V.G.
Commentaire de l'interview du Père Georges Mitrofanov (1)

Le père Georges a bien évidement raison sur son constat d'ensemble: l'Eglise n'a pas pu ou pas su répondre à tous les espoirs mis en elle et de ce fait son influence a baissé parmi l'intelligentsia. C'est imparable. Mais que représentent vraiment ces intellectuels? Il y a bien en Russie une tradition qui leur donne un rôle moteur et de ce fait leurs espoirs des années 1990 se répercutaient dans toute la société. Mais les intellectuels ont aussi déçu, probablement bien plus que l'Eglise, et leur rôle dans la société me semble bien s'être réduit. J'en prendrais comme marqueur le concept de "démocratie": très en vogue au début des années 1990, il permettait aux partis qui s'en réclamaient de gagner des majorités relatives au parlement et de faire élire Eltsine. Maintenant ces partis ne font pas 5% et le mot "démocrate" est presqu'une injure pour la majeure partie de la population!

Aussi je serai moins affirmatif que le père Georges quand à l'influence générale de l'Eglise et je pense que, mieux que tous les sondages, le positionnement de l'Orthodoxie à l'école primaire (classes 4-5 soit nos CM1-CM2) est un signe qui ne trompe pas: en 2010-2011 les élèves devaient choisir entre 6 options d'un nouveau cours (2) et le choix des parents a été (3):

 "Les bases de l'éthique laïque": 42,7%
"Les bases de la culture orthodoxe": 31,7%
 "Les bases des cultures religieuses mondiales": 21,2%
 "Les bases de la culture musulmane": 4%
 Les bases des cultures juive et bouddhiste se partagent les 0,4% restant


Certains discutent le sens de ce choix (4) mais pour moi il est clair que ce sont ceux qui s'intéressent réellement à l'Orthodoxie qui choisissent cette option là pour leurs enfants et ils représentent prés de 1/3 de la population. C'est moins que les 79% se disent orthodoxes mais c'est dix fois plus que ceux que le père Georges considère comme pratiquants... Remarque intéressante: quand on va dans le détail (ibid. 3) on s'aperçoit qu'à St Petersbourg, il n'y a eu que 9,46% des parents pour choisir "Les bases de la culture orthodoxe"; voilà qui explique peut-être l'appréciation du père Georges puisque c'est dans cette ville, qui se veut capitale intellectuelle, qu'il vit et enseigne (Moscou, avec 23,43% est aussi sous la moyenne nationale, mais s'en rapproche…)

Une autre information est donnée par un sondage du centre d'études sociologiques WCIOM: dans deux sondages effectués en 2001 et en août 2009 (5) il posait la question "êtes-vous pour où contre l'enseignement des bases de la religion, du catéchisme à l'école?"; 53% ont répondu "oui" (48% en 2001). Précision: c'est chez les personnes de plus de 60 ans et peu éduquées que le "oui" trouve le plus de partisans (respectivement 65 et 69%!)… visiblement, ce ne sont pas les intellectuels et les étudiants du père Georges!

Conclusion

- L'Orthodoxie a clairement une position prépondérante en Russie et son influence croit comme le montrent régulièrement les sondages. La désaffection relative de l'intelligentsia me rappelle la situation dans la société prérévolutionnaire…
- Les vrais pratiquants sont très peu nombreux mais 1/3 environ de la population s'y intéresse réellement et on peut donc penser que la pratique va suivre avec les efforts des missionnaires et l'enseignement religieux: jusqu'ici cantonné aux écoles paroissiales il entre maintenant dans l'enseignement piblic.
- Le rôle de l'Eglise s'accroit au fur et à mesure de sa pénétration dans les différentes institutions. L'école et les organisations de jeunes étaient jusqu'ici un bastion des tenants du laïcisme qui voulaient "préserver" la jeunesse de tout contactes avec l'Eglise (il n'était pas question d'aumôneries comme chez nous dans les collèges et lycées.) L'introduction de ce nouveaux cours dans toutes les écoles et le succès relatif de l'option orthodoxe est à mettre au crédit de l'Eglise qui a maintenant la haute main sur son contenu et sur la formation des maîtres. On peut espérer que, parmi ceux qui auront ainsi appris les bases de la religion dès leur enfance, un certain nombre saura s'en souvenir pour le mettre en pratique… Mais c'est là un nouveau défi que doit relever l'Eglise. (6).

(1) ICI
(2) L'enseignement des « Principes des cultures religieuses et de l’éthique laïque», dont l'Orthodoxie était l'une des 6 options (1), a été réalisé à titre expérimental dans 19 régions (environ 25% de la Fédération) en 2010-2011 et a été rendu obligatoire dans toute la Russie à compter du 1 septembre 2012 du fait de son succès. Cf. et ICI
(3)
(4)
(5)
(6) La rédaction du manuel correspondant a été confiée au père diacre André Kuraev. Texte complet




Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 31 Octobre 2012 à 10:43 | 4 commentaires | Permalien



Recherche



Derniers commentaires


RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile