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Interview menée par Maria Svechnikova pour le site Vesti.ru.
Version russe originale >>> ICI Version française exclusivité pour "PO" - Photo Andréï Nikolski
« Père Savva, pourrais-je obtenir de vous une longue interview pour faire votre portrait ? » Je l’avoue, je m’attendais tellement à un refus, que je mis un long moment à me remettre de ma stupéfaction, tellement il fut facile d’obtenir l’accord du vice-chancelier du Patriarcat de Moscou, chef du service de contrôle et d’analyse de la chancellerie du Patriarcat de Moscou, recteur de l’église Saint-Prophète-Élie à Tcherkizovo, l’archimandrite Savva (Toutounov). Il m’a certes fallu ensuite attendre deux semaines avant de le rencontrer – avant de trouver une « fenêtre » dans son emploi du temps, mais cela n’avait aucune importance.
J’avais préparé une multitude de questions, il fallut donc choisir les plus importantes. Enfin, la structure de l’interview devint claire dans ma tête : quelques questions personnelles, parler de son travail au Patriarcat de Moscou, de son travail de recteur, de la vie de sa paroisse. Mais je devais aussi poser une question, a priori dénuée de sens et de logique. C’est par elle que notre dialogue débuta.
- Père Savva, vous dessinez ?
Non. Je suis sans doute le seul membre de toute la famille Toutounov à n’avoir jamais su. Mon grand-père dessinait, ou plutôt peignait des tableaux. Papa et un de ses frères peignent des tableaux. Mes frères aussi dessinent – l’un des deux mieux que l’autre. Quant à moi, je n’ai jamais eu aucun talent, déjà à l’école. J’étais parmi les meilleurs élèves, mais en activités artistiques et créatives je n’ai jamais eu de bonnes notes.
Version russe originale >>> ICI Version française exclusivité pour "PO" - Photo Andréï Nikolski
« Père Savva, pourrais-je obtenir de vous une longue interview pour faire votre portrait ? » Je l’avoue, je m’attendais tellement à un refus, que je mis un long moment à me remettre de ma stupéfaction, tellement il fut facile d’obtenir l’accord du vice-chancelier du Patriarcat de Moscou, chef du service de contrôle et d’analyse de la chancellerie du Patriarcat de Moscou, recteur de l’église Saint-Prophète-Élie à Tcherkizovo, l’archimandrite Savva (Toutounov). Il m’a certes fallu ensuite attendre deux semaines avant de le rencontrer – avant de trouver une « fenêtre » dans son emploi du temps, mais cela n’avait aucune importance.
J’avais préparé une multitude de questions, il fallut donc choisir les plus importantes. Enfin, la structure de l’interview devint claire dans ma tête : quelques questions personnelles, parler de son travail au Patriarcat de Moscou, de son travail de recteur, de la vie de sa paroisse. Mais je devais aussi poser une question, a priori dénuée de sens et de logique. C’est par elle que notre dialogue débuta.
- Père Savva, vous dessinez ?
Non. Je suis sans doute le seul membre de toute la famille Toutounov à n’avoir jamais su. Mon grand-père dessinait, ou plutôt peignait des tableaux. Papa et un de ses frères peignent des tableaux. Mes frères aussi dessinent – l’un des deux mieux que l’autre. Quant à moi, je n’ai jamais eu aucun talent, déjà à l’école. J’étais parmi les meilleurs élèves, mais en activités artistiques et créatives je n’ai jamais eu de bonnes notes.
- Comme il se trouve que vous êtes français …
J’en ai le passeport. Plus exactement, c’est l’un de mes passeports.
- Bien sûr. Mais en France le Patriarcat de Constantinople est bien mieux représenté que le Patriarcat de Moscou. Cependant, vous vous êtes retrouvé au sein de l’Église orthodoxe russe. Vous n’aviez pas le choix ?
Si, bien sûr. J’ai vécu en France jusqu’à mon entrée au séminaire en 1999, directement en deuxième année. C’est là-bas que j’ai fait mes études scolaires puis universitaires. Ensuite la question s’est posée pour moi, soit de continuer l’université soit d’entrer au séminaire.
Séquence uni~séminaire un peu floue ?
Durant ma vie à Paris , je fréquentais une paroisse connue du Patriarcat de Constantinople – l’église Saints-Constantin-et-Hélène à Clamart. C’est la toute première église construite en France par l’émigration russe. Maintenant elle fait partie du Patriarcat de Moscou. Ensuite j’ai fréquenté quelque temps la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, où je servais en tant qu’hypodiacre auprès de l’archevêque Serge (Konovaloff) ). C’est sur sa recommandation que je suis entré au séminaire préciser. Quant au choix de la juridiction, la question s’est posée pour moi au moment des perturbations vécues par l’Archevêché des paroisses orthodoxes russes en Europe occidentale (patriarcat de Constantinople) en 2003-2004. Après la mort de Monseigneur Serge, la direction du diocèse a été prise en mains par des personnes qui mettaient en avant leur éloignement par rapport à Moscou, et il s’est créé une confrontation assez dure avec le Patriarcat de Moscou. J’ai alors pris la décision de demeurer dans l’Église orthodoxe russe. Après la fin de mes études au séminaire en 2005, je suis rentré en France pour quelque temps, car il me fallait régler certaines questions, puis je suis revenu à Moscou, et j’ai commencé à travailler dans le département des relations extérieures de l’Église.
- Vous avez fait vos études à l’université d’Orsay à Paris, ensuite vous êtes entré au séminaire de Moscou. Mais le niveau d’études du séminaire à l’époque était plutôt celui d’un IUT. N’aviez-vous pas l’impression de « dégringoler » ? Pourquoi une personne avec un niveau universitaire avait-elle besoin de continuer ses études, mais à un niveau bien moindre ?
Toute ma vie, depuis mes 5 ans (maman me l’a rappelé il y a quelques jours), j’ai servi à l’église en France. J’ai donc toujours été dans le sanctuaire. C’était une partie importante de ma vie. Je sais qu’à l’adolescence beaucoup d’enfants refusent de porter l’aube et de servir, mais cela n’a jamais été le cas pour moi. J’y consacrais beaucoup de temps, je lisais beaucoup de livres traitant de la vie spirituelle, de l’histoire de l’Église.
Après l’école je suis entré à l’université, où j’ai étudié les mathématiques supérieures. Les deux premières années les choses étaient assez simple : j’étais un enfant prodige, à l’école j’étais très bon, étudier à l’université m’était facile. Sauf que c’était, en fait, juste une mise en train, nous avions beaucoup de matières généralistes : physique, programmation. Mais en troisième année, qui en France était celle de la licence, nous ne faisions que des mathématiques. Un peu de programmation aussi, mais uniquement appliquée à la modélisation mathématique. Ce n’est pas que cela devenait plus difficile pour moi, mais il fallait faire un choix. Si durant les deux premières années, outre les études il était possible d’avoir d’autres occupation, désormais il fallait se consacrer aux mathématiques.
À la fin de la première session d’examens, j’ai eu un entretien sérieux avec l’un des meilleurs enseignants, un savant remarquable qui savait nous captiver par son enseignement. Il faut savoir que les mathématiques requièrent une approche formelle et des démonstrations formelles, mais lui il savait expliciter les mathématiques. Certains enseignants écrivaient simplement leur cours au tableau. Lui, il racontait un théorème, puis il nous proposait de formaliser son récit. Tout était clair, mais si, ne serait-ce qu’un instant on s’écartait de son cours, il était ensuite impossible de reconstituer la démonstration
Donc, durant cet entretien, il me dit que j’avais très bien réussi mes examens. Je lui racontai que j’allais à l’église, que je lisais des livres de théologie. Il me répondit : « Il va vous falloir choisir l’un ou l’autre. » Il n’a pas essayé de me pousser vers l’un ou l’autre choix, mais il m’a expliqué : « Si vous choisissez les mathématiques, il vous faudra ne penser qu’à elles à longueur de journée. Ne pas dormir parce que vous pensez aux mathématiques. Et si vous vous endormez, vous devrez rêver de théorèmes. » Je suis d’accord avec lui : pour se consacrer à quelque chose, il faut le faire avec amour. Cela doit devenir toute sa vie. C’est alors que j’ai compris que ma voie – c’est d’être prêtre. Et que pour cela je devais étudier : devenir prêtre sans faire d’études était impensable pour moi.
Bien sûr, en entrant au séminaire, je m’attendais à un niveau beaucoup plus élevé. J’ai fait mes études avant les réformes, l’organisation des cours était assez primitive. Malgré tout je dois souligner qu’il y avait au séminaire nombre d’ enseignants remarquables, qui m’ont beaucoup apporté. Aujourd’hui, la plupart du temps les séminaires en Russie tendent à devenir des établissements d’enseignement supérieur, avec à la clé un baccalauréat universitaire (2) de niveau « théologique » ; le niveau d’exigence des thèses de candidature ès-sciences (3) s’est grandement élevé. À l’époque, un étudiant sur deux soutenait une thèse de « candidature » à la fin de ses études académiques, alors qu’il est tout simplement impossible d’avoir tant de candidats tous les ans. Mais aujourd’hui être candidat signifie avoir atteint un niveau réel, et il n’est plus aussi simple de soutenir une thèse à l’académie de théologie.
J’ai terminé mes études au séminaire sans grandes difficultés, en revanche pour l’Académie, il m’a fallu étudier 4 ans : j’écrivais une thèse de candidature. J’y ai consacré beaucoup de temps, et je peux dire que j’en suis fier.
- Quel est son titre ?
« La réforme de la gestion diocésaine dans les décisions du Saint Concile de 1917-1918, et dans les discussions préalables au concile ».
- Donc, désormais vous êtes « à votre affaire » ?
Oui. Je fais comme lorsque je me consacrais à la science.
- Mais pourquoi être moine ? Un candidat ès sciences théologiques n’a pas besoin d’être moine.
Le monachisme est sans doute aussi venu de cet entretien avec mon professeur.
