À la recherche de starets, les gens comblent leur vide spirituel
Irina Yakousheva s’entretient avec l’Higoumène Pierre /Meshcherinov/ le 8 août 2017

« Qui sont ces „touristes de la spiritualité” ? Qu’est-ce qui pousse ces paroissiens laïques vers la spiritualité monacale ?

Les monastères peuvent-ils survivre sans pèlerins ? Qu’est-ce qu’un regard serein sur la vie monacale ? » Telles sont les interrogations de l’Higoumène Pierre.

Qu’est-ce qui pousse les gens à faire de si nombreux pèlerinages, comment se porte le « tourisme de la spiritualité » ?

— Pour ce qui est des gens extérieurs, des non pratiquants, c’est là une mode, une démonstration de réussite sociale. Les gens aisés aiment se rendre au Mont Athos, en Grèce, en Terre sainte. Pour ce qui est des monastères de notre pays, seuls quelques-uns, comme Valaam, suscitent un tel intérêt. Nos monastères de province n’attirent pas particulièrement ce genre de groupes de pèlerins. Il y a un type donné de sermons adressés aux gens aisés : on leur parle pèlerinages, dons, restaurations d’églises et de monastères, c’est une bonne action qui leur est accessible. Suivre les Commandements du Christ leur est plus difficile, mais faire un don manuel, ça, ils le peuvent.

À la recherche de starets, les gens comblent leur vide spirituel
Est-ce que ces pèlerinages sont d’une quelconque utilité ?

— Pour ces gens, d’aucune utilité, c’est une tromperie, au lieu de les ouvrir à la vie chrétienne, on leur propose de se racheter simplement. Pour ce qui concerne les monastères, c’est une autre question, beaucoup plus complexe. Je considère que les monastères doivent être fermés non seulement aux touristes, mais à toute personne extérieure. Un monastère est une communauté de religieux qui se sont consacrés au perfectionnement intérieur et la présence de personnes extérieures, même pour participer aux offices est une entrave à cette recherche. Mais depuis longtemps chez nous les choses se sont établies autrement : le monastère est considéré par les laïcs comme un modèle, modèle pour ce qui est des offices divins ou de la pastorale, et il faut en tenir compte. Si le monastère est un lieu de réclusion, cela implique que les frères subviennent à leurs besoins par leur travail, et, selon moi, ce travail ne peut pas être simplement agricole, car il ne rapporte pas beaucoup et n’est pas très compatible avec le travail sur soi. Ce doivent être de petites communautés qui se livrent au travail intellectuel, en piètre estime dans notre pays, tout ça est donc comme une utopie.

Mais nos monastères grand ouverts au monde ont besoin de vivre. Ils accomplissent leur rôle liturgique et pastoral et en espèrent, en retour, soutien et aide matérielle. Telle est la situation de nos monastères, mais le but de la vie monacale est le perfectionnement intérieur, ce qui, selon moi, ne peut être d’aucun rapport.

Peut-on changer le statut des monastères de sorte que les moines n’aient plus à se plaindre et que l’on puisse s’y rendre en pèlerinage ?

— Ce qui est regrettable c’est que nous avons tous une règle unique : le monastère est un lieu de vie communautaire centré sur les offices divins. Or historiquement, jusqu’au XIXe et début du XXe siècle, les monastères étaient de types différents : ermitages, vie communautaire ou dans le monde. Et les petits monastères pouvaient tenter de vivre comme je l’ai décrit plus haut. Quant aux grands monastères dont l’activité est à visée pastorale et éducative, tout doit y être fait pour que la communauté n’ait pas à se disperser dans la vanité du monde. Ainsi, par exemple, ici au monastère Saint-Daniel, ce ne sont pas les frères qui prennent en charge les groupes de pèlerins, mais un service touristique avec des guides professionnels qui présentent le monastère aux visiteurs. Donc des compromis sont possibles.

Mais les croyants, pourquoi deviennent-ils des « touristes de la spiritualité », qu’est-ce qu’ils ne trouvent pas dans l’église à côté de chez eux et qu’apportent-ils aux monastères ?

— Les pèlerins croyants sont, pour le moine retiré dans son monastère, un énorme fardeau qui sape véritablement la vie spirituelle. À y regarder sans détours, monachisme et sainteté n’ont pas grand-chose en commun. Dans la tradition ancienne, dans les monastères de vie communautaire, il y avait un ou deux prêtres qui se consacraient exclusivement aux célébrations liturgiques pour les moines, et non pas du tout pour les visiteurs laïques (saint Sabas le sanctifié). Ensuite tout a changé, ce qui, de mon point de vue, est contraire au monachisme. Pourquoi est-ce que les gens affluent dans les monastères ? Certainement parce qu’ils ne sont pas satisfaits par la pastorale de leur paroisse. Ici nous abordons un problème que j’ai soulevé il y a longtemps : nous n’avons aucune pédagogie de la pastorale qui nous permettrait d’ouvrir les gens à la vraie vie chrétienne qui est, avant tout, une vie intérieure, la vie de l’homme en Christ, pour laquelle la vie en l’église n’est qu’un moyen, un secours, une aide, etc. Quand cela manque, en l’homme se crée un vide qu’il commence à combler par des pèlerinages.

