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Le 29 décembre 2009 Alexandre Prokhanov, rédacteur en chef du quotidien « Zavtra » a écrit à Mgr Hilarion, métropolite de Volokolamsk, Président du Département des relations ecclésiales extérieures, le priant de clarifier l’attitude de l’Eglise quant au rôle de Joseph Staline dans l’histoire de notre pays. A.Prokhanov se référait à son article « Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu! » (« Zavtra », N°1,2010).
A la veille du 65e anniversaire de la Victoire l’higoumène Philippe (Riabykh), vice-président de la DREE a répondu à cette lettre :
Distingué Alexandre Andréevitch,
Mgr Hilarion, métropolite de Volokolamsk, m’a chargé de répondre à votre lettre du 29 décembre dernier.
La manière dont l’Eglise Orthodoxe Russe perçoit l’histoire du XX siècle est exposée dans de nombreux ouvrages et travaux de recherche. L’Eglise s’en tient à la seule approche concevable, celle qui se fonde sur un amour désintéressé de la Patrie et l’évidence du rôle essentiel de la foi dans la vie du peuple. L’histoire moderne a démontré qu’aucun effort humain, fût-il le plus brutal, n’est à même de maintenir l’unité au sein de la société et de lui apporter la prospérité. La négation de Dieu et, d’autant plus, l’athéisme militant conduisent à de graves erreurs politiques et sociales : « L’insensé a dit en son cœur: « Non, plus de Dieu ! » (Ps 13,1).
A la veille du 65e anniversaire de la Victoire l’higoumène Philippe (Riabykh), vice-président de la DREE a répondu à cette lettre :
Distingué Alexandre Andréevitch,
Mgr Hilarion, métropolite de Volokolamsk, m’a chargé de répondre à votre lettre du 29 décembre dernier.
La manière dont l’Eglise Orthodoxe Russe perçoit l’histoire du XX siècle est exposée dans de nombreux ouvrages et travaux de recherche. L’Eglise s’en tient à la seule approche concevable, celle qui se fonde sur un amour désintéressé de la Patrie et l’évidence du rôle essentiel de la foi dans la vie du peuple. L’histoire moderne a démontré qu’aucun effort humain, fût-il le plus brutal, n’est à même de maintenir l’unité au sein de la société et de lui apporter la prospérité. La négation de Dieu et, d’autant plus, l’athéisme militant conduisent à de graves erreurs politiques et sociales : « L’insensé a dit en son cœur: « Non, plus de Dieu ! » (Ps 13,1).
De nombreux milliers de fidèles ont payé de leurs vies ces principes qui sont ceux de l’Eglise à l’égard de l’histoire du XX siècle. Les patriotes de la Russie historique doivent aujourd’hui faire de sorte à ce que jamais plus notre Etat ne retombe dans une politique athée. Un tel retour serait de nos jours une réelle menace pour la survie même de notre pays.
L’héroïsation des athées et de leurs méthodes de gouvernement ne saurait contribuer à la cohésion des peuples de la Russie historique. Bien au contraire, elle favorise la désunion. Que dites-vous du patriotisme tel qu’il est exprimé dans ces paroles de Lénine à propos de la Première guerre mondiale : « Ceux qui préconisent la victoire de leurs gouvernements dans cette guerre, de même que ceux qui proclament « Ni victoire, ni défaite » sont les uns et les autres des tenants du national-chauvinisme. Dans cette guerre réactionnaire la classe révolutionnaire ne peut que souhaiter la défaite de son gouvernement, ne peut ne pas voir les liens de cause à effet entre les échecs militaires des gouvernements avec de meilleures possibilités de les faire tomber. Au contraire, tout ouvrier conscient est dans son for intérieur persuadé de l’opportunité de la défaite. Cela s’insère parfaitement dans notre logique de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile » (V. Lénine, « Le socialisme et la guerre », l’attitude du parti social-démocrate ouvrier de Russie à l’égard de la guerre).
Envers et contre tout très nombreux sont ceux qui, bien qu’ayant eu à souffrir du régime soviétique, sont restés fidèle à la Russie. Souvenons-nous de la Grande-duchesse Elisaveta Fedorovna, devenue Sainte et martyre. Voyant dans quel abîme avait été précipitée la Patrie elle écrivait à l’Empereur Nicolas II, alors que Lénine et ses camarades appelaient à la défaite : « J’éprouve une profonde compassion pour la Russie et son peuple qui ne savent plus ce qu’ils font. Comment ne pas les comparer à des enfants souffrants que nous aimons bien plus lorsqu’ils sont malades que quand ils sont gais et en bonne santé. La Sainte Russie ne peut périr. Mais, hélas, la Grande Russie n’est plus… »
Les bolchéviks ont dès la prise du pouvoir fait de leur mieux pour que périsse l’un des plus grands pays chrétiens du monde. Ils ont exterminé des millions de nos compatriotes dans le but d’édifier un problématique paradis terrestre. Je ne suis pas enclin à idéaliser l’Empire Russe. Il est cependant nécessaire de rappeler que ce pays a mis plus de mille ans à se constituer. C’était un pays qui se fondait sur les valeurs du christianisme et qui pouvait parfaitement continuer à se développer si les révolutionnaires ne s’étaient pas appliqués à le déstabiliser au lieu d’essayer de trouver des solutions concertées avec le pouvoir historique.
Staline a mis en place un système absolument inhumain que rien ne saurait justifier, ni l’industrialisation, ni l’acquisition de l’arme nucléaire, ni le maintien de l’entité territoriale, ni même la victoire dans la Grande guerre nationale… Tout ceci n’est pas à mettre au mérite de Staline. C’est le mérite de notre peuple multiethnique. Le régime stalinien se fondait sur la terreur, la violence, la négation des libertés, le mensonge et la délation. Ce régime était autodestructeur, les bourreaux d’hier devenant les victimes d’aujourd’hui. Ses succès étaient éphémères. Je n’ai rien à voir avec les « ennemis de l’empire » dont vous parlez et qui rejettent Staline et son système. Notre Patrie, la Russie, ne doit rien à personne pour les crimes perpétrés par le pouvoir communiste car c’est la Russie qui a été la première victime de ce pouvoir. Il a suffi que Staline meure pour que son régime s’écroule tel un château de cartes. Cette agonie a pris plusieurs décennies mais le compte à rebours à commencé le 5 mars 1953. Les systèmes athées sont de par nature éphémères. Le régime lénino-stalinien ne s’est maintenu en Russie que soixante-dix ans et quelques. Cela alors que la civilisation russe chrétienne fondée par saint Vladimir égal aux apôtres est plus que millénaire. La Russie aura un avenir si elle reste fidèle à ses racines historiques, si elle reste fidèle à son baptême dans les eaux du Dniepr. Avec l’aide de Dieu de nombreux peuple y cohabiteront dans l’amitié.
M. Prokhanov, vous faites dans votre article appel à l’opinion publique. En effet, nombreux sont ceux qui estiment que Staline est « le leader le plus populaire en Russie ». Mais il ne s’agit pas là d’un soutien au régime totalitaire mis en place par Staline ou du désir de voir en lui « un homme fort capable de mettre de l’ordre dans le pays ». La Russie, comme tout pays, a certes besoin d’un pouvoir fort et efficace. Mais d’un pouvoir que se fonderait sur d’autres valeurs et qui gouvernerait par d’autres méthodes. Se trouverait-il, même parmi vos camarades, des personnes qui accepteraient d’abandonner leurs appartements pour aller s’installer dans des camps de concentration inhumains et y être transformés en bêtes de somme ?
Si l’Eglise a prié pour le pouvoir et eu des contacts avec les représentants de ce pouvoir pendant la période stalinienne cela ne signifie en rien qu’elle acceptait la politique de l’Etat à l’égard de la religion et de la société dans son ensemble. L’Eglise prêchait alors comme toujours une approche religieuse de la vie alors que le pouvoir voulait implanter le matérialisme et une idéologie unique. L’Eglise était irréconciliable avec la vision du monde qui était celle du régime en place. De nombreux évêques, clercs et laïcs ont résisté au régime athée. Ils aspiraient à la renaissance de la Sainte Russie.
