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L'archimandrite Élie (Ragot), aumônier du monastère de la Transfiguration, Terasson, France.
Eglise des Trois saints Docteurs, Paris
Suite de la Conférence sur l’espérance
Mais pourtant on prie pour…
Donc, l’objet de l’Espérance n’est pas l’amélioration de notre condition humaine pour notre confort terrestre. Et pourtant l’Église prie constamment pour la guérison d’un tel, pour bénir des constructions, des entreprises diverses, des troupeaux, pour la délivrance des prisonniers, pour la fin des schismes dans l’Église… je ne sais quoi encore. On prie pour la Paix, pour la prospérité des saintes Églises de Dieu, etc. Alors, au regard de ce que je viens de dire, est-ce que l’Église se trompe, s’occupe-t-elle de notre sort ici-bas tout de même ?
Le ton est donné dès le début de la divine Liturgie : « Pour la Paix d’en-Haut », im-plore le diacre. Eh bien oui, on désire tous la paix entre les nations et entre les hommes. Ce serait le résultat légitimement attendu d’un amour idéal entre les hommes, d’une société bien réglée dans laquelle chacun se préoccuperait du bien de l’autre sans chercher le sien propre.
Eglise des Trois saints Docteurs, Paris
Suite de la Conférence sur l’espérance
Mais pourtant on prie pour…
Donc, l’objet de l’Espérance n’est pas l’amélioration de notre condition humaine pour notre confort terrestre. Et pourtant l’Église prie constamment pour la guérison d’un tel, pour bénir des constructions, des entreprises diverses, des troupeaux, pour la délivrance des prisonniers, pour la fin des schismes dans l’Église… je ne sais quoi encore. On prie pour la Paix, pour la prospérité des saintes Églises de Dieu, etc. Alors, au regard de ce que je viens de dire, est-ce que l’Église se trompe, s’occupe-t-elle de notre sort ici-bas tout de même ?
Le ton est donné dès le début de la divine Liturgie : « Pour la Paix d’en-Haut », im-plore le diacre. Eh bien oui, on désire tous la paix entre les nations et entre les hommes. Ce serait le résultat légitimement attendu d’un amour idéal entre les hommes, d’une société bien réglée dans laquelle chacun se préoccuperait du bien de l’autre sans chercher le sien propre.
Mais ce n’est pas ainsi. Le péché est à l’œuvre ! Alors, il s’agit d’une autre paix que l’on de-mande à la Liturgie en demandant que se réalise et se manifeste le Règne du Père et de Fils et du Saint-Esprit, c'est-à-dire la Paix telle que Dieu la donne, c'est-à-dire la réconciliation des hommes avec Dieu, tel que les anges l’ont annoncé aux bergers de Bethléem : « Gloire à Dieu dans les hauteurs, et sur terre paix aux hommes qu’Il aime (de sa bienveillance ) (Lc 2,14).
Oui, on prie bien pour la « prospérité des saintes Églises de Dieu », mais quelle prospé-rité demande-t-on ? Des sébiles bien remplies à la quête du dimanche et de nombreux dona-teurs ? Ou même une affluence de fidèles pour remplir l’église et accomplir notre mission d’évangélisation ? Je ne le crois pas. C’est la prospérité des Églises Corps du Christ ou rayonne la sainteté, c'est-à-dire la Présence transfigurante de l’Esprit-Saint. Saint Séraphim de Sarov ne révélait-il pas à Motovilov que le but de la vie chrétienne est l’acquisition du Saint-Esprit ? Voilà la « prospérité » que l’on demande à Dieu.
Il est vrai cependant que des offices liturgiques spécifiques sont régulièrement célébrés pour bénir des semailles, des maisons, des pains, de l’huile, des eaux, des œufs et des gâteaux. Mais ceci, c’est pour que ces matières soient effectivement sanctifiées par la Puissance du Saint-Esprit afin qu’elles retrouvent leur fonction spirituelle que la déchéance de la nature, par suite du péché, a altérée. L’eau est bénie pour qu’elle redonne la vie intérieure aux hommes et les purifie, corps et âme ; les repas sont bénis pour que les nourritures n’alimentent pas seule-ment les corps, mais aussi les âmes de ceux qui en mangeront.
Donc, si on prie pour les « choses de la terre » c’est parce que si on engage des entre-prises humaines, on croit tout de même qu’elles sont conformes à la Volonté de Dieu. C’est notre Espérance qui est en jeu : on espère que Dieu, à travers nos entreprises, accomplit Sa volonté de salut du monde auquel nous essayons de collaborer par nos faibles œuvres, celles qui sont à notre portée et que nous accomplissons comme don généreux au monde. Par ces prières et ces bénédictions de toutes sortes, les hommes s’en remettent à Dieu, ils Lui confient avec espérance leurs soucis, de santé, d’entreprises, d’intelligence, en Le cherchant par-dessus tout, certains qu’ils sont que Dieu pourvoit à leur accorder ce dont ils ont besoin, comme Il le leur a promis : « cherchez Son Royaume, et tout cela vous sera ajouté » (Lc 12,31) ; c’est l’Espérance absolue, espérance comme vertu, c'est-à-dire comme don de l’Esprit-Saint qui nous fait dépasser les soucis humains pour nous tourner vers les richesses du Royaume éternel.
Oui, on prie bien pour la « prospérité des saintes Églises de Dieu », mais quelle prospé-rité demande-t-on ? Des sébiles bien remplies à la quête du dimanche et de nombreux dona-teurs ? Ou même une affluence de fidèles pour remplir l’église et accomplir notre mission d’évangélisation ? Je ne le crois pas. C’est la prospérité des Églises Corps du Christ ou rayonne la sainteté, c'est-à-dire la Présence transfigurante de l’Esprit-Saint. Saint Séraphim de Sarov ne révélait-il pas à Motovilov que le but de la vie chrétienne est l’acquisition du Saint-Esprit ? Voilà la « prospérité » que l’on demande à Dieu.
Il est vrai cependant que des offices liturgiques spécifiques sont régulièrement célébrés pour bénir des semailles, des maisons, des pains, de l’huile, des eaux, des œufs et des gâteaux. Mais ceci, c’est pour que ces matières soient effectivement sanctifiées par la Puissance du Saint-Esprit afin qu’elles retrouvent leur fonction spirituelle que la déchéance de la nature, par suite du péché, a altérée. L’eau est bénie pour qu’elle redonne la vie intérieure aux hommes et les purifie, corps et âme ; les repas sont bénis pour que les nourritures n’alimentent pas seule-ment les corps, mais aussi les âmes de ceux qui en mangeront.
Donc, si on prie pour les « choses de la terre » c’est parce que si on engage des entre-prises humaines, on croit tout de même qu’elles sont conformes à la Volonté de Dieu. C’est notre Espérance qui est en jeu : on espère que Dieu, à travers nos entreprises, accomplit Sa volonté de salut du monde auquel nous essayons de collaborer par nos faibles œuvres, celles qui sont à notre portée et que nous accomplissons comme don généreux au monde. Par ces prières et ces bénédictions de toutes sortes, les hommes s’en remettent à Dieu, ils Lui confient avec espérance leurs soucis, de santé, d’entreprises, d’intelligence, en Le cherchant par-dessus tout, certains qu’ils sont que Dieu pourvoit à leur accorder ce dont ils ont besoin, comme Il le leur a promis : « cherchez Son Royaume, et tout cela vous sera ajouté » (Lc 12,31) ; c’est l’Espérance absolue, espérance comme vertu, c'est-à-dire comme don de l’Esprit-Saint qui nous fait dépasser les soucis humains pour nous tourner vers les richesses du Royaume éternel.
Ce qu’est l’espérance en vérité
Maintenant que nous savons ce que n’est pas l’objet de l’Espérance, attachons-nous à comprendre ce qu’elle est réellement. Il est naturel à l’homme d’exercer son espérance dans deux directions : l’une est matérielle, c’est la recherche du bien-être, du bonheur humain, mais ce bonheur est transitoire. Il ne dure que le temps d’une vie terrestre, et encore même pas tout le temps ! « Si c’est pour cette vie seulement que nous avons mis notre espoir dans le Christ, nous sommes les plus malheureux des hommes », lit-on dans l’épître de saint Paul aux Corinthiens (1 cor 15,19).
L’autre objet d’Espérance est « l’Autre bonheur », celui qui est éternel, celui que seule la vie en Dieu est capable d’offrir parce qu’elle est communion avec Dieu Éternel qui veut se communiquer à l’homme, si celui-ci L’accepte. Cette Espérance-là n’a pas de prix, et l’homme qui en est convaincu peut y consacrer toute sa fortune, c'est-à-dire toute son énergie et toute sa volonté : « Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor caché dans le champ. Un homme le trouve : il le cache et dans sa joie il va, vend tout ce qu’il a, et il achète ce champ-là. Et encore, le Royaume des Cieux est semblable à un commerçant qui achète de belles perles. Il trouve une perle de grand prix : il s’en va, réalise tout ce qu’il avait, et il l’achète. » (Mt 13,44-46).
L’Espérance, vous voyez, se porte sur la certitude (la foi) que Dieu veut nous communiquer Sa vie, Sa Gloire, Son bonheur éternel, en passant par le CHRIST qui a partagé notre condition humaine. Nulle part dans l’évangile nous n’avons d’affirmation que Dieu nous aide-rait à accomplir un bonheur terrestre, nous savons même que c’est à travers la croix, la souffrance, le renoncement total à soi-même que nous participerons et pourrons acquérir le Salut qui nous est proposé, à l’image de la « kénose » du Seigneur, c'est-à-dire à l’image de Son renoncement à l’exercice de Sa gloire qu’Il possède en tant que Dieu pour se faire égal et solidaire de tous les hommes, hormis le péché. Et ceci n’est pas le sort des seuls disciples, mais c’est pour tous, comme l’écrit saint Luc : « Il appelle à Lui la foule (c'est-à-dire nous tous) avec ses disciples. Il leur dit : ‘Si quelqu'un veut venir derrière moi, qu’il se renie lui-même, porte sa croix et me suive ! Eh oui ! Qui voudra sauver sa vie la perdra ! Mais qui perdra sa vie à cause de moi et de la Bonne Nouvelle (l’Évangile) la sauvera ! Eh oui ! En quoi est-ce utile pour un homme de gagner le monde entier et de laisser damner sa vie ? Et que donnera un homme en échange de sa vie ? » (Mc 8, 34-37).
En quoi consiste l’Espérance ?
Il me semble que l’objet de l’Espérance chrétienne est suffisamment décrit pour l’instant, il nous faut maintenant nous pencher sur ce en quoi consiste l’Espérance. Est-ce une aspiration, un désir d’exaucement hypothétique laissé à la discrétion et à l’arbitraire d’un Dieu tout puissant ? Pour comprendre l’Espérance Chrétienne, il faut nous remémorer un peu l’Ancien Testament.
In Ancien Testament
En quoi consiste l’Espérance depuis Abraham ? La Sainte Trinité lui apparaissant sous forme de trois anges sous le chêne de Mambré, Elle promet à Abraham et à sa femme Sarah, contre toute logique humaine, une grande descendance à travers un fils que physiquement ils ne peu-vent plus concevoir ? Tout l’Ancien Testament consistera à attendre et préparer (c’est l’Espérance) l’accomplissement de cette Promesse, malgré de nombreuses trahisons et malgré de moments de doutes ou de révoltes. Nous qui vivons bien longtemps après la réalisation de ces Promesses, il nous est relativement facile d’en voir le cheminement. Mais pour Abraham et pour tous ses descendants, leur espérance avant la réalisation était un acte de foi absolu en Dieu. Ils étaient sûrs que leur expérience avait bien été une réalité, ils s’attachaient au témoignage de ceux qui les avaient précédés, et ils étaient certains que la fidélité de Dieu était aussi une réalité. Ainsi devinaient-ils, bénéficiaient-ils par avance – par la foi, dit saint Paul - de ce qui devait advenir plus tard : la réalisation de ces Promesses par la venue du Sauveur, Jésus Fils de Dieu et descendant d’Abraham.
C’est ce que l’Apôtre explique : « Espérant contre toute espérance, Abraham crut, de manière à devenir le père d’un grand nombre de nations, selon ce qui avait été dit : ‘ainsi sera ta descendance’. Et c’est sans faiblir dans sa foi qu’il considéra que son corps était mort – il avait quelque cent ans – mort aussi le sein de Sara. En face de la promesse de Dieu, il n’hésita point par incrédulité, mais il fut fortifié par la foi, rendant gloire à Dieu, et pleinement convaincu que ce qu’Il a promis, Il est capable aussi de le faire… » (Rm 4,18-20).
Or, la vertu d’Espérance dont a fait montre Abraham est une manière de connaître a priori l’objet de l’espérance, comme la vision d’une ombre est déjà, partiellement, la connaissance de l’objet dont l’ombre est projetée : « notre salut est l’objet de notre Espérance ; et voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer ; et ce qu’on voit, comment pourrait-on l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c‘est l’attendre avec constance ». (Rm 8, 24).
Maintenant que nous savons ce que n’est pas l’objet de l’Espérance, attachons-nous à comprendre ce qu’elle est réellement. Il est naturel à l’homme d’exercer son espérance dans deux directions : l’une est matérielle, c’est la recherche du bien-être, du bonheur humain, mais ce bonheur est transitoire. Il ne dure que le temps d’une vie terrestre, et encore même pas tout le temps ! « Si c’est pour cette vie seulement que nous avons mis notre espoir dans le Christ, nous sommes les plus malheureux des hommes », lit-on dans l’épître de saint Paul aux Corinthiens (1 cor 15,19).
L’autre objet d’Espérance est « l’Autre bonheur », celui qui est éternel, celui que seule la vie en Dieu est capable d’offrir parce qu’elle est communion avec Dieu Éternel qui veut se communiquer à l’homme, si celui-ci L’accepte. Cette Espérance-là n’a pas de prix, et l’homme qui en est convaincu peut y consacrer toute sa fortune, c'est-à-dire toute son énergie et toute sa volonté : « Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor caché dans le champ. Un homme le trouve : il le cache et dans sa joie il va, vend tout ce qu’il a, et il achète ce champ-là. Et encore, le Royaume des Cieux est semblable à un commerçant qui achète de belles perles. Il trouve une perle de grand prix : il s’en va, réalise tout ce qu’il avait, et il l’achète. » (Mt 13,44-46).
L’Espérance, vous voyez, se porte sur la certitude (la foi) que Dieu veut nous communiquer Sa vie, Sa Gloire, Son bonheur éternel, en passant par le CHRIST qui a partagé notre condition humaine. Nulle part dans l’évangile nous n’avons d’affirmation que Dieu nous aide-rait à accomplir un bonheur terrestre, nous savons même que c’est à travers la croix, la souffrance, le renoncement total à soi-même que nous participerons et pourrons acquérir le Salut qui nous est proposé, à l’image de la « kénose » du Seigneur, c'est-à-dire à l’image de Son renoncement à l’exercice de Sa gloire qu’Il possède en tant que Dieu pour se faire égal et solidaire de tous les hommes, hormis le péché. Et ceci n’est pas le sort des seuls disciples, mais c’est pour tous, comme l’écrit saint Luc : « Il appelle à Lui la foule (c'est-à-dire nous tous) avec ses disciples. Il leur dit : ‘Si quelqu'un veut venir derrière moi, qu’il se renie lui-même, porte sa croix et me suive ! Eh oui ! Qui voudra sauver sa vie la perdra ! Mais qui perdra sa vie à cause de moi et de la Bonne Nouvelle (l’Évangile) la sauvera ! Eh oui ! En quoi est-ce utile pour un homme de gagner le monde entier et de laisser damner sa vie ? Et que donnera un homme en échange de sa vie ? » (Mc 8, 34-37).
En quoi consiste l’Espérance ?
Il me semble que l’objet de l’Espérance chrétienne est suffisamment décrit pour l’instant, il nous faut maintenant nous pencher sur ce en quoi consiste l’Espérance. Est-ce une aspiration, un désir d’exaucement hypothétique laissé à la discrétion et à l’arbitraire d’un Dieu tout puissant ? Pour comprendre l’Espérance Chrétienne, il faut nous remémorer un peu l’Ancien Testament.
In Ancien Testament
En quoi consiste l’Espérance depuis Abraham ? La Sainte Trinité lui apparaissant sous forme de trois anges sous le chêne de Mambré, Elle promet à Abraham et à sa femme Sarah, contre toute logique humaine, une grande descendance à travers un fils que physiquement ils ne peu-vent plus concevoir ? Tout l’Ancien Testament consistera à attendre et préparer (c’est l’Espérance) l’accomplissement de cette Promesse, malgré de nombreuses trahisons et malgré de moments de doutes ou de révoltes. Nous qui vivons bien longtemps après la réalisation de ces Promesses, il nous est relativement facile d’en voir le cheminement. Mais pour Abraham et pour tous ses descendants, leur espérance avant la réalisation était un acte de foi absolu en Dieu. Ils étaient sûrs que leur expérience avait bien été une réalité, ils s’attachaient au témoignage de ceux qui les avaient précédés, et ils étaient certains que la fidélité de Dieu était aussi une réalité. Ainsi devinaient-ils, bénéficiaient-ils par avance – par la foi, dit saint Paul - de ce qui devait advenir plus tard : la réalisation de ces Promesses par la venue du Sauveur, Jésus Fils de Dieu et descendant d’Abraham.
C’est ce que l’Apôtre explique : « Espérant contre toute espérance, Abraham crut, de manière à devenir le père d’un grand nombre de nations, selon ce qui avait été dit : ‘ainsi sera ta descendance’. Et c’est sans faiblir dans sa foi qu’il considéra que son corps était mort – il avait quelque cent ans – mort aussi le sein de Sara. En face de la promesse de Dieu, il n’hésita point par incrédulité, mais il fut fortifié par la foi, rendant gloire à Dieu, et pleinement convaincu que ce qu’Il a promis, Il est capable aussi de le faire… » (Rm 4,18-20).
Or, la vertu d’Espérance dont a fait montre Abraham est une manière de connaître a priori l’objet de l’espérance, comme la vision d’une ombre est déjà, partiellement, la connaissance de l’objet dont l’ombre est projetée : « notre salut est l’objet de notre Espérance ; et voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer ; et ce qu’on voit, comment pourrait-on l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c‘est l’attendre avec constance ». (Rm 8, 24).
In Nouveau Testament
Et alors, depuis que Jésus est venu sur terre se faire homme parmi les hommes, que devient notre Espérance ? L’épître aux Hébreux nous annonce « une espérance meilleure qui est inaugurée avec le Christ, par laquelle nous approchons de Dieu » (He 7,19). En effet, si dans l’Ancien Testament les prophètes espéraient en un Messie qui devait venir, maintenant, pour nous, Il est déjà venu, et nous l’avons vu et entendu. N’est-ce pas ce que nous chantons à chaque Liturgie après avoir communié : « Nous avons vu la vraie lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste ; nous avons trouvé la vraie foi… » ; donc pour nous, la Nouveauté c’est que ce que nous espérions - le fruit de la Promesse faite à Abraham - nous l’avons déjà reçu en la personne de Jésus. Cependant, l’Espérance reste la même, car, si nous l’avons effectivement déjà bien reçu, Il nous faut encore le chercher, car depuis Son Ascension Il s’est dérobé à notre regard.
De nouveau, comme Abraham et comme David, il nous faut nous attacher à la foi et « Espérer » le retrouver, dans l’au-delà, dans l’autre monde, au-delà de la mort, dans le Royaume des Cieux. « Oui, la légère tribulation d’un instant nous prépare, bien au-delà de toute mesure, une masse éternelle de gloire. Aussi bien ne regardons-nous pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les in-visibles sont éternelles » (2 Cor 4,17-18). Ainsi, un aspect non négligeable de la vie chrétienne est de cultiver l’Espérance de Royaume de Dieu, je le répète, laquelle est la participation à Sa vie elle-même, et d’acquérir le Saint-Esprit, en nous vidant de nous-mêmes, c'est-à-dire en « espérant », c'est-à-dire en « goûtant » autant que faire se peut, et humblement, mais réelle-ment, la joie de la connaissance du Christ, afin de laisser développer en nous la soif de Le retrouver, de Le « sentir », si je puis dire, et de Le laisser emplir nos vies par Sa vie. La vie Chrétienne, c’est passer notre vie à laisser passer la Sienne dans la nôtre, afin que nous vivions ce qu’Il vit, car Il a vécu pour nous ce que nous vivons nous-mêmes. Et ceci ne peut que nous remplir de joie à la mesure du don de nous-mêmes, c'est-à-dire de notre généreuse et joyeuse « Espérance » effective : « Ne crains pas, petit troupeau : il a plu à votre Père de vous donner le Royaume » (Lc 12,32). Jésus nous dit encore : « amen, je vous dis, il n’est personne qui laisse maison, ou frère ou sœur, ou mère ou père ou enfants, ou champs à cause de moi et à cause de la Bonne-Nouvelle (évangile) sans recevoir au centuple, maintenant, en ce temps-ci, maison, et frères et sœurs, et mères et enfants, et champs, avec des persécutions et dans l’éternité qui vient, une vie éternelle » (Mc 10, 29-30).
Comme vous le voyez, l’Espérance suppose que l’on ait foi en La Promesse, celle du Royaume rendu accessible par notre union en Christ, et elle implique la Patience, patience dans l’attente et patience hors de doute lors des épreuves qui semblent aller à l’encontre de la Promesse. Et pourtant Dieu accomplit toutes Ses Promesses ; la connaissance de l’Ancien Testa-ment nous en apporte la preuve, la vie des saints en témoigne aussi, les miracles qui apparais-sent tous les jours dans l’Église en sont encore les signes et la manifestation, même s’ils n’en sont pas le but immédiat. Le Seigneur nous annonce des oppositions, des persécutions, mais cela n’empêchera pas le salut que Dieu nous accorde : « ils vous livreront à l’affliction, ils vous tueront et vous serez haïs par toutes les nations en raison de mon nom. Alors beaucoup chuteront, les uns les autres se livreront, ils se haïront les uns les autres. Beaucoup de faux prophètes se dresseront, ils en égareront beaucoup. L’iniquité se multipliant, l’amour de beaucoup se refroidira. Mais qui durera jusqu’à la fin, lui, sera sauvé… (Mt 24,9-13).
Difficultés de l’espérance
Maintenant que nous avons dit tout cela, faut-il croire pour au-tant que l’Espérance soit facile ?
Certainement pas puisqu’elle consiste à se dépasser pour adhérer à une condition de vie supérieure et prophétique, vivre déjà par avance selon notre condition future, puisqu’il faut espérer ce qu’on ne voit pas et ce dont le monde ne nous montre pas la réalisation et même semblerait au contraire nous apporter la preuve de l’illusion.
Je m’explique : Nous croyons n’est-ce pas, en Jésus comme Dieu et Homme ; nous croyons en Sa présence, certes, mais avouez que souvent nous avons « un peu » l’impression qu’Il est bien silencieux, devant la prolifération de l’injustice, des malheurs, des cataclysmes, des maladies et des morts injustes et de nos échecs, voire de nos péchés ! Qui n’a jamais été confronté au « silence de Dieu » ? On n’est pas les premiers : les disciples eux-mêmes, si j’en crois ceux dit « d’Emmaüs », étaient bien dépités après l’échec apparent de la mort de leur Maître : « Nos grands prêtres et nous chefs L’ont livré pour une condamnation à mort et L’ont mis en croix. Et nous, nous espérions que c’était Lui qui allait délivrer Israël… Mais avec tout cela, voilà le troisième jour depuis que ces choses sont arrivées… » (Lc 24, 20-21). Eh oui, c’est là qu’il faut « espérer contre toute espérance » ! Mais justement, « l’Espérance ne déçoit pas » a-t-on lu dans l’épître aux Romains (5,5), car celui qui se confie à Dieu n’éprouvera pas de confusion, nous le chantons avec foi dans le Psaume 90 : « Celui qui habite sous le secours du Très-Haut reposera à l’abri du Dieu du ciel. Il dira au Seigneur : ‘tu es mon soutien et mon refuge. Il est mon Dieu et je mets en Lui mon espérance »… et plus loin : « Toi, Seigneur tu es mon espérance ; tu as fait du Très-Haut ton refuge, le mal ne pourra t’atteindre ni le fléau approcher de ta tente » (Ps 90,1 ; 9-10).
Non seulement le « silence de Dieu nous pèse », mais en plus le Christ bouleverse toutes nos conceptions. Notre « logique » est rudement confrontée à la Sienne et battue en brèche. Sa conception du salut, Ses méthodes pour y parvenir, Sa manière de sauver le monde, le contenu du salut Lui-même nous étonnent et nous scandalisent : Il nous ordonne d’aimer nos ennemis ; attaqués, de remettre l’épée au fourreau ; Il renverse la hiérarchie sacerdotale légitime ; Il va de Lui-même au-devant de Son arrestation et de Sa mort et entraîne avec Lui Ses disciples ; acclamé par la foule des fils d’Israël Il entre triomphalement à Jérusalem, mais ne prend pas le pouvoir que tous Lui reconnaissent alors, dernière chance de restaurer la royauté d’Israël. Interrogé en tribunal, Il ne répond pas ; condamné Il ne se défend pas.
C’est tout le contraire de nos réflexes ou habitudes les plus légitimes. Et Il ne promet pas un meilleur sort à ceux qui le suivront, la plupart des Apôtres mourront martyrs, et beaucoup de ses disciples à venir aussi, jusqu’à aujourd’hui ! Il faut vraiment L’aimer pour Le suivre ! Il faut vraiment exercer une Espérance à toute épreuve pour Lui faire confiance… ! Nous connaissons « les Béatitudes » : bienheureux les pauvres, ceux qui sont persécutés, ceux qui sont insultés… vraiment c’est le monde à l’envers !!! Cela va à l’encontre de la raison, et cela nous est insupportable !
Ceci n’a-t-il pas aussi été la tentation de Jean le Précurseur, le propre petit-cousin de Jésus, son aîné de six mois, qui, dès le sein de sa mère, avait reconnu l’Agneau de Dieu, lors-que Marie avait embrassé sa cousine Élisabeth Plus tard, Jean L’avait désigné à ses propres disciples comme « l’Agneau de Dieu » dont il n’était pas digne de délier la courroie de la chaussure. Il avait dit de Lui : « celui qui vient derrière moi est plus fort que moi… et il vous baptisera es Esprit-Saint et en feu ! » (Mt 3,11). Et pourtant devant les méthodes étonnantes de Jésus, Jean, du fond de sa prison dont il n’avait guère d’espoir de sortir vivant, Lui envoie des messagers pour Lui demander : « Toi, es-tu celui qui vient, ou faut-il attendre l’autre ? » (Mt 11, 3).
Saint Paul aussi, tourmenté par un mystérieux ange qui lui donne des soufflets, prie Dieu que cet ange s’écarte de Dieu, et alors la seule réponse de son Sauveur auquel il voue toutes les minutes de sa vie : « Ma grâce te suffit, car Ma puissance se fait mieux sentir dans la faiblesse » (2 Cor 12, 7-9). Avec une telle réponse, il a bien fallu que Paul exerce une Espérance sans faille, une « espérance contre toute espérance ».
Ceux qui sont les plus « croyants » ne connaissent-ils pas encore une autre tentation ?
Je crois, certes, peuvent-ils se dire, mais si tout cela n’était qu’un rêve, une belle histoire, un pari très risqué ? Nous, nous rêvons d’une Église prospère, des conversions en masse devant la splendeur de la Liturgie, devant la perfection de la doctrine chrétienne, devant la charité de beaucoup de fidèles, devant le rayonnement de saint Séraphin de Sarov, de saint Jean de Cronstadt, ou de saint Luc de Simféropol. Et que voyons-nous ? L’Église est persécutée… les fidèles massacrés ou chassés… les églises dynamitées ou transformées en supermarchés ou en salles d’expositions… un clergé de moins en moins nombreux… une jeunesse qui déserte les églises… des pays entiers où les Chrétiens sont tués ou obligés de fuir. Alors, nous serions-nous trompés ? Tout cela, c'est-à-dire tout ce à quoi nous croyions et que nous enseigne l’Église, n’était-il pas qu’un beau rêve ??? Que de tentations contre l’Espérance ! mais aussi, que d’occasions de nous dépasser nous-mêmes et de nous attacher, avec l’aide de l’Esprit-Saint, à la Promesse inébranlable du Christ, et de tous les témoignages des deux Testaments, depuis tant de milliers d’années ! N’est-ce pas le moment de nous attacher à cette parole déjà citée : « Alors beaucoup chuteront, les uns les autres se livreront, ils se haïront les uns les autres. Beaucoup de faux prophètes se dresseront, ils en égareront beaucoup. L’iniquité se multipliant, l’amour de beaucoup se refroidira. Mais qui durera jusqu’à la fin, lui, sera sauvé… (Mt 24,9-13). Nous savons que nous approchons de la finalité des temps, il est urgent de « durer jusqu’à la fin », envers et contre toutes nos logiques humaines raisonnables certainement, généreuses peut-être, mais mesquines !
Je ne crois pas que la vertu d’Espérance exclue la tentation du doute. Jean a connu cette tentation, comme nous venons de le voir, mais n’a-t-il pas en cela suivi lui-même « Celui qui était avant Lui », Jésus, qui plus tard, à Gethsémani, aurait aussi connu une tentation identique et qu’Il aurait surmontée – pour nous en communiquer l’énergie - par cet acte de Foi et d’Espérance : « Cependant, que, non ma volonté, mais la tienne arrive » (Lc 22, 42). Sans doute est-ce cette ultime tentation que tous les Chrétiens sont appelés à subir, avec l’Espérance dont nous parlons depuis le début, et que Jésus a redressée dans nos âmes et notre volonté par Sa propre victoire contre elle.
***
Je vais maintenant conclure en attendant vos réactions ou vos questions, mais auparavant je voudrais attirer encore votre attention sur le fait que l’Espérance telle que j’ai essayé de la présenter à votre méditation, correspond exactement à la situation actuelle de l’Église. L’Église c’est le Royaume de Dieu déjà sur la terre (depuis que le Verbe s’y est incarné avec les hommes), mais il est en même temps encore à venir ; nous l’avons reçu, et nous l’attendons. C’est ce que nous exprimons par exemple dans les premiers mots de la Liturgie, « béni le règne du Père et du Fils et du Saint-Esprit ». En grec, mais probablement aussi en slavon, il n’y a pas de verbe dans cette proclamation. On peut ainsi la comprendre à la fois comme « béni soit le règne », donc comme une espérance, ou comme « béni est le règne » c'est-à-dire comme un accomplissement. Et c’est effectivement les deux à la fois. La vocation de l’Église sur la terre n’est pas de choisir un état ou l’autre, mais d’intégrer à la fois l’un et l’autre. Parce que le Christ est venu, le Règne de Dieu est déjà inauguré sur la terre, mais nous sommes encore en marche vers sa réalisation plénière. C’est ceci l’Espérance : une expérience et une aspiration.
Dans quelques semaines nous allons entrer dans le cycle du carême. L’Église nous y in-vite à entrer plus profondément dans le mystère de l’ascèse, et des merveilleux offices liturgiques, auxquels hélas tout le monde n’a pas le loisir de s’associer par devoir professionnel, ou familial, pour des raisons de santé ou des contraintes géographiques. Mais, quelles que soient nos conditions, le carême sera pour nous l’occasion de cultiver et d’expérimenter un peu plus que l’an dernier, et peut-être un peu moins que l’an prochain, la vertu d’Espérance, en demandant à Dieu de nous dépouiller de notre « vieil-homme» pour nous revêtir de l’Homme-Nouveau. Par notre jeûne, nous tendrons, nous cheminerons vers les conditions du monde à venir dans lequel il n’y aura plus de contraintes physiologiques, mais en même temps ne jouirons partiellement d’une béatitude qui nous fera nous détacher « du monde » et ainsi de goûter les prémices de la joie de la vie éternelle. C’est ainsi nous nous lancerons à l’assaut du Ciel et que nous connaîtrons à Pâques la joie toute particulière liée à ce jour de résurrection, tant pour ceux qui auront beaucoup jeûné que pour ceux qui n’auront pas pu le faire. Pour tous l’Espérance sera comblée à la mesure de ce que nous pourrons recevoir aujourd’hui, en attendant… la vie éternelle !
Merci de votre patience ; bon carême et joyeuses Pâques en temps opportun et je vous remercie de votre invitation.
Et alors, depuis que Jésus est venu sur terre se faire homme parmi les hommes, que devient notre Espérance ? L’épître aux Hébreux nous annonce « une espérance meilleure qui est inaugurée avec le Christ, par laquelle nous approchons de Dieu » (He 7,19). En effet, si dans l’Ancien Testament les prophètes espéraient en un Messie qui devait venir, maintenant, pour nous, Il est déjà venu, et nous l’avons vu et entendu. N’est-ce pas ce que nous chantons à chaque Liturgie après avoir communié : « Nous avons vu la vraie lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste ; nous avons trouvé la vraie foi… » ; donc pour nous, la Nouveauté c’est que ce que nous espérions - le fruit de la Promesse faite à Abraham - nous l’avons déjà reçu en la personne de Jésus. Cependant, l’Espérance reste la même, car, si nous l’avons effectivement déjà bien reçu, Il nous faut encore le chercher, car depuis Son Ascension Il s’est dérobé à notre regard.
De nouveau, comme Abraham et comme David, il nous faut nous attacher à la foi et « Espérer » le retrouver, dans l’au-delà, dans l’autre monde, au-delà de la mort, dans le Royaume des Cieux. « Oui, la légère tribulation d’un instant nous prépare, bien au-delà de toute mesure, une masse éternelle de gloire. Aussi bien ne regardons-nous pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les in-visibles sont éternelles » (2 Cor 4,17-18). Ainsi, un aspect non négligeable de la vie chrétienne est de cultiver l’Espérance de Royaume de Dieu, je le répète, laquelle est la participation à Sa vie elle-même, et d’acquérir le Saint-Esprit, en nous vidant de nous-mêmes, c'est-à-dire en « espérant », c'est-à-dire en « goûtant » autant que faire se peut, et humblement, mais réelle-ment, la joie de la connaissance du Christ, afin de laisser développer en nous la soif de Le retrouver, de Le « sentir », si je puis dire, et de Le laisser emplir nos vies par Sa vie. La vie Chrétienne, c’est passer notre vie à laisser passer la Sienne dans la nôtre, afin que nous vivions ce qu’Il vit, car Il a vécu pour nous ce que nous vivons nous-mêmes. Et ceci ne peut que nous remplir de joie à la mesure du don de nous-mêmes, c'est-à-dire de notre généreuse et joyeuse « Espérance » effective : « Ne crains pas, petit troupeau : il a plu à votre Père de vous donner le Royaume » (Lc 12,32). Jésus nous dit encore : « amen, je vous dis, il n’est personne qui laisse maison, ou frère ou sœur, ou mère ou père ou enfants, ou champs à cause de moi et à cause de la Bonne-Nouvelle (évangile) sans recevoir au centuple, maintenant, en ce temps-ci, maison, et frères et sœurs, et mères et enfants, et champs, avec des persécutions et dans l’éternité qui vient, une vie éternelle » (Mc 10, 29-30).
Comme vous le voyez, l’Espérance suppose que l’on ait foi en La Promesse, celle du Royaume rendu accessible par notre union en Christ, et elle implique la Patience, patience dans l’attente et patience hors de doute lors des épreuves qui semblent aller à l’encontre de la Promesse. Et pourtant Dieu accomplit toutes Ses Promesses ; la connaissance de l’Ancien Testa-ment nous en apporte la preuve, la vie des saints en témoigne aussi, les miracles qui apparais-sent tous les jours dans l’Église en sont encore les signes et la manifestation, même s’ils n’en sont pas le but immédiat. Le Seigneur nous annonce des oppositions, des persécutions, mais cela n’empêchera pas le salut que Dieu nous accorde : « ils vous livreront à l’affliction, ils vous tueront et vous serez haïs par toutes les nations en raison de mon nom. Alors beaucoup chuteront, les uns les autres se livreront, ils se haïront les uns les autres. Beaucoup de faux prophètes se dresseront, ils en égareront beaucoup. L’iniquité se multipliant, l’amour de beaucoup se refroidira. Mais qui durera jusqu’à la fin, lui, sera sauvé… (Mt 24,9-13).
Difficultés de l’espérance
Maintenant que nous avons dit tout cela, faut-il croire pour au-tant que l’Espérance soit facile ?
Certainement pas puisqu’elle consiste à se dépasser pour adhérer à une condition de vie supérieure et prophétique, vivre déjà par avance selon notre condition future, puisqu’il faut espérer ce qu’on ne voit pas et ce dont le monde ne nous montre pas la réalisation et même semblerait au contraire nous apporter la preuve de l’illusion.
Je m’explique : Nous croyons n’est-ce pas, en Jésus comme Dieu et Homme ; nous croyons en Sa présence, certes, mais avouez que souvent nous avons « un peu » l’impression qu’Il est bien silencieux, devant la prolifération de l’injustice, des malheurs, des cataclysmes, des maladies et des morts injustes et de nos échecs, voire de nos péchés ! Qui n’a jamais été confronté au « silence de Dieu » ? On n’est pas les premiers : les disciples eux-mêmes, si j’en crois ceux dit « d’Emmaüs », étaient bien dépités après l’échec apparent de la mort de leur Maître : « Nos grands prêtres et nous chefs L’ont livré pour une condamnation à mort et L’ont mis en croix. Et nous, nous espérions que c’était Lui qui allait délivrer Israël… Mais avec tout cela, voilà le troisième jour depuis que ces choses sont arrivées… » (Lc 24, 20-21). Eh oui, c’est là qu’il faut « espérer contre toute espérance » ! Mais justement, « l’Espérance ne déçoit pas » a-t-on lu dans l’épître aux Romains (5,5), car celui qui se confie à Dieu n’éprouvera pas de confusion, nous le chantons avec foi dans le Psaume 90 : « Celui qui habite sous le secours du Très-Haut reposera à l’abri du Dieu du ciel. Il dira au Seigneur : ‘tu es mon soutien et mon refuge. Il est mon Dieu et je mets en Lui mon espérance »… et plus loin : « Toi, Seigneur tu es mon espérance ; tu as fait du Très-Haut ton refuge, le mal ne pourra t’atteindre ni le fléau approcher de ta tente » (Ps 90,1 ; 9-10).
Non seulement le « silence de Dieu nous pèse », mais en plus le Christ bouleverse toutes nos conceptions. Notre « logique » est rudement confrontée à la Sienne et battue en brèche. Sa conception du salut, Ses méthodes pour y parvenir, Sa manière de sauver le monde, le contenu du salut Lui-même nous étonnent et nous scandalisent : Il nous ordonne d’aimer nos ennemis ; attaqués, de remettre l’épée au fourreau ; Il renverse la hiérarchie sacerdotale légitime ; Il va de Lui-même au-devant de Son arrestation et de Sa mort et entraîne avec Lui Ses disciples ; acclamé par la foule des fils d’Israël Il entre triomphalement à Jérusalem, mais ne prend pas le pouvoir que tous Lui reconnaissent alors, dernière chance de restaurer la royauté d’Israël. Interrogé en tribunal, Il ne répond pas ; condamné Il ne se défend pas.
C’est tout le contraire de nos réflexes ou habitudes les plus légitimes. Et Il ne promet pas un meilleur sort à ceux qui le suivront, la plupart des Apôtres mourront martyrs, et beaucoup de ses disciples à venir aussi, jusqu’à aujourd’hui ! Il faut vraiment L’aimer pour Le suivre ! Il faut vraiment exercer une Espérance à toute épreuve pour Lui faire confiance… ! Nous connaissons « les Béatitudes » : bienheureux les pauvres, ceux qui sont persécutés, ceux qui sont insultés… vraiment c’est le monde à l’envers !!! Cela va à l’encontre de la raison, et cela nous est insupportable !
Ceci n’a-t-il pas aussi été la tentation de Jean le Précurseur, le propre petit-cousin de Jésus, son aîné de six mois, qui, dès le sein de sa mère, avait reconnu l’Agneau de Dieu, lors-que Marie avait embrassé sa cousine Élisabeth Plus tard, Jean L’avait désigné à ses propres disciples comme « l’Agneau de Dieu » dont il n’était pas digne de délier la courroie de la chaussure. Il avait dit de Lui : « celui qui vient derrière moi est plus fort que moi… et il vous baptisera es Esprit-Saint et en feu ! » (Mt 3,11). Et pourtant devant les méthodes étonnantes de Jésus, Jean, du fond de sa prison dont il n’avait guère d’espoir de sortir vivant, Lui envoie des messagers pour Lui demander : « Toi, es-tu celui qui vient, ou faut-il attendre l’autre ? » (Mt 11, 3).
Saint Paul aussi, tourmenté par un mystérieux ange qui lui donne des soufflets, prie Dieu que cet ange s’écarte de Dieu, et alors la seule réponse de son Sauveur auquel il voue toutes les minutes de sa vie : « Ma grâce te suffit, car Ma puissance se fait mieux sentir dans la faiblesse » (2 Cor 12, 7-9). Avec une telle réponse, il a bien fallu que Paul exerce une Espérance sans faille, une « espérance contre toute espérance ».
Ceux qui sont les plus « croyants » ne connaissent-ils pas encore une autre tentation ?
Je crois, certes, peuvent-ils se dire, mais si tout cela n’était qu’un rêve, une belle histoire, un pari très risqué ? Nous, nous rêvons d’une Église prospère, des conversions en masse devant la splendeur de la Liturgie, devant la perfection de la doctrine chrétienne, devant la charité de beaucoup de fidèles, devant le rayonnement de saint Séraphin de Sarov, de saint Jean de Cronstadt, ou de saint Luc de Simféropol. Et que voyons-nous ? L’Église est persécutée… les fidèles massacrés ou chassés… les églises dynamitées ou transformées en supermarchés ou en salles d’expositions… un clergé de moins en moins nombreux… une jeunesse qui déserte les églises… des pays entiers où les Chrétiens sont tués ou obligés de fuir. Alors, nous serions-nous trompés ? Tout cela, c'est-à-dire tout ce à quoi nous croyions et que nous enseigne l’Église, n’était-il pas qu’un beau rêve ??? Que de tentations contre l’Espérance ! mais aussi, que d’occasions de nous dépasser nous-mêmes et de nous attacher, avec l’aide de l’Esprit-Saint, à la Promesse inébranlable du Christ, et de tous les témoignages des deux Testaments, depuis tant de milliers d’années ! N’est-ce pas le moment de nous attacher à cette parole déjà citée : « Alors beaucoup chuteront, les uns les autres se livreront, ils se haïront les uns les autres. Beaucoup de faux prophètes se dresseront, ils en égareront beaucoup. L’iniquité se multipliant, l’amour de beaucoup se refroidira. Mais qui durera jusqu’à la fin, lui, sera sauvé… (Mt 24,9-13). Nous savons que nous approchons de la finalité des temps, il est urgent de « durer jusqu’à la fin », envers et contre toutes nos logiques humaines raisonnables certainement, généreuses peut-être, mais mesquines !
Je ne crois pas que la vertu d’Espérance exclue la tentation du doute. Jean a connu cette tentation, comme nous venons de le voir, mais n’a-t-il pas en cela suivi lui-même « Celui qui était avant Lui », Jésus, qui plus tard, à Gethsémani, aurait aussi connu une tentation identique et qu’Il aurait surmontée – pour nous en communiquer l’énergie - par cet acte de Foi et d’Espérance : « Cependant, que, non ma volonté, mais la tienne arrive » (Lc 22, 42). Sans doute est-ce cette ultime tentation que tous les Chrétiens sont appelés à subir, avec l’Espérance dont nous parlons depuis le début, et que Jésus a redressée dans nos âmes et notre volonté par Sa propre victoire contre elle.
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Je vais maintenant conclure en attendant vos réactions ou vos questions, mais auparavant je voudrais attirer encore votre attention sur le fait que l’Espérance telle que j’ai essayé de la présenter à votre méditation, correspond exactement à la situation actuelle de l’Église. L’Église c’est le Royaume de Dieu déjà sur la terre (depuis que le Verbe s’y est incarné avec les hommes), mais il est en même temps encore à venir ; nous l’avons reçu, et nous l’attendons. C’est ce que nous exprimons par exemple dans les premiers mots de la Liturgie, « béni le règne du Père et du Fils et du Saint-Esprit ». En grec, mais probablement aussi en slavon, il n’y a pas de verbe dans cette proclamation. On peut ainsi la comprendre à la fois comme « béni soit le règne », donc comme une espérance, ou comme « béni est le règne » c'est-à-dire comme un accomplissement. Et c’est effectivement les deux à la fois. La vocation de l’Église sur la terre n’est pas de choisir un état ou l’autre, mais d’intégrer à la fois l’un et l’autre. Parce que le Christ est venu, le Règne de Dieu est déjà inauguré sur la terre, mais nous sommes encore en marche vers sa réalisation plénière. C’est ceci l’Espérance : une expérience et une aspiration.
Dans quelques semaines nous allons entrer dans le cycle du carême. L’Église nous y in-vite à entrer plus profondément dans le mystère de l’ascèse, et des merveilleux offices liturgiques, auxquels hélas tout le monde n’a pas le loisir de s’associer par devoir professionnel, ou familial, pour des raisons de santé ou des contraintes géographiques. Mais, quelles que soient nos conditions, le carême sera pour nous l’occasion de cultiver et d’expérimenter un peu plus que l’an dernier, et peut-être un peu moins que l’an prochain, la vertu d’Espérance, en demandant à Dieu de nous dépouiller de notre « vieil-homme» pour nous revêtir de l’Homme-Nouveau. Par notre jeûne, nous tendrons, nous cheminerons vers les conditions du monde à venir dans lequel il n’y aura plus de contraintes physiologiques, mais en même temps ne jouirons partiellement d’une béatitude qui nous fera nous détacher « du monde » et ainsi de goûter les prémices de la joie de la vie éternelle. C’est ainsi nous nous lancerons à l’assaut du Ciel et que nous connaîtrons à Pâques la joie toute particulière liée à ce jour de résurrection, tant pour ceux qui auront beaucoup jeûné que pour ceux qui n’auront pas pu le faire. Pour tous l’Espérance sera comblée à la mesure de ce que nous pourrons recevoir aujourd’hui, en attendant… la vie éternelle !
Merci de votre patience ; bon carême et joyeuses Pâques en temps opportun et je vous remercie de votre invitation.
Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 10 Février 2016 à 12:39
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