V.G.

Mgr Hilarion de Volokolamsk devant la Xème Assemblée Générale du COE

"Tandis que nous continuons à discuter de nos différences dans l’atmosphère confortable de nos conférences et de nos dialogues théologiques, une question se pose avec toujours plus d’acuité : la civilisation chrétienne survivra-t-elle seulement ?"

L'un des plus grands rassemblements chrétiens au monde, la Dixième Assemblée du Conseil œcuménique des Églises (1), se déroule à Busan (République de Corée) du 30 octobre au 8 novembre 2013 sur le thème que j'ai pris comme titre de cet article. L'Assemblée est l'organe directeur suprême du Conseil œcuménique des Églises (COE) et se réunit tous les sept ans. Plus de 3000 délégués officiels de 345 Églises et communautés ecclésiales affiliées à l’organisme, des Églises non-membres et d’organisations associées sont attendus (2)

La délégation de l'Eglise russe est la plus nombreuse; dirigée par le métropolite Hilarion de Volokolamsk, Président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, elle compte plus de 20 membres, avec des représentants de plusieurs Eglises autonomes (Ukraine, Biélorussie, Chine, Japon…). Le métropolite Hilarion a donné à cette occasion une interview à "RIA Novosti" (3) et une l'allocution prononcée devant l’Assemblée générale que je résume. (4)

"Témoigner de l’Orthodoxie devant le monde hétérodoxe"

C'est l'objectif essentiel de notre participation aux travaux du COE", souligné le métropolite en définissant les priorités du travail de la délégation de l'Eglise russe, et il a précisé son point de vue dans l'interview à "RIA Novosti":

"Le COE reste à sa manière le seul espace où peuvent se rencontrer les représentants de plus de 300 églises. L’Église catholique n’est pas membre du Conseil, dont c’est l’une des faiblesses depuis l’origine. Les forces en présence dans le monde chrétien ne sont donc pas pleinement représentées, parce que la plupart des membres du COE sont des églises protestantes. A toutes les rencontres du COE, y compris l’actuelle assemblée, les participants orthodoxes et les représentants des Églises orthodoxes préchalcédoniennes ne représentent ensemble qu’un quart des participants.

C’est la troisième assemblée à laquelle je prends part en tant que chef de la délégation de l’Église orthodoxe russe. En 1998, nous n’avions qu’une délégation semi-officielle de 5 personnes, que je présidais en tant que hiéromoine. C’était l’époque où nous étions très critiques sur le Conseil œcuménique des églises car l’ordre du jour était à tendance très libérale, tandis que les églises protestantes du nord et de l’ouest donnaient le ton. Grâce, entre autres, à notre critique, et grâce à une conférence interorthodoxe qui, à notre initiative et à l’initiative de l’Église serbe, a été réunie à Salonique en 1998, le COE a révisé son ordre du jour et le mode de prise de décisions.

"Exprimer une protestation vigoureuse contre le génocide (je n’ai pas peur du mot) des chrétiens qui se produit au Proche Orient et est la conséquence d’une politique volontaire des extrémistes et des forces terroristes qui veulent éliminer le christianisme de la région. Cette assemblée peut et doit l'exprimer d’une seule voix en appelant les choses par leur nom.

Je pense que chaque église peut faire des efforts supplémentaires pour motiver les états et les forces politiques en faveur de la population chrétienne des régions où elle est soumise à des persécutions.

Malheureusement, aujourd’hui, ce n’est pas ce qui se passe au niveau politique. Aujourd’hui, le thème des persécutions contre les chrétiens n’est présent que de façon épisodique dans le discours des hommes politiques et des journalistes. Ce sont des agences privées ou des organisations de défense des droits de l’homme qui s’occupent du monitoring de la situation. Nous devons obtenir que les dirigeants des grandes puissances aux mains desquels est en grande partie la situation, s’en occupent à leur tour.

Les chrétiens et les musulmans sont capables de coexister pacifiquement, comme le montre l’expérience multiséculaire de bon voisinage entre représentants des deux traditions religieuses en Russie et dans d’autres pays. Mais cette coexistence possède un potentiel explosif qui s’élève rapidement lorsque certains mécanismes, sous la forme de l’extrémisme religieux, sont mis en route.

