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Le départ
Elle les a fait appeler en quelques coups de fil. Toutes affaires cessantes, ils sont venus des quatre coins de la France pour se rassembler dans cette chambre d’hôpital envahie par le crépuscule. Elle les regarde tous les six qui font cercle autour du lit, les garçons barbus et larges d’épaules, les filles aux traits épanouis de mères. Même la petite dernière, qui hier encore courait partout avec ses nattes blondes, la voici devenue une femme.
Elle a tissé la chair de chacun au plus secret de son ventre, ce ventre qui à présent la fait tant souffrir. Elle les a maternés, choyés, nourris. Elle les a aidé à pousser droit autant que possible. À travers les milliers de couches nettoyées, les innombrables heures penchées au dessus d’un cahier d’école, les kilomètres de cheveux brossés, les parenthèses heureuses des vacances, elle a surtout tâché de les enfanter à la dimension véritable de l’existence. De cette transmission-là, elle n’a été que le relais, semeur ignorant la destinée de sa graine.
Elle les a fait appeler en quelques coups de fil. Toutes affaires cessantes, ils sont venus des quatre coins de la France pour se rassembler dans cette chambre d’hôpital envahie par le crépuscule. Elle les regarde tous les six qui font cercle autour du lit, les garçons barbus et larges d’épaules, les filles aux traits épanouis de mères. Même la petite dernière, qui hier encore courait partout avec ses nattes blondes, la voici devenue une femme.
Elle a tissé la chair de chacun au plus secret de son ventre, ce ventre qui à présent la fait tant souffrir. Elle les a maternés, choyés, nourris. Elle les a aidé à pousser droit autant que possible. À travers les milliers de couches nettoyées, les innombrables heures penchées au dessus d’un cahier d’école, les kilomètres de cheveux brossés, les parenthèses heureuses des vacances, elle a surtout tâché de les enfanter à la dimension véritable de l’existence. De cette transmission-là, elle n’a été que le relais, semeur ignorant la destinée de sa graine.
À présent, l’heure est venue de se donner entièrement à cet autre horizon. Il n’y a plus d’autre choix puisque la voici acculée au terme de sa vie terrestre. Elle les embrasse chacun du regard, revoit dans son cœur leurs visages de nourrissons et d’enfants. Oui, l’heure est venue, non pas de dire au revoir, mais de vivre pleinement, ensemble, le cœur même de la foi chrétienne : la mort est derrière, le passage vers la Résurrection est déjà accompli. Alors elle rassemble ses dernières forces et murmure d’un filet de voix : « Restez toujours dans la joie du Christ, moi, un océan d’Amour m’attend ». Sa paume se lève, comme un geste de bénédiction, puis retombe sur le drap.
Ils se serrent autour de ce corps qui les a amenés à la vie et qui est proche de son dernier souffle. Déjà elle a fermé les yeux, s’abandonnant à la torpeur des antalgiques. Ils sont encore sous le coup de la stupeur, face à la soudaineté de la maladie qui en moins de trois mois a foudroyé leur mère. Rien ne les préparait à ce départ soudain. Ils se sentent accablés de révolte et de tristesse. Pourtant, les paroles de leur mère, les appelant à la joie en des circonstances aussi accablantes, les invite à adopter une vision différente. Cette réalité céleste de l’existence, il leur est donné de la vivre avec intensité en cet instant douloureux.
« Et moi je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin des temps » promet le Christ ressuscité à ses disciples avant de remonter vers son Père. Rester dans la joie du Christ, c’est ne pas s’arrêter au drame de la séparation physique. C’est adhérer au mystère de la Pâque, du passage de la mort à la vie. C’est croire que ce corps qui va s’effritant sur le lit n’est pas la fin de tout. Il y aura bientôt à affronter toutes ces journées à venir, criantes de l’absence quotidienne, de la place restée inoccupée, du téléphone silencieux. Mais ce vide sera un appel vers une autre plénitude. L’occasion de s’ouvrir à la présence du Consolateur qu’est le Saint-Esprit, ce don promis par le Christ au moment de son départ. L’occasion de découvrir une autre forme de communication avec leur mère, qui n’est plus du ressort de l’émotionnel et des mille occupations terrestres, mais qui élargira peut-être en eux cette dimension spirituelle dont elle a tenté de planter les premières germes.
