prêt à accepter des innovations? Ou bien tout ceci est-il secondaire?

Le recueil a été constitué par la rédaction de la revue « Constructeur d’églises-Khramozdtel » (annexe spécialisée à la Revue du Patriarcat de Moscou, consacrée à l’architecture et à la construction d’églises) et inaugure une nouvelle série « Bibliothèque de la revue « Constructeur d’églises ». Ses auteurs sont l’architecte Mikhaïl Kessler et l’historien Valery Baïdin. L’introduction a été écrite par l’archimandrite Tikhon Chevkounov secrétaire général du Conseil de la culture du Patriarcat

Les traditions

L’un des chapitres du recueil s’intitule « Traditions et innovation ».
Selon Sergueï Chapnin rédacteur en chef de la revue " Constructeur d’églises" , c’est le problème le plus délicat et le plus complexe. En effet, nous n'avons avec la tradition qu'un lien relatif, pour nous elle est assez théorique, schématique.

C'est pourquoi cette tradition peut entrer en conflit avec le monde contemporain, auquel nous appartenons réellement et que nous percevons concrètement.

« Il ne s’agit pas tant de la tradition en tant que telle, que de l’expérience spirituelle qui a façonné cette tradition. Si l’on veut, hors de cette expérience spirituelle, faire quelque chose de nouveau, qui corresponde à l’image et au caractère d’une église orthodoxe, on n’arrivera à rien. Cela doit découler de l’expérience, mais pas d’une expérience individuelle, car celle-ci est subjective. Les Pères de l’Eglise mettent en garde contre la fantaisie personnelle et exigent le correctif de la raison collective », selon le professeur Alexis Schenkov, docteur en architecture, membre correspondant de l’Académie russe d’architecture et de science de la construction.

Il souligne que le plus grand danger qui menace les constructeurs d’églises, c’est le formalisme extérieur, la recherche de la forme en tant que telle sans comprendre son sens profond. Et ce formalisme peut prendre des aspects variés, aussi bien la recherche d’innovations formelles que l’utilisation formelle de motifs historiques.

Encore une « tradition »

Parfois, en regardant une église qui vient d’être construite, avec une coupole massive sur un clocher trop étroit, disproportionné, on se surprend à penser du mal de l’architecte. Mais on s’arrête. Peut-être que l’architecte n’y est pour rien ? « Aujourd’hui, le style est choisi soit par le sponsor, soit par la paroisse représentée par le recteur », dit l’architecte Mikhaïl Kessler.

Et voici une citation du recueil : « Tous ceux qui construisent des églises savent combien la créativité est étroitement limitée dans ce domaine de l’architecture. Ces limitations ne viennent pas seulement des commanditaires –le clergé ou les donateurs, qui comprennent seulement l’architecture prétendument « splendide » (en fait, des accessoires clinquants)- mais surtout des organismes qui contrôlent les projets et qui imposent leurs exigences « normales », qui conduisent en fait à la standardisation ». Si l’on ignore que l’auteur de cette phrase est le célèbre Alexis Schoussev et qu’elle a été prononcée il y a plus d’un siècle, en 1905, on pourrait croire qu’elle date d’aujourd’hui.

Visiblement, l'impact, sur la construction des églises, des opinions et goûts du commanditaire et des « organismes de contrôle » fait aussi partie de notre tradition ...

Sans visage

Aujourd'hui, on recherche une certaine similitude avec ce qui a été fait par le passé, dans différents styles. L'architecture d'église contemporaine n'a pas de visage propre. Chacune des époques précédentes avait son propre style architectural et tous s’y inscrivaient, les styles évoluaient progressivement au fil des évolutions socio-politiques ou esthétiques... Aujourd'hui, on pourrait plutôt parler d’intemporalité, chaque architecte choisit son thème favori au sein de l'héritage du passé et le recycle à sa façon. De la pire des manières. Parce que cette époque passée avait son thème propre, son style propre. Aujourd'hui, presque personne ne travaille dans un style unique. Mais même si c’est le cas, c’est une erreur : c’est répéter l'expérience du passé, expérience qui a émergé naturellement de causes naturelles liées à une époque concrète, à sa propre façon de percevoir la beauté.

L’époque actuelle ne prédispose pas à la joie. Mais d’un point de vue historique, les périodes passées ne fournissaient probablement pas non plus aux hommes beaucoup de raisons d’être joyeux. Pourtant ils se réjouissaient dans le Seigneur. Pourquoi André Roublev est-il apparu aux heures les plus sombres de la Russie ? C’est lorsque les conditions extérieures étaient dures que les potentialités intérieures se sont révélées dans des œuvres aussi extraordinaires.

