Le petit SERJIK  « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » ( partie 1)
Par la moniale Serafima /Antonina Ossorguine/ Traduction du russe par Nikita Krivocheine

L’annonce du décès de Serjik fut publiée dans les journaux. Ceux qui ne savaient pas de qui il s’agissait se dirent : « Pauvre petit ! C’était un enfant, il n’avait que neuf ans… ». Mais ceux qui connaissaient le père Boris Stark et avaient rencontré le petit Serge, son fils, pensèrent avec une authentique compassion : « C’est bien le fils du jeune prêtre, comme c’est triste, de quelle maladie est-il mort ? ».

Serjik /Serge Stark/ était un enfant gai, bien portant, au regard brillant d’intelligence. Il est né le 30 mai 1930, décédé le 19 février 1940.

Le voilà parti au Ciel, dans l’au-delà. J’ai eu le bonheur de l’avoir connu de près, j’avais senti sa confiance et sa tendresse délicate qui, elle, n’était pas enfantine. Ce n’est que rarement qu’il m’a été donné de rencontrer des enfants aussi intéressants. J’essayerai d’en parler d’une manière plus détaillée.

Notre première rencontre se situe en juillet 1939. C’était par une journée d’été ensoleillée à Elancourt. Les tables sont mises dans le grand réfectoire de la colonie, fracas de vaisselle, bruits des fourchettes et des couteaux. Le soleil entre par les grandes fenêtres, Elancourt se voit au loin dans une brume bleutée.

Le petit SERJIK  « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » ( partie 1)
Je venais d’arriver et je me tenais au milieu de la pièce en conversant avec le père Boris Stark. Je vois surgir dans l’une des fenêtres par laquelle s’entendent les cris des enfants qui jouent au volley une tête aux cheveux sombres, au regard brillant et malicieux. L’hôte inattendu s’accroche au balcon et essaye de passer par la fenêtre.

« Serjik, descend immédiatement, il est interdit de grimper par la fenêtre ! », s’exclame le père Boris. Le minois hilare disparaît rapidement.

Nous devenons amis avec ce garçonnet, il commence à solliciter chez ses parents la permission d’aller se promener avec moi et mes neveux. Serjik apparaissait dans notre maison tôt le matin, alors que nous n’avions même pas entamé notre petit déjeuner. Le petit faisait en courant le tour de nos trois chambres, avec la vitesse de l’éclair, il se retrouvait au grenier, il apportait d’on ne sait où un vieux morceau de ferraille dont il sollicitait la propriété car il avait l’intention d’en bricoler un objet. Serjik séduisait pas sa vivacité conjuguée à une immense modestie. Il aimait se promener en famille avec nous. Nous avions un petit vélo sur lequel chacun roulait à son tour.

Mes neveux avaient peur de le faire tandis que Serge l’enfourchait tel un cheval. A ma grande horreur il s’élançait la tête la première, sans freiner sur le terrain vague, dévalant parfois les pentes, les joues toutes rouges. Je sentais que ce n’était pas par simple hardiesse, il était attiré par la liberté. Il s’était tellement attaché à notre famille car il y avait senti une grande proximité, la présence de l’Eglise. Serjik savait que mon père était prêtre et comprenait que l’atmosphère dans notre famille était similaire à ce qu’il ressentait chez les siens.

Le gamin grimpait sur mes genoux. Il m’enlaçait, m’embrassait, mettait ses bras autour de mon cou en disant « Tu es tellement gentille ! » Je sentais mon cœur fondre.

A la colonie d’Elancourt ma place à la cantine se situait au bout de la table, juste en face du père Boris Stark, de son épouse Natalya et de Serjik qui était toujours assis entre ses parents. J’ai posé la question : pourquoi n’est-il pas à la table des enfants ? C’est là que j’ai appris que depuis plusieurs années il se refusait à manger de la viande. Il mangeait des pommes de terre, des légumes, des fruits, des pâtes et souffrait si une sauce à la viande se faisait sentir dans les pommes de terre.

Photo: Père Boris Stark, son épouse Natalya et Serjik

Le petit SERJIK  « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » ( partie 1)
Sa mère m’avait raconté l’histoire de son renoncement aux mets carnés. Il n’avait guère plus de trois ans lorsqu’il reçut en cadeau à Noël des figurines d’animaux en chocolat et des pains d’épice en forme de petits lapins. Il adorait les friandises, le chocolat mais se refusa à manger les petits animaux : il les tria soigneusement dans les autres gâteaux, les rangea dans une boîte et les recouvrit de coton. Quelques jours plus tard Serjik alla accompagner sa mère au marché. A côté d’un étal de boucherie il demanda : « Qu’est-ce que c’est que la viande ? D’où vient-elle ? ». Il a fallu lui expliquer que la viande vient des animaux qu’on a tués. De retour à la maison, il y avait un plat de viande au déjeuner.

Le garçonnet refusa net d’en manger ! Aucun argument, aucune explication n’eurent de résultat. Depuis il n’a plus mangé de viande. Avant ce jour Serjik aimait beaucoup le jambon. Il voulut savoir si le jambon était aussi de la viande.

On lui répondit par l’affirmative. Il se mit à pleurer en disant : « Comment se fait-il que j’aime tellement le jambon ? Plus jamais »

Il continuait à manger du poisson. On lui demandait : « Pourquoi tu manges du poisson ? C’est pourtant un être vivant ? » Serjik répondait : « Le poisson ne respire pas ».

Ses parents craignaient que l’absence de viande dans sa nourriture l’affaiblisse et s’efforçaient de le duper. Ils l’assuraient que les saucisses étaient faites avec du poisson ou de l’hippocampe. Il y croyait au début, puis quelqu’un lui expliqua que les saucisses étaient aussi faites avec de la viande. Il se mit à pleurer et demanda à ses parents pourquoi ils l’avaient trompé ?

