Homélie prononcée par le père Alexandre, recteur du séminaire orthodoxe d'Epinay s/Senart: " La gratitude est-elle naturelle chez les humains?"
Le dimanche 23 décembre 2012
La gratitude est-elle naturelle chez les humains?

Lc 17, 12-19: En ce temps-là, lorsque Jésus entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s'arrêtèrent à distance et élevèrent la voix pour lui dire : « Jésus, maître, aie pitié de nous. » Les voyant, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » Or, pendant qu'ils y allaient, ils furent purifiés. L'un d'entre eux, voyant qu'il était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix. Il se jeta le visage contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce ; or c'était un Samaritain. Alors Jésus dit : « Est-ce que tous les dix n'ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ? Il ne s'est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à Dieu : il n'y a que cet étranger ! » Et il lui dit : « Relève-toi, va. Ta foi t'a sauvé. »

* * *
On pourrait penser, chers amis, que la gratitude est une propriété naturelle de l’homme ; que spontanément, nous remercions ceux qui nous font du bien. Pourtant, en entendant le récit évangélique de ce jour, on doit constater que la reconnaissance n’a rien de systématique chez l’homme. Ainsi, Dostoïevski disait que l’homme se distingue des animaux par le fait qu’il est bipède et qu’il est ingrat.

Nous sommes des êtres si compliqués qu’il nous arrive de jalouser, de honnir celui qui nous fait du bien. C’est rare, heureusement. Je continue à croire que, naturellement, l’homme garde un penchant pour la gratitude ; qu’il a pour elle des dispositions certaines, mais qu’il se trompe quelquefois sur l’identité de son bienfaiteur. Ou bien, il lui faut du temps pour avoir une vraie gratitude. N’est-ce pas le cas des enfants qui, pendant l’âge ingrat de l’adolescence, manifestent peu d’affection et de reconnaissance pour leurs parents, et en viennent quelquefois à les abhorrer ? Cela ne dure pas ; la gratitude finit par s’installer dans le cœur des enfants qui ont eu la chance d’avoir un père et une mère vraiment bons et généreux.

Il nous arrive aussi de transférer notre gratitude du véritable bienfaiteur à quelque chose de secondaire, à donner au bien que nous recevons une autre cause que la bonté et la générosité de son auteur. C’est probablement le cas des neuf miraculés dont l’Évangile parle aujourd’hui. Le Christ leur a suggéré d’aller voir un prêtre, selon la prescription de la Loi de Moïse. Ont-ils pensé que ce geste rituel primait sur la reconnaissance naturelle envers celui qui venait de les guérir ? Ou bien, la joie d’être de nouveau sains les a rendus à ce point oublieux ?

Dans tous les cas, je crois que l’ingratitude est le principal signe de l’immaturité d’une personne. Inversement, la reconnaissance sincère est la qualité des êtres matures. Elle n’est pas spontanée chez les humains ; elle est le fruit d’un travail assidu sur soi. Un homme dit merci d’autant plus volontiers qu’il est grand dans son humilité et avancé dans la connaissance de la vanité de ce monde. La reconnaissance n’est pas seulement l’expression d’une bonne éducation et la manifestation d’une culture authentique, mais surtout la preuve de la sagesse spirituelle et de la grandeur d’âme.

L’action de grâce à Dieu est le sommet de la prière de l’Église. L’Eucharistie est au centre de la vie du chrétien. Cette action de grâce n’a rien à voir avec les remerciements du pharisien de l’Évangile : les chrétiens remercient Dieu non pas pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils ont reçu de la Trinité de manière totalement gratuite. Notre action de grâce, c’est l’expression d’une immense gratitude de ceux que la bonté divine a tirés du péché et sauvés de la mort pour associer à la gloire du Fils de Dieu. Nous remercions Dieu non pas pour nos mérites et nos réussites, mais pour notre faiblesse qu’il n’a pas méprisée, mais qu’il a su transformer en instrument de son amour tout-puissant.

Saint Siméon le Nouveau Théologien présente une telle action de grâce envers Dieu comme l’aboutissement de l’expérience mystique de la grâce. Il nous en a transmis plusieurs par écrit et j’aimerais vous en citer un passage pour qu’en entrant dans cette Eucharistie – action de grâce commune de notre Église réunie en ce lieu – votre sentiment de gratitude envers la divine Trinité soit à la hauteur de son amour pour nous :

« Je te rends grâce, Maître, Seigneur du ciel et de la terre, toi qui avant la fondation du monde m’as prédestiné à passer du néant à l’être. Je te rends grâce de ce que, avant qu’advînt le jour et l’heure où tu avais ordonné que je fusse produit, toi-même, toi le seul immortel, le seul tout-puissant, le seul bon et ami des hommes, descendant de tes saintes hauteurs sans sortir du sein paternel mais incarné et enfanté de Marie, Vierge Sainte, tu m’as d’avance restauré et vivifié, tu m’as affranchi de la chute ancestrale en me frayant d’avance le retour aux cieux. Ensuite, après m’avoir produit et fait peu à peu grandir, tu m’as toi-même renouvelé en me restaurant pat ton saint Baptême, tu m’as orné du Saint-Esprit. {…} Et quand je suis tombé, quand j’étais roulé sans connaissance et meurtri, tu ne t’es pas détourné, tu ne m’as pas laissé gisant à me souiller dans la boue, mais, par les entrailles de ta miséricorde, tu m’as envoyé chercher, tu m’as fait remonter de ce bas-fonds, tu m’as honoré de façon plus brillante ». Et, à la fin de cette longue action de grâce, saint Siméon ajoute une humble prière finale que je vous propose de faire nôtre aujourd’hui : « Tu connais ma faiblesse, tu sais ma misère et mon impuissance. Ainsi, sois compatissant, davantage encore à partir de maintenant, à mon égard, toi le Seigneur riche en compassion. Je me prosterne de tout cœur devant toi, pour que tu ne m’abandonnes pas à ma volonté, toi qui as tant fait pour moi, mais dans ton amour consolide mon âme et fais-y enraciner solidement ton amour, afin que, selon ton infaillible promesse, tu sois en moi et que je sois en toi ».

Lien Séminaire orthodoxe russe

Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 26 Décembre 2012 à 08:49 | 0 commentaire | Permalien



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