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Inna Skliarevskaya
"FOMA"
Dans la préhistoire de ma vie en église, il y eu un épisode merveilleux. Il survint dans la seconde moitié des années 1970 ; nous habitions alors à Leningrad au bord du canal Krioukov, juste en face de l’église Saint Nicolas et nous observions chaque année par notre fenêtre la célébration de Pâques. Il arrivait que des amis viennent spécialement nous rendre visite ce soir là pour regarder cette célébration.
Certaines personnes ne s’approchaient pas de l’église mais se tenaient en face, avec des cierges allumés, juste sous nos fenêtres. Mais elles ne pouvaient pas apercevoir la procession autour de l’église, alors que d’en haut nous pouvions la voir. Et si nous ouvrions le vasistas, nous entendions les cantiques. A treize ans, je fis un dessin: dans la nuit, une lune pâle parmi les nuages, un angle d’église et des silhouettes noires et courbées qui marchent, mystérieuses et tristes tenant des cierges allumés. Cela ressemble à une image gothique. En fait elles ne se dirigeaient pas dans le sens qu’il fallait mais je ne prêtais pas attention à ce genre de détails.
"FOMA"
Dans la préhistoire de ma vie en église, il y eu un épisode merveilleux. Il survint dans la seconde moitié des années 1970 ; nous habitions alors à Leningrad au bord du canal Krioukov, juste en face de l’église Saint Nicolas et nous observions chaque année par notre fenêtre la célébration de Pâques. Il arrivait que des amis viennent spécialement nous rendre visite ce soir là pour regarder cette célébration.
Certaines personnes ne s’approchaient pas de l’église mais se tenaient en face, avec des cierges allumés, juste sous nos fenêtres. Mais elles ne pouvaient pas apercevoir la procession autour de l’église, alors que d’en haut nous pouvions la voir. Et si nous ouvrions le vasistas, nous entendions les cantiques. A treize ans, je fis un dessin: dans la nuit, une lune pâle parmi les nuages, un angle d’église et des silhouettes noires et courbées qui marchent, mystérieuses et tristes tenant des cierges allumés. Cela ressemble à une image gothique. En fait elles ne se dirigeaient pas dans le sens qu’il fallait mais je ne prêtais pas attention à ce genre de détails.
Un jour, deux ou trois ans plus tard, je revenais d’un spectacle au théâtre Marie Au vu de l’attroupement près de l’église et aux cierges allumés que tenaient les gens, je devinais que c’était Pâques.
J’eu la curiosité de vouloir m’approcher. La foule était étrange. Il y avait là des adolescents survoltés qui s’efforçaient de faire du tapage, il y avait des vieilles femmes tranquilles et d’autres, excitées. Je ne devinais pas encore qu’il s’agissait en majorité de personnes comme moi, des curieuses et non des croyantes. Par contre je comprenais tout à fait la raison de leur présence en ce lieu : tout le monde sait qu’il est presque impossible à Pâques de pénétrer dans l’église.
Pour cela il aurait fallu venir dès tôt le matin et rester à l’intérieur toute la journée, pour la raison que seules les petites vieilles sont admises à y pénétrer le soir. Je supposais que la raison de cette restriction était d’éviter la gêne occasionnée par les personnes extérieures, comme moi. Sur le portail de l’église pendait à présent un cadenas. De chaque côté se tenait un milicien et, d’une voix qui me paru moqueuse, ils encourageaient l’attroupement à se disperser, à retourner chez eux et regarder la télévision.
« L’épisode N°6 est en train de commencer ! » criaient-ils dans un mégaphone.
Et soudain au milieu de cette foule disparate et plutôt désagréable, j’aperçu un groupe de jeunes gens et de jeunes filles, ils étaient particulièrement beaux. Je compris qu’il s’agissait d’étrangers, mais des étrangers peu ordinaires, des étrangers particuliers. Une certaine lumière rayonnait en eux. Ils marchaient le long de la clôture, semblaient perdus et cherchaient visiblement quelque chose ; comme cela devint évident, ils voulaient trouver l’entrée. Ils ne paraissaient pas beaucoup plus âgés que moi ; j’eu soudain très envie de leur parler, apprendre qui ils étaient, et comprendre la nature de ce qu’ils irradiaient autour d’eux. Je ne parlais pas l’anglais, uniquement le français ; je n’avais pas beaucoup d’espoir qu’ils comprennent cette langue qui n’est pas la plus répandue au monde. Mais il se produisit un miracle. Une des jeunes filles me remarqua et s’approcha rapidement de moi.
