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Ancien officier de marine, Jean Vanier avait fondé l’Arche en 1964. Il invitait sans relâche à regarder autrement, avec tout le respect qu’elles méritent, les personnes avec un handicap et toutes celles qui sont faibles et vulnérables. Il s’est éteint dans la nuit du lundi 6 au mardi 7 mai. La messe d’obsèques sera célébrée le 16 mai, à 14 heures, à Trosly-Breuil (Oise), là où a été fondé le premier foyer de L’Arche.
Il fallait le voir prendre sur ses genoux un enfant agité d’angoisse, le bercer tendrement, jusqu’à ce que s’esquisse, chez l’un comme l’autre, un sourire. Il fallait voir son visage s’éclairer dans la rencontre, des « grands » comme des « petits », et son regard très bleu allait chercher chacun jusqu’au plus profond de lui-même. Il fallait le voir pencher en avant son double mètre et parler d’une voix lente et douce comme s’il méditait tout haut et, soudain, se redresser pour évoquer l’histoire de Pauline, « en colère avec son corps » après quarante ans d’humiliation et qui, peu à peu, – « mais c’est un long chemin » – découvre « qu’elle a une place et qu’elle est importante » – et « c’est un beau chemin »…
Il fallait le voir prendre sur ses genoux un enfant agité d’angoisse, le bercer tendrement, jusqu’à ce que s’esquisse, chez l’un comme l’autre, un sourire. Il fallait voir son visage s’éclairer dans la rencontre, des « grands » comme des « petits », et son regard très bleu allait chercher chacun jusqu’au plus profond de lui-même. Il fallait le voir pencher en avant son double mètre et parler d’une voix lente et douce comme s’il méditait tout haut et, soudain, se redresser pour évoquer l’histoire de Pauline, « en colère avec son corps » après quarante ans d’humiliation et qui, peu à peu, – « mais c’est un long chemin » – découvre « qu’elle a une place et qu’elle est importante » – et « c’est un beau chemin »…
Tout Jean Vanier était là.
Son amour de l’autre avec ses pauvretés et ses brisures, ses masques et ses mécanismes de défense, mais aussi sa dignité, sa beauté et sa soif de paix, d’amour, de vérité, qu’ils soient chrétiens ou non. Sa confiance dans la vie. Son respect de chacun. Rien n’était plus précieux pour lui que de témoigner que les plus pauvres et les plus rejetés des hommes sont particulièrement aimés de Dieu, afin peut-être de convertir les regards et, sans faire forcément de grandes choses, d’inventer des voies pour vivre et agir ensemble.
Une « humanité blessée »
Lorsqu’il évoquait sa vie, Jean Vanier distinguait trois grandes étapes. La première se joue sur mer. Né en 1928 à Genève, où la carrière diplomatique de son père – ancien gouverneur général du Canada – avait mené la famille, il avait annoncé à treize ans, en pleine guerre, son intention de quitter le Canada pour rejoindre la marine britannique. « Si tu veux, vas-y, je te fais confiance », lui avait alors répondu son père. « Ce fut l’un des événements les plus importants qui me soient arrivés, reconnaissait volontiers Jean Vanier. Car si lui avait confiance en moi, moi aussi je pouvais avoir confiance en moi-même. »
Il avait alors navigué durant quatre années sur des bateaux de guerre anglais, aidé au retour des déportés de Buchenwald, de Dachau, de Bergen-Belsen, d’Auschwitz dans les visages desquels il avait reconnu pour la première fois une « humanité blessée ». Puis rejoint en 1948 la marine canadienne comme officier sur un porte-avions. La marine, qu’il décrivait comme « un monde où la faiblesse était à bannir, où il fallait être efficace et passer de grade en grade », contribua à structurer sa capacité d’action et son énergie, tant psychique que physique.
« Conversion profonde »
À 22 ans, Jean Vanier la quitte pourtant « en réponse à une invitation d’amour de Jésus à tout quitter pour le suivre ». C’est ainsi que s’ouvre la deuxième étape de sa vie. Désireux de devenir prêtre, il rejoint la communauté de l’Eau vive – qui rassemble des étudiants de différents pays – et découvre le monde de la théologie et de la philosophie. Il prépare une thèse de doctorat sur Aristote, soutenue en 1962 à l’Institut catholique de Paris, passe une année à l’abbaye cistercienne de Bellefontaine, puis enseigne la philosophie à Toronto – « Encore un monde d’efficacité où la faiblesse, l’ignorance, l’incompétence étaient à proscrire », disait-il – consacrant ses heures libres à visiter des détenus.
