« Editions des Syrtes » : père Tikhon Chevkounov  «Père Rafaïl et autres saints de tous les jours » ( 3 partie)
«Père Rafaïl et autres saints de tous les jours » 1 et 2 parties Extraits traduit du russe par Maria-Luisa Bonaque

Le Seigneur n’aime pas les timorés

C’est le père Rafaïl qui me fit un jour découvrir cette loi spirituelle. Et il la tenait lui-même du père Alipi. Dans l’un de ses sermons il avait dit : « À la guerre, j’ai vu de mes propres yeux comment certains craignaient de mourir de faim. Ils portaient sur le dos des sacs avec des biscuits pour prolonger leur vie et ne pas se battre. Et ces gens-là tombaient avec leurs biscuits et voyaient leurs jours écourtés.
Mais ceux qui enlevaient leur vareuse et luttaient contre l’ennemi restaient en vie. » Quand on vint lui confisquer les clés des grottes, le père Alipi ordonna à son frère servant :

– Père Kornili, apporte-moi une hache, nous allons trancher des têtes !
Les fonctionnaires prirent la fuite : qui sait ce qui pouvait passer par la tête de ces fanatiques obscurantistes ?! Le supérieur savait bien qu’il ne donnait pas de tels ordres en l’air. Un jour, alors que l’on venait pour la nième fois exiger la fermeture du monastère, il déclara sans détours :

– La moitié de mes frères a combattu sur le front. Nous sommes armés, nous nous battrons jusqu’à la dernière cartouche. Regardez ce monastère :comment peut-il être question de dislocation ?Les tanks ne passeront pas. Vous ne pourrez nous prendre que par les airs, avec l’aviation. Mais dès que le premier avion apparaîtra au-dessus du monastère, la nouvelle sera immédiatement retransmise dans le monde entier par la "Voix de l’Amérique". Alors réfléchissez !

« Editions des Syrtes » : père Tikhon Chevkounov  «Père Rafaïl et autres saints de tous les jours » ( 3 partie)
Je ne sais quels arsenaux possédait le monastère. Je pense plutôt qu’il s’agissait d’une ruse de guerre du supérieur et que sa menace cachait,
une fois de plus, une plaisanterie. Mais comme on dit, toute plaisanterie comporte une part de vérité. En ces années-là, la confrérie offrait un visage singulier : plus de la moitié des moines s’étaient vus décerner des décorations et étaient des anciens combattants de la Grande Guerre patriotique.

Une fraction, importante elle aussi, avait connu les camps staliniens. D’autres enfin avaient traversé les deux, la guerre et le Goulag.

– C’est celui qui passe à l’offensive qui gagne, disait le père Alipi. Et il suivait lui-même à la lettre cette stratégie.
C’est précisément dans ces années-là que, luttant pour le monastère, le supérieur en fit reconstruire les puissants murs de fortification, tombés en ruine, restaura les églises à l’abandon, mit au jour, grâce à un travail professionnel irréprochable, les anciennes fresques, remit en état les bâtiments où logeaient le supérieur et la communauté. Étant lui-même peintre, il évita que ne fussent vendues en dehors du pays les oeuvres de maîtres russes et étrangers. Dans son énorme collection, figuraient des Levitan et des Polenov. Avant de mourir, le père Alipi céda gracieusement ces chefs-d’oeuvre au Musée russe de Saint-Pétersbourg. Enfin, il fit aménager partout des jardins, des parterres de fleurs et des vignes si merveilleux que le monastère devint un des endroits les plus beaux de Russie. Une personne venue pour la première fois à Petchory, en pèlerinage ou comme touriste, découvrait un monastère fabuleux, admirable, avec quelque chose de tout à fait irréel au milieu de la morne réalité soviétique.

Mais le principal exploit du père Alipi fut d’organiser le mouvement spirituel que représentaient les startsy.

Ce phénomène a notamment ceci d’étonnant qu’il n’est pas rattaché à un lieu précis, à un monastère concret. Il migre à travers le monde, s’épanouit, par exemple, de façon inattendue au-delà de la Volga, dans les skit de la Thébaïde du Nord, ou bien dans le désert de Beloberejski, au milieu des bois, ou encore à Sarov ou à Optino. Au milieu du xxe siècle, c’est au couvent de Pskovo-Petcherski qu’il a trouvé asile. Et le père Alipi sut en discerner la mystérieuse trajectoire. Il protégea les startsy comme un trésor précieux et en accrut le nombre. Il obtint l’autorisation pour que les grands startsy de Valaam soient transférés de Finlande à Petchory. Il accueillit après ses séjours en prison et son exil le hiéromoine tombé en disgrâce Ioann (Krestiankine).

Ce fut l’évêque Pitirim qui l’amena en secret au monastère. Il donna refuge au père Adrian qui avait été obligé d’abandonner la laure de la Trinité-Saint-Serge. Durant le supériorat du père Alipi, grandit toute une génération de startsy-guides spirituels dont certains sont évoqués dans
ce livre. À l’époque, créer et préserver une telle chose relevait d’un véritable exploit....