Dans les temps anciens, les pères de l’Église disaient que les pèlerinages n’ont rien à voir avec la vie chrétienne, que ce n’est que perte de temps et d’argent, que cela « désoriente », attire l’attention non sur la vie non pas intérieure, mais extérieure… et l’on en est toujours au même point. Il est d’autant plus pénible de vivre une vie intérieure que l’on ne nous y prépare pas. Voilà pourquoi les gens cherchent des starets, ou je ne sais qui.

Et pourtant ils cherchent et trouvent semble-t-il, les visites de monastères y participent ?


— Bien sûr, on me dit que l’offre fait en grande partie naître la demande. Et c’est vrai, en 25 ans de vie pastorale, j’ai rencontré quelques personnes qui m’ont interrogé sur la vie intérieure, m’ont demandé comment prier, qui sont ces « cœurs purs », que veut dire l’apôtre Paul quand il écrit : « Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Christ en Dieu. » (Col. 3,3), qu’est cet « homme intérieur » dont parlent les apôtres, etc. Toutes ces choses n’intéressent presque personne. Ce qui intéresse le chrétien comme le non chrétien c’est quel est l’avenir, que faut-il faire pour qu’il soit bon ?

C’est ça la demande, mais dans l’Église du Christ il y a la charge de pasteur pour s’opposer à cette « religiosité de tous », pour enseigner la vérité, proclamer l’Évangile et la vie intérieure en Christ et non pas les starets-thaumaturges. Et comme ça n’existe pas, les monastères s’emplissent de « pèlerins » à la recherche de starets. Bien sûr, les moines authentiques en souffrent. Mais de nos jours autour des monastères s’est créée une sous-culture, avec ses aspects économiques aussi, mais elle vit, et se défend si nécessaire.

À la recherche de starets, les gens comblent leur vide spirituel
Est-ce qu’il y a un moyen raisonnable de sortir de cette situation ? Faut-il changer tout le système, le statut des monastères ? Ou faut-il expliquer aux gens ?

— La solution raisonnable n’est ni dans les révolutions ou dans les réformes, il faut simplement que chacun apprécie la situation en chrétien, d’un œil lucide. Je ne dis qu’il est aujourd’hui impossible de vivre au monastère et d’y sauver son âme, c’est tout à fait possible, mais il faut que toute chose soit à sa place et que les gens ne se fourvoient pas dans les livres anciens, qu’ils regardent les choses en face. Quand je m’apprêtais à entrer au monastère Saint-Daniel (je considère que du point de vue de l’organisation, c’est le meilleur), un prêtre, à qui j’ai posé la question, m’a dit : « n’hésite pas, le monastère est comme tous les autres, c’est comme dans les livres, comme chez les pères — humilité et obéissance. » Il s’est avéré que ce n’est pas tout à fait comme ça, il y a une spécificité.

À qui veut entrer dans les ordres il faut dire la vérité : ce qui l’y attend, les dangers qui le guettent, quelles sont les embûches, alors il s’y retrouvera. Sans soutien pastoral on a du mal à y parvenir. Ma génération qui a reçu la tonsure à la fin des années quatre-vingt ou au début des années quatre-vingt-dix, il n’y avait rien de tout cela, nous partions de zéro et, bien sûr, nous trompions quant à ce qui est dit dans les livres des saints pères et ce que signifie la vie monacale contemporaine, surtout dans les grands monastères urbains. Je veux souligner que l’on peut vivre dans de tels monastères, s’y attacher et participer à les améliorer en quelque sorte, chacun à sa place. Mais il faut dire aux novices les choses telles qu’elles sont, sans rien dissimuler derrière les saints pères, sans les désorienter. L’expérience de notre génération le permet.

Et comment faut-il s’adresser aux pèlerins-touristes ?

— Comme aux gens riches qui visitent les lieux saints, il faut leur dire la vérité : venez, laissez des dons, mais sachez que ça ne vous ouvrira pas les portes du Paradis. Il faut leur dire que l’important est de suivre les Commandements du Christ dans leur vie quotidienne et leur vie sociale : ne pas tricher, ne pas mentir, ne pas s’enorgueillir, ne pas voler, et ainsi de suite, et alors, en cinquième ou dixième position, en option, en tant que « repos spirituel », un voyage au Mont Athos ou à Jérusalem pourra leur être salutaire. Mais qu’un aucun cas ce ne peut « racheter » leur vie dissolue. Il faut le dire ! Ça en surprendrait sûrement quelques-uns, parce que de leur confesseur ils n’entendent que des mots indulgents : « Nous sommes tous gens faibles et pécheurs, construis nous un clocher et tes péchés te seront remis. »

Les « starets », c’est tout une sous-culture, une idéologie pseudo-ecclésiale à laquelle on doit substituer une authentique pédagogie ecclésiale saine. Mais pour le moment ce n’est visiblement pas une priorité de notre vie ecclésiale.

Entretien mené par Irina Yakousheva
Поиском старцев люди заполняют духовную пустоту
Source : Pravmir.ru Traduction "PO"

À la recherche de starets, les gens comblent leur vide spirituel

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 27 Octobre 2017 à 15:23 | 47 commentaires | Permalien



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