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« De la foi dans la grande ville » : un entretien avec l’archiprêtre Nicolas Balachov, vice-président du département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou
site Pravoslavie i mir
Traduction Laurence Guillon pour "P.O."
- Père Nicolas, comment la vie dans la mégapole influence-t-elle l’homme, comment se fait-t-elle sentir dans ses relations avec les autres ?
- Dans la mégapole contemporaine, la sphère des relations interpersonnelles se rétrécit constamment, les gens, qui vivent dans la promiscuité constante, s’éloignent intérieurement les uns des autres. Il n’a pas entre les habitants de la grande ville les relations directes qui existent dans les campagnes ou les petites villes. Il est très difficile de survivre dans les conditions de la mégapole, si l’on entre dans une relation complexe avec tous ceux que l’on rencontre. Ce phénomène doit devenir l’objet d’une sérieuse réflexion théologique et pastorale. Il est quelquefois très difficile de rester simple, cordial, de dire à tous « bonjour » et de sourire. Survivre dans les conditions de notre désert urbain exige d’autres démarches et d’autres approches spirituelles. On ne peut l’ignorer. C’est le phénomène de l’homme pris dans la globalisation, dans des relations de plus en plus mécaniques.Il réclame une analyse pastorale attentive, compatissante et réfléchie. Et je ne suis pas sûr que nous nous soyons bien engagés dans cette voie.
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Traduction Laurence Guillon pour "P.O."
- Père Nicolas, comment la vie dans la mégapole influence-t-elle l’homme, comment se fait-t-elle sentir dans ses relations avec les autres ?
- Dans la mégapole contemporaine, la sphère des relations interpersonnelles se rétrécit constamment, les gens, qui vivent dans la promiscuité constante, s’éloignent intérieurement les uns des autres. Il n’a pas entre les habitants de la grande ville les relations directes qui existent dans les campagnes ou les petites villes. Il est très difficile de survivre dans les conditions de la mégapole, si l’on entre dans une relation complexe avec tous ceux que l’on rencontre. Ce phénomène doit devenir l’objet d’une sérieuse réflexion théologique et pastorale. Il est quelquefois très difficile de rester simple, cordial, de dire à tous « bonjour » et de sourire. Survivre dans les conditions de notre désert urbain exige d’autres démarches et d’autres approches spirituelles. On ne peut l’ignorer. C’est le phénomène de l’homme pris dans la globalisation, dans des relations de plus en plus mécaniques.Il réclame une analyse pastorale attentive, compatissante et réfléchie. Et je ne suis pas sûr que nous nous soyons bien engagés dans cette voie.
- Les paroissiens ont-ils changé ? Les citadins se différencient-ils des villageois ?
- A une certaine période, j’ai vécu dix ans loin de Moscou. Quand je suis revenu, j’ai vu que, dans les églises, les gens étaient complètement différents. A l’époque soviétique, il n’y avait jamais eu, au sens social, tant de gens ordinaires dans les églises. C’étaient soit des personnes âgées, qui, par le fait des circonstances, retrouvaient le temps de participer à la vie de la paroisse et d’être religieusement actifs, soit des personnalités en quelque sorte héroïques, en partie affirmées et parfois même pas tout à fait normales. J’ai lu une fois dans un livre comment un prêtre disait à l’autre : « Je t’envie, il y a, chez toi, beaucoup de jeunes. » A quoi le second répondait : « Il n’y a pas de quoi m’envier, ce sont tous des malades mentaux. »
Mais à présent, sont apparus beaucoup de garçons, de filles et de personnes d’âge moyen, les mêmes gens, la même société que dans la rue. Et il s’avère que certains d’entre eux ont une vie spirituelle tout à fait consistante. Ce fut pour moi une découverte. Car sous le pouvoir soviétique, les visiteurs réguliers des églises étaient des gens qui n’étaient pas de ce monde, ils avaient tous la marque évidente de leur étrangeté. Il était parfois impossible de comprendre comment ils pouvaient survivre dans cette réalité de plomb. C’est peut-être ce qu’il y avait alors de plus lumineux.
A ce moment-là, on rencontrait très peu de gens activement investis dans la vie de la paroisse et, en même temps, actifs « dans le civil ». Habituellement, c’étaient des marginaux. Et là, on a vu apparaître une autre espèce de paroissiens, qui s’insèrent tout à fait normalement dans la société et ont une véritable vie spirituelle. Je pose rarement des questions pendant les confessions, et encore moins si elles n’ont pas de rapport direct avec ce qu’on me dit. Pourtant, il m’arrivait d’interroger quelquefois un pénitent qui m’intéressait : Et que faites-vous dans la vie ? Les réponses que j’ai reçues étaient pour moi, en majorité, inattendues : employé de banque, gestionnaire d’une firme commerciale et ainsi de suite.