Je citerai l’archevêque Basile (Krivochéine) (1900-1985). Alors qu’il passait en voiture à proximités des basiliques du Kremlin son neveu lui fit observer la beauté de cette architecture. Mgr Basile répondit : « Oui, c’est très beau. Mais le jour viendra où il faudra sanctifier à nouveau ces cathédrales
». Ces jours sont enfin venus, gloire à Dieu ! L’Eglise fondée par Dieu a vocation à améliorer le monde par la force de l’amour. Sachant que Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm, 2.4) l’Eglise accepte le dialogue avec divers pouvoirs, avec diverses personnalités dans l’espoir de les voir se tourner vers Dieu. C’est bien dans cet esprit que l’apôtre Paul écrivait à l’apôtre Timothée : « Je recommande donc, avant tout, qu’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâce pour tous les hommes, pour tous les rois et tous les dépositaires de l’autorité, afin que nous puissions mener une vie calme et paisible en toute piété et dignité. Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm, 2,1-4).
On ne saurait nier que des changements considérables sont survenus en 1943 dans la politique de l’Etat soviétique à l’égard de la religion. Ce changement d’attitude de la part de Staline s’expliquait par l’agression de l’Allemagne hitlérienne contre l’Union soviétique. Les Allemands réussirent à occuper une partie importante du territoire, y compris des régions où toute vie religieuse avait été supprimée. On comptait dans l’ensemble de l’URSS (frontières de 1939) au moment de la guerre déclenchée par l’Allemagne 300 églises, 4 évêques en chaire, près de 500 clercs non encore arrêtés. Les bolcheviks avec Staline à leur tête s’étaient fixés pour but l’anéantissement de la vie religieuse dans toutes ses manifestations. Mais ils furent amenés à changer leurs positions avec la Grande guerre nationale. Les raisons de ce changement sont évidentes. La vie religieuse connaissait une véritable renaissance dans les territoires occupés (les autorités d’occupation ont laissés reprendre leurs activités à près de 9.000 paroisses, alors que Staline n’a à la même époque restitué à l’Eglise que 718 églises. Ne pensez-vous pas, M. Prokhanov, qu’il nous incombe dans ces conditions de nous mettre à idolâtrer Hitler ?). Un tel renouveau de la vie religieuse exigeait de Staline qu’il y réagisse par des mesures de propagande. Il se devait de montrer que la vie religieuse était également possible dans les territoires non occupés et que la libération par l’Armée Rouge des régions occupées n’entrainait pas la suppression de la vie religieuse.
Autre chose : le retour à cette époque des symboles traditionnels russes, - épaulettes des officiers, réhabilitation de la musique et de l’architecture classiques… Tout cela n’était que propagande. L’unique objectif étant de sauver par tous les moyens le régime en place. Plusieurs milliers de nos compatriotes qui avaient fui la Russie à la suite de la guerre civile furent dupes de ce leurre stalinien et regagnèrent le pays. Le résultat en est connu : la majorité d’entre eux furent emprisonnés et réduits à se nourrir du brouet carcéral.
Vous mettez au crédit de Staline, M. Prokhanov, d’avoir reconstitué « le grand espace russe ». Or, nous savons que cet espace a été morcelé par les successeurs du « guide tous les temps et de tous les peuples ». Staline a laissé une bombe à retardement en redessinant à son goût « le grand espace russe » et en traçant des frontières artificielles entre les ex Républiques soviétiques. Cette stratégie stalinienne a engendré l’extrémisme, le nationalisme et la xénophobie qui sévissent de nos jours. Un seul facteur unificateur s’est maintenu dans l’espace historique de la Russie (Fédération de Russie, Ukraine, Belarus, Moldavie et autres États indépendants de l’ex URSS), c’est l’Eglise orthodoxe. Si l’Empire Russe n’avait pas été démembré après la révolution selon des critères ethniques et territoriaux on aurait pu éviter de disloquer le pays réel et de le faire disparaître au début des années 90.