Ils se serrent autour de ce corps qui les a amenés à la vie et qui est proche de son dernier souffle. Déjà elle a fermé les yeux, s’abandonnant à la torpeur des antalgiques. Ils sont encore sous le coup de la stupeur, face à la soudaineté de la maladie qui en moins de trois mois a foudroyé leur mère. Rien ne les préparait à ce départ soudain. Ils se sentent accablés de révolte et de tristesse. Pourtant, les paroles de leur mère, les appelant à la joie en des circonstances aussi accablantes, les invite à adopter une vision différente. Cette réalité céleste de l’existence, il leur est donné de la vivre avec intensité en cet instant douloureux.
« Et moi je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin des temps » promet le Christ ressuscité à ses disciples avant de remonter vers son Père. Rester dans la joie du Christ, c’est ne pas s’arrêter au drame de la séparation physique. C’est adhérer au mystère de la Pâque, du passage de la mort à la vie. C’est croire que ce corps qui va s’effritant sur le lit n’est pas la fin de tout. Il y aura bientôt à affronter toutes ces journées à venir, criantes de l’absence quotidienne, de la place restée inoccupée, du téléphone silencieux. Mais ce vide sera un appel vers une autre plénitude. L’occasion de s’ouvrir à la présence du Consolateur qu’est le Saint-Esprit, ce don promis par le Christ au moment de son départ. L’occasion de découvrir une autre forme de communication avec leur mère, qui n’est plus du ressort de l’émotionnel et des mille occupations terrestres, mais qui élargira peut-être en eux cette dimension spirituelle dont elle a tenté de planter les premières germes.
Elle est étrange, cette procession de jeunes gens quittant la chambre de leur mère défunte. Malgré les larmes qui roulent, ils vont chantant tel les disciples que le Christ vient d’abandonner sur la colline de Béthanie. La page d’une existence terrestre vient de se tourner, avec ses péripéties, ses drames et ses bonheurs. Elle se révèle alors comme le chapitre d’une histoire qui la dépasse, l’histoire sans fin de l’amour de Dieu pour l’homme. L’histoire du Dieu fait Homme venu appeler sa créature à la vie véritable. Et la procession d’orphelins chante la joie de se savoir enfants de Dieu.
Un des petits-enfants (9 ans), avant de quitter le cercueil dit à sa grand-mère : « au revoir Bouba (ils l’appellent comme cela), bienvenue ici (en montrant son cœur) ! ».
Puis, s’adressant à sa mère : « Et Douda (ils m’appellent comme cela) qui va célébrer les pannykhides quand il sera mort ? …. OK, je vais devenir prêtre pour le faire ! Puis, après un moment de réflexion, « les prêtres, ils ont le droit de se marier ? La maman : « non, il faut se marier avant de devenir prêtre » …. « Bon, je vais attendre un peu ! ».
Merci à tous de nous avoir accompagnés pour ce douloureux, mais rempli de la joie du Christ ressuscité, événement de notre vie.
Olga Lossky-Laham
Un des petits-enfants (9 ans), avant de quitter le cercueil dit à sa grand-mère : « au revoir Bouba (ils l’appellent comme cela), bienvenue ici (en montrant son cœur) ! ».
Puis, s’adressant à sa mère : « Et Douda (ils m’appellent comme cela) qui va célébrer les pannykhides quand il sera mort ? …. OK, je vais devenir prêtre pour le faire ! Puis, après un moment de réflexion, « les prêtres, ils ont le droit de se marier ? La maman : « non, il faut se marier avant de devenir prêtre » …. « Bon, je vais attendre un peu ! ».
Merci à tous de nous avoir accompagnés pour ce douloureux, mais rempli de la joie du Christ ressuscité, événement de notre vie.
Olga Lossky-Laham
Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 4 Mars 2018 à 12:05
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