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Dans ces années de furieuse propagande antireligieuse, la majorité de nos concitoyens se représentait les monastères d’une façon insensée.

C’est pourquoi le père Alipi ne s’étonnait pas des questions les plus absurdes. Avec un humour bon enfant et une imagination imbattable, il faisait entrevoir aux gens leur simplisme et la confiance irraisonnée qu’ils avaient accordée à des élucubrations incohérentes, à des mensonges orduriers. Un jour, un groupe de visiteurs, soviétiques convaincus, arrêta le père Alipi au seuil d’une église. Dans un accès de juste colère, ils exigèrent la vérité sur l’exploitation des simples moines par la hiérarchie ecclésiastique, sur les persécutions, les horreurs de la vie monastique dont la presse avait rendu compte.

En guise de réponse, le père demanda sur un ton mystérieux :
– Vous entendez ?
– Nous entendons quoi ? firent les touristes étonnés.
– Entendez-vous quelque chose ?
– Nous entendons les moines chanter.
– Eh bien voilà : s’ils vivaient mal, ils ne chanteraient pas.
Un communiste, un hôte venu de Finlande, posa au père Alipi, en présence de ses amis soviétiques, la question typique que posaient alors les
athées :
– Nous expliquerez-vous comment se fait-il que les cosmonautes soient allés dans l’espace et n’y aient pas vu Dieu ?

Le père archimandrite lui fit remarquer, compatissant :
– Un tel malheur peut vous arriver à vous aussi : vous étiez à Helsinki et vous n’avez pas vu le président.

Ceux qui sont venus à Petchory dans ces années-là se souviennent des apparitions du père Alipi au balcon du bâtiment où il logeait.
Elles pouvaient être des plus variées. Parfois, surtout au printemps, les choucas et les corbeaux l’importunaient tellement de leurs glapissements qu’il sortait sur le balcon avec un pistolet et leur tirait dessus jusqu’à ce qu’ils s’envolent, pris de panique. Ce n’était pas un vrai pistolet, mais une imitation très réussie qui servait d’épouvantail. Et la scène entière – matinée ensoleillée sur le monastère, supérieur sur son balcon visant les oiseaux d’une main assurée avec un imposant pistolet – tout cela marquait les spectateurs de façon indélébile.

Bien sûr, ce ne sont pas seulement les apparitions du supérieur sur son cher balcon qui marquaient les mémoires. Les visiteurs du monastère
éprouvaient des sensations encore plus fortes quand ils étaient témoins des conversations que le père, du haut de la balustrade, nouait avec les gens rassemblés là.

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Le balcon donnait sur la grande place du monastère.

Par beau temps, le père pouvait admirer son monastère, communiquer avec le peuple tout en contrôlant si tout allait bien. En contrebas, se tenait une foule de pèlerins, de touristes et d’habitants de Petchory. Les discussions sur la foi ou un simple contact avec le père Alipi pouvaient
durer des heures. De plus, à chaque fois, il n’hésitait pas à venir en aide à ceux qui s’adressaient à lui pour des raisons matérielles. Et bien que ce que l’on appelle les « oeuvres de charité » fissent alors l’objet d’une interdiction catégorique, le père agissait en ce domaine comme il le jugeait nécessaire.

Voici ce dont se souvient l’archimandrite Nafanaïl :

« L e père Alipi aidait toujours les nécessiteux, il faisait l’aumône et il accordait son aide à beaucoup de gens venus la lui demander. Il en souffrit
les conséquences. Il se défendait en mettant en avant les textes des Saintes Écritures où il est dit qu’il faut faire oeuvre de charité et il affirmait que les oeuvres de charité ne pouvaient être interdites car c’était une part inaliénable de la vie de la Sainte Église orthodoxe. »

Et voici les souvenirs du diacre Gueorgui Malkov, alors jeune philologue et fréquent visiteur de Petchory : « L ’archimandrite Alipi s’efforçait d’incarner dans sa propre vie le précepte de l’amour du prochain. Il aidait du mieux possible, et parfois grandement, beaucoup de malades, de
miséreux ainsi que des personnes victimes de problèmes matériels. »

On voyait souvent au pied du balcon de sa résidence des handicapés, des pauvres aux destins les plus variés. Et malgré les interdictions officielles, le supérieur leur portait secours, en matière de nourriture, de soins médicaux,d’argent, à la mesure des moyens dont il disposait. Et quand il en manquait il plaisantait : « C e n’est pas encore prêt, ça sèche ! Reviens donc demain,serviteur de Dieu ! »

Dans certains cas, le soutien était conséquent : le père Alipi aidait un sinistré à se réinstaller et, lorsqu’une maladie frappait le bétail, donnait de l’argent pour acheter une vache. Ayant un jour appris que, non loin d’Izborsk, la maison de P. Melnikov, un peintre local célèbre, avait ravagée par un incendie, il lui expédia par mandat une somme importante pour l’époque, avec ce mot : « Juste pour les premiers temps. »...
a SUIVRE

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 31 Janvier 2013 à 12:06 | 0 commentaire | Permalien



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