Notre Sainte Eglise a toujours été et reste dans le courant des siècles avec son peuple dans les joies comme dans le malheur. Notre clergé a partagé le sort de la nation à l’époque du joug tartare, de même qu’en 1612 et que lors de l’invasion napoléonienne et des tranchées de la Première guerre, à l’époque de la Terreur rouge, dans les camps du GOULAG, pendant la Grande guerre nationale ainsi que dans les années de la désagrégation de notre Patrie et celles de la crise économique.
En réponse à vos derniers arguments, M . Prokhanov, je dirai que la victoire de 1945 n’a pas été remportée par notre peuple grâce au leadership de Staline. D’éminents historiens rendent Staline responsables des terribles pertes que nous avons endurées. La politique arbitraire conduite avant la guerre a causé la mort de dizaines de millions de nos compatriotes. C’est notre peuple multiethnique qui a gagné la guerre car il s’inspirait des paroles du Christ : « Nul n’a plus grand amour que celui-ci : déposer sa vie pour ses amis » (Jn 15.13).
J’aimerai espérer que ce débat à propos de l’histoire récente de notre pays se poursuivra d’une manière civilisée et n’entraînera pas la séparation de notre peuple en deux camps hostiles.
Dans l’espoir d’être compris par vous, veuillez agréer l’assurance de mes sentiments les meilleurs,
Higoumène Philippe (Riabykh), vice-président du Département des relations ecclésiales extérieures du patriarcat de Moscou
En russe Mospat. ru
© Traduction pour " P.O." Nikita KRIVOCHEINE
L’héroïsation des athées et de leurs méthodes de gouvernement ne saurait contribuer à la cohésion des peuples de la Russie historique. Bien au contraire, elle favorise la désunion. Que dites-vous du patriotisme tel qu’il est exprimé dans ces paroles de Lénine à propos de la Première guerre mondiale : « Ceux qui préconisent la victoire de leurs gouvernements dans cette guerre, de même que ceux qui proclament « Ni victoire, ni défaite » sont les uns et les autres des tenants du national-chauvinisme. Dans cette guerre réactionnaire la classe révolutionnaire ne peut que souhaiter la défaite de son gouvernement, ne peut ne pas voir les liens de cause à effet entre les échecs militaires des gouvernements avec de meilleures possibilités de les faire tomber. Au contraire, tout ouvrier conscient est dans son for intérieur persuadé de l’opportunité de la défaite. Cela s’insère parfaitement dans notre logique de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile » (V. Lénine, « Le socialisme et la guerre », l’attitude du parti social-démocrate ouvrier de Russie à l’égard de la guerre).
Envers et contre tout très nombreux sont ceux qui, bien qu’ayant eu à souffrir du régime soviétique, sont restés fidèle à la Russie. Souvenons-nous de la Grande-duchesse Elisaveta Fedorovna, devenue Sainte et martyre. Voyant dans quel abîme avait été précipitée la Patrie elle écrivait à l’Empereur Nicolas II, alors que Lénine et ses camarades appelaient à la défaite : « J’éprouve une profonde compassion pour la Russie et son peuple qui ne savent plus ce qu’ils font. Comment ne pas les comparer à des enfants souffrants que nous aimons bien plus lorsqu’ils sont malades que quand ils sont gais et en bonne santé. La Sainte Russie ne peut périr. Mais, hélas, la Grande Russie n’est plus… »
Les bolchéviks ont dès la prise du pouvoir fait de leur mieux pour que périsse l’un des plus grands pays chrétiens du monde. Ils ont exterminé des millions de nos compatriotes dans le but d’édifier un problématique paradis terrestre. Je ne suis pas enclin à idéaliser l’Empire Russe. Il est cependant nécessaire de rappeler que ce pays a mis plus de mille ans à se constituer. C’était un pays qui se fondait sur les valeurs du christianisme et qui pouvait parfaitement continuer à se développer si les révolutionnaires ne s’étaient pas appliqués à le déstabiliser au lieu d’essayer de trouver des solutions concertées avec le pouvoir historique.
Staline a mis en place un système absolument inhumain que rien ne saurait justifier, ni l’industrialisation, ni l’acquisition de l’arme nucléaire, ni le maintien de l’entité territoriale, ni même la victoire dans la Grande guerre nationale… Tout ceci n’est pas à mettre au mérite de Staline. C’est le mérite de notre peuple multiethnique. Le régime stalinien se fondait sur la terreur, la violence, la négation des libertés, le mensonge et la délation. Ce régime était autodestructeur, les bourreaux d’hier devenant les victimes d’aujourd’hui. Ses succès étaient éphémères. Je n’ai rien à voir avec les « ennemis de l’empire » dont vous parlez et qui rejettent Staline et son système. Notre Patrie, la Russie, ne doit rien à personne pour les crimes perpétrés par le pouvoir communiste car c’est la Russie qui a été la première victime de ce pouvoir. Il a suffi que Staline meure pour que son régime s’écroule tel un château de cartes. Cette agonie a pris plusieurs décennies mais le compte à rebours à commencé le 5 mars 1953. Les systèmes athées sont de par nature éphémères. Le régime lénino-stalinien ne s’est maintenu en Russie que soixante-dix ans et quelques. Cela alors que la civilisation russe chrétienne fondée par saint Vladimir égal aux apôtres est plus que millénaire. La Russie aura un avenir si elle reste fidèle à ses racines historiques, si elle reste fidèle à son baptême dans les eaux du Dniepr. Avec l’aide de Dieu de nombreux peuple y cohabiteront dans l’amitié.
M. Prokhanov, vous faites dans votre article appel à l’opinion publique. En effet, nombreux sont ceux qui estiment que Staline est « le leader le plus populaire en Russie ». Mais il ne s’agit pas là d’un soutien au régime totalitaire mis en place par Staline ou du désir de voir en lui « un homme fort capable de mettre de l’ordre dans le pays ». La Russie, comme tout pays, a certes besoin d’un pouvoir fort et efficace. Mais d’un pouvoir que se fonderait sur d’autres valeurs et qui gouvernerait par d’autres méthodes. Se trouverait-il, même parmi vos camarades, des personnes qui accepteraient d’abandonner leurs appartements pour aller s’installer dans des camps de concentration inhumains et y être transformés en bêtes de somme ?
Si l’Eglise a prié pour le pouvoir et eu des contacts avec les représentants de ce pouvoir pendant la période stalinienne cela ne signifie en rien qu’elle acceptait la politique de l’Etat à l’égard de la religion et de la société dans son ensemble. L’Eglise prêchait alors comme toujours une approche religieuse de la vie alors que le pouvoir voulait implanter le matérialisme et une idéologie unique. L’Eglise était irréconciliable avec la vision du monde qui était celle du régime en place. De nombreux évêques, clercs et laïcs ont résisté au régime athée. Ils aspiraient à la renaissance de la Sainte Russie.
Je citerai l’archevêque Basile (Krivochéine) (1900-1985). Alors qu’il passait en voiture à proximités des basiliques du Kremlin son neveu lui fit observer la beauté de cette architecture. Mgr Basile répondit : « Oui, c’est très beau. Mais le jour viendra où il faudra sanctifier à nouveau ces cathédrales
». Ces jours sont enfin venus, gloire à Dieu ! L’Eglise fondée par Dieu a vocation à améliorer le monde par la force de l’amour. Sachant que Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm, 2.4) l’Eglise accepte le dialogue avec divers pouvoirs, avec diverses personnalités dans l’espoir de les voir se tourner vers Dieu. C’est bien dans cet esprit que l’apôtre Paul écrivait à l’apôtre Timothée : « Je recommande donc, avant tout, qu’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâce pour tous les hommes, pour tous les rois et tous les dépositaires de l’autorité, afin que nous puissions mener une vie calme et paisible en toute piété et dignité. Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm, 2,1-4).