- Par ce seul entretien, il vous a orienté dans la bonne direction ?
Ce qu’il m’a dit correspondait à certaines de mes propres réflexions. Je ne suis pas devenu moine tout de suite après mon entrée au séminaire, mais seulement durant la deuxième année : pour moi c’était logique.
- En 2006 la revue du Patriarcat de Moscou a publié votre article « Le mariage dans la société contemporaine » …
C’était une thèse de fin d’année, que j’ai ensuite retravaillé pour en faire un article.
- Je sais que la société civile réagit très négativement au fait que des moines, en quelque sorte, se mêlent de la vie privée. Et même parmi les orthodoxes, tous n’apprécient pas.
Je suis d’accord avec eux. Mon article ne traite pas du mariage, mais des aspects canoniques de la conclusion d’un mariage et des divorces en Église. Il traite de certaines conditions formelles, mais pas du contenu du mariage : je ne parle pas de ce qui est juste ou non dans le mariage. Au séminaire, puis à l’Académie, je me suis particulièrement intéressé à l’étude du droit canon. Aujourd’hui, après le baccalauréat universitaire, il est possible de rejoindre la magistrature et d’opter pour une spécialisation. Nous n’avions pas de spécialisation, et chacun se choisissait un domaine. Pour moi, c’était le droit canon.
- Archimandrite – c’est une fonction assez élevée, entre l’higoumène et l’évêque.
C’est plutôt un titre honorifique. L’archevêque a d’autres fonctions dans l’Église. En particulier, il a le droit d’ordonner des prêtres. Le terme d’archimandrite correspond au titre le plus élevé d’un hiéromoine. Quant au terme d’higoumène, en 2013 une nouvelle version du “règlement des récompenses » a été adoptée, qui a exclu ce titre des titres honorifiques. Désormais sont higoumènes les supérieurs des monastères, et personne d’autre. On peut encore rencontrer quelques prêtres qui ont reçu ce titre avant la réforme, mais cette appellation honorifique est appelée à disparaître.
- On estime qu’un moine portant ce « titre » doit être à la tête d’un monastère. Mais vous – vous êtes le recteur d’une paroisse à la périphérie de Moscou. C’était votre souhait, votre aspiration, ou bien dans l’Église comme à l’armée, on ne refuse pas une affectation ?
J’en ai le passeport. Plus exactement, c’est l’un de mes passeports.
- Bien sûr. Mais en France le Patriarcat de Constantinople est bien mieux représenté que le Patriarcat de Moscou. Cependant, vous vous êtes retrouvé au sein de l’Église orthodoxe russe. Vous n’aviez pas le choix ?
Si, bien sûr. J’ai vécu en France jusqu’à mon entrée au séminaire en 1999, directement en deuxième année. C’est là-bas que j’ai fait mes études scolaires puis universitaires. Ensuite la question s’est posée pour moi, soit de continuer l’université soit d’entrer au séminaire.
Séquence uni~séminaire un peu floue ?
Durant ma vie à Paris , je fréquentais une paroisse connue du Patriarcat de Constantinople – l’église Saints-Constantin-et-Hélène à Clamart. C’est la toute première église construite en France par l’émigration russe. Maintenant elle fait partie du Patriarcat de Moscou. Ensuite j’ai fréquenté quelque temps la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, où je servais en tant qu’hypodiacre auprès de l’archevêque Serge (Konovaloff) ). C’est sur sa recommandation que je suis entré au séminaire préciser. Quant au choix de la juridiction, la question s’est posée pour moi au moment des perturbations vécues par l’Archevêché des paroisses orthodoxes russes en Europe occidentale (patriarcat de Constantinople) en 2003-2004. Après la mort de Monseigneur Serge, la direction du diocèse a été prise en mains par des personnes qui mettaient en avant leur éloignement par rapport à Moscou, et il s’est créé une confrontation assez dure avec le Patriarcat de Moscou. J’ai alors pris la décision de demeurer dans l’Église orthodoxe russe. Après la fin de mes études au séminaire en 2005, je suis rentré en France pour quelque temps, car il me fallait régler certaines questions, puis je suis revenu à Moscou, et j’ai commencé à travailler dans le département des relations extérieures de l’Église.
- Vous avez fait vos études à l’université d’Orsay à Paris, ensuite vous êtes entré au séminaire de Moscou. Mais le niveau d’études du séminaire à l’époque était plutôt celui d’un IUT. N’aviez-vous pas l’impression de « dégringoler » ? Pourquoi une personne avec un niveau universitaire avait-elle besoin de continuer ses études, mais à un niveau bien moindre ?
Toute ma vie, depuis mes 5 ans (maman me l’a rappelé il y a quelques jours), j’ai servi à l’église en France. J’ai donc toujours été dans le sanctuaire. C’était une partie importante de ma vie. Je sais qu’à l’adolescence beaucoup d’enfants refusent de porter l’aube et de servir, mais cela n’a jamais été le cas pour moi. J’y consacrais beaucoup de temps, je lisais beaucoup de livres traitant de la vie spirituelle, de l’histoire de l’Église.
Après l’école je suis entré à l’université, où j’ai étudié les mathématiques supérieures. Les deux premières années les choses étaient assez simple : j’étais un enfant prodige, à l’école j’étais très bon, étudier à l’université m’était facile. Sauf que c’était, en fait, juste une mise en train, nous avions beaucoup de matières généralistes : physique, programmation. Mais en troisième année, qui en France était celle de la licence, nous ne faisions que des mathématiques. Un peu de programmation aussi, mais uniquement appliquée à la modélisation mathématique. Ce n’est pas que cela devenait plus difficile pour moi, mais il fallait faire un choix. Si durant les deux premières années, outre les études il était possible d’avoir d’autres occupation, désormais il fallait se consacrer aux mathématiques.
À la fin de la première session d’examens, j’ai eu un entretien sérieux avec l’un des meilleurs enseignants, un savant remarquable qui savait nous captiver par son enseignement. Il faut savoir que les mathématiques requièrent une approche formelle et des démonstrations formelles, mais lui il savait expliciter les mathématiques. Certains enseignants écrivaient simplement leur cours au tableau. Lui, il racontait un théorème, puis il nous proposait de formaliser son récit. Tout était clair, mais si, ne serait-ce qu’un instant on s’écartait de son cours, il était ensuite impossible de reconstituer la démonstration
Donc, durant cet entretien, il me dit que j’avais très bien réussi mes examens. Je lui racontai que j’allais à l’église, que je lisais des livres de théologie. Il me répondit : « Il va vous falloir choisir l’un ou l’autre. » Il n’a pas essayé de me pousser vers l’un ou l’autre choix, mais il m’a expliqué : « Si vous choisissez les mathématiques, il vous faudra ne penser qu’à elles à longueur de journée. Ne pas dormir parce que vous pensez aux mathématiques. Et si vous vous endormez, vous devrez rêver de théorèmes. » Je suis d’accord avec lui : pour se consacrer à quelque chose, il faut le faire avec amour. Cela doit devenir toute sa vie. C’est alors que j’ai compris que ma voie – c’est d’être prêtre. Et que pour cela je devais étudier : devenir prêtre sans faire d’études était impensable pour moi.
Bien sûr, en entrant au séminaire, je m’attendais à un niveau beaucoup plus élevé. J’ai fait mes études avant les réformes, l’organisation des cours était assez primitive. Malgré tout je dois souligner qu’il y avait au séminaire nombre d’ enseignants remarquables, qui m’ont beaucoup apporté. Aujourd’hui, la plupart du temps les séminaires en Russie tendent à devenir des établissements d’enseignement supérieur, avec à la clé un baccalauréat universitaire (2) de niveau « théologique » ; le niveau d’exigence des thèses de candidature ès-sciences (3) s’est grandement élevé. À l’époque, un étudiant sur deux soutenait une thèse de « candidature » à la fin de ses études académiques, alors qu’il est tout simplement impossible d’avoir tant de candidats tous les ans. Mais aujourd’hui être candidat signifie avoir atteint un niveau réel, et il n’est plus aussi simple de soutenir une thèse à l’académie de théologie.
J’ai terminé mes études au séminaire sans grandes difficultés, en revanche pour l’Académie, il m’a fallu étudier 4 ans : j’écrivais une thèse de candidature. J’y ai consacré beaucoup de temps, et je peux dire que j’en suis fier.
- Quel est son titre ?
« La réforme de la gestion diocésaine dans les décisions du Saint Concile de 1917-1918, et dans les discussions préalables au concile ».
- Donc, désormais vous êtes « à votre affaire » ?
Oui. Je fais comme lorsque je me consacrais à la science.
- Mais pourquoi être moine ? Un candidat ès sciences théologiques n’a pas besoin d’être moine.
Le monachisme est sans doute aussi venu de cet entretien avec mon professeur.
- Par ce seul entretien, il vous a orienté dans la bonne direction ?
Ce qu’il m’a dit correspondait à certaines de mes propres réflexions. Je ne suis pas devenu moine tout de suite après mon entrée au séminaire, mais seulement durant la deuxième année : pour moi c’était logique.
- En 2006 la revue du Patriarcat de Moscou a publié votre article « Le mariage dans la société contemporaine » …
C’était une thèse de fin d’année, que j’ai ensuite retravaillé pour en faire un article.
- Je sais que la société civile réagit très négativement au fait que des moines, en quelque sorte, se mêlent de la vie privée. Et même parmi les orthodoxes, tous n’apprécient pas.
Je suis d’accord avec eux. Mon article ne traite pas du mariage, mais des aspects canoniques de la conclusion d’un mariage et des divorces en Église. Il traite de certaines conditions formelles, mais pas du contenu du mariage : je ne parle pas de ce qui est juste ou non dans le mariage. Au séminaire, puis à l’Académie, je me suis particulièrement intéressé à l’étude du droit canon. Aujourd’hui, après le baccalauréat universitaire, il est possible de rejoindre la magistrature et d’opter pour une spécialisation. Nous n’avions pas de spécialisation, et chacun se choisissait un domaine. Pour moi, c’était le droit canon.
