L’INSTITUT SAINT-SERGE, JOYAU TERNI DE L’ORTHODOXIE FRANÇAISE
La CROIX, Pierre Sautreuil , le 20/02/2019

En perte continue d’influence dans le monde orthodoxe, après avoir été un centre théologique de premier plan au XXe siècle, l’Institut Saint-Serge traverse une crise qui a provoqué le départ récent de son président.

Tout comme l’océan se reflète dans une goutte d’eau, le marasme que connaît l’Institut Saint-Serge semble épouser les contours de la crise qui ébranle l’orthodoxie mondiale. Alliant l’infiniment grand des questions ecclésiologiques à l’infiniment petit des chicanes immobilières, le déclin du plus prestigieux institut théologique orthodoxe d’Europe s’inscrit dans le temps long. La démission de son président, Jean-François Colosimo fin janvier, n’en est que la manifestation la plus récente.

Fondé en 1925 par des intellectuels et des théologiens russes ayant fui la révolution d’Octobre, l’Institut Saint-Serge est rapidement devenu un des centres les plus dynamiques de la théologie orthodoxe, que renouvelle dans l’exil une brillante génération de penseurs. Dès ses débuts, l’Institut assume une mission double.

Ancré dans l’Archevêché des églises russes en Europe occidentale (AERO, lié au Patriarcat de Constantinople), il en forme les clercs, tout en tâchant d’être un laboratoire libre de l’unité pan-orthodoxe, « un pont entre l’Orient et l’Occident », comme l’avait qualifié Jean-François Colosimo.


Assainir les comptes

C’est une situation bien différente que trouve ce théologien et directeur des éditions du Cerf lorsqu’il en est élu président en juin 2015. Ruiné par un détournement de fonds, en crise ouverte avec l’AERO, dont l’archevêque Job Getcha souhaite assurer sa tutelle directe sur Saint-Serge, ayant du mal à attirer de nouveaux élèves, l’Institut est contraint de fermer ses portes jusqu’à la rentrée 2016, le temps de retrouver son souffle.

Chef d’entreprise et homme de réseaux, Jean-François Colosimo entreprend dans un premier temps de rationaliser l’administration de l’Institut et d’en assainir les comptes. Il avoue avoir joué « un grand rôle » dans le départ de Mgr Job de l’archevêché.

Las, l’élection au printemps 2016 de Mgr Jean Renneteau (qui n’a pas souhaité répondre aux questions de La Croix) n’éclaircit pas les relations entre l’AERO et l’Institut, empoisonnées par un conflit immobilier. Locataire d’une partie des immeubles du 93 rue de Crimée, propriété de l’AERO, l’Institut se voit exiger de financer des travaux à hauteur de plusieurs millions d’euros, en vertu d’un bail « léonin et contestable en justice » selon Jean-François Colosimo. Face au risque d’effondrement de ses locaux historiques, décision est prise en mai 2017 de déménager l’Institut, et de créer un comité charger d’assurer la sauvegarde du site.

« Tuer la querelle »

Malgré cela, le différend immobilier va s’envenimer, comme l’attestent des échanges de courriers que s’est procuré La Croix. Le 22 octobre 2018, l’AERO exige que l’Institut lui verse 462 000 €, sous peine de mise en demeure. Craignant la faillite, le conseil d’administration de l’Institut décide à l’unanimité de « tuer la querelle » en décidant de dissoudre puis refonder son association. Mais les grands bouleversements que connaît l’orthodoxie mondiale à l’automne 2018 vont rebattre les cartes.

Le 27 novembre, le Patriarcat de Constantinople décide, à la stupeur générale, d’ôter à l’AERO son statut d’exarchat, ce qui implique de facto sa dissolution, et le rattachement de ses paroisses françaises à la métropole grecque de France. Dès le lendemain, Jean-François Colosimo prend acte de l’annonce et réaffirme l’indépendance de l’Institut vis-à-vis de l’AERO. Dans l’Institut et au sein de l’archevêché, son communiqué provoque la colère de certains, qui reprochent à Jean-François Colosimo de ne pas être solidaire de l’archevêché, et parlent de « trahison ».

Au-delà de la menace immédiate sur l’AERO, c’est aussi un débat sur la vocation de l’Institut qui se pose : bien qu’indépendant juridiquement, doit-il lier son destin à celui de l’archevêché ? « La démission de Jean-François Colosimo marque la victoire du camp de l’enracinement dans le corps ecclésial de l’archevêché », déplore un enseignant, « c’est une opportunité ratée de nous tourner vers l’avenir ».

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Élu président par intérim en remplacement de Jean-François Colosimo, le professeur de théologie Michel Stavrou se veut toutefois plus nuancé. Alors que l’AERO réunit samedi 23 février une assemblée extraordinaire pour décider de son éventuelle dissolution, il affirme que le devenir de l’institut est « évidemment lié » à celui de l’archevêché du fait de son histoire, mais que sa disparition ne l’empêcherait pas de continuer sa mission : « Ce n’est pas l’archevêché ou la mort. »
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Un archevêché centenaire

Issu de l’émigration russe blanche en Europe occidentale à l’époque de la révolution bolchevique de 1917, l’Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale (AERO) est rattaché au Patriarcat œcuménique de Constantinople depuis 1931.
Clercs et fidèles émigrés avaient à l’époque refusé de demeurer sous l’autorité d’un Patriarcat de Moscou perçu comme soumis au pouvoir soviétique. Marquées par l’exil, ces paroisses ont conservé une tradition spirituelle russe, et célèbrent tout ou partie de la liturgie en slavon.

Pierre Sautreuil
L’INSTITUT SAINT-SERGE, JOYAU TERNI DE L’ORTHODOXIE FRANÇAISE

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 21 Février 2019 à 12:52 | 5 commentaires | Permalien



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