J’eu la curiosité de vouloir m’approcher. La foule était étrange. Il y avait là des adolescents survoltés qui s’efforçaient de faire du tapage, il y avait des vieilles femmes tranquilles et d’autres, excitées. Je ne devinais pas encore qu’il s’agissait en majorité de personnes comme moi, des curieuses et non des croyantes. Par contre je comprenais tout à fait la raison de leur présence en ce lieu : tout le monde sait qu’il est presque impossible à Pâques de pénétrer dans l’église.
Pour cela il aurait fallu venir dès tôt le matin et rester à l’intérieur toute la journée, pour la raison que seules les petites vieilles sont admises à y pénétrer le soir. Je supposais que la raison de cette restriction était d’éviter la gêne occasionnée par les personnes extérieures, comme moi. Sur le portail de l’église pendait à présent un cadenas. De chaque côté se tenait un milicien et, d’une voix qui me paru moqueuse, ils encourageaient l’attroupement à se disperser, à retourner chez eux et regarder la télévision.
« L’épisode N°6 est en train de commencer ! » criaient-ils dans un mégaphone.
Et soudain au milieu de cette foule disparate et plutôt désagréable, j’aperçu un groupe de jeunes gens et de jeunes filles, ils étaient particulièrement beaux. Je compris qu’il s’agissait d’étrangers, mais des étrangers peu ordinaires, des étrangers particuliers. Une certaine lumière rayonnait en eux. Ils marchaient le long de la clôture, semblaient perdus et cherchaient visiblement quelque chose ; comme cela devint évident, ils voulaient trouver l’entrée. Ils ne paraissaient pas beaucoup plus âgés que moi ; j’eu soudain très envie de leur parler, apprendre qui ils étaient, et comprendre la nature de ce qu’ils irradiaient autour d’eux. Je ne parlais pas l’anglais, uniquement le français ; je n’avais pas beaucoup d’espoir qu’ils comprennent cette langue qui n’est pas la plus répandue au monde. Mais il se produisit un miracle. Une des jeunes filles me remarqua et s’approcha rapidement de moi.
« Parlez-vous français ? » me demanda-t-elle.
J’appris qu’ils venaient de Grèce : « Comment entrer dans l’église ? » demandait cette jeune fille avec anxiété. Et à ce moment là je commis une grande bévue. Il ne me vint pas à l’esprit que ces charmants jeunes gens voulaient rentrer dans l’église pour fêter Pâques avec les petites vieilles. Je décidais qu’ils étaient intéressés par l’intérieur du bâtiment et par l’aspect culturel de la célébration rituelle russe.
« Tout de suite c’est impossible, répondis-je, mais lorsque l’office sera terminé vous pourrez entrer et tout regarder, ou bien revenez demain »
La jeune fille me regarda avec stupéfaction et s’écarta. Bientôt les cloches sonnèrent douze coups. Les Grecs se mirent en cercle et allumèrent des cierges. Et lorsqu’il fut minuit ils entonnèrent le tropaire de Pâques. C’était un spectacle extraordinaire. Dans la nuit sombre ce cercle lumineux, ces visages inspirés et radieux, illuminés par leurs cierges, et leur chant divin – et autour d’eux un autre cercle, dense et noir, celui de mes compatriotes tendus et perplexes. Ce cercle se forma dès que les jeunes gens allumèrent leurs cierges, et aussitôt des individus en civil, qu’à l’âge de quinze ans j’avais déjà appris à reconnaître au milieu d’une foule, se frayèrent énergiquement un chemin au premier rang. J’étais à l’intérieur du cercle noir, je ressentais jusqu’aux larmes une souffrance qui me poussait à vouloir être parmi ces jeunes Grecs. J’appris plus tard combien un groupe d’hommes possède une force psychologique puissante, ce jour là ce fut sur moi-même que j’expérimentais cette force. J’étais incapable de m’échapper du cercle noir.