- Archimandrite – c’est une fonction assez élevée, entre l’higoumène et l’évêque.
C’est plutôt un titre honorifique. L’archevêque a d’autres fonctions dans l’Église. En particulier, il a le droit d’ordonner des prêtres. Le terme d’archimandrite correspond au titre le plus élevé d’un hiéromoine. Quant au terme d’higoumène, en 2013 une nouvelle version du “règlement des récompenses » a été adoptée, qui a exclu ce titre des titres honorifiques. Désormais sont higoumènes les supérieurs des monastères, et personne d’autre. On peut encore rencontrer quelques prêtres qui ont reçu ce titre avant la réforme, mais cette appellation honorifique est appelée à disparaître.
- On estime qu’un moine portant ce « titre » doit être à la tête d’un monastère. Mais vous – vous êtes le recteur d’une paroisse à la périphérie de Moscou. C’était votre souhait, votre aspiration, ou bien dans l’Église comme à l’armée, on ne refuse pas une affectation ?
Comme je l’ai dit, le titre d’archimandrite est le titre honorifique suprême d’un hiéromoine, même si autrefois c’était le nom des dirigeants de grands monastères. Compte tenu de ma fonction au sein du Patriarcat, que je n’exerce pas en milieu monastique (même si notre direction se trouve sur le territoire du monastère Saint-Daniel), je n’aurais sans doute pas la possibilité de vivre en monastère.
Si je suis recteur d’une église, c’est sans doute parce que le Patriarche en a décidé ainsi : il fallait que je m’éprouve dans ce rôle. Je fais certaines choses bien, d’autre, à mon sens critique, moins bien et j’aimerais les corriger. Pour une grande part, c’est lié au fait que, à la différence d’autres recteurs, je ne suis pas présent dans ma paroisse full-time (4) , seulement le samedi et le dimanche. Le reste du temps je ne fais qu’y vivre : je pars à 9h00 du matin au travail, et je reviens dans mon appartement de fonction entre 19h00 et l’infini. En semaine on ne m’y voit quasiment jamais. Je m’efforce d’aller faire un tour à l’église avant de partir au travail, pour dire bonjour au prêtre qui célèbre (mais je n’y arrive pas toujours, il m’arrive d’être vraiment très pressé). Mon travail à la chancellerie appose bien sûr sa marque sur mon rectorat – il me faut régler la plupart des questions administratives en étant loin ; mais il est impossible de s’occuper de la vie spirituelle des personnes de cette façon, et ce sont les clercs de la paroisse qui s’en chargent. J’ai à mes côtés sept clercs, certains plus âgés, d’autres plus jeunes, certains plus indulgents, d’autres plus sévères – il y en a pour tous les « goûts ». Si j’avais plus de temps, j’en ferais plus. Mais cela ne signifie pas que je veuille changer quelque chose, car mon travail à la chancellerie me plaît beaucoup.
- Que votre paroisse compte beaucoup de jeunes très actifs, c’est à vous qu’on le doit, ou bien était-ce déjà le cas avant vous ?
L’ancien recteur – aujourd’hui le métropolite Alexandre (Agrikov) de Briansk et de Sevsk – m’a légué une base matérielle importante : je n’ai pas eu à me préoccuper de construire quoi que ce soit. Bien sûr nous poursuivons les travaux d’amélioration de la résidence d’été historique des métropolites moscovites à Tcherkizovo (en 1360 saint Alexis, métropolite de Moscou, a acquis ce lieu pour lui-même et ses successeurs), qui avait entièrement brûlé dans les années 1990 ; Mgr Alexandre l’a restauré, il ne nous reste donc que les travaux de finition. Récemment nous y avons ouvert une bibliothèque. Quant au groupe de jeunes, il existait déjà dans l’église, de même qu’une chorale de jeunes. Il s’était créé durant les deux dernières années du précédent recteur, nous n’avons fait que lui donner une nouvelle impulsion.
J’agis suivant un principe qui, m’a-t-on dit, n’est pas toujours celui de tous les recteurs : j’estime qu’il faut donner leur chance à toutes les initiatives, sauf si bien sûr elles sont complètement démentes. Par exemple, il y a quelque temps un jeune homme est venu me voir pour me proposer de créer une salle de sport. Je lui ai demandé ce qu’il attendait de moi. Il a répondu : « Pour l’instant rien. Mais si nous demandons à un sponsor de nous acheter des maillots, vous signerez notre lettre ? » « Je le ferai. » Au début, ils couraient dans le parc voisin, et ce jeune homme organisait les entraînements de tous ceux qui le souhaitaient. Nous nous sommes adressés à un organisme voisin, qui a mis à la disposition du groupe une salle de sport.
Puis ce jeune me dit : « Nous sommes prêts à équiper notre propre salle de sport », et nous leur avons donné un local. Ils ont fait tous les travaux eux-mêmes, ils ont même trouvé les matériaux pour cela. Pour moi, le plus important était de ne pas les gêner dans leur entreprise. Désormais, notre paroisse possède une salle de sport pratiquement ; les jeunes ont même trouvé des entraîneurs prêts à s’occuper d’eux gratuitement. Pour moi, ce qui compte, c’est que nos paroissiens ont décidé eux-mêmes de faire quelque chose dans notre paroisse. Et qu’ils l’ont fait.
Durant mon rectorat, tout l’aspect éducation s’est fortement développé : préparation et distribution de dépliants et de prospectus – nous avons rédigé des textes très acceptables sur ce qu’est la communion, la confession, comment prier pour les défunts. Nous parlons sans cesse de l’importance de la communion. Devenu recteur, j’ai commencé à en parler de l’ambon. Suivant l’une des directives de la hiérarchie, il est indispensable que quelqu’un soit de permanence à l’église au moins tous les dimanches et les jours de fête. Pas obligatoirement un prêtre, mais il faut que ceux qui entrent dans l’église soient accueillis. Nous avons une table avec un écriteau « Nous répondons à vos questions. » Les gens viennent, interrogent. Si les personnes de permanence voient que la question posée ne relève pas de leur compétence, elles téléphonent à un prêtre. Mais s’il est question de l’église ou d’une fête, elles répondent. Nous disposons d’une grande quantité de documents à distribuer.
Le catéchuménat est bien organisé. L’une des dernières directives adoptées par l’Église prescrit qu’il convient de mener au moins deux entretiens avec les parents d’un enfant à baptiser. J’ai énormément de chance avec les responsables du catéchuménat – ils font du beau travail, très souvent après le baptême les gens restent dans notre paroisse.
Pour en revenir aux jeunes : il est agréable de noter que ces dernières années un grand nombre d’entre eux ont formé des couples et se sont mariés ; maintenant ils viennent en famille.
Nous avons un site Internet, nous sommes présents sur les réseaux sociaux, toute notre activité d’éducation et d’information est en plein développement. Les jeunes aussi s’y intéressent. La paroisse, c’est la maison de Dieu, les jeunes ne doivent pas s’y sentir comme des étrangers. Et le prêtre doit comprendre qu’il n’est pas juste le maître de céans. Dans l’Église orthodoxe russe, beaucoup de choses dépendent du recteur, mais s’il comprend qu’il n’est pas un petit chef, mais qu’il est au service des gens, la paroisse pourra s’épanouir.
Et encore ceci d’important pour moi : en France toutes les paroisses sont petites. Après l’office, on va boire un thé, on se parle. À Moscou, avec 250-300 personnes, c’est compliqué de mettre en place une telle forme de relations. Bien sûr, nous proposons du thé à tous ceux qui le souhaitent, mais ce n’est pas un moment clé. Aussi nous nous efforçons de permettre aux gens de s’intégrer le plus possible dans le travail de la paroisse, qu’ils comprennent que c’est leur paroisse ;
- La presse vous aime bien, ce qui, d’après ce que j’observe, est extrêmement rare. Les journalistes parlent de vous en bien.
Sans doute parce que je ne suis pas vraiment une personne publique. Mon activité et mon caractère ne me poussent pas à m’afficher. Mes commentaires concernent en général des questions très spécifiques, et j’ai peu de contacts avec la presse. Peut-être est-ce pour cela que l’on m’aime bien.
- Ou bien parce que vous ne refusez jamais de commenter ?
Si, cela m’arrive. Pour tout ce qui concerne la vie de l’Église ou bien les décisions prises par l’Église, qui sortent du cadre de mes compétences professionnelles, je réponds généralement qu’il faut s’adresser aux services qui ont vocation à répondre. Par exemple, au service synodal de liaison avec les forces armées, ou bien au service d’information.
- Puisque vous utilisez l’expression « notre direction », je vous demanderai de nous raconter de quoi s’occupe une personne qui occupe deux fonctions : vice-chancelier et chef du service de contrôle et d’analyse du Patriarcat de Moscou.
Suivant les périodes la chancellerie du Patriarcat de Moscou a eu des fonctions diverses. Mais c’est le cas de beaucoup de services. Par exemple, il y a 20 ans, la direction des relations extérieures avait sous sa responsabilité des missions plus larges. En son temps la chancellerie était chargée de tout l’appareil administratif et gestionnaire. Le chancelier, par exemple, était habilité à des documents financiers. Puis les fonctions ont été partagées, même si le nom est resté. La chancellerie du patriarcat de Moscou est devenue l’administration du Patriarche (il faut noter que les gens confondent souvent deux concepts : Patriarchia (5) de Moscou et Patriarcat de Moscou. Patriarcat est le synonyme d’Église orthodoxe russe. Patriarchia – c’est l’institution). Après l’élection du Patriarche Cyrille, celui-ci a décidé de préciser les fonctions de la chancellerie – la chargeant de s’occupe de l’interaction entre la direction centrale de l’Église (le Patriarche et le Synode) et les diocèses. Notre rôle est donc de gérer les relations avec les diocèses.
