Joseph Maïla, le «M. Religion» du Quai d'Orsay
Jean-Marie Guénois. Le Figaro.

La religion est partout. Même au ministère des Affaires étrangères.

L'ancien recteur de la Catho de Paris vient de faire sa première rentrée au ministère des Affaires étrangères pour conseiller les ambassadeurs.

Cet été, le Quai d'Orsay s'est doté d'un «pôle religions». Voulue par Bernard Kouchner, cette instance inédite a trouvé place au sein de «la direction de la prospective», chargée de discerner les enjeux d'avenir de la diplomatie française. Comme l'économie ou la politique, le facteur religieux entre désormais de plain-pied dans l'analyse des évolutions du monde. «Le fait religieux, commente le ministère, joue un rôle important dans les rapports entre les nations.»
Alors à qui confier une telle charge dans le cadre de la République laïque ? Paradoxalement, c'est un catho­lique qui a été choisi ! Non pour sa religion, évidemment, mais pour sa compétence, internationalement reconnue. Joseph Maïla, universitaire de 60 ans, spécialiste de l'islam, a passé sa vie à étudier les ressorts les plus subtils des conflits, et parmi eux la fougue ou la sagesse religieuse, facteurs souvent ignorés par les spécialistes des rapports de forces. Natif du Liban, Joseph Maïla, à côté d'une brillante carrière de professeur, en France où il vit depuis quarante ans, en Allemagne, au Canada, en Belgique, en Espagne et aux États-Unis, a souvent été appelé comme expert, en Afrique et au Moyen-Orient, pour débloquer des situations. Cette expérience, il l'a transformée en fondant le Centre de recherche sur la paix et l'Institut de formation à la médiation au sein de l'Institut catholique de Paris, dont il a été aussi le recteur. Au Quai d'Orsay, il n'est pas inconnu puisqu'il a siégé à la commission Juppé, qui a produit le livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France. Mais son véritable examen d'entrée, il l'a passé à la fin du mois d'août dernier, lors de la conférence des ambassadeurs, où un atelier sur les religions était pro­posé. Maïla, «jeune» titulaire du nouveau poste, fut ­stupéfait de voir affluer un nombre considérable d'ambassadeurs. Le public l'a harcelé de questions. Dès lors, le «pôle religions» s'imposait comme une nécessité. Depuis, les demandes ne cessent d'affluer sur son bureau. Pour y répondre, un secrétariat et deux chargés de mission, soit quatre personnes sur le total de 16 000 fonctionnaires du ministère. À qui il faut ajouter le conseiller pour les affaires religieuses et son équipe, fonction qui existe depuis 1920, en charge des relations institutionnelles avec les religions présentes en France, désormais complémentaire du «pôle religions».

Pour assumer les multiples sollicitations, Joseph Maïla a ­aussitôt créé un réseau de spécialistes pour explorer les méandres de la complexité religieuse mondiale. Sciences Po Paris, le Centre d'études et de recherches internationales et l'Institut européen en sciences des religions de l'École pratique des hautes études y sont associés.

Autre évolution de fond qui justifie l'intérêt d'un tel pôle : la tension entre deux visions de la religion dans la société. Le modèle anglo-saxon, communautariste, et la vision, laïque et d'intégration citoyenne, qui considère, comme en France, que les valeurs universelles prévalent sur le droit des différentes communautés. «Ces deux modèles sont en train de bouger, note Joseph Maïla. La Belgique, la Hollande et la Grande-Bretagne montrent que le modèle communautariste donne des signes de fatigue.»

«Le principe régulateur de cette fonction, c'est la laïcité»

Il y a donc du travail sur la planète religions, sans parler des incendies qui ne sont pas seulement saisonniers. Ce qui donne trois missions au pôle religions. L'observation tout d'abord. Repérer les tendances religieuses qui auront, à terme, une influence sur les relations internationales. «Quand une identité nationale ne veut plus rien dire, l'identité religieuse peut devenir poli­tique», dit Maïla qui regarde de près l'évolution de l'orthodoxie russe et l'expansion mondiale du protestantisme évangélique, dont l'un des terreaux les plus inattendus est l'Europe. Deuxième mission : l'appui à la diplomatie active des ambassades, avec des analyses du pôle religions qui doivent sortir des schémas géopoli­tiques classiques. Ainsi de la crise iranienne. Elle lui a permis d'apporter un éclairage approfondi sur les soubassements théologiques du pouvoir iranien. À propos de la burqa, le pôle a travaillé à des argumentaires destinés aux diplomates, expliquant la position de la France. Troisième responsabilité : l'assistance à la gestion de situations de crise. «Sur la trentaine de conflits en cours, souligne Joseph Maïla, neuf sur dix sont intra-éta­tiques.»
Il réfléchit «à une formation pour préparer les diplomates à la négociation pluricommunautaire».

Habitué à parler, le professeur s'exprime facilement. Mais l'apprenti diplomate parle désormais à titre officiel. Et certains terrains sont délicats. L'islam, par exemple. Ce spécialiste reconnu - il a été associé par le Vatican au premier forum islamo-catholique de l'histoire en novembre 2008 - qui parle couramment arabe arrive avec sa réputation d'expert du monde musulman méditerranéen mais aussi africain, continent qu'il connaît très bien. Sans rejeter cette compétence, il cherche à lever une ambiguïté : «En aucun cas ce poste n'a été créé pour s'occuper de l'islam ou pour le surveiller ! Nous nous intéressons à toutes les religions.» Autre ambiguïté possible, sa foi chrétienne. Il refuse de s'engager sur ce terrain «personnel». Non pour se cacher, mais en raison de sa conception de la laïcité. «Le principe régulateur de cette fonction et son cadre, c'est la laïcité, insiste-t-il. J'y prête une attention scrupuleuse parce que nous travaillons sur le religieux.» Certes, ce poste a été créé dans la mouvance de la «laïcité positive» portée par Nicolas Sarkozy, mais il participe plus d'une «modernisation» de la culture diploma­tique française, aux yeux de Joseph Maïla, que d'un changement des règles de la laïcité.

Et l'homme dans tout ça ? Il faut beaucoup de diplomatie pour qu'il accepte de se livrer, considérant que sa vie personnelle n'est pas d'intérêt public. Sauf que cette vie-là, elle aussi, est pleine de passion et de saveurs. Ce père de famille finit par confesser son amour pour l'opéra, la lecture et la littérature - il s'est beaucoup impliqué dans la francophonie - et une vraie gourmandise : chocolat, fromages et huile d'olive ! La picholine, la fraga ou la bosana, il les reconnaît au palais. En fin connaisseur, il détecte la zone de production ! De bon augure pour un diplomate qui revendique le goût «d'aller à contre-courant» mais avec ce qu'il faut d'huile pour les rouages.

"LE FIGARO"

Rédigé par l'équipe rédaction le 11 Octobre 2009 à 14:08 | 0 commentaire | Permalien



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