Une interview avec Mgr Marc, archevêque d’Egorievsk  « La présence et la mission de l’Eglise orthodoxe russe dans le monde »
"P.O." offre à ses lecteurs un document qui présente un grand intérêt : une interview avec Mgr Marc, archevêque d’Egorievsk, responsable de la Direction des établissements à l’étranger du patriarcat de Moscou

- Votre Excellence, c’est il y a deux ans qu’a été mise en place la Direction du patriarcat dont vous êtes responsable. Le Saint synode a décidé en mars 2009 de mettre en place un secrétariat pour les établissements à l’étranger. Quelles étaient les raisons de la création de ce service ? Quels sont les résultats qu’il a obtenus ?

- Mgr.Marc: Le Saint synode a été motivé par des raisons fort simples. Plusieurs nouveaux services du synode ont été crées car le Département des relations extérieures n’arrivait plus à suivre, il était sérieusement surchargé. Nous avons connu à l’époque soviétique deux grands départements du patriarcat, celui des relations extérieures et celui des publications. La charge de travail était immense. J’ai été pendant dix ans l’un des proches collaborateurs du futur patriarche Cyrille et j’ai pu constater que sa charge de travail est immense. Une seule institution synodale ne pouvait suffire étant donné l’envergure et le poids des tâches qui lui incombaient.

Nous avons vu se former le département de la mission, puis celui de l’instruction religieuse et de la catéchisation et, enfin, le service des relations entre l’Eglise et la société ainsi que celui de l’information.La présence de l’Eglise dans le monde s’est nettement accrue depuis que la direction des établissements à l’étranger a acquis son autonomie administrative. Plus de 30 paroisses ont fait leur apparition dans divers pays, nous comptons en tout plus de 400 paroisses situées dans 52 pays. Cela est considérable, d’autant plus si l’on se souvient du nombre des établissements à l’étranger dont nous disposions au début de la perestroïka.

- L’Eglise est devenue bien plus transparente qu’elle ne l’était de par le passé. Cependant, les activités de votre Département restent peu connues ?

- Mgr Marc: En effet, les médias, y compris ceux de l’Eglise parlent peu de nous. Le proverbe russe dit « la paroisse est à l’image de son pope » : l’une de nos tâches essentielles consiste à trouver des prêtres pour nos établissements à l’étranger. Souvent je m’entretiens avec des clercs qui ont exprimé le désir de servir hors de Russie ou qui nous ont été recommandés par leurs évêques.Le nombre des candidats à obtenir une affectation dans une paroisse hors de Russie ainsi que de moines et de moniales souhaitant aller dans un couvent à l’étranger est considérable. Deuxième orientation qui nous est essentielle : la construction de nouvelles églises. De très nombreuses communautés orthodoxes se constituent un peu partout dans le monde. Pas toutes, loin de là, disposent de leur propre église. On compte actuellement 49 communautés en Italie mais seule une faible partie d’entre elles ont leur propre église. Les offices sont assurés, ils sont souvent dits dans des locaux plus ou moins aléatoires. La construction de nouvelles églises revêt donc une grande importance. A Amsterdam, par exemple, nous avions seulement pendant de longues années une église-appartement. Dès qu’une église fut construite, cela dans un style architectural traditionnel, les effectifs des paroissiens ont doublé. De très nombreux Néerlandais fréquentent la nouvelle paroisse, ils en admirent les icônes, se familiarisent avec la tradition orthodoxe. Comment ne pas nous en réjouir ?
Vous savez que nous avons sanctifié en 2009 à Rome l’église Sainte Catherine. Bientôt une nouvelle église sera ouverte dans les Emirats Arabes Unis, ce sera le premier temple orthodoxe dans la péninsule arabique. Une église se trouve en construction à Chypres, elle sera bientôt inaugurée. Mentionnons un autre chantier à Madrid. Et bien sûr, Paris avec le projet d’une cathédrale et d’un centre spirituel. Disposer d’une église que l’on considère sienne renforce les communautés, les rend plus stables.
Il nous incombe également de traiter un nombre important de problèmes d’ordre juridique. Chaque pays a sa propre législation et il convient de la respecter. Un service juridique a donc été mis en place auprès de notre Direction.

Nous sommes en charge de la protection légale de nos paroisses, nous les aidons à élaborer des statuts conformes aux lois du pays où elles se situent.

Nous collectons et nous étudions les informations qui nous proviennent des paroisses. Tout ce qui concerne la vie de nos paroisses à l’étranger fait partie de notre domaine de compétence. Là où elles sont rattachées à des représentations diplomatiques du patriarcat de Moscou (Strasbourg, Sofia, Le Caire, Damas et New York) elles relèvent de la compétence du Département des relations extérieures. Mais leur vie ecclésiale proprement dite est administrée par la Direction des établissements à l’étranger. Notre Direction est également responsable de nos relations avec l’Eglise orthodoxe russe hors frontières. Relations canoniques, clergé, entraide, etc. Nous sommes par conséquent en contact permanent avec des représentants de l’EORHF.
Nos collaborateurs sont tous d’excellents spécialistes, il y a parmi eux beaucoup de jeunes professionnels ….