J’ai commencé par m’occuper du courrier et des plaintes. Le Patriarcat de Moscou a un service qui est chargé de répondre aux questions d’ordre spirituel. Dans ces lettres, par exemple, on demande comment il faut jeûner, ou bien on demande au Patriarche ses prières [pour quelque chose], ou bien des prisonniers demandent de leur envoyer une icône. Il est évident que le Patriarche lui-même n’est pas en mesure de répondre à toutes ces lettres, c’est pourquoi ce service existe. Quant à nous, nous étions chargés de tout le courrier contenant des plaintes.
Par exemple, des laïcs écrivent au Patriarche que telle ou telle chose leur déplaît chez leur recteur, ou bien, au contraire, ils demandent de leur laisser tel clerc qui a été affecté autre part, ou encore qu’on ouvre une église dans leur village. Mais il n’est pas possible d’ouvrir une église dans tous les villages, et il faut expliquer à ces gens pourquoi le Patriarche ne donne pas de directive en ce sens. Ne pas répondre – ce n’est pas bien. Puisque les gens ont écrit au Patriarche, ils sont en droit de compter sur une réponse. Même un refus, mais poli.
Si je suis recteur d’une église, c’est sans doute parce que le Patriarche en a décidé ainsi : il fallait que je m’éprouve dans ce rôle. Je fais certaines choses bien, d’autre, à mon sens critique, moins bien et j’aimerais les corriger. Pour une grande part, c’est lié au fait que, à la différence d’autres recteurs, je ne suis pas présent dans ma paroisse full-time (4) , seulement le samedi et le dimanche. Le reste du temps je ne fais qu’y vivre : je pars à 9h00 du matin au travail, et je reviens dans mon appartement de fonction entre 19h00 et l’infini. En semaine on ne m’y voit quasiment jamais. Je m’efforce d’aller faire un tour à l’église avant de partir au travail, pour dire bonjour au prêtre qui célèbre (mais je n’y arrive pas toujours, il m’arrive d’être vraiment très pressé). Mon travail à la chancellerie appose bien sûr sa marque sur mon rectorat – il me faut régler la plupart des questions administratives en étant loin ; mais il est impossible de s’occuper de la vie spirituelle des personnes de cette façon, et ce sont les clercs de la paroisse qui s’en chargent. J’ai à mes côtés sept clercs, certains plus âgés, d’autres plus jeunes, certains plus indulgents, d’autres plus sévères – il y en a pour tous les « goûts ». Si j’avais plus de temps, j’en ferais plus. Mais cela ne signifie pas que je veuille changer quelque chose, car mon travail à la chancellerie me plaît beaucoup.
- Que votre paroisse compte beaucoup de jeunes très actifs, c’est à vous qu’on le doit, ou bien était-ce déjà le cas avant vous ?
L’ancien recteur – aujourd’hui le métropolite Alexandre (Agrikov) de Briansk et de Sevsk – m’a légué une base matérielle importante : je n’ai pas eu à me préoccuper de construire quoi que ce soit. Bien sûr nous poursuivons les travaux d’amélioration de la résidence d’été historique des métropolites moscovites à Tcherkizovo (en 1360 saint Alexis, métropolite de Moscou, a acquis ce lieu pour lui-même et ses successeurs), qui avait entièrement brûlé dans les années 1990 ; Mgr Alexandre l’a restauré, il ne nous reste donc que les travaux de finition. Récemment nous y avons ouvert une bibliothèque. Quant au groupe de jeunes, il existait déjà dans l’église, de même qu’une chorale de jeunes. Il s’était créé durant les deux dernières années du précédent recteur, nous n’avons fait que lui donner une nouvelle impulsion.
J’agis suivant un principe qui, m’a-t-on dit, n’est pas toujours celui de tous les recteurs : j’estime qu’il faut donner leur chance à toutes les initiatives, sauf si bien sûr elles sont complètement démentes. Par exemple, il y a quelque temps un jeune homme est venu me voir pour me proposer de créer une salle de sport. Je lui ai demandé ce qu’il attendait de moi. Il a répondu : « Pour l’instant rien. Mais si nous demandons à un sponsor de nous acheter des maillots, vous signerez notre lettre ? » « Je le ferai. » Au début, ils couraient dans le parc voisin, et ce jeune homme organisait les entraînements de tous ceux qui le souhaitaient. Nous nous sommes adressés à un organisme voisin, qui a mis à la disposition du groupe une salle de sport.
Puis ce jeune me dit : « Nous sommes prêts à équiper notre propre salle de sport », et nous leur avons donné un local. Ils ont fait tous les travaux eux-mêmes, ils ont même trouvé les matériaux pour cela. Pour moi, le plus important était de ne pas les gêner dans leur entreprise. Désormais, notre paroisse possède une salle de sport pratiquement ; les jeunes ont même trouvé des entraîneurs prêts à s’occuper d’eux gratuitement. Pour moi, ce qui compte, c’est que nos paroissiens ont décidé eux-mêmes de faire quelque chose dans notre paroisse. Et qu’ils l’ont fait.
Durant mon rectorat, tout l’aspect éducation s’est fortement développé : préparation et distribution de dépliants et de prospectus – nous avons rédigé des textes très acceptables sur ce qu’est la communion, la confession, comment prier pour les défunts. Nous parlons sans cesse de l’importance de la communion. Devenu recteur, j’ai commencé à en parler de l’ambon. Suivant l’une des directives de la hiérarchie, il est indispensable que quelqu’un soit de permanence à l’église au moins tous les dimanches et les jours de fête. Pas obligatoirement un prêtre, mais il faut que ceux qui entrent dans l’église soient accueillis. Nous avons une table avec un écriteau « Nous répondons à vos questions. » Les gens viennent, interrogent. Si les personnes de permanence voient que la question posée ne relève pas de leur compétence, elles téléphonent à un prêtre. Mais s’il est question de l’église ou d’une fête, elles répondent. Nous disposons d’une grande quantité de documents à distribuer.
Le catéchuménat est bien organisé. L’une des dernières directives adoptées par l’Église prescrit qu’il convient de mener au moins deux entretiens avec les parents d’un enfant à baptiser. J’ai énormément de chance avec les responsables du catéchuménat – ils font du beau travail, très souvent après le baptême les gens restent dans notre paroisse.
Pour en revenir aux jeunes : il est agréable de noter que ces dernières années un grand nombre d’entre eux ont formé des couples et se sont mariés ; maintenant ils viennent en famille.
Nous avons un site Internet, nous sommes présents sur les réseaux sociaux, toute notre activité d’éducation et d’information est en plein développement. Les jeunes aussi s’y intéressent. La paroisse, c’est la maison de Dieu, les jeunes ne doivent pas s’y sentir comme des étrangers. Et le prêtre doit comprendre qu’il n’est pas juste le maître de céans. Dans l’Église orthodoxe russe, beaucoup de choses dépendent du recteur, mais s’il comprend qu’il n’est pas un petit chef, mais qu’il est au service des gens, la paroisse pourra s’épanouir.
Et encore ceci d’important pour moi : en France toutes les paroisses sont petites. Après l’office, on va boire un thé, on se parle. À Moscou, avec 250-300 personnes, c’est compliqué de mettre en place une telle forme de relations. Bien sûr, nous proposons du thé à tous ceux qui le souhaitent, mais ce n’est pas un moment clé. Aussi nous nous efforçons de permettre aux gens de s’intégrer le plus possible dans le travail de la paroisse, qu’ils comprennent que c’est leur paroisse ;
- La presse vous aime bien, ce qui, d’après ce que j’observe, est extrêmement rare. Les journalistes parlent de vous en bien.
Sans doute parce que je ne suis pas vraiment une personne publique. Mon activité et mon caractère ne me poussent pas à m’afficher. Mes commentaires concernent en général des questions très spécifiques, et j’ai peu de contacts avec la presse. Peut-être est-ce pour cela que l’on m’aime bien.
- Ou bien parce que vous ne refusez jamais de commenter ?
Si, cela m’arrive. Pour tout ce qui concerne la vie de l’Église ou bien les décisions prises par l’Église, qui sortent du cadre de mes compétences professionnelles, je réponds généralement qu’il faut s’adresser aux services qui ont vocation à répondre. Par exemple, au service synodal de liaison avec les forces armées, ou bien au service d’information.
- Puisque vous utilisez l’expression « notre direction », je vous demanderai de nous raconter de quoi s’occupe une personne qui occupe deux fonctions : vice-chancelier et chef du service de contrôle et d’analyse du Patriarcat de Moscou.
Suivant les périodes la chancellerie du Patriarcat de Moscou a eu des fonctions diverses. Mais c’est le cas de beaucoup de services. Par exemple, il y a 20 ans, la direction des relations extérieures avait sous sa responsabilité des missions plus larges. En son temps la chancellerie était chargée de tout l’appareil administratif et gestionnaire. Le chancelier, par exemple, était habilité à des documents financiers. Puis les fonctions ont été partagées, même si le nom est resté. La chancellerie du patriarcat de Moscou est devenue l’administration du Patriarche (il faut noter que les gens confondent souvent deux concepts : Patriarchia (5) de Moscou et Patriarcat de Moscou. Patriarcat est le synonyme d’Église orthodoxe russe. Patriarchia – c’est l’institution). Après l’élection du Patriarche Cyrille, celui-ci a décidé de préciser les fonctions de la chancellerie – la chargeant de s’occupe de l’interaction entre la direction centrale de l’Église (le Patriarche et le Synode) et les diocèses. Notre rôle est donc de gérer les relations avec les diocèses.
J’ai commencé par m’occuper du courrier et des plaintes. Le Patriarcat de Moscou a un service qui est chargé de répondre aux questions d’ordre spirituel. Dans ces lettres, par exemple, on demande comment il faut jeûner, ou bien on demande au Patriarche ses prières [pour quelque chose], ou bien des prisonniers demandent de leur envoyer une icône. Il est évident que le Patriarche lui-même n’est pas en mesure de répondre à toutes ces lettres, c’est pourquoi ce service existe. Quant à nous, nous étions chargés de tout le courrier contenant des plaintes.
Par exemple, des laïcs écrivent au Patriarche que telle ou telle chose leur déplaît chez leur recteur, ou bien, au contraire, ils demandent de leur laisser tel clerc qui a été affecté autre part, ou encore qu’on ouvre une église dans leur village. Mais il n’est pas possible d’ouvrir une église dans tous les villages, et il faut expliquer à ces gens pourquoi le Patriarche ne donne pas de directive en ce sens. Ne pas répondre – ce n’est pas bien. Puisque les gens ont écrit au Patriarche, ils sont en droit de compter sur une réponse. Même un refus, mais poli.
- Vous voulez dire qu’il y a des gens dans l’administration qui répondent à toutes les lettres qui arrivent au nom du Patriarche ?
Oui. Il y a 4 ans, c’était mon rôle de le faire. Le 2 avril cela a fait 9 ans que je travaille à la chancellerie. La première moitié de ce temps j’avais en charge ce courrier. Nous répondions à toutes les demandes, sauf si elles étaient ouvertement scandaleuses ou si d’après le style de la lettre il était évident que la personne était psychiquement déséquilibrée. Par exemple, si la lettre était écrite en cinq couleurs et trois polices de caractères différentes.
Par ailleurs, j’étais chargé d’étudier et de synthétiser les rapports annuels des diocèses – je le fais toujours. Tous les diocèses envoient annuellement un rapport de leurs activités. Nous nous efforçons régulièrement de simplifier les règles de rédaction de ces rapports, mais il faut bien un minimum.
Ensuite, en nous fondant sur les informations que nous envoient les autres services, nous préparons les conciles archiépiscopaux qui font le bilan d’une période donnée de la vie de l’Église (les statuts prévoient une réunion tous les 4 ans, mais en fait c’est plus fréquent). Nous préparons également les réunions du Synode (les statuts prévoient que le chancelier est le secrétaire du Synode).
Avec l’augmentation du volume de travail, il a fallu scinder la chancellerie en deux sous-divisions : le secrétariat et le service de contrôle et d’analyse. Tout le courrier est désormais à la charge du secrétariat.
Ces dernières années nous avons amélioré le système d’étude des statistiques de notre Église. À notre arrivée, c’était le chaos. Non pas parce qu’avant nous les gens travaillaient mal, mais parce qu’ils n’avaient pas les outils. Ou plutôt, les outils n’étaient pas ceux qu’il fallait. Par exemple, les rapports provenant des diocèses présentaient d’une année sur l’autre des discordances dans le nombre de paroisses – tantôt plus, tantôt moins. Comme mathématicien, j’en avais les cheveux qui se dressaient sur la tête. Avec des chiffres dans certains diocèses qui pouvaient différer de plus ou moins 60 paroisses, j’avais envie de leur répondre : une fois pour toutes, faites le compte de vos paroisses.
Nous avons créé un système de décompte assez poussé. Nous avons comparé les chiffres avec ceux de la population. On ne peut pas dire que les chiffres témoignent de la vie de l’Église, mais ils permettent de se faire une idée assez précise. Lorsque nous rassemblons ces données, il nous arrive de téléphoner au diocèse, et de demander pourquoi tel ou tel indicateur n’est pas bon. Mais il est important de ne pas effrayer les gens qui reçoivent un appel de Moscou. Nous expliquons à chaque fois, que nous ne sommes pas des cerbères, mais que nous voulons comprendre ce qui se passe et ce qu’il faut faire pour changer les choses, pour aider le diocèse. Dans l’ensemble, sur ce sujet nos relations avec les diocèses sont bonnes.
Je vais vous expliquer sur un exemple à quoi servent les statistiques. Il y a trois ans, nous avons mis en place un système de répartition des diplômés des établissement théologiques centraux. Les étudiants des séminaires de Moscou, de Saint-Pétersbourg, de la Sainte-Rencontre, de Saint-Nicolas-d’Ougrechsk, de Saint-Nicolas-de-Perervinsk, ainsi que de l’institut Saint-Tikhon, sont tenus après leur diplôme de travailler pendant deux ans là où on les affectera. Cela doit aider les diocèses manquant grandement de personnel, en particulier en Extrême-Orient. Aujourd’hui nous pouvons nous servir des statistiques que nous avons rassemblées pour voir où, objectivement, nous manquons de prêtres. Pas juste parce qu’un diocèse le demande – envoyez-nous encore un jeune diplômé. Tout le monde le demande, nous n’avons pas assez de diplômés pour satisfaire tout le monde. Mais les chiffres nous montrent dans quel diocèse il y a un prêtre pour 30 000 habitants. C’est là-bas qu’il faudra envoyer quelqu’un.
Il est extrêmement important de considérer chaque diocèse et sa vie séparément. De ne pas mettre tout le monde dans le même panier. Si nécessaire, de créer des mécanismes d’aide. Tout n’est pas toujours un succès. Je présente plutôt une image idéalisée, mais c’est là notre mission.
- Ce que vous avez dit à propos du Synode est particulièrement intéressant : de l’extérieur on a l’impression que vous assistez aux réunions parce que vous avez dans l’Église un rôle tout particulier, dont j’entends constamment parler en privé.
Je n’assiste pas aux réunions du Synode, seuls les membres du Synode y sont. Je suis derrière la porte, et si nécessaire, s’il faut faire quelque chose au moment où une question est en discussion, on m’appelle, on me donne à corriger tel projet de document ou tel registre du Saint Synode, et je le fais. Quant à la préparation des réunions, en général c’est le service concerné qui rédige le projet de registre, puis nous nous chargeons de réviser le texte, le plus souvent uniquement son style, pour que tous les registres soient écrits de la même façon. Nous vérifions également les projets de décisions en les comparant aux décisions précédentes, afin qu’il n’y ait pas de contradiction. S’il y a des différences, si le registre peut être complété ou bien s’il y a contradiction, nous en informons la hiérarchie qui prendra les décisions. C’est pareil pour tout le reste : nous préparons les textes. Mais jamais le Synode ne signe sans regarder, ni le Patriarche ne prononce sans l’avoir d’abord corrigé un texte écrit par père Savva.
- C’est ce que je voulais entendre. Parce que parfois on a une impression tout autre.
Le penser, c’est tout d’abord, non pas surestimer père Savva, mais surtout vraiment sous-estimer le Patriarche et les membres du Synode. Il m’est arrivé de travailler avec le Patriarche dans des groupes de rédaction, et j’ai pu observer à quel point il est sensible à chaque mot. Évidemment, quand on est Patriarche on n’a pas le temps d’écrire des textes de 20-30 pages, même si je peux témoigner que jusqu’à maintenant il lui arrive de rédiger lui-même des paragraphes entiers de ses exposés.
Comment notre service travaille-t-il à préparer un texte ? Nous écrivons un premier brouillon (ou bien nous synthétisons ce que nous ont envoyé d’autres services), puis commence le processus de relecture. Parfois c’est très difficile. Le Patriarche est un orateur pointilleux, dans le bon sens du terme : il vérifie littéralement tout ce qu’il va dire.
Je le répète, que le Patriarche accepte sans l’avoir lu tout ce que nous pourrions concocter est – dans son principe même – impossible. Bien sûr, dans certains cas nous sommes une force de proposition. Par exemple, à l’initiative de Mgr Barsanuphe (6) , nous avons proposé un document prescrivant aux hiérarchies diocésaines de se préoccuper des clercs âgés, des veuves de prêtres. Une version temporaire de ce document a été adoptée en 2011, la version définitive en 2013. Dans certains diocèses, son application est un succès, dans d’autres elle laisse à désirer, ou bien nous manquons d’information. C’est là une des missions que je voudrais bientôt proposer au chancelier – de vérifier comment est appliqué ce document.
Comme je l’ai déjà dit, il nous arrive souvent de rédiger des textes fondés sur les propositions d’autres services. C’est quelque chose que nous réussissons plutôt bien : rédiger et corriger des textes de fond ou bien législatifs. Je parle ici exclusivement de la législation interne à l’Église, les questions juridiques sont l’apanage d’un autre service. Pour parler en termes laïques, soit nous travaillons comme « speechwriter », soit comme « direction juridique ecclésiale ».
Une grande partie de notre travail est liée à l’organisme appelé « Présence inter-synodale » : c’est un mécanisme de discussion publique de documents-clés. À l’époque où la discussion concernait le document sur le soutien matériel et social des clercs, nous avons reçu des réactions venant de tous les diocèses, il y a eu beaucoup de commentaires sur Internet, des centaines de commentaires qu’il nous a fallu étudier et synthétiser. Bien sûr, l’organe synthétiseur n’est pas neutre, il apporte aussi quelque chose de lui, il peut réagir de façon positive ou négative au document. Je pense que l’un des exemples les plus réussis d’une discussion publique concerne le document consacré à l’Eucharistie et à la préparation à la communion. Il a été discuté en deux étapes. Nous avons reçu tellement de commentaires qu’il a fallu entièrement le réécrire. En fin de compte, il en est sorti un texte équilibré, et j’estime qu’en partie c’est grâce à ma sous-division.
Ma sous-division remplit une autre fonction : nous sommes l’appareil du Tribunal ecclésiastique suprême. Le tribunal ecclésiastique est une instance d’appel des décisions prises au niveau diocésain. Il se réunit une ou deux fois par an. Il n’y avait aucun sens à créer un appareil spécifique ; c’est pour cela que c’est à nous que cette fonction a été confiée depuis 2010, date à laquelle l’activité du tribunal ecclésial a été lancée. Lorsque nous recevons un appel, nous rassemblons les avis des parties – du diocèse, de l’appelant, des témoignages ; nous les synthétisons (en général il y a quelques centaines de pages) en un document d’une vingtaine de pages, avec références aux documents du dossier. Je veux ici particulièrement souligner le fait, que les services administratifs du tribunal ecclésiastique reste le plus neutre possible. Nous n’écrivons jamais les décisions à l’avance. Celles-ci sont prises par les juges après qu’ils aient pris connaissance des documents et qu’ils aient entendu de vive voix les protagonistes durant une session du tribunal. L’existence active du tribunal ecclésiastique est, à mes yeux, l’un des plus importants succès du présent règne patriarcal.