Dans le monde musulman, cette aile extrémiste se renforce beaucoup aujourd’hui. Il ne s’agit pas de l’islam traditionnellement pacifique, mais de ce que nous appelons l’islamisme ou le wahhabisme, c’est-à-dire une idéologie misanthropique qui incite à des actes terroristes, aux opérations militaires et à une extermination massive des chrétiens.

Nous ne pouvons ni comprendre, ni accepter ce phénomène. Nous sommes naturellement en dialogue avec les leaders musulmans afin de les inciter à rejeter plus activement toute forme de terrorisme et de radicalisme. Nous les appelons à éduquer leurs fidèles dans un esprit de tolérance et de coexistence pacifique avec les autres religions, comme cela est prescrit par le Coran qui parle du christianisme avec beaucoup de respect.

Il faut une politique nationale et migratoire correcte et modérée. Et l’état doit défendre ses frontières. Je n’en parle pas seulement comme ancien garde-frontière, mais surtout en tant que citoyen attaché à l’intégrité de son pays. La politique migratoire doit savoir différencier les gens pacifiques venant vivre et travailler, et ceux qui représentent une menace potentielle. Les courants radicaux doivent être aussi fermement réprimés que le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée.

Le tonneau de poudre n’explosera pas, si l’on met en place une politique interethnique intelligente. Il ne faut pas confondre cette politique avec la politique religieuse. Ce ne sont pas les doctrines religieuses qui sont dangereuses, mais l’interaction de différents ethnos, les paradigmes idéologiques.

***
La voix de l’Église doit être prophétique

C'est le titre de l'allocution prononcée devant l’Assemblée générale le 1 novembre 2013 dont je propose les idées principales:

Dans son introduction Mgr Hilarion souligne que, si le COE, "a correspondu à une aspiration à trouver une réponse aux défis de l’après-guerre", la situation a changé et "les chrétiens du monde entier sont aujourd’hui confrontés à des défis nouveaux. De notre capacité à répondre ensemble à ces défis dépendra l’actualité de notre organisation dans l’avenir. La situation actuelle exige de nous des actions plus décisives, plus de cohésion, plus de dynamisme. Mais elle exige aussi une certaine réorientation des principaux axes de notre travail, un changement des priorités dans les discussions et les actions. Tandis que nous continuons à discuter de nos différences dans l’atmosphère confortable de nos conférences et de nos dialogues théologiques, une question se pose avec toujours plus d’acuité : la civilisation chrétienne survivra-t-elle seulement ?" Et le représentant de l'Eglise orthodoxe russe souligne détaille les deux principaux défis auxquels est confronté l’ensemble du monde chrétien:

-1. Le sécularisme militant, qui prend de l’ampleur dans les pays dit « développés », avant tout en Europe et en Amérique. … L’une de ses principales orientations consiste aujourd’hui à démolir volontairement les représentations traditionnelles du mariage et de la famille. En témoigne le phénomène nouveau de l’assimilation des unions homosexuelles au mariage, et de l’octroi aux couples homosexuels du droit à l’adoption. Du point de vue de la doctrine biblique et des valeurs morales chrétiennes traditionnelles, ces tendances témoignent d’une profonde crise spirituelle. La notion religieuse de péché est définitivement éliminée de sociétés se définissant naguère encore comme chrétiennes.


Le fait qu’il ne s’agisse pas seulement dans ce cas d’un choix idéologique et éthique est particulièrement alarmant. Sous prétexte de lutte contre la discrimination, des modifications sont apportées à la législation familiale. Ces dernières années, les unions homosexuelles ont été légalisées dans plusieurs états américains, dans plusieurs pays d’Amérique latine, en Nouvelle Zélande. Cette année, les unions homosexuelles ont acquis le statut de « mariage » légal en France, en Angleterre et au Pays de Galles.

Disons-le clairement : les pays reconnaissant légalement les unions homosexuelles comme une des formes du mariage font un sérieux pas en avant vers la déconstruction des notions même de mariage et de famille. Et ce dans un contexte où la famille traditionnelle traverse une crise gravissime dans de nombreux pays historiquement chrétiens : le nombre de divorces augmente, la natalité diminue de façon catastrophique, la culture éducative familiale se dégrade, sans parler de la généralisation des unions hors mariage, de l’augmentation du nombre d’avortements et de l’augmentation du nombre d’enfants déclarés orphelins alors que leurs parents sont bien vivants.



Quelle doit être la réponse des Églises chrétiennes ?


Je suis profondément convaincu que cette réponse ne peut différer de celle fondée sur la Révélation biblique, telle que nous l’a transmise la Bible. L’Écriture Sainte est la base commune qui unit toutes les confessions chrétiennes. Nous pouvons différer essentiellement sur l’interprétation des Saintes Écritures, mais nous n’avons qu’une Bible, et la doctrine morale y est énoncée sans équivoque. Certes, nous sommes partagés sur l’interprétation de certains textes bibliques autorisant plusieurs exégèses. Mais beaucoup de choses sont très claires dans la Bible, et c’est qui sort de la bouche même de Dieu et qui conserve son actualité durant tous les siècles. Un grand nombre de commandements moraux, parmi lesquels certains concernant l’éthique familiale relèvent de ces paroles divines.

Tout en se prononçant contre toute forme de discrimination, l’Église doit néanmoins défendre la conception chrétienne traditionnelle du mariage comme union d’un homme et d’une femme dont la principale mission est la naissance et l’éducation d’enfants. C’est cette conception du mariage que nous trouvons dès les premières pages de la Bible, dans le récit sur la première famille humaine. Nous retrouvons la même conception dans l’Évangile et les épîtres apostoliques. La Bible ne propose aucune forme alternative de mariage et déclare la cohabitation de personnes du même sexe un péché.

Malheureusement, les Églises chrétiennes ne trouvent pas toutes aujourd’hui le courage et la ténacité de défendre les idéaux bibliques en dépit de la mode, en dépit de l’idéologie laïque dominante. Certaines communautés chrétiennes se sont depuis longtemps engagées dans la voie de la révision de la doctrine morale, afin de l’adapter aux tendances actuelles.


… Nous professons la Vérité du Christ, qui est intangible, car Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui et dans tous les siècles (Heb 3, 8). Il ne s’agit pas de conservatisme, mais de fidélité à la Révélation divine contenue dans l’Écriture Sainte. Et si les chrétiens dits libéraux rejettent la conception traditionnelle des normes morales, cela signifie que nous sommes confrontés à un problème extrêmement sérieux dans notre témoignage chrétien commun. Pouvons-nous témoigner si nous sommes si profondément divisés sur les questions de la doctrine morale, aussi importante que la dogmatique pour le salut? A ce sujet, j’aimerais parler de la vocation prophétique de l’Église. Une parole du protopresbytre Alexandre Schmeman revient : il disait que le prophète n’est nullement celui qui prédit l’avenir. Rappelant le sens profond de la prophétie, Schmeman écrivait : « Le sens de la prophétie est dans le don de la proclamation au monde de la volonté divine, cachée à l’œil humain dans les évènements de la vie courante et de l’histoire, mais révélée à l’­œil spirituel du prophète » (Le symbole de foi, 18).


… L’un des principaux objectifs du COE n’est-il pas justement de distinguer la volonté divine dans la situation historique contemporaine et de la proclamer au monde ? Cette annonce serait sûrement malvenue pour les grands de ce monde. Cependant, en refusant de la proclamer, nous trahissons notre vocation et, en définitive, le Christ lui-même. … Aujourd’hui, comme toujours, nous sommes appelés à être les proclamateurs de la Parole divine, cette Parole qui est vivante et agissante et plus coupante qu’une épée à double tranchant (Heb 4, 12) ; cette Parole qui ne peut être enchaînée (II Tim 2, 9). Seulement alors nous pourrons attirer au Christ de nouvelles âmes, malgré l’opposition des puissances des ténèbres qui dominent ce monde (Eph 6, 12).

- 2. l’islamisme radical, qui menace l’existence même du christianisme dans un certain nombre de régions du monde, principalement au Proche Orient, mais aussi dans divers pays d’Asie et d’Afrique… J’emploie ce terme en ayant clairement conscience que l’islamisme n’est nullement identique à l’islam, qu’il s’y oppose même sur de nombreux points. L’islam est une religion pacifique, capable de coexister avec d’autres traditions religieuses, comme le montre, par exemple, l’expérience multiséculaire de coexistence pacifique des chrétiens et des musulmans en Russie. L’islamisme radical, lui, également appelé wahhabisme ou salafisme, est un courant à l’intérieur du monde islamique dont l’objectif est de créer un califat islamique mondial, dans lequel il n’y a pas de place pour les chrétiens.


Je ne m’étendrai pas sur les causes de l’apparition et de l’extension rapide de ce phénomène. Je me contenterai de dire que ces dernières années les persécutions contre les chrétiens ont pris une ampleur colossale. Suivant les données d’organisations de défense des droits de l’homme, toutes les cinq minutes un chrétien meurt pour sa foi et plus de 100 000 chrétiens périssent tous les ans de mort violente ! Suivant des chiffres publiés, aujourd’hui dans le monde, pas moins de 100 millions de chrétiens sont victimes de discrimination et de persécutions.

Des renseignements sur les pressions exercées contre les chrétiens nous parviennent d’Irak, de Syrie, d’Égypte, du Soudan, d’Afghanistan, du Pakistan et de nombreux autres pays. On assassine nos frères et sœurs, on les exile, on les sépare de leurs parents et de leurs proches, on les prive du droit de confesser leur foi et d’élever leurs enfants suivant leurs convictions religieuses. Les chrétiens sont la communauté religieuse la plus persécutée de la planète.


Malheureusement, les manifestations de discrimination contre la minorité chrétienne ne peuvent plus être interprétées comme de simples incidents : dans certaines régions du monde, elles forment nettement une tendance. L’une des conséquences du conflit en cours en Syrie est la multiplication des meurtres cruels de chrétiens, la destruction d’églises et de sanctuaires. Les coptes, population égyptienne de souche, sont aujourd’hui soumis aux attentats et aux pogroms, beaucoup sont forcés de quitter leur pays. La communauté internationale ne prend pas les mesures qui pourraient, au moins en partie, redresser la situation.

***

Aujourd’hui, nous devons prendre conscience que l’une de nos tâches principales est la défense de nos frères et sœurs persécutés dans différentes régions du monde. Cette tâche exige une solution immédiate justifiant le recours à tous les moyens et à tous les instruments possibles : diplomatiques, humanitaires, économiques, etc. Le thème des persécutions contre les chrétiens doit être envisagé dans le contexte de la collaboration interchrétienne. Nous ne pourrons aider nos frères et sœurs en Christ souffrant que par d’énergiques efforts conjoints.

L’Église catholique romaine fait beaucoup dans ce domaine. Il existe des organisations chrétiennes qui se sont chargées du monitoring de la situation et collectent de l’aide humanitaire pour les chrétiens en détresse. Notre Église participe à ce travail. Je pense que des conférences communes, un échange d’informations et d’expériences entre les organisations chrétiennes de défense des droits de l’homme occupées à ce problème seraient utiles.

Les droits des chrétiens se peuvent être assurés que si nous encourageons le dialogue entre communautés religieuses, tant au niveau national qu’au niveau international. C’est pourquoi le dialogue interreligieux devient une orientation primordiale du COE. Je suis convaincu que nous devons prêter encore plus d’attention au développement d’une coopération profonde et intéressée avec les religions traditionnelles, en particulier avec l’islam…

S’adressant aux confesseurs du christianisme, l’apôtre Pierre dit : Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d’être dans la joie et l’allégresse quand sa gloire se révèlera (I P 4, 13). Nous souvenant de ces paroles, nous souhaitons dans la prière que le Seigneur de toutes miséricordes donnent aux affligés et aux persécutés la joie et la consolation, pour que, sentant l’aide et la compassion de leurs frères et sœurs géographiquement éloignés, mais proches dans la foi, ils trouvent en eux la force, avec l’aide de Dieu, de continuer à suivre le chemin de la fermeté dans la foi…

A nous tous, participants de l’Assemblée, j’aimerais souhaiter que Dieu nous aide dans nos travaux communs et dans les charges que porte chacun d’entre nous dans son église et sa communauté. Que notre témoignage devienne cette parole de vérité, dont le monde a tant besoin aujourd’hui.

Notes

1 La Dixième Assemblée du Conseil œcuménique des Églises

2 Programme de l'Assemblée ici pdf, 1.3 Mo

3 Une interview à "RIA Novosti

4. L'allocution prononcée devant l’Assemblée générale




Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 3 Novembre 2013 à 11:08 | 3 commentaires | Permalien



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