- Vous avez insisté sur l’importance du choix des prêtres affectés dans les paroisses à l’étranger. Quelles sont les qualités requises pour être choisi ?

- Mgr.Marc: En effet, « les ressources humaines », pour ainsi dire, sont pour nous quelque chose d’essentiel. Nos prêtres doivent avant tout être des pasteurs. Il arrive que des prêtres ignorent la langue du pays où ils se trouvent. Mais un véritable pasteur réussira malgré tout. S’il est capable de réunir ses paroissiens, de les inspirer, ils lui viendront en aide. Cependant nous attendons des candidats qu’ils maîtrisent au moins une langue étrangère. Il est évidemment impossible d’exiger la connaissance de telle ou telle langue. Lorsqu’un prêtre est missionné au Brésil ou en Argentine il ne pourra pas assimiler à l’avance l’espagnol ou le portugais. Cependant la connaissance ne fût-ce que d’une langue permet de communiquer et de mieux apprendre un deuxième idiome.
Nos prêtres ne viennent pas tous de Russie, certains sont ordonnés « sur le terrain » par les évêques du lieu qui choisissent des candidats parmi les nationaux du pays.

- Monseigneur, parlez nous de la formation que reçoivent les prêtres qui ont vocation à être affectés dans d’autres pays ? Existe-il des cours spéciaux, soit à Moscou, soit sur place ?

- Mgr.Marc:Le séminaire orthodoxe que nous avons récemment ouvert en France, à Epinay s/Sénart, non loin de Paris, nous sera d’une très grande aide.(1)
Les séminaristes viennent un peu de partout dans le monde, d’Europe occidentale comme d’Amérique latine. Cependant la majorité des élèves sont originaires de Russie, d’Ukraine et de Moldavie. Ces jeunes avaient déjà entamé des études religieuses avant d’être inscrits au séminaire. Ils y obtiennent un Master. Les cycles d’études sont personnalisés. Langues, intégration à la vie en Occident. La liturgie est dite quotidiennement. La journée commence par des prières. Les programmes sont très chargés, les cours qui sont faits en russe ainsi qu’en français. Les étudiants suivent également les cours de la faculté de philosophie de l’université de Paris. Ils obtiennent en fin d’études des diplômes de la Sorbonne. Les séminaristes doivent travailler dur. La sélection se fait en fonctions de critères très exigeants. Mais les résultats de la formation sont en vérité excellents. Nombre de ceux qui suivent les cours du séminaire d’Epinay reviendront en Russie pour y enseigner. Certains seront affectés à des paroisses hors Russie, en France comme dans d’autres diocèses à l’étranger.

- Es-ce que tout prêtre de tout diocèse est susceptible d’être affecté dans une paroisse à l’étranger ?

- Mgr.Marc: Oui, bien sûr. Mais nous accordons la priorité à ceux qui sont recommandés par leurs évêques.
La décision récente de construire un centre culturel russe à Paris a suscité des débats très animés. Le projet de la cathédrale qui sera érigée dans la capitale française a suscité de véritables dissensions.(2)

Le patriarche m’a désigné membre du jury. Je peux parler en connaissance cause de la manière dont s’est opéré le choix définitif. Le nombre des projets présentés était impressionnant, il y en avait 109 ! Dix d’entre eux se maintinrent pour un deuxième tour. Deux tendances essentielles étaient manifestes dans cette première sélection : les architectes russes avaient présenté des cathédrales inspirées par la tradition russe et qui devaient néanmoins s’intégrer dans le paysage parisien. Les architectes français, eux, avançaient des formes nouvelles, non traditionnelles pour ne pas dire extravagantes. Cela n’était pas sans inquiéter d’une certaine façon les membres du jury.
Ce jury était franco-russe. Il y avait parmi nous des représentants de la municipalité de Paris et de diverses associations ; les experts français opposaient leur veto aux projets typiquement « russes », impensables à Paris, disaient-ils. A chacun ses goûts. Mais c’est à Paris, quai Branly, que la cathédrale sera construite et il faut ne pas l’oublier. Ce quartier de Paris est parmi les plus visités, nous nous attendons à une très importante fréquentation de fidèles et de touristes. Nos collègues voulaient que la cathédrale devienne un monument marquant de la capitale française. Il y a longtemps que de nouvelles églises n’y ont pas été construites.

Nous avions donc à choisir parmi dix maquettes dont certaines nous paraissaient tout à fait inhabituelles. Certains des membres du jury qui ne saisissaient pas la nature du choix qui nous incