Père Timothy Curtis Saint Anne’s Northampton

Chers frères et sœurs,
Dear brothers and sisters

Cette lettre ouverte ne s’adresse à personne, ou n’est en réponse à aucune lettre, directement, car bien souvent ces dernières sont lues comme des attaques ad hominem. Plutôt que de traiter des idées, nous avons pour habitude de nous adresser à la personne. Au lieu de cela, je propose d’aborder un certain nombre de questions qui ont été soulevées par ces lettres, par des commentaires postés sur les réseaux sociaux ou par des contacts quotidiens avec les paroissiens et des confrères du clergé.

Ces six derniers mois, j’ai vécu dans l’angoisse jour après jour à cause de ce problème, je parle avec crainte et tremblements plutôt qu’avec udace, mais « Que personne ne méprise ta jeunesse » (1 Tim 4,12).

À la défense de notre évêque >>> SUITE PJ en ce texte en P.J. en français, anglais
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À la défense de notre évêque

Ignace d’Antioche a dit : « Partout où paraît l’évêque, là aussi est la communauté ; comme partout où est le Christ Jésus, là est l’Église universelle. » Là est mon point de départ. No seulement trouvons-nous notre unité et la plénitude de l’Église universelle dans la particularité d’une Église locale, mais nous trouvons aussi notre unité et notre plénitude dans notre évêque. Il représente et incarne la plénitude de toutes les Églises, universelle et locales. Quand nous avons voté avec une majorité de 93 % pour la conservation de notre archidiocèse, nous avons aussi voté cela en toute confiance pour notre archevêque. Car sans un archevêque, notre archidiocèse n’est pas un archidocèse, mais une association de paroisses. Ainsi, que nous soyons en accord ou pas avec quelconque décision spécifique qu’il prenne, notre loyauté première va à notre archevêque, « la Personnalité », pour ainsi dire, de notre archidiocèse. Nous, bien évidemment, en conformité avec les traditions et les statuts particuliers, pouvons, et devons, lui offrir nos prières, nos pensées, nos opinions, et nos conseils. Mais nous, membres de l’Archidiocèse, ne sommes pas au dessus de lui. En nous écoutant, et en lisant toutes ces lettres ouvertes, il discerne le « sensus fidelium » [NdT : « sens (de la foi) des fidèles »] et la sollicitation de l’Esprit saint. Notre loyauté est envers une personne. Notre foi est en Christ, pas dans la Bible. Notre expression de l’église se manifeste dans un évêque, pas dans une structure légale.

Un évêque revêt la plénitude de l’Église, mais un évêque orthodoxe n’est un évêque orthodoxe que dans la mesure où il est reconnu, et continue d’être reconnu, par d’autres évêques orthodoxes, dans une communion dynamique. Sur le plan organisationnel, certains évêques sont des archevêques, des métropolites, des vicaires ou même des patriarches, mais tous sont des évêques. La communion dynamique est régularisée dans les relations entre évêques diocésains ou exarchaux et leurs évêques patriarcaux, mais notre communion en tant qu’Église réside dans notre communion avec notre évêque. Chaque paroisse, chaque prêtre, chaque communiant est reconnu comme tel en vertu de leur communion dynamique avec leur évêque. Un évêque, toutefois, ne tire pas seulement sa reconnaissance d’un autre évêque (même s’il est patriarche), mais d’autres évêques.

C’est pourquoi au moins trois évêques sont requis pour consacrer un nouvel évêque. Ainsi, l’Archidiocèse, et notre Archevêque, ne tire pas son autorité du Patriarche de Constantinople, mais de tous les autres évêques des tous les autres patriarcats. Même dans le schisme, dans la rupture de la communion entre Moscou et Constantinople, aucune partie n’a cessé de se reconnaître comme des évêques orthodoxes. Par conséquent, peu importe le patriarche que nous commémorons – la décision appartient à notre archevêque. Ce qui prime est que nous célébrions la Divine Liturgie au nom de notre évêque, et pas de tout autre évêque que lui.

Donc, mon premier argument est que notre loyauté doit aller à notre archevêque, puis est de le soutenir quelle que soit sa décision, même s’il a (selon nous) pris la mauvaise décision. Nous ne pouvons le soutenir que s’il prend une décision que nous approuvons. Cela pose alors « le problème du PM ».

Le ‘problème’ du PM

Les lecteurs doivent comprendre que j’écris depuis les Midlands d’Angleterre, que je suis un citoyen qui a vécu et prié dans trois des quatre nations de Grande-Bretagne. L’histoire récente de l’Archidiocèse au Royaume-Uni est différente du reste de l’Archidiocèse. La tradition russe, jusqu’en 2006-2007, a été principalement représentée par le diocèse de Sourozh. Je ne vais pas tenter de résumer ces événements, mais certaines des paroisses ont rejoint l’Archidiocèse, reçues par l’Archevêque Gabriel d’heureuse mémoire. Depuis, la circonscription de G.-B. s’est étendue et développée au point que la majorité des prêtres ordonnés après moi (2007), et un nombre considérable de paroissiens ne savent, comprennent ni n’ont pris part à ces événements tragiques.

Pour ceux qui ont été impliqués dans cette affaire, leur douleur et souffrance est encore visible et viscérale. Je comprends cela, mais de très nombreuses personnes dans les paroisses de la circonscription de G.-B. sont des prêtres et des paroissiens de l’Archidiocèse, non du Vicariat, ou de Sourozh avant cela.

Le « problème du PM », par conséquent, est celui d’un possible sergianisme. Cette alliance entre un État corrupteur, corrompu et athée a été la raison pour laquelle notre archidiocèse a été créé et pourquoi il a cherché à faire partie de la famille de Constantinople. Il n’a pas suivi la route de l’EORHF vers une pleine indépendance. Pour de nombreuses personnes, l’Église en Russie est trop étroitement associée à la nature oppressive de l’État. Et pourtant, le Diocèse de Sourozh est resté membre de la famille de Moscou pendant toute la durée de l’ère soviétique. Que la Russie de Poutine soit la même que la Russie soviétique est sujet à débat, mais ce qui diffère est que le système soviétique était une idéologie. Le poutinisme, à ma connaissance, n’est pas une idéologie. Si la doctrine du poutinisme est une oligarchie kleptomane (et je ne dis pas qu’elle l’est), alors cette idéologie n’est pas limitée à la Russie et à ses États satellites. Rien de cela n’a d’importance. L’Église orthodoxe en Russie n’est pas un monolithe, et nous faisons violence à tous ces Russes ordinaires qui cherchent à rencontrer Dieu en vérité et dans l’amour, juste parce qu’une partie de leur Église est mêlée à une machinerie d’État. Cette association, bien sûr, a précédé la montée de la Russie soviétique. Les événements de 2006-2007 ont provoqué beaucoup de souffrances, et il n’y a eu aucune tentative, à ce jour, de guérir ces blessures. Des erreurs ont été commises. Certaines personnes ont même délibérément engendré ou exacerbé la douleur.

L’option de rejoindre la famille du Patriarcat de Moscou signifiera rejoindre une famille. Tel que je le comprends, le projet consiste à être une partie séparée mais associée du Patriarcat, et de ne pas devenir un « diocèse ordinaire » sous le contrôle direct du patriarche (comme c’était le cas de l’Archidiocèse sous Constanstinople). On nous laissera libres et nous serons tenus à l’obéissance, tout comme la ROCOR et l’OCA sont libres, et dont il est pourtant prévu qu’elles obéissent.

Cette interaction entre liberté et obéissance est toujours dynamique, et contestée, de la même manière que nous, enfants volontaires, cherchons à obéir à l’amour bienveillant de Dieu. Cela invite alors à considérer l’option de devenir « indépendants » ou, comme d’aucuns diront, « non canoniques ».

Indépendance et liberté

Indépendance et liberté ne sont pas des « absolus », et ne peuvent être une solution à notre dilemme. Nous ne somme chrétiens que par la vertu de Dieu, et d’autres chrétiens, nous reconnaissant comme tels. Nous ne sommes orthodoxes que par la vertu d’autres Églises orthodoxes nous reconnaissant comme une Église. Toute autonomie dont nous jouissons en tant qu’individus et en tant qu’archidiocèse est une liberté limitée. Un archevêque « non canonique », un qui n’est pas reconnu comme tel par d’autres Églises orthodoxes, n’est pas un évêque. Nous pourrions souhaiter prendre le risque de cette reconnaissance qui nous serait offerte, mais avec un seul évêque dans notre Église, nous pourrions nous retrouver sans aucun moyen de renouveler nos évêques. Toute initiative de coopter ou de débaucher des évêques existants encourra la colère de leurs Églises d’origine. Des évêques venant pour être nos évêques, ou pour consacrer des évêques pour nous, sans la participation de leurs patriarches, seront considérés comme des renégats. Même si parvenons à persuader d’autres évêques à aider à en consacrer de nouveaux, toute initiative nous placera de facto sous le mandat ou la juridiction de ce patriarcat. Il serait peu judicieux de faire cela aussi subrepticement.

Il est fascinant, et inquiétant, que le Patriarche de Constantinople ait retiré notre statut d’exarchat, et publié une instruction ouverte pour les prêtres et les paroisses de rendre compte à leurs métropolites grecs locaux, sans déposer ou mettre à la retraite l’archevêque Jean, ou agir de toute autre façon au cours des neuf derniers mois. Ce refus de résoudre le problème de manière définitive est étrange. Ce problème auquel nous sommes confrontés est le fait de Constantinople, et pourtant nous sommes censés le régler.

Le ‘problème’ causé par Constantinople

Certains disent que le Patriarche de Constantinople est ouvert au dialogue, que « la porte est ouverte », mais personne (y compris la commission qui s’est déplacée au Phanar ou a rendu visite au Conseil) n’a fourni de récit pour soutenir cela. L’archevêque a écrit que le Patriarcat ne reviendrait pas sur sa décision. Mais des membres du Conseil déclarent qu’un dialogue est possible. Quand un prêtre a demandé dans une lettre ouverte qu’une preuve soit donnée, celle-ci est restée sans réponse. Il se peut que le Patriarche de Constantinople soit ouvert au dialogue, mais quand ? Combien de temps doit-on attendre pour qu’un dialogue officiel soit entamé, mais avec qui ? J’apprécie le besoin de confidentialité dans pareilles affaires, or il me semble que notre archevêque ne soit pas non plus partie à aucun dialogue officieux. Entre-temps, les évêques métropolitains dans nos pays respectifs attendent que nous répondions à des missives envoyées par eux. En effet, au Royaume-Uni, il semble qu’une lettre ait été envoyée, mais qu’elle ne soit pas parvenue aux paroisses.

L’ecclésiologie actuelle du Patriarcat de Constantinople consiste à appliquer le principe selon lequel il doit y avoir un seul évêque dans chaque grande ville, et par conséquent sa décision de fermer notre archidiocèse est de supprimer tout chevauchement entre des diocèses au sein de son propre patriarcat. C’est un principe louable, mais qui risque de devenir un article de foi plutôt qu’un principe organisationnel. Quand tous les patriarches auront trouvé comment s’organiser en Europe occidentale, alors le problème n’en sera plus un. Punir notre archidiocèse pour être supranational n’apporte pas de solution. L’Europe occidentale n’est pas seulement une diaspora à organiser. C’est le territoire du Patriarcat (non orthodoxe) de Rome (pas le Nouveau ou le Troisième). Elle a une histoire ancienne et vénérable de chrétienté non divisée qui est ignorée. Bien qu’aucun membre du clergé du Royaume-Uni n’ait affiché son enthousiasme lors de réunions de clercs concernant l’option d’une association à l’État de Russie, ou au Patriarcat de Moscou, certains ont un passé moins douloureux à surmonter. D’autres clers au Royaume-Uni espèrent que le nouvel archevêque de Thyateira offrira un « doyenné russe » comme le métropolite Emmanuel a offert un vicariat épiscopal pour les paroisses françaises. Mais un doyenné au sein de Thyateira ne respecte pas la volonté des 93 % qui ont voté pour le maintien d’un archidiocèse.

Toute décision prise par l’AGE imminente provoquera une division dans la mesure où différents individus et diverses paroisses agiront selon leur conscience. Une telle division ne doit pas causer de rancœur si nous acceptons tous que nous avons des histoires différentes et des avenirs différents. Quiconque passe outre la décision d’autrui pèche lourdement, car aucun individu n’a demandé cette division.
Nous devons examiner de près les statuts de notre archidiocèse, la manière dont ils ont été appliqués selon la législation du Royaume-Uni, et nous rappeler que ni le Conseil à Paris, ni l’Exécutif au Royaume-Uni, ni un groupe de prêtres-doyens ne peuvent être décisifs. Ces organes, comprenant des réunions de l’assemblée générale à Paris et de l’assemblée des clercs et laïcs au Royaume-Uni, ne sont que consultatifs. Il est une bonne raison pour laquelle, au Royaume-Uni, les paroisses ont des conseils « consultatifs », et non pas des conseils exécutifs.

Qui l’archevêque commémore au cours de ses liturgies, de qui il reçoit le chrême, qui il demande aux prêtres de commémorer lors des liturgies est une question de discipline spirituelle, pas une question caritative ou organisationelle. Même l’élection d’un évêque n’est qu’une proposition de l’assemblée générale, pas une décision, comme nous en avons fait la douloureuse expérience ces dernières années.
Ce pourrait être bien de chercher l’autonomie ou l’autocéphalie pour devenir « l’ » Église orthodoxe d’Europe occidentale, mais nous n’en sommes pas encore là. Ce pourrait être notre objectif, mais en fin de compte toutes les Églises orthodoxes autonomes ou autocéphales sont d’une certaine façon liées à un patriarcat. On ne saurait être sans maison dans un patriarcat.

Il semble, par conséquent, que la moins pire des options soit de rechercher le rapprochement avec Moscou, sachant et comprenant les risques potentiels d’ingérence. Nous sommes habitués à subir l’ingérence ; aussi les risques sous le Patriarcat de Constantinople sont-ils effectifs et réels, plutôt que théoriques. Nous pourrions également chercher à établir une relation « partiellement défaite » avec Moscou, comme l’OCA et la ROCOR, plutôt que d’apparaître comme un diocèse ordinaire. Il semble que Moscou n’interfère pas dans les affaires internes de l’OCA ou de la ROCOR, à tout le moins officiellement. Si Moscou reniait ses engagements, ils commettraient un lourd péché, si nous leur accordions notre confiance. Si Moscou ne tient pas ses engagements et cherche effectivement à nous manipuler, nous serons dans une situation différente, mais de fait à nouveau dans la même situation que celle où nous nous trouvons aujourd’hui. Nous aurons simplement échangé notre patriarcat « d’ingérence » avec un autre.

En résumé :

Nous n’avons pas cherché ce problème, aussi ne devrions-nous pas avoir à le résoudre. Le Patriarcat de Constantinople peut et doit trouver une solution alternative. Ils doivent concilier leur décision de se débarasser de notre archidiocèse et notre désir manifeste de rester constitués en archidiocèse.

Nous devons prier pour notre archevêque dans la mesure où il doit appliquer le résultat d’un référendum dont la donne ne satisfera pas tout le monde, et qui pourrait ne pas même réunir une majorité des deux tiers lors de l’AGE.

Nous pourrions avoir à accorder notre confiance avant que la pareille soit rendue. Si cette confiance est trahie, alors nous ne sommes pas les pécheurs. L’unique option sur la table maintenant (plutôt qu’à l’avenir) qui mette en œuvre les résultats du référendum à hauteur de 93 % est de relever de Moscou.

Ceux qui ne peuvent se faire à l’idée de toute forme de relation avec Moscou trouveront, bien sûr, une solution sous la juridiction de Thyateira au Royaume-Uni, de Roumanie, d’Antioche ou de Serbie. Aucun d’eux, en l’espace de neuf mois, n’a proposé une solution diocésaine et n’a besoin d’attendre que nous devenions non canoniques avant d’intervenir.

Dans l’obéissance, neous demeurons libres en esprit. Si nous sommes courageux, nous parlerons le langage de la vérité aux détenteurs de l’autorité. Nous perpétuerons les principes du Conseil de 1917-1918 et poursuivrons l’histoire de notre archidiocèse. Si l’Archidiocèse est dissous, ce ne sera que cela : du passé.

Je prie pour que vous receviez mon message avec un esprit ouvert, pas avec de la colère ou de la frustration. Remercions Dieu que nous vivions dans une démocratie occidentale où ma voix, et ceux de la majorité qui ont partagé leurs pensées et leurs inquiétudes avec moi, soit libre.

Père Timothy Curtis
Saint Anne’s Northampton
9 août 2019
À la défense de l’Archidiocèse – Un point de vue personnel de Grande-Bretagne

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 21 Août 2019 à 09:45 | 1 commentaire | Permalien



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