- À mon avis, même les fidèles ne connaissent pas tous l’existence du tribunal ecclésiastique. Quels types d’appels étudie-t-il ?
Par exemple, un diocèse décide de déchoir une personne de la prêtrise. Mais tant que cette décision n’a pas été confirmée par le Patriarche, elle n’est pas, suivant les Statuts, mise en application. Les raisons peuvent être très diverses : adultère, accusation de vol important de l’église, alcoolisme invétéré. Mais dans certains cas les prêtres peuvent estimer que les accusations ne sont pas fondées, et que le tribunal diocésain a pris une décision injuste. Ou bien ils acceptent la décision, mais pas la sanction. Il peut être question de déchoir la personne de la prêtrise, comme je l’ai déjà dit, mais aussi de lui interdire de célébrer. Ces prêtres font alors appel devant le tribunal ecclésiastique.
Toutes les décisions du tribunal ecclésiastique sont publiées en libre accès sur le site de l’Église orthodoxe russe. Au moins la partie résolution. Nous ne publions pas les motifs, car ils font référence à des choses privées. Les décisions sont très variées. Par exemple, la faute du prêtre est confirmée, la décision prise par le tribunal diocésain de le déchoir de la prêtrise est justifiée, mais le tribunal ecclésiastique décide de lui donner encore une chance, en apposant un moratoire sur la décision du tribunal diocésain et en interdisant au prêtre de célébrer pendant quelques années. Une sorte de période d’essai. C’est ce qui est arrivé à un prêtre qui souffrait d’alcoolisme : il a vécu une tragédie, le tribunal en a tenu compte et a fait preuve de mansuétude, en espérant que l’examen de son cas à un tel niveau l’aiderait à revenir sur le droit chemin. Il y a eu un autre cas intéressant : un prêtre avait été accusé de vol. Le diocèse voulait le déchoir de la prêtrise, mais le tribunal ecclésiastique a estimé la décision impropre. Il n’y avait aucune preuve de malversation financière intentionnelle. Le tribunal ecclésiastique a donc annulé la décision diocésaine. Eh oui, il arrive aussi que le tribunal ecclésiastique annule la décision du tribunal diocésain, concluant que la culpabilité du prêtre n’a pas été prouvée.
- Effectivement les décisions des tribunaux diocésains et ecclésiastique sont, ces dernières années, publiées en libre accès ; il m’a semblé que le nombre de déchéances de prêtrise ou d’interdictions temporaires de célébrer sont en augmentation.
En partie c’est vrai. D’abord il faut considérer que le nombre de diocèses a augmenté, et que les prêtres sont désormais plus exposés à la supervision des archevêques. Lorsque dans un immense diocèse un prêtre officie dans un petit village loin de la capitale diocésaine, qu’il se conduise mal peut longtemps passer inaperçu. Mais désormais ce n’est souvent plus le cas. Ensuite, le nombre de prêtre augmente tous les ans de plusieurs centaines. Et c’est logique – s’il y a plus de prêtres, il y a aussi plus de mauvais prêtres.
- Dans les mêmes proportions ?
Non, sans doute. Mais la corrélation existe.
- Qu’est-ce qui est plus important pour vous – servir l’Église ou servir l’église ?
Quelle différence ?
- Lorsque je suis devenue une journaliste parlant de religion, j’ai appris qu’il y avait des aspects différents dans la vie de l’Église. Et parfois ces aspects étaient très loin de ce que pour moi devaient représenter les croyants, les prêtres. J’ai alors décidé que l’église, c’est là où je vais rencontrer Dieu, et l’Église, c’est un des ministères de l’État.
Je ne fais pas de différence entre ces « deux » Églises, aucune dichotomie. Bien sûr, il y a le Corps mystique du Christ et l’Église vivant dans le temps, dans l’histoire en tant qu’institut. Mais ce ne ce sont pas deux Églises différentes. L’Église – Corps du Christ – est habitée par des personnes diverses, souvent par des pécheurs. Mais quoi, moi aussi j’en suis un. J’ai mes bons côtés, et mes côtés pas très bons, certains ne m’aiment pas, estimant que je suis une personne mauvaise, et même un mauvais chrétien. Peut-être même certains se demandent-ils comment je peux servir l’Église.
- Nous avons chacun d’entre nous quelqu’un qui ne nous aime pas.
C’est vrai. Ce qui ne nous empêche pas, chacun d’entre nous, de se concevoir au sein de l’Église, malgré nos péchés.
- Tout le monde sait que dans ma vie, il y a quelques personnes pour lesquelles je suis prête à « tout casser ». D’abord je le ferai machinalement, ce n’est qu’ensuite que je commencerai à réfléchir. Mais un moine ne peut pas se conduire comme cela. Vous arrive-t-il de vivre des moments où vous pourriez réagir de cette façon ?
Oui, bien sûr, cela doit arriver.
- Comment faites-vous pour que les gens ne remarquent pas que vous réagissez fortement ?
Et pourquoi ne le remarqueraient-ils pas ? Je suis une personne émotive, certains le savent bien. Avec le temps mon émotivité s’est quelque peu adoucie, et grâce à mon travail, à mon sacerdoce j’ai appris à réagir plus calmement. Dans la paroisse, où nous sommes tous tellement différents, il faut bien souvent calmer le jeu. J’ai beaucoup de subordonnés, à la chancellerie comme dans la paroisse, ils sont tous différents, il faut donc garder un équilibre. Non pas avoir la même attitude envers tous, de toute façon ce n’est pas le cas. Certains me sont plus proches, certains plus sympathiques, un autre au contraire me déplaît. Je m’efforce de réagir en toute justice aux actes et aux erreurs de tous et de chacun. Mais il peut arriver que je me mette très en colère, et que j’agisse alors avec sévérité et dureté. Je réagis sans doute avec plus d’émotion avec mes amis proches qu’en tant que chef ou recteur.
- Je ne sais toujours pas s’il faut s’offenser « pour Dieu », ou si Dieu ne peut pas être outragé.
Je n’ai jamais eu de raison de m’offenser pour Lui. Le Seigneur sait ce qu’Il a à faire dans tous les cas. Bien sûr, si quelqu’un vient mettre des inscriptions blasphématoires sur mon église, je serai très en colère contre ces personnes. Non pas parce que cela offense Dieu, mais parce que pour les 300 personnes qui sont notre paroisse, notre église est chère, ils l’aiment, et il ne faut pas y faire de saletés.
- Si je vous demande ce qui a été déterminant pour vous – pour les trois frères – dans votre éducation, que diriez-vous ?
C’est une question compliquée, parce qu’elle demande que je porte en public un jugement sur mes parents, sur la façon dont ils nous ont éduqué. Je ne pense pas que cela soit correct. Oui, au fond c’est cela – ce n’est pas quelque chose dont je voudrais parler en public. Non parce que j’ai quelque « réclamation » à faire quant à mon éducation, – bien au contraire, je suis très, très reconnaissant à mes parents, mais parce que c’est un domaine très privé.
- Comment sont vos relations avec vos frères ?
Bonnes. Meilleures que lorsque nous étions petits. Nous avons une assez grande différence d’âge. Il y a d’abord eu moi, puis 4 ans après le deuxième et encore deux ans plus tard le troisième ; Quand nous grandissions ils étaient plus proches l’un de l’autre que de moi. Quand je suis parti faire mes études à 21 ans, Ivan avait 17 ans ; pendant longtemps nous n’avons eu aucune relation, géographiquement nous étions trop éloignés. Aujourd’hui j’ai moins de contacts avec le benjamin, car nous vivons dans des pays différents, avec le deuxième nous en avons plus. Ivan a des contacts fréquents avec moi comme avec notre benjamin, car il vit ici et se rend souvent en France.
- Ceux qui se souviennent de votre blog, savent que votre pseudo était « cartésien ».
Cela fait un million d’années que je n’y vais plus, j’ai même perdu le mot de passe.
- Peut-être votre côté mystérieux est-il en rapport avec votre pseudo. Quoique, si je comprends bien – les cartésiens sont un ordre de moines qui se consacre à la science ?
Un cartésien est un disciple du grand mathématicien Descartes. Pour moi mon pseudo ne faisait référence qu’à sa façon d’aborder la réflexion. En choisissant mon pseudo, je cherchais un mathématicien qui m’intéressait. Descartes était l’un d’eux.
- Vous arrivez étudier les sciences ? Ou bien, en décidant de rejoindre le séminaire, vous y avez renoncé ?
Non. La science exige que l’on s’y consacre entièrement. Faire de la science en marge de mon travail administratif, ce ne serait pas sérieux. Et l’inverse est vrai.
- À quoi occupe son temps libre un vice-chancelier du Patriarcat de Moscou, un recteur, un archimandrite ?
Encore faudrait-il savoir ce qu’est le temps libre.
- Mais qu’aimeriez-vous faire, si vous en aviez ?
Lire des livres. J’ai énormément de livres non lus. Je vois un livre, je l’achète, et il est là sur mon bureau, attendant que je le lise. Je crois que je vais être obligé de trier ces amoncellements sans les avoir lus. J’ai vraiment honte. J’aimerais aussi parfois aller au musée. La dernière fois que j’ai visité la Galerie Trétiakov, c’était Il y a deux ans environ, depuis jamais ; il y a quelque temps pendant mes vacances je suis allé au musée des arts. Ah oui, j’ai pu aller récemment deux fois au théâtre voir des pièces du répertoire classique.
- Mon père a résolu la question. Il a compté le nombre de livres qu’il n’avait pas lus à la maison, et il a compris qu’il n’aurait pas assez du restant de sa vie pour cela. Il a cessé d’en acheter.
Sans doute devrais-je faire de même. Mais c’est bien triste.
Photo Maria Temnova
Oui. Il y a 4 ans, c’était mon rôle de le faire. Le 2 avril cela a fait 9 ans que je travaille à la chancellerie. La première moitié de ce temps j’avais en charge ce courrier. Nous répondions à toutes les demandes, sauf si elles étaient ouvertement scandaleuses ou si d’après le style de la lettre il était évident que la personne était psychiquement déséquilibrée. Par exemple, si la lettre était écrite en cinq couleurs et trois polices de caractères différentes.
Par ailleurs, j’étais chargé d’étudier et de synthétiser les rapports annuels des diocèses – je le fais toujours. Tous les diocèses envoient annuellement un rapport de leurs activités. Nous nous efforçons régulièrement de simplifier les règles de rédaction de ces rapports, mais il faut bien un minimum.
Ensuite, en nous fondant sur les informations que nous envoient les autres services, nous préparons les conciles archiépiscopaux qui font le bilan d’une période donnée de la vie de l’Église (les statuts prévoient une réunion tous les 4 ans, mais en fait c’est plus fréquent). Nous préparons également les réunions du Synode (les statuts prévoient que le chancelier est le secrétaire du Synode).
Avec l’augmentation du volume de travail, il a fallu scinder la chancellerie en deux sous-divisions : le secrétariat et le service de contrôle et d’analyse. Tout le courrier est désormais à la charge du secrétariat.
Ces dernières années nous avons amélioré le système d’étude des statistiques de notre Église. À notre arrivée, c’était le chaos. Non pas parce qu’avant nous les gens travaillaient mal, mais parce qu’ils n’avaient pas les outils. Ou plutôt, les outils n’étaient pas ceux qu’il fallait. Par exemple, les rapports provenant des diocèses présentaient d’une année sur l’autre des discordances dans le nombre de paroisses – tantôt plus, tantôt moins. Comme mathématicien, j’en avais les cheveux qui se dressaient sur la tête. Avec des chiffres dans certains diocèses qui pouvaient différer de plus ou moins 60 paroisses, j’avais envie de leur répondre : une fois pour toutes, faites le compte de vos paroisses.
Nous avons créé un système de décompte assez poussé. Nous avons comparé les chiffres avec ceux de la population. On ne peut pas dire que les chiffres témoignent de la vie de l’Église, mais ils permettent de se faire une idée assez précise. Lorsque nous rassemblons ces données, il nous arrive de téléphoner au diocèse, et de demander pourquoi tel ou tel indicateur n’est pas bon. Mais il est important de ne pas effrayer les gens qui reçoivent un appel de Moscou. Nous expliquons à chaque fois, que nous ne sommes pas des cerbères, mais que nous voulons comprendre ce qui se passe et ce qu’il faut faire pour changer les choses, pour aider le diocèse. Dans l’ensemble, sur ce sujet nos relations avec les diocèses sont bonnes.
Je vais vous expliquer sur un exemple à quoi servent les statistiques. Il y a trois ans, nous avons mis en place un système de répartition des diplômés des établissement théologiques centraux. Les étudiants des séminaires de Moscou, de Saint-Pétersbourg, de la Sainte-Rencontre, de Saint-Nicolas-d’Ougrechsk, de Saint-Nicolas-de-Perervinsk, ainsi que de l’institut Saint-Tikhon, sont tenus après leur diplôme de travailler pendant deux ans là où on les affectera. Cela doit aider les diocèses manquant grandement de personnel, en particulier en Extrême-Orient. Aujourd’hui nous pouvons nous servir des statistiques que nous avons rassemblées pour voir où, objectivement, nous manquons de prêtres. Pas juste parce qu’un diocèse le demande – envoyez-nous encore un jeune diplômé. Tout le monde le demande, nous n’avons pas assez de diplômés pour satisfaire tout le monde. Mais les chiffres nous montrent dans quel diocèse il y a un prêtre pour 30 000 habitants. C’est là-bas qu’il faudra envoyer quelqu’un.
Il est extrêmement important de considérer chaque diocèse et sa vie séparément. De ne pas mettre tout le monde dans le même panier. Si nécessaire, de créer des mécanismes d’aide. Tout n’est pas toujours un succès. Je présente plutôt une image idéalisée, mais c’est là notre mission.
- Ce que vous avez dit à propos du Synode est particulièrement intéressant : de l’extérieur on a l’impression que vous assistez aux réunions parce que vous avez dans l’Église un rôle tout particulier, dont j’entends constamment parler en privé.
Je n’assiste pas aux réunions du Synode, seuls les membres du Synode y sont. Je suis derrière la porte, et si nécessaire, s’il faut faire quelque chose au moment où une question est en discussion, on m’appelle, on me donne à corriger tel projet de document ou tel registre du Saint Synode, et je le fais. Quant à la préparation des réunions, en général c’est le service concerné qui rédige le projet de registre, puis nous nous chargeons de réviser le texte, le plus souvent uniquement son style, pour que tous les registres soient écrits de la même façon. Nous vérifions également les projets de décisions en les comparant aux décisions précédentes, afin qu’il n’y ait pas de contradiction. S’il y a des différences, si le registre peut être complété ou bien s’il y a contradiction, nous en informons la hiérarchie qui prendra les décisions. C’est pareil pour tout le reste : nous préparons les textes. Mais jamais le Synode ne signe sans regarder, ni le Patriarche ne prononce sans l’avoir d’abord corrigé un texte écrit par père Savva.
- C’est ce que je voulais entendre. Parce que parfois on a une impression tout autre.
Le penser, c’est tout d’abord, non pas surestimer père Savva, mais surtout vraiment sous-estimer le Patriarche et les membres du Synode. Il m’est arrivé de travailler avec le Patriarche dans des groupes de rédaction, et j’ai pu observer à quel point il est sensible à chaque mot. Évidemment, quand on est Patriarche on n’a pas le temps d’écrire des textes de 20-30 pages, même si je peux témoigner que jusqu’à maintenant il lui arrive de rédiger lui-même des paragraphes entiers de ses exposés.
Comment notre service travaille-t-il à préparer un texte ? Nous écrivons un premier brouillon (ou bien nous synthétisons ce que nous ont envoyé d’autres services), puis commence le processus de relecture. Parfois c’est très difficile. Le Patriarche est un orateur pointilleux, dans le bon sens du terme : il vérifie littéralement tout ce qu’il va dire.
Je le répète, que le Patriarche accepte sans l’avoir lu tout ce que nous pourrions concocter est – dans son principe même – impossible. Bien sûr, dans certains cas nous sommes une force de proposition. Par exemple, à l’initiative de Mgr Barsanuphe (6) , nous avons proposé un document prescrivant aux hiérarchies diocésaines de se préoccuper des clercs âgés, des veuves de prêtres. Une version temporaire de ce document a été adoptée en 2011, la version définitive en 2013. Dans certains diocèses, son application est un succès, dans d’autres elle laisse à désirer, ou bien nous manquons d’information. C’est là une des missions que je voudrais bientôt proposer au chancelier – de vérifier comment est appliqué ce document.
Comme je l’ai déjà dit, il nous arrive souvent de rédiger des textes fondés sur les propositions d’autres services. C’est quelque chose que nous réussissons plutôt bien : rédiger et corriger des textes de fond ou bien législatifs. Je parle ici exclusivement de la législation interne à l’Église, les questions juridiques sont l’apanage d’un autre service. Pour parler en termes laïques, soit nous travaillons comme « speechwriter », soit comme « direction juridique ecclésiale ».
Une grande partie de notre travail est liée à l’organisme appelé « Présence inter-synodale » : c’est un mécanisme de discussion publique de documents-clés. À l’époque où la discussion concernait le document sur le soutien matériel et social des clercs, nous avons reçu des réactions venant de tous les diocèses, il y a eu beaucoup de commentaires sur Internet, des centaines de commentaires qu’il nous a fallu étudier et synthétiser. Bien sûr, l’organe synthétiseur n’est pas neutre, il apporte aussi quelque chose de lui, il peut réagir de façon positive ou négative au document. Je pense que l’un des exemples les plus réussis d’une discussion publique concerne le document consacré à l’Eucharistie et à la préparation à la communion. Il a été discuté en deux étapes. Nous avons reçu tellement de commentaires qu’il a fallu entièrement le réécrire. En fin de compte, il en est sorti un texte équilibré, et j’estime qu’en partie c’est grâce à ma sous-division.
Ma sous-division remplit une autre fonction : nous sommes l’appareil du Tribunal ecclésiastique suprême. Le tribunal ecclésiastique est une instance d’appel des décisions prises au niveau diocésain. Il se réunit une ou deux fois par an. Il n’y avait aucun sens à créer un appareil spécifique ; c’est pour cela que c’est à nous que cette fonction a été confiée depuis 2010, date à laquelle l’activité du tribunal ecclésial a été lancée. Lorsque nous recevons un appel, nous rassemblons les avis des parties – du diocèse, de l’appelant, des témoignages ; nous les synthétisons (en général il y a quelques centaines de pages) en un document d’une vingtaine de pages, avec références aux documents du dossier. Je veux ici particulièrement souligner le fait, que les services administratifs du tribunal ecclésiastique reste le plus neutre possible. Nous n’écrivons jamais les décisions à l’avance. Celles-ci sont prises par les juges après qu’ils aient pris connaissance des documents et qu’ils aient entendu de vive voix les protagonistes durant une session du tribunal. L’existence active du tribunal ecclésiastique est, à mes yeux, l’un des plus importants succès du présent règne patriarcal.
- À mon avis, même les fidèles ne connaissent pas tous l’existence du tribunal ecclésiastique. Quels types d’appels étudie-t-il ?
Par exemple, un diocèse décide de déchoir une personne de la prêtrise. Mais tant que cette décision n’a pas été confirmée par le Patriarche, elle n’est pas, suivant les Statuts, mise en application. Les raisons peuvent être très diverses : adultère, accusation de vol important de l’église, alcoolisme invétéré. Mais dans certains cas les prêtres peuvent estimer que les accusations ne sont pas fondées, et que le tribunal diocésain a pris une décision injuste. Ou bien ils acceptent la décision, mais pas la sanction. Il peut être question de déchoir la personne de la prêtrise, comme je l’ai déjà dit, mais aussi de lui interdire de célébrer. Ces prêtres font alors appel devant le tribunal ecclésiastique.
Toutes les décisions du tribunal ecclésiastique sont publiées en libre accès sur le site de l’Église orthodoxe russe. Au moins la partie résolution. Nous ne publions pas les motifs, car ils font référence à des choses privées. Les décisions sont très variées. Par exemple, la faute du prêtre est confirmée, la décision prise par le tribunal diocésain de le déchoir de la prêtrise est justifiée, mais le tribunal ecclésiastique décide de lui donner encore une chance, en apposant un moratoire sur la décision du tribunal diocésain et en interdisant au prêtre de célébrer pendant quelques années. Une sorte de période d’essai. C’est ce qui est arrivé à un prêtre qui souffrait d’alcoolisme : il a vécu une tragédie, le tribunal en a tenu compte et a fait preuve de mansuétude, en espérant que l’examen de son cas à un tel niveau l’aiderait à revenir sur le droit chemin. Il y a eu un autre cas intéressant : un prêtre avait été accusé de vol. Le diocèse voulait le déchoir de la prêtrise, mais le tribunal ecclésiastique a estimé la décision impropre. Il n’y avait aucune preuve de malversation financière intentionnelle. Le tribunal ecclésiastique a donc annulé la décision diocésaine. Eh oui, il arrive aussi que le tribunal ecclésiastique annule la décision du tribunal diocésain, concluant que la culpabilité du prêtre n’a pas été prouvée.
- Effectivement les décisions des tribunaux diocésains et ecclésiastique sont, ces dernières années, publiées en libre accès ; il m’a semblé que le nombre de déchéances de prêtrise ou d’interdictions temporaires de célébrer sont en augmentation.
En partie c’est vrai. D’abord il faut considérer que le nombre de diocèses a augmenté, et que les prêtres sont désormais plus exposés à la supervision des archevêques. Lorsque dans un immense diocèse un prêtre officie dans un petit village loin de la capitale diocésaine, qu’il se conduise mal peut longtemps passer inaperçu. Mais désormais ce n’est souvent plus le cas. Ensuite, le nombre de prêtre augmente tous les ans de plusieurs centaines. Et c’est logique – s’il y a plus de prêtres, il y a aussi plus de mauvais prêtres.
- Dans les mêmes proportions ?
Non, sans doute. Mais la corrélation existe.
- Qu’est-ce qui est plus important pour vous – servir l’Église ou servir l’église ?
Quelle différence ?
- Lorsque je suis devenue une journaliste parlant de religion, j’ai appris qu’il y avait des aspects différents dans la vie de l’Église. Et parfois ces aspects étaient très loin de ce que pour moi devaient représenter les croyants, les prêtres. J’ai alors décidé que l’église, c’est là où je vais rencontrer Dieu, et l’Église, c’est un des ministères de l’État.
Je ne fais pas de différence entre ces « deux » Églises, aucune dichotomie. Bien sûr, il y a le Corps mystique du Christ et l’Église vivant dans le temps, dans l’histoire en tant qu’institut. Mais ce ne ce sont pas deux Églises différentes. L’Église – Corps du Christ – est habitée par des personnes diverses, souvent par des pécheurs. Mais quoi, moi aussi j’en suis un. J’ai mes bons côtés, et mes côtés pas très bons, certains ne m’aiment pas, estimant que je suis une personne mauvaise, et même un mauvais chrétien. Peut-être même certains se demandent-ils comment je peux servir l’Église.
- Nous avons chacun d’entre nous quelqu’un qui ne nous aime pas.
C’est vrai. Ce qui ne nous empêche pas, chacun d’entre nous, de se concevoir au sein de l’Église, malgré nos péchés.
- Tout le monde sait que dans ma vie, il y a quelques personnes pour lesquelles je suis prête à « tout casser ». D’abord je le ferai machinalement, ce n’est qu’ensuite que je commencerai à réfléchir. Mais un moine ne peut pas se conduire comme cela. Vous arrive-t-il de vivre des moments où vous pourriez réagir de cette façon ?
Oui, bien sûr, cela doit arriver.
- Comment faites-vous pour que les gens ne remarquent pas que vous réagissez fortement ?
Et pourquoi ne le remarqueraient-ils pas ? Je suis une personne émotive, certains le savent bien. Avec le temps mon émotivité s’est quelque peu adoucie, et grâce à mon travail, à mon sacerdoce j’ai appris à réagir plus calmement. Dans la paroisse, où nous sommes tous tellement différents, il faut bien souvent calmer le jeu. J’ai beaucoup de subordonnés, à la chancellerie comme dans la paroisse, ils sont tous différents, il faut donc garder un équilibre. Non pas avoir la même attitude envers tous, de toute façon ce n’est pas le cas. Certains me sont plus proches, certains plus sympathiques, un autre au contraire me déplaît. Je m’efforce de réagir en toute justice aux actes et aux erreurs de tous et de chacun. Mais il peut arriver que je me mette très en colère, et que j’agisse alors avec sévérité et dureté. Je réagis sans doute avec plus d’émotion avec mes amis proches qu’en tant que chef ou recteur.
- Je ne sais toujours pas s’il faut s’offenser « pour Dieu », ou si Dieu ne peut pas être outragé.
Je n’ai jamais eu de raison de m’offenser pour Lui. Le Seigneur sait ce qu’Il a à faire dans tous les cas. Bien sûr, si quelqu’un vient mettre des inscriptions blasphématoires sur mon église, je serai très en colère contre ces personnes. Non pas parce que cela offense Dieu, mais parce que pour les 300 personnes qui sont notre paroisse, notre église est chère, ils l’aiment, et il ne faut pas y faire de saletés.
- Si je vous demande ce qui a été déterminant pour vous – pour les trois frères – dans votre éducation, que diriez-vous ?
C’est une question compliquée, parce qu’elle demande que je porte en public un jugement sur mes parents, sur la façon dont ils nous ont éduqué. Je ne pense pas que cela soit correct. Oui, au fond c’est cela – ce n’est pas quelque chose dont je voudrais parler en public. Non parce que j’ai quelque « réclamation » à faire quant à mon éducation, – bien au contraire, je suis très, très reconnaissant à mes parents, mais parce que c’est un domaine très privé.
- Comment sont vos relations avec vos frères ?
Bonnes. Meilleures que lorsque nous étions petits. Nous avons une assez grande différence d’âge. Il y a d’abord eu moi, puis 4 ans après le deuxième et encore deux ans plus tard le troisième ; Quand nous grandissions ils étaient plus proches l’un de l’autre que de moi. Quand je suis parti faire mes études à 21 ans, Ivan avait 17 ans ; pendant longtemps nous n’avons eu aucune relation, géographiquement nous étions trop éloignés. Aujourd’hui j’ai moins de contacts avec le benjamin, car nous vivons dans des pays différents, avec le deuxième nous en avons plus. Ivan a des contacts fréquents avec moi comme avec notre benjamin, car il vit ici et se rend souvent en France.
- Ceux qui se souviennent de votre blog, savent que votre pseudo était « cartésien ».
Cela fait un million d’années que je n’y vais plus, j’ai même perdu le mot de passe.
- Peut-être votre côté mystérieux est-il en rapport avec votre pseudo. Quoique, si je comprends bien – les cartésiens sont un ordre de moines qui se consacre à la science ?
Un cartésien est un disciple du grand mathématicien Descartes. Pour moi mon pseudo ne faisait référence qu’à sa façon d’aborder la réflexion. En choisissant mon pseudo, je cherchais un mathématicien qui m’intéressait. Descartes était l’un d’eux.
- Vous arrivez étudier les sciences ? Ou bien, en décidant de rejoindre le séminaire, vous y avez renoncé ?
Non. La science exige que l’on s’y consacre entièrement. Faire de la science en marge de mon travail administratif, ce ne serait pas sérieux. Et l’inverse est vrai.
- À quoi occupe son temps libre un vice-chancelier du Patriarcat de Moscou, un recteur, un archimandrite ?
Encore faudrait-il savoir ce qu’est le temps libre.
- Mais qu’aimeriez-vous faire, si vous en aviez ?
Lire des livres. J’ai énormément de livres non lus. Je vois un livre, je l’achète, et il est là sur mon bureau, attendant que je le lise. Je crois que je vais être obligé de trier ces amoncellements sans les avoir lus. J’ai vraiment honte. J’aimerais aussi parfois aller au musée. La dernière fois que j’ai visité la Galerie Trétiakov, c’était Il y a deux ans environ, depuis jamais ; il y a quelque temps pendant mes vacances je suis allé au musée des arts. Ah oui, j’ai pu aller récemment deux fois au théâtre voir des pièces du répertoire classique.
- Mon père a résolu la question. Il a compté le nombre de livres qu’il n’avait pas lus à la maison, et il a compris qu’il n’aurait pas assez du restant de sa vie pour cela. Il a cessé d’en acheter.
Sans doute devrais-je faire de même. Mais c’est bien triste.
Photo Maria Temnova
Notes
2 NdT : diplôme obtenu après 5 ans d’études au séminaire, avec soutenance d’une thèse.
3 NdT : thèse soutenue à la suite d’études en académie de théologie.
4 En anglais dans le texte.
5 NdT : en français les deux termes se traduisent par Patriarcat. C’est pourquoi, pour marquer la différence, j’ai transcrit le premier terme tel qu’il se dit en russe.
6 NdT : le chancelier.
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"PO" Une interview de l'archimandrite Sabba /Toutounov/ à l'hebdomadaire "Expert"
Archimandrite Savva (Toutounov): «La paroisse, ce n’est pas le bâtiment, ce sont les gens»
Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 15 Mai 2018 à 15:39
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