Je peux redire que le public qui s’était attroupé autour de l’église était étrange. Une des femmes s’élança vers les Grecs, bouscula les jeunes filles, souffla leur bougies et cria d’une voix hystérique :
« Le Christ est ressuscité, et vous chantez ! »
J’appris qu’ils venaient de Grèce : « Comment entrer dans l’église ? » demandait cette jeune fille avec anxiété. Et à ce moment là je commis une grande bévue. Il ne me vint pas à l’esprit que ces charmants jeunes gens voulaient rentrer dans l’église pour fêter Pâques avec les petites vieilles. Je décidais qu’ils étaient intéressés par l’intérieur du bâtiment et par l’aspect culturel de la célébration rituelle russe.
« Tout de suite c’est impossible, répondis-je, mais lorsque l’office sera terminé vous pourrez entrer et tout regarder, ou bien revenez demain »
La jeune fille me regarda avec stupéfaction et s’écarta. Bientôt les cloches sonnèrent douze coups. Les Grecs se mirent en cercle et allumèrent des cierges. Et lorsqu’il fut minuit ils entonnèrent le tropaire de Pâques. C’était un spectacle extraordinaire. Dans la nuit sombre ce cercle lumineux, ces visages inspirés et radieux, illuminés par leurs cierges, et leur chant divin – et autour d’eux un autre cercle, dense et noir, celui de mes compatriotes tendus et perplexes. Ce cercle se forma dès que les jeunes gens allumèrent leurs cierges, et aussitôt des individus en civil, qu’à l’âge de quinze ans j’avais déjà appris à reconnaître au milieu d’une foule, se frayèrent énergiquement un chemin au premier rang. J’étais à l’intérieur du cercle noir, je ressentais jusqu’aux larmes une souffrance qui me poussait à vouloir être parmi ces jeunes Grecs. J’appris plus tard combien un groupe d’hommes possède une force psychologique puissante, ce jour là ce fut sur moi-même que j’expérimentais cette force. J’étais incapable de m’échapper du cercle noir.
Je peux redire que le public qui s’était attroupé autour de l’église était étrange. Une des femmes s’élança vers les Grecs, bouscula les jeunes filles, souffla leur bougies et cria d’une voix hystérique :
« Le Christ est ressuscité, et vous chantez ! »
Les Grecs continuaient à chanter. Et avec chaque minute, qui passait, grandissait le sentiment qu’avec le nom du Christ, ils se tenaient au milieu d’un monde hostile et opposé à Dieu. Et même moi, ignorante alors de toutes ces choses, je pouvais ressentir cela physiquement.
Ils arrêtèrent leurs chants et s’embrassèrent selon la salutation pascale.
« Christos Anesti !» disaient-ils en s’embrassant. Je voyais leurs visages illuminés et je comprenais qu’ils ne se réjouissaient pas d’une joie ordinaire, mais d’une joie bien plus élevée, complètement différente. Et il me semble que je commençais à comprendre ce en quoi ils se différenciaient tant de nous et quelle sorte de lumière extraordinaire émanait d’eux en cette nuit pascale.
A ce moment là ils se tournèrent vers nous :
« ΧΡΙΣΤΟΣ ΑΝΕΣΤΗ ! » s’exclamèrent-ils à notre intention, nous, la foule soviétique, anxieuse et sur ses gardes, qui les encerclait étroitement. Parmi nous personne ne répondit. Ils répétèrent : « Christos Anesti ! » Nous restions silencieux. N’en croyant pas leurs yeux ni leurs oreilles, ils se mirent presque à crier - avec espoir, indignation, désarroi, exigence et même avec menace et avec prière :
« Christos Anesti ! Christos Anesti ! » Comme je souhaitais leur répondre ! Je connaissais même les mots appropriés. Mais ma langue, telle un morceau de bois, était figée dans ma bouche.