Nous vivons aujourd’hui dans une société de consommation. Au dehors, tout est incertain, les perspectives sont assez sombres. On éprouve un sentiment d'instabilité, la foi d’autrefois n’est plus là. Autrefois, nos architectes vivaient de l'orthodoxie, dans un pays orthodoxe. Aujourd'hui, on choisit souvent pour architectes des personnes très éloignées de l’Eglise. Voilà pourquoi on obtient les résultats qu’on constate... En effet, une église, c’est une œuvre de l'esprit. Et les œuvres sont à l’image de l’esprit de leur créateur.

Ce recueil constitue une tentative de comprendre la situation actuelle. Le problème, c'est que personne, au sein de la hiérarchie ecclésiastique, ne veut prendre la responsabilité de parler au nom de l'Eglise pour proposer un programme d'art religieux contemporain, en particulier en matière d’architecture. Combien de fois avons-nous demandé : créons une commission synodale, un département, pour que quelqu'un puisse être au cœur de ces tentatives émanant d’architectes individuels ou de la communauté architecturale, pour redresser un peu la situation. Tous sont prêts à faire des efforts. Ce département ne nécessiterait aucun financement. Tout ce qu’il faudrait, c’est qu’il y ait un responsable pour exprimer la voix de l'Église, dit l’architecte et auteur du recueil Mikhaïl Kessler .


La vie liturgique et les problèmes essentiels


L'architecture d’une église ne peut se concevoir en dehors du contexte de la vie liturgique. " Une discussion sur ce que devrait être une église ne nous mènera pas au résultat souhaité. La discussion doit porter sur la question de ce qu’est pour nous aujourd'hui la vie liturgique. L’art religieux n'existe pas par lui-même, il découle de la compréhension de la liturgie " - souligne Sergueï Chapnin.

L’idée que tout l'espace de l’église ne peut être conçu qu’à partir de la liturgie, en lien indissociable avec elle, a été également exprimée par le prêtre Victor Grigorenko, recteur de l'église Saint-Serge à Serguiev Possad.

Mais au-delà du sens principal, les constructeurs d’églises doivent aussi résoudre les problèmes concrets qui se posent aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard si l'un des chapitres du livre est intitulé "La fonctionnalité et la beauté".

« Dans une église, l'espace intérieur est très important. Bizarrement, ceci est oublié par ceux qui travaillent sur des projets d’églises - a déclaré Sergueï Kouznetsov , docteur en architecture, professeur à l'Institut d'Architecture de Moscou ". Pour lui, nous devrions étudier l'expérience du passé et comprendre les défis actuels. Par exemple, le problème d'une grande église dans une grande ville. Une grande église, c’est une cathédrale, et une cathédrale n'est pas chaleureuse ... Ensuite, on a besoin dans une église d’espaces annexes, mais du fait de la pénurie de terrains dans les villes, ils doivent être réunis dans un même bâtiment. "Il n’y a rien à inventer, il faut résoudre des problèmes concrets," – souligne-t-il.

L’importance de l’organisation de l’espace intérieur de l’église a été rappelée également par le père Victor Grigorenko. Il a souligné que, dans l’architecture d’une église et l’organisation de son espace, il faut souligner un point : il n’y a pas de prières « secrètes » que tous les fidèles ne devraient pas entendre ; il est important que le prêtre sente prier autour de lui ses frères et soeurs en Christ. Il convient d’en tenir compte dans la conception de la barrière qui sépare le sanctuaire de la nef. Le père Victor a aussi mis l’accent sur l’importance du narthex, dont la surface doit être assez grande.

Une autre question qui devrait préoccuper les constructeurs d’églises, soulevée par Sergueï Chapnin, est celle liée à la présence des enfants. Comment faire en sorte pour qu’ils ne dérangent pas la prière des adultes, tout en se sentant à leur place dans l’église ?

Pour tous

Sergueï Chapnin a souligné que le recueil, même s’il est destiné à des professionnels, notamment par ses aspects techniques, a un caractère grand public et peut intéresser également un lectorat très varié : prêtres, architectes, professionnels du bâtiment, responsables de la décoration des églises. Il a une visée éducative.

La prochaine édition du recueil pourrait être consacrée au au concours « L’église orthodoxe russe dans ses réalisations architecturales contemporaines », organisé par l’Union des architectes de Russie.

Sur la corde raide

Au cours de la discussion des questions liées à l’architecture d’églises contemporaine, un poème de Dimitri Sokolov a été lu ; il exprime l’idée qu’il est important de construire une église dans sa propre âme.

Ce poème a conduit Serge Chapnine à se demander si le Seigneur n’aurait pas supprimé ce temple extérieur ? En effet, la Sainte Cène a eu lieu dans la chambre haute, et non pas dans une église. Selon le rédacteur en chef de la revue « Constructeur d’églises », cette contradiction n’a pas été dépassée dans l’orthodoxie. Et nous devrons avancer comme sur une corde raide, ainsi que l’ont fait les chrétiens orthodoxes depuis deux mille ans, sans tomber ni d’un côté, ni de l’autre.

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Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 13 Février 2014 à 18:00 | Permalien



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