Higoumène Georges Leroy: La Chapelle Sainte Marie-Madeleine est invisible pour le plus grand nombre
Chroniques d'Abitibi 10

Dans ce texte de conclusion sur son parcours le père Georges nous propose une réflexion générale sur les but et enjeux d'un cheminement orthodoxe alors même que la chapelle qu'il a construite n'a pas réalisé sont projet d'amalgamer une communauté orthodoxe autour d'elle. V.G.


Nous sommes le siège d'un enjeu spirituel

Alors, finalement, à quoi sert cette chapelle? Un prêtre orthodoxe de ma connaissance, vivant au Québec, me dit un jour une parole pleine de sagesse : «jadis, à un moment de ma vie, je suis tombé amoureux de l'Orthodoxie. Maintenant, désormais, je suis Orthodoxe pour moi-même». Il ne s'agit pas d'égoïsme : chacun est le grand bienvenu, pour participer à notre prière liturgique. Si un jour, on parvient à construire une grande cathédrale avec des bulbes dorés, tant mieux. Mais en attendant, la priorité est notre propre progression dans la connaissance de Dieu, bien plus que l'édification de structures et d'institutions. Prenons une image un peu triviale : jadis, dans les tavernes, il y avait des "machines à sous" où une bille de métal rebondissait sur toutes sortes de curseurs, pour finalement tomber dans une encoche, qui figurait le but à atteindre.

Higoumène Georges Leroy: La Chapelle Sainte Marie-Madeleine est invisible pour le plus grand nombre
J'ai bien l'impression d'être ce genre de bille, et d'avoir été poussé, tiré, par une Providence toujours bienveillante mais parfois rude, jusqu'à tomber en le seul endroit où ils m’est possible de vivre et de progresser spirituellement, même si cet endroit est le plus imprévu du monde… Maintenant, je puis chanter l'Office divin tous les jours en français, sans vexer personne ; j’ai dans ma bibliothèque de quoi approfondir la recherche théologique, sans doute jusqu’à l’âge de 90 ans (!) ; je vis au milieu d’un magnifique environnement naturel : que demander de plus ?

Quant au motif réel de l'existence de la Chapelle Sainte Marie-Madeleine, cela est connu de Dieu seul. Ce sera révélé probablement bien après mon passage sur cette terre. Il est certainement nécessaire qu'il existe en cette région un lieu de prière, afin que la goutte de la spiritualité, tombant chaque jour, finisse par percer un trou dans les trois mètres de béton de l'incroyance et du matérialisme. Dresser une Croix dans le ciel est toujours un défi lancé aux Puissances des ténèbres. Lorsque nous avons commencé à construire la Chapelle, un événement assez étonnant s’est produit. Les poutres principales de la charpente étaient déjà posées. Soudain, le ciel devint noir, un vent violent se leva, et le lac blanchit d'écume. Notre ami le charpentier eut à peine le temps de planter des longs clous dans une pile de panneaux de bois, afin d'éviter qu'ils ne s'envolent. Le vent se déchaîna tellement, que nous vîmes se tordre horizontalement les poutres maîtresses de la charpente. Tout aussi brusquement, la tempête se calma. Depuis lors, je n'ai plus jamais vu le lac sous un tel aspect.

On peut croire ce que l'on veut, mais pour ma part, je suis persuadé que l'érection d'un lieu de prière avait bousculé certaines Puissances; le procès en vue de la destruction de la Chapelle fut intenté par de bien braves gens, qui ne se doutaient absolument pas que les paroles qu’ils disaient leur étaient inspirées par une Puissance qui les dépassait totalement. Malgré cette tentative des Puissances des ténèbres, la prière est là, quotidiennement, comme une veilleuse : fragile et facile à éteindre, mais éclairant quand même. Chacun d'entre nous, nous sommes le siège d'un enjeu spirituel qui est infiniment plus étendu que notre petite personne. Il n'est pas nécessaire de lire tous les livres de spiritualité. Leur contenu peut être résumé en une formulation bien simple : au début de notre conversion, nous recevons des grâces spéciales et particulières, afin de pouvoir persévérer. C'est ce que l'on pourrait appeler des « grâces d’aveuglement » : tout est beau, nous ne voyons pas certains aspects négatifs qui nous sauteront au visage plus tard. Ensuite, vient le temps de la sécheresse et des ténèbres. Ce temps peut durer des années. Mais c'est une très grande grande grâce : Dieu veut que nous L’aimions en pure Foi, pour Lui-même, et non pas pour les plaisirs ou les réconforts spirituels qu’Il nous accorde. Il veut que nous progressions devant Lui purement dans la Foi.

Higoumène Georges Leroy: La Chapelle Sainte Marie-Madeleine est invisible pour le plus grand nombre
Amen, Maranatha : viens, Seigneur Jésus.

Je ne saurais trop insister sur ce point. La grande Tradition spirituelle se méfie du sentiment. Car le sentiment est instable : on ne peut pas se fonder sur lui. Il n’est pas mauvais en soi, mais il est évanescent. Cette préoccupation de prendre ses distances envers toute sentimentalité construit en nous une qualité essentielle, qui est la sobriété. On peut ainsi ressentir une joie qui n'est pas de la gaieté, et qui ne se voit pas de l'extérieur. - Et pendant toute cette période, on s'étonne : où se trouve Dieu ? Je ne Le ressens plus comme avant. Tous les Pères spirituels nous mettent en garde : surtout, ne reviens pas en arrière pour retrouver les plaisirs tant regrettés, comme les Israélites soupiraient après les nourritures de l'Égypte, dans l'aridité du désert. Il ne s'agit pas seulement d'aridités dans notre vie intérieure : cette extinction des grâces initiales s'exprime aussi par des épreuves, par des persécutions, par les oppositions que nous rencontrons dans toutes les activités de notre vie, et surtout dans l'Église. À ce moment, surgit une tentation extrêmement dangereuse, celle de se laisser aller à penser que « c'est la faute des autres ». Dans toutes nos déconvenues, notre responsabilité est engagée au moins pour moitié. L'échec pastoral de la Chapelle Sainte Marie-Madeleine est dû, en grande partie, à ma mauvaise appréciation de la situation culturelle du Québec. Au moins, la Providence bienveillante aura veillé à ce que je ne me gonfle pas l’Ego, en me disant : « j'ai réalisé cela ! » Ce serait une suffisance prétentieuse, qui suffirait à me barrer le chemin qui mène vers Dieu.

Finalement, dans ce laborieux parcours, s'accomplit une sorte de miracle : à force de prière quotidienne, s'opère une imprégnation de la grâce de l’Esprit-Saint. C'est un processus lent : comme le disait une moniale, avec humour : « ce sont les 25 premières années qui sont les plus difficiles ; après, cela va tout seul… » Et pour cela, il est essentiel de prier tous les jours : une religion du dimanche parvient beaucoup plus difficilement à ce type de résultat. C'est une question d'imprégnation… Très progressivement, notre œil spirituel commence à percevoir des choses. Il ne s'agit pas de forme, d'idées ou de paroles, mais d'une perception de la Présence divine qui devient de plus en plus évidente. On commence à trouver « étrange » le fait que les autres ne voient ou ne ressentent rien. De toute évidence, la Chapelle Sainte Marie-Madeleine est invisible pour le plus grand nombre - non pas en tant que bâtiment, mais en tant que réalité spirituelle très réellement existante. Et l'ultime récompense, c'est que nous soyons devenus tellement habitués à la vie avec Dieu, que lorsque le moment sera venu, nous n'aurons plus qu'à tendre la main pour qu'elle soit saisie par notre Ange gardien, et que celui-ci nous mène doucement dans le Royaume, nous faisant découvrir la Lumière fantastiquement irradiante du Christ ressuscité. Disons, comme les Disciples des premiers temps : Amen, Maranatha : viens, Seigneur Jésus.

En guise de postface

Le père Georges m'a écrit récemment:
"Je serai heureux de voir paraître la dernière partie du texte de ce qu'il faut bien appeler assez prétentieusement ma « biographie », dans le bloc de PO. Lorsque nous aurons achevé cette tâche, cela aura été toute une prouesse : présenter toute une vie en quelques pages, et réussir à faire accepter quelques propos qui sont parfois assez risqués, concernant la structure ecclésiastique. J'ai essayé de faire passer une sorte de « message » qui dit en substance qu'il faut se garder de reprocher - soit aux autres - soit à l'institution ecclésiastique ou à tout autre structure sociale - les mésaventures, déconvenues et déceptions, qui sont le corollaire indispensable à l'acquisition du détachement et du "lâcher-prise", qui lui-même est nécessaire et inévitable dans le processus d'édification de la vie spirituelle. La vie de chacun se trouve au point de rencontre de forces divergentes, les unes provenant du Seigneur et les autres provenant du monde, et il est très utile d'apprendre à connaître l'enjeu réel qui se cache derrière les événements de notre vie. - Si je parviens à faire comprendre cela à l'une ou l'autre personne, ce serait déjà très bien..."

Note du rédacteur: les photos illustrant cette chronique ont été faites par le père Georges. Les titres ont été ajoutés par le rédacteur V. Golovanow

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 19 Juillet 2013 à 11:19 | 8 commentaires | Permalien



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