On ne saurait nier que des changements considérables sont survenus en 1943 dans la politique de l’Etat soviétique à l’égard de la religion. Ce changement d’attitude de la part de Staline s’expliquait par l’agression de l’Allemagne hitlérienne contre l’Union soviétique. Les Allemands réussirent à occuper une partie importante du territoire, y compris des régions où toute vie religieuse avait été supprimée. On comptait dans l’ensemble de l’URSS (frontières de 1939) au moment de la guerre déclenchée par l’Allemagne 300 églises, 4 évêques en chaire, près de 500 clercs non encore arrêtés. Les bolcheviks avec Staline à leur tête s’étaient fixés pour but l’anéantissement de la vie religieuse dans toutes ses manifestations. Mais ils furent amenés à changer leurs positions avec la Grande guerre nationale. Les raisons de ce changement sont évidentes. La vie religieuse connaissait une véritable renaissance dans les territoires occupés (les autorités d’occupation ont laissés reprendre leurs activités à près de 9.000 paroisses, alors que Staline n’a à la même époque restitué à l’Eglise que 718 églises. Ne pensez-vous pas, M. Prokhanov, qu’il nous incombe dans ces conditions de nous mettre à idolâtrer Hitler ?). Un tel renouveau de la vie religieuse exigeait de Staline qu’il y réagisse par des mesures de propagande. Il se devait de montrer que la vie religieuse était également possible dans les territoires non occupés et que la libération par l’Armée Rouge des régions occupées n’entrainait pas la suppression de la vie religieuse.
Autre chose : le retour à cette époque des symboles traditionnels russes, - épaulettes des officiers, réhabilitation de la musique et de l’architecture classiques… Tout cela n’était que propagande. L’unique objectif étant de sauver par tous les moyens le régime en place. Plusieurs milliers de nos compatriotes qui avaient fui la Russie à la suite de la guerre civile furent dupes de ce leurre stalinien et regagnèrent le pays. Le résultat en est connu : la majorité d’entre eux furent emprisonnés et réduits à se nourrir du brouet carcéral.
Vous mettez au crédit de Staline, M. Prokhanov, d’avoir reconstitué « le grand espace russe ». Or, nous savons que cet espace a été morcelé par les successeurs du « guide tous les temps et de tous les peuples ». Staline a laissé une bombe à retardement en redessinant à son goût « le grand espace russe » et en traçant des frontières artificielles entre les ex Républiques soviétiques. Cette stratégie stalinienne a engendré l’extrémisme, le nationalisme et la xénophobie qui sévissent de nos jours. Un seul facteur unificateur s’est maintenu dans l’espace historique de la Russie (Fédération de Russie, Ukraine, Belarus, Moldavie et autres États indépendants de l’ex URSS), c’est l’Eglise orthodoxe. Si l’Empire Russe n’avait pas été démembré après la révolution selon des critères ethniques et territoriaux on aurait pu éviter de disloquer le pays réel et de le faire disparaître au début des années 90.
Notre Sainte Eglise a toujours été et reste dans le courant des siècles avec son peuple dans les joies comme dans le malheur. Notre clergé a partagé le sort de la nation à l’époque du joug tartare, de même qu’en 1612 et que lors de l’invasion napoléonienne et des tranchées de la Première guerre, à l’époque de la Terreur rouge, dans les camps du GOULAG, pendant la Grande guerre nationale ainsi que dans les années de la désagrégation de notre Patrie et celles de la crise économique.
En réponse à vos derniers arguments, M . Prokhanov, je dirai que la victoire de 1945 n’a pas été remportée par notre peuple grâce au leadership de Staline. D’éminents historiens rendent Staline responsables des terribles pertes que nous avons endurées. La politique arbitraire conduite avant la guerre a causé la mort de dizaines de millions de nos compatriotes. C’est notre peuple multiethnique qui a gagné la guerre car il s’inspirait des paroles du Christ : « Nul n’a plus grand amour que celui-ci : déposer sa vie pour ses amis » (Jn 15.13).
J’aimerai espérer que ce débat à propos de l’histoire récente de notre pays se poursuivra d’une manière civilisée et n’entraînera pas la séparation de notre peuple en deux camps hostiles.
Dans l’espoir d’être compris par vous, veuillez agréer l’assurance de mes sentiments les meilleurs,
Higoumène Philippe (Riabykh), vice-président du Département des relations ecclésiales extérieures du patriarcat de Moscou
En russe Mospat. ru
© Traduction pour " P.O." Nikita KRIVOCHEINE
Rédigé par l'équipe de rédaction le 7 Mai 2010 à 12:59
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