Et soudain, une sorte de petit homme d’apparence misérable s’échappa du cercle noir de la foule, il était menu, agité et même peut-être légèrement gris, il s’approcha d’un pas assuré des Grecs et s’écria : « En vérité, Il est ressuscité ! »
Ils s’élancèrent tous vers lui. Ils jubilaient. Ils l’embrassèrent. Ils le serrèrent dans leurs bras. Combien d’amour déversèrent-ils sur lui ! Je ne me souviens pas si leurs cierges étaient toujours allumés, mais le fait qu’il était passé de notre cercle noir dans leur cercle de lumière – ce sentiment là était évident.
Je ne me souviens plus comment se termina cet épisode, comment tous se séparèrent, ni comment je rentrais à la maison. C’était comme un rideau baissé sur le mot important de la fin, me laissant sous le choc.
Je me souviens seulement de l’immense amertume que j’éprouvais de ne pas avoir su me libérer de l’emprise du cercle noir, de ne pas avoir pu répondre à ces Grecs et me retrouver parmi eux. Si je l’avais fait ma vie se serait alors déjà transformée. Mais il me restait encore un long chemin vers ma conversion. Je ne fus baptisée que dix ans plus tard. Mais durant toutes ces années, je gardais le souvenir de la salutation pascale en grec : « Le Christ est ressuscité !»
Traduction pour "P.O." Marie Genko
Ils arrêtèrent leurs chants et s’embrassèrent selon la salutation pascale.
« Christos Anesti !» disaient-ils en s’embrassant. Je voyais leurs visages illuminés et je comprenais qu’ils ne se réjouissaient pas d’une joie ordinaire, mais d’une joie bien plus élevée, complètement différente. Et il me semble que je commençais à comprendre ce en quoi ils se différenciaient tant de nous et quelle sorte de lumière extraordinaire émanait d’eux en cette nuit pascale.
A ce moment là ils se tournèrent vers nous :
« ΧΡΙΣΤΟΣ ΑΝΕΣΤΗ ! » s’exclamèrent-ils à notre intention, nous, la foule soviétique, anxieuse et sur ses gardes, qui les encerclait étroitement. Parmi nous personne ne répondit. Ils répétèrent : « Christos Anesti ! » Nous restions silencieux. N’en croyant pas leurs yeux ni leurs oreilles, ils se mirent presque à crier - avec espoir, indignation, désarroi, exigence et même avec menace et avec prière :
« Christos Anesti ! Christos Anesti ! » Comme je souhaitais leur répondre ! Je connaissais même les mots appropriés. Mais ma langue, telle un morceau de bois, était figée dans ma bouche.
Et soudain, une sorte de petit homme d’apparence misérable s’échappa du cercle noir de la foule, il était menu, agité et même peut-être légèrement gris, il s’approcha d’un pas assuré des Grecs et s’écria : « En vérité, Il est ressuscité ! »
Ils s’élancèrent tous vers lui. Ils jubilaient. Ils l’embrassèrent. Ils le serrèrent dans leurs bras. Combien d’amour déversèrent-ils sur lui ! Je ne me souviens pas si leurs cierges étaient toujours allumés, mais le fait qu’il était passé de notre cercle noir dans leur cercle de lumière – ce sentiment là était évident.
Je ne me souviens plus comment se termina cet épisode, comment tous se séparèrent, ni comment je rentrais à la maison. C’était comme un rideau baissé sur le mot important de la fin, me laissant sous le choc.
Je me souviens seulement de l’immense amertume que j’éprouvais de ne pas avoir su me libérer de l’emprise du cercle noir, de ne pas avoir pu répondre à ces Grecs et me retrouver parmi eux. Si je l’avais fait ma vie se serait alors déjà transformée. Mais il me restait encore un long chemin vers ma conversion. Je ne fus baptisée que dix ans plus tard. Mais durant toutes ces années, je gardais le souvenir de la salutation pascale en grec : « Le Christ est ressuscité !»
Traduction pour "P.O." Marie Genko
Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 20 Avril 2017 à 17:55
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