Encore sur l'histoire
Notre blog a publié de nombreuses contributions consacrées à la situation canonique de l'orthodoxie en Europe Occidentale.
Nous reprenons un texte de M.Séraphin Rehbinder qui vient d'être posté sur le forum "Orthodoxierusseoccident"

Chers Amis

George von ROSENSCHILD a bien voulu mettre en ligne, il y a quelques jours, la réaction de « DS » à une opinion que j’avais exprimée sur ce forum. George présente DS comme un anonyme, mais il est difficile de ne pas y reconnaître Daniel Struve, bien connu de nous tous pour son érudition et sa fougue à défendre ses idées, fougue parfois mal maîtrisée et qui peut froisser certains. Mais on ne peut nier que Danilka défend ses positions avec un certain talant ce qui ne veut pas dire néanmoins, que nous soyons d’accord avec ses idées.
Quoiqu’il en soit, cela me donne l’occasion de revenir sur certaines opinions répandues parmi des personnes proches du conseil de l’Archevêché.
En préambule je voudrais m’arrêter à nouveau sur l’histoire. Chacun a sa propre vision de l’histoire. Ne voyons nous pas, quasiment tous les jours, paraître des livres d’historiens appelant à revoir notre image de tel homme ou telle époque ? N’entendons nous pas constamment, et surtout en matière politique, des accusations de « falsification de l’histoire » et ce chaque fois qu’une question touche des évènements passés qui peuvent avoir une influence sur les évènements présents ? Car les querelles sur l’histoire renvoient en réalité aux désaccords d’aujourd’hui.

C’est ce qui se passe actuellement dans l’Archevêché. Je respecte parfaitement la vision de nos opposants qui mettent l’accent sur le souci du témoignage local qu’avaient nos pères, mais je conteste que cela entraînait, pour eux, une quelconque distanciation de l’Eglise russe, encore moins une quelconque hostilité, et je reviendrais sur ce point
Je conteste aussi que les problèmes actuels dans l’Archevêché soient causés par une agression de l’Eglise russe, parfois présentée comme quasiment étatique ou mafieuse.. Nos déchirements tirent directement leur origine des désaccords internes à l’Archevêché et qui concernent sans doute essentiellement l’attitude qu’il convient d’adopter face à l’Eglise russe qui vient de se libérer du joug soviétique antireligieux et qui est en train de renaître sur le sang de ses martyrs.
Déclarer que le problème vient d’une agression de l’Eglise russe c’est légitimer l’hostilité que lui manifeste, « en retour » les représentants de notre Archevêché, hostilité qui a culminé dans le refus de recevoir le Patriarche Alexis II à la cathédrale Saint Alexandre Nevsky. C’est faire entrer dans la catégorie des « traîtres » tous ceux qui ne partagent pas cette vindicte et infliger de ce fait à certains prêtres des traitements discriminatoires et humainement intolérables. C’est justifier, enfin, la mise à l’écart des affaires de l’Archevêché de toute personne qui manifeste de la sympathie envers « l’agresseur » c’est à dire une bonne partie des fidèles de l’Archevêché.
On comprend dès lors combien cette présentation fallacieuse des choses est nocive. C’est elle qui perturbe jusqu’au tréfonds la vie de l’Archevêché et contribue à y mettre hors la loi toute une partie de ses membres, qui sont, pourtant, au moins autant que les autres, héritiers de son passé.
Considérons maintenant à un autre point. Souvent, ceux qui le refusent, présentent un rétablissement des liens avec l’Eglise russe comme « un rattachement administratif ». Je ne suis pas sûr que cette expression ait un sens en Eglise. Mais cela évoque une soumission à des fonctionnaires, ecclésiaux ou étatiques, bref quelque chose de fort peu attrayant et que personne n’envisage, ni dans l’Archevêché, ni dans l’Eglise russe.
Le rétablissement des liens avec l’Eglise russe c’est tout à fait autre chose. C’est la possibilité, pour notre diocèse, de retrouver enfin une position normale dans l’Eglise. Soyons clairs. Un diocèse coupé de son Eglise d’origine, non intégré organiquement dans une autre Eglise territoriale, ne vit pas une existence ecclésiale normale. Comme chaque chrétien, chaque évêque avec son diocèse doit constamment veiller à se maintenir dans la catholicité et la conciliarité de l’Eglise. La pratique ecclésiale, consolidée dans les canons, c’est à dire les règles, a depuis longtemps organisé ces modalités de vie en Eglise, sur le principe de fonctionnement des Eglises territoriales. [voir notamment le canon 34 des Apôtres] (1)

L’archevêché refuse de s’enraciner dans son Eglise d’origine. Il ne veut pas non plus s’intégrer dans l’Eglise de Constantinople. Il reste donc en dehors de véritables liens ecclésiaux avec les autres membres de ce qui serait son Eglise territoriale. Il ne peut pas non plus intégrer une éventuelle Eglise locale en France ou en Europe occidentale. Une telle Eglise n’existe pas (2), et c’est là tout le problème de l’organisation ecclésiale de la diaspora orthodoxe. L’évêque d’un diocèse isolé risque de perdre son autorité, car ses décisions pourront paraître arbitraires. L’évêque intégré dans une Eglise territoriale bénéficie, lui, de façon tout à fait normale, de l’autorité incontestable que donne l’appartenance organique à cette Eglise.
Mais l’Archevêché voudrait être l’embryon de l’Eglise locale. Soit, acceptons l’image, mais voyons ce qui en découle. Tout d’abord un embryon ne peut vivre que dans le ventre de sa mère car c’est elle qui lui donne la possibilité de grandir et de se fortifier pour un jour pouvoir vivre de façon autonome. De ce point de vue l’image de l’embryon est bonne. Pour être vraiment l’embryon de l’Eglise locale l’Archevêché devrait être intégré dans son Eglise mère.
Mais il y a un autre problème. En vertu des circonstances historiques, se sont trouvés en Europe de l’Ouest des orthodoxes de toute origine et chaque Eglise, dont ils étaient issus, dans un effort pastoral et missionnaire, a créé des structures ecclésiales dans nos pays.
Il est fort douteux que l’Eglise locale puisse naître d’une seule de ces pousses. C’est au contraire l’ensemble de ces germes qui devraient un jour réaliser qu’ils existent sur le même territoire et s’efforcer, avec l’aide de l’Esprit Saint et la bénédictions de toutes les Eglises d’origine, former une seule et même Eglise locale, suivant un processus qui reste encore à trouver.
Le paradoxe de la situation est que par ses positions actuelles l’Archevêché va à l’encontre de ses objectifs affichés. Accepter la création d’une Métropole autonome, telle que proposée par le Patriarche Alexis II, aurait certainement été un mouvement dans la bonne direction, qui aurait déjà eu pour mérite de supprimer des divisions artificielles, qui font obstacle à la bonne entente entre les Eglises.

SR

(1) «Il est bon que les évêques de chaque peuple reconnaissent parmi eux le premier et le considèrent comme un chef, n'agissant pas en ce qui surpasse leur pouvoir sans lui demander son opinion ; que chacun n'agisse que dans le domaine de son diocèse et les lieux qui lui sont attachés. Mais que le premier, non plus, ne fasse rien sans l'opinion de tous. Ainsi sera la concorde et glorifié sera DIEU par le SEIGNEUR dans le SAINT-ESPRIT, PÈRE, FILS et SAINT ESPRIT.»

(2) La dernière conférence de Chambésy vient de le confirmer en refusant d’autoriser l’élection du président de l’assemblée des évêques de France, mais en décidant qu’il doit être désigné suivant l’ordre des diptyques. Celui-ci règle en effet les relations entre les Eglises, et non pas à l’intérieur d’une même Eglise.

Rédigé par l'équipe rédaction le 20 Novembre 2009 à 08:58 | 3 commentaires | Permalien



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