D’après ce que j’entendais de la vie intérieure de ces gens, j’avais l’impression qu’ils devaient se chercher un travail aussi gratifiant que possible, au service des autres. Et je demandai parfois timidement : Et vous ne vous ennuyez pas, à la banque ?
La réponse me venait avec un regard perplexe : C’est un travail normal, on me paie bien. Il me semblait parfois être tombé dans une toute autre époque, pour laquelle j’avais déjà trop vieilli. A la période soviétique, beaucoup souffraient de l’impossibilité de se construire une vie professionnelle, une vie insérée dans la société et en accord avec ses convictions chrétiennes. La société était mécréante, toute manifestation extérieure de religiosité était impossible. Seuls quelques personnes d’exception arrivaient à ne pas se marginaliser et à rester dans le vif des évènements, sans pécher contre leur foi. C’était très difficile.
A présent, de tels exploits sont inutiles. On n’a plus à se cacher, on peut respirer à pleins poumons. Et pour ceux qui ont connu l’URSS, c’est un vrai bonheur. Mais cependant, dans la vie religieuse de beaucoup de chrétiens, fait défaut l’idée que leur travail doit servir son prochain.
"Les dangers de la mégapole pour la communauté".
- Aujourd’hui, les gens sont victimes d’une colossale surcharge informative et personnelle. Les laïcs aussi bien que les prêtres, dans les conditions de vie contemporaines, sont soumis à un surmenage d’informations et de communications.
- C’est exact. De plus, les prêtres, dans la mégapole, sont soumis souvent et facilement à des tentations que n’ont probablement pas ceux qui exercent dans les campagnes, ou au-delà des frontières, là où les paroissiens sont peu nombreux. Il n’y a pas de nécessité de ménager particulièrement chacun des fidèles : s’il se vexe et s’en va, la malheur n’est pas grand, d’autres prendront sa place. Si le contact ne passe pas entre le prêtre et le paroissien, ce dernier ira en voir un autre. A Moscou, il y en a des centaines. Il en trouvera facilement un autre qui lui conviendra mieux. Mais il y a toujours beaucoup plus de paroissiens que le prêtre n’a de forces à leur consacrer. En tant que pasteur, le prêtre en est déchiré de l’intérieur.
- Cela peut-il être surmonté ?
- Pour cela, il faut se trouver dans des conditions différentes, celles où toutes les brebis sont prises en compte. Grâce à mes relations avec mes confrères, je connais bien l’expérience des pasteurs qui sont nommés à l’étranger, où l’incompréhension entre le prêtre et son enfant spirituel peut avoir des conséquences tragiques pour le premier. La perte ou l’absence d’un marguillier peut être irremplaçable pour la survie de la communauté paroissiale. C’est pourquoi les prêtres des grandes villes sont peut-être gâtés par la vie. Et c’est sans doute pour cela qu’ils n’accordent pas assez attention aux gens.
- D’un autre côté, il nous arrive des plaintes de la province, le prêtre s’est montré grossier, et il n’y a qu’une seule église dans toute la ville, on ne peut aller nulle part ailleurs.
- Oui, la possibilité de choisir une église selon son cœur est un des avantages de la civilisation contemporaine. On voit émerger une sorte de marché des services religieux : il y a, à Moscou, une énorme quantité de paroisses et d’églises variées, on peut faire passer un « casting » et se choisir un père spirituel convenable.
C’est pratique. Cela répond parfaitement aux critères de la société de consommation.
- A une certaine période, j’ai vécu dix ans loin de Moscou. Quand je suis revenu, j’ai vu que, dans les églises, les gens étaient complètement différents. A l’époque soviétique, il n’y avait jamais eu, au sens social, tant de gens ordinaires dans les églises. C’étaient soit des personnes âgées, qui, par le fait des circonstances, retrouvaient le temps de participer à la vie de la paroisse et d’être religieusement actifs, soit des personnalités en quelque sorte héroïques, en partie affirmées et parfois même pas tout à fait normales. J’ai lu une fois dans un livre comment un prêtre disait à l’autre : « Je t’envie, il y a, chez toi, beaucoup de jeunes. » A quoi le second répondait : « Il n’y a pas de quoi m’envier, ce sont tous des malades mentaux. »
Mais à présent, sont apparus beaucoup de garçons, de filles et de personnes d’âge moyen, les mêmes gens, la même société que dans la rue. Et il s’avère que certains d’entre eux ont une vie spirituelle tout à fait consistante. Ce fut pour moi une découverte. Car sous le pouvoir soviétique, les visiteurs réguliers des églises étaient des gens qui n’étaient pas de ce monde, ils avaient tous la marque évidente de leur étrangeté. Il était parfois impossible de comprendre comment ils pouvaient survivre dans cette réalité de plomb. C’est peut-être ce qu’il y avait alors de plus lumineux.