Une fois après l’office à la cathédrale de la rue Daru Serjik fut invité chez le père Nikon de Grewe. Le père Nikon lui offrit une grande banane. Serjik n’y toucha pas, il restait assis à contempler le fruit. Sa mère voulut savoir pourquoi il ne mangeait pas la banane. Réponse : « Vous me trompez de nouveau. C’était une chenille et on lui a arraché les pattes… »

Il n’éprouvait pas d’aversion à l’égard de la viande en tant que telle, simplement il avait de l’amour envers tout ce qui était vivant, envers tout, comme il le disait, ce qui respire de l’air. Il savait que les moines ne mangent jamais de viande.

On peut supposer que dès son premier âge son comportement n’était pas celui d’un végétarien mais d’un futur moine. Le père Nikon qui devint son confesseur, lui avait dit que le Sauveur mangeait du poisson. Nous ne savons pas comment le père Nikon lui avait expliqué la nature du monachisme. Serjik rêvait de devenir moine et disait à ses proches : « Je vous aime très fort mais je vous quitterai quand même ». Il gardait rigoureusement pour soi sa décision d’entrer dans les ordres et n’en parlait à personne. Comme, d’ailleurs, ce n’est qu’à ses proches qu’il expliquait les raisons pour lesquelles il s’abstenait de manger de la viande.

Le petit SERJIK  « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » ( partie 1)
Il avait été baptisé Serge en l’honneur de Saint Serge de Radonezh. Mais, toujours, il priait devant l’icône de Saint Séraphin de Sarov. Assez tôt, sa mère lui avait parlé de la vie de Saint Séraphin, lui en avait montré des images. Il répétait souvent : « J’aimerai ressembler à Saint Séraphin, il ne mangeait que de l’herbe. C’est ce que je voudrai aussi faire ». Il était perçu comme un garçon un peu étrange. Cela ne l’empêchait pas d’être gai, parfois farceur. Comme tous les garçons de son âge ses genoux étaient sales et couverts de bleus. Ses poches étaient remplies de cailloux, de bouts de fer, de ficelles, il grimpait aux arbres, sautait par-dessus les haies. Le petit avait une frimousse toute ronde, gaie et bronzée.

A sept ans il commence à aller au lycée russe. Souvent ses espiègleries lui valaient d’être chassé de table. Mais l’âme de cet enfant, amoureux de la vie, était profondément marquée par la loi du Christ, la loi de l’amour et de la vérité. Dans la vie il ne connaissait que « oui » et « non », tout ce qui était en sus émanait du Malin.

Avant l’ordination du père Boris lui et les siens vivaient dans un grand immeuble de la banlieue de Paris. Souvent Serjik voyait de chez lui des mendiants dont le regard était tourné vers le haut, vers leurs fenêtres. On leur lançait des piécettes. Serjik n’aimait pas cette manière de donner l’aumône. Il dégringolait l’escaler et remettait son obole au mendiant. Il aimait ces clochards et priait souvent sa mère de les inviter à déjeuner. A Pâques il demandait qu’on lui permette d’échanger le rituel baiser fraternel avec ces mendiants mais on ne le lui permettait pas. Il n’en comprenait pas la raison.

Après l’ordination du père Boris Serjik était souvent chagriné de voir que certains ne s’approchaient pas du père Boris pour solliciter sa bénédiction. Une fois, Serjik avait cinq ans, après la liturgie de Pâques les fidèles se réunirent pour fêter. Serjik avait sur lui dix œufs de Pâques. Il les distribua aux mendiants et en remit un au métropolite Euloge. Les fidèles endimanchés se réunirent dans la grande salle, tous étaient gais. Serjik, inquiet, s’adressait à son père et à sa mère leur demandant comment le festin commencerait sans que l’on chante l’hymne « Le Christ est ressuscité ». Mais tout le monde pensait à commencer à manger. Le garçonnet de cinq ans se mit à la place qui lui était réservée à table et entonna l’hymne pascal « Le Christ est ressuscité des morts et par la mort Il a vaincu la mort ».

Les adultes firent silence. Serjik termina le chant et, joyeux, prit sa place et se mit à manger....
À suivre sur PO

Le petit SERJIK  « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » ( partie 1)
Biographie de la moniale Serafima /Antonina Ossorguine/

Antonina Ossorguine est née le 1 juin 1901 dans le domaine des Ossorguine, gouvernement de Kalouga. Elle est arrivée en France en 1931 avec ses parents. Son père, l’archiprêtre Michel Ossorguine, recteur de la paroisse de Clamart, est décédé le 15 décembre 1939. Sa mère était Elisabeth Troubetzkoi. Antonina enseignait la littérature dans une école qu’elle avait fondée à Clamart. Elle est l’auteur d’un manuel de grammaire et d’histoire de la langue russe. En 1970 elle devient novice au monastère de la Mère de Dieu à Bussy. Elle y prononce ses vœux en adoptant le nom de Sérafima à la mémoire de Saint Séraphin de Sarov. Décédée à Bussy le 25 décembre 1985.

«"Блажени чистии сердцем...": О Сережике Старке»

Авторы книги: Антонина Михайловна Осоргина (монахиня Серафима) а также воспоминания родителей Серёжи и знавших его людей

Необыкновенный Сережик Старк (1930-1940), родившийся в Париже в семье священника-эмигранта Бориса Старка, был удивительным ребенком, который, прожив всего 10 лет, навсегда оставил свет в сердцах всех, знавших его.Издательство Православного Свято-Тионовского Гуманитарного Университета, 2007 г., Москва. Редактор книги Егор Агафонов.

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 15 Juin 2021 à 20:10 | 1 commentaire | Permalien



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