Sa carrière d’enseignant plébiscité par ses étudiants n’aura cependant qu’un temps, car bientôt la rencontre de personnes ayant un handicap mental bouleverse profondément sa vie. Dans sa famille, les parcours étaient, il est vrai, souvent atypiques : l’un de ses frères devint moine trappiste, un autre artiste peintre, sa sœur médecin a mis en place des soins palliatifs à Londres. Lui passera désormais sa vie aux côtés des personnes atteintes d’un handicap mental, et fondera la communauté de l’Arche. « Par ma culture et mon éducation, confiait-il lorsqu’il évoquait cette nouvelle étape, j’étais un homme de compétition, pas un homme de communion. Il m’a fallu opérer une conversion profonde. »
Un échange cœur à cœur avec le Christ
Ainsi résumé, cet itinéraire de vie ne permet cependant pas de comprendre comment le message de Jean Vanier, ancré dans son expérience personnelle, est devenu parole universelle, capable de rejoindre chacun là où il est. Il n’éclaire pas non plus l’un des traits pourtant essentiel de sa personnalité : son humilité, sa capacité à reconnaître sa fragilité, ses erreurs, ses propres blessures intérieures, sa faiblesse, comme lieu privilégié de l’amour et de la communion....
Suite La Croix
Son amour de l’autre avec ses pauvretés et ses brisures, ses masques et ses mécanismes de défense, mais aussi sa dignité, sa beauté et sa soif de paix, d’amour, de vérité, qu’ils soient chrétiens ou non. Sa confiance dans la vie. Son respect de chacun. Rien n’était plus précieux pour lui que de témoigner que les plus pauvres et les plus rejetés des hommes sont particulièrement aimés de Dieu, afin peut-être de convertir les regards et, sans faire forcément de grandes choses, d’inventer des voies pour vivre et agir ensemble.
Une « humanité blessée »
Lorsqu’il évoquait sa vie, Jean Vanier distinguait trois grandes étapes. La première se joue sur mer. Né en 1928 à Genève, où la carrière diplomatique de son père – ancien gouverneur général du Canada – avait mené la famille, il avait annoncé à treize ans, en pleine guerre, son intention de quitter le Canada pour rejoindre la marine britannique. « Si tu veux, vas-y, je te fais confiance », lui avait alors répondu son père. « Ce fut l’un des événements les plus importants qui me soient arrivés, reconnaissait volontiers Jean Vanier. Car si lui avait confiance en moi, moi aussi je pouvais avoir confiance en moi-même. »
Il avait alors navigué durant quatre années sur des bateaux de guerre anglais, aidé au retour des déportés de Buchenwald, de Dachau, de Bergen-Belsen, d’Auschwitz dans les visages desquels il avait reconnu pour la première fois une « humanité blessée ». Puis rejoint en 1948 la marine canadienne comme officier sur un porte-avions. La marine, qu’il décrivait comme « un monde où la faiblesse était à bannir, où il fallait être efficace et passer de grade en grade », contribua à structurer sa capacité d’action et son énergie, tant psychique que physique.
« Conversion profonde »
À 22 ans, Jean Vanier la quitte pourtant « en réponse à une invitation d’amour de Jésus à tout quitter pour le suivre ». C’est ainsi que s’ouvre la deuxième étape de sa vie. Désireux de devenir prêtre, il rejoint la communauté de l’Eau vive – qui rassemble des étudiants de différents pays – et découvre le monde de la théologie et de la philosophie. Il prépare une thèse de doctorat sur Aristote, soutenue en 1962 à l’Institut catholique de Paris, passe une année à l’abbaye cistercienne de Bellefontaine, puis enseigne la philosophie à Toronto – « Encore un monde d’efficacité où la faiblesse, l’ignorance, l’incompétence étaient à proscrire », disait-il – consacrant ses heures libres à visiter des détenus.
Sa carrière d’enseignant plébiscité par ses étudiants n’aura cependant qu’un temps, car bientôt la rencontre de personnes ayant un handicap mental bouleverse profondément sa vie. Dans sa famille, les parcours étaient, il est vrai, souvent atypiques : l’un de ses frères devint moine trappiste, un autre artiste peintre, sa sœur médecin a mis en place des soins palliatifs à Londres. Lui passera désormais sa vie aux côtés des personnes atteintes d’un handicap mental, et fondera la communauté de l’Arche. « Par ma culture et mon éducation, confiait-il lorsqu’il évoquait cette nouvelle étape, j’étais un homme de compétition, pas un homme de communion. Il m’a fallu opérer une conversion profonde. »
Un échange cœur à cœur avec le Christ
Ainsi résumé, cet itinéraire de vie ne permet cependant pas de comprendre comment le message de Jean Vanier, ancré dans son expérience personnelle, est devenu parole universelle, capable de rejoindre chacun là où il est. Il n’éclaire pas non plus l’un des traits pourtant essentiel de sa personnalité : son humilité, sa capacité à reconnaître sa fragilité, ses erreurs, ses propres blessures intérieures, sa faiblesse, comme lieu privilégié de l’amour et de la communion....
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Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 8 Mai 2019 à 19:19
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