A ce moment-là, on rencontrait très peu de gens activement investis dans la vie de la paroisse et, en même temps, actifs « dans le civil ». Habituellement, c’étaient des marginaux. Et là, on a vu apparaître une autre espèce de paroissiens, qui s’insèrent tout à fait normalement dans la société et ont une véritable vie spirituelle. Je pose rarement des questions pendant les confessions, et encore moins si elles n’ont pas de rapport direct avec ce qu’on me dit. Pourtant, il m’arrivait d’interroger quelquefois un pénitent qui m’intéressait : Et que faites-vous dans la vie ? Les réponses que j’ai reçues étaient pour moi, en majorité, inattendues : employé de banque, gestionnaire d’une firme commerciale et ainsi de suite.
D’après ce que j’entendais de la vie intérieure de ces gens, j’avais l’impression qu’ils devaient se chercher un travail aussi gratifiant que possible, au service des autres. Et je demandai parfois timidement : Et vous ne vous ennuyez pas, à la banque ?
La réponse me venait avec un regard perplexe : C’est un travail normal, on me paie bien. Il me semblait parfois être tombé dans une toute autre époque, pour laquelle j’avais déjà trop vieilli. A la période soviétique, beaucoup souffraient de l’impossibilité de se construire une vie professionnelle, une vie insérée dans la société et en accord avec ses convictions chrétiennes. La société était mécréante, toute manifestation extérieure de religiosité était impossible. Seuls quelques personnes d’exception arrivaient à ne pas se marginaliser et à rester dans le vif des évènements, sans pécher contre leur foi. C’était très difficile.
A présent, de tels exploits sont inutiles. On n’a plus à se cacher, on peut respirer à pleins poumons. Et pour ceux qui ont connu l’URSS, c’est un vrai bonheur. Mais cependant, dans la vie religieuse de beaucoup de chrétiens, fait défaut l’idée que leur travail doit servir son prochain.
"Les dangers de la mégapole pour la communauté".
- Aujourd’hui, les gens sont victimes d’une colossale surcharge informative et personnelle. Les laïcs aussi bien que les prêtres, dans les conditions de vie contemporaines, sont soumis à un surmenage d’informations et de communications.
- C’est exact. De plus, les prêtres, dans la mégapole, sont soumis souvent et facilement à des tentations que n’ont probablement pas ceux qui exercent dans les campagnes, ou au-delà des frontières, là où les paroissiens sont peu nombreux. Il n’y a pas de nécessité de ménager particulièrement chacun des fidèles : s’il se vexe et s’en va, la malheur n’est pas grand, d’autres prendront sa place. Si le contact ne passe pas entre le prêtre et le paroissien, ce dernier ira en voir un autre. A Moscou, il y en a des centaines. Il en trouvera facilement un autre qui lui conviendra mieux. Mais il y a toujours beaucoup plus de paroissiens que le prêtre n’a de forces à leur consacrer. En tant que pasteur, le prêtre en est déchiré de l’intérieur.
- Cela peut-il être surmonté ?
- Pour cela, il faut se trouver dans des conditions différentes, celles où toutes les brebis sont prises en compte. Grâce à mes relations avec mes confrères, je connais bien l’expérience des pasteurs qui sont nommés à l’étranger, où l’incompréhension entre le prêtre et son enfant spirituel peut avoir des conséquences tragiques pour le premier. La perte ou l’absence d’un marguillier peut être irremplaçable pour la survie de la communauté paroissiale. C’est pourquoi les prêtres des grandes villes sont peut-être gâtés par la vie. Et c’est sans doute pour cela qu’ils n’accordent pas assez attention aux gens.
- D’un autre côté, il nous arrive des plaintes de la province, le prêtre s’est montré grossier, et il n’y a qu’une seule église dans toute la ville, on ne peut aller nulle part ailleurs.
- Oui, la possibilité de choisir une église selon son cœur est un des avantages de la civilisation contemporaine. On voit émerger une sorte de marché des services religieux : il y a, à Moscou, une énorme quantité de paroisses et d’églises variées, on peut faire passer un « casting » et se choisir un père spirituel convenable.
C’est pratique. Cela répond parfaitement aux critères de la société de consommation.
Rédigé par l'équipe de rédaction le 10 Février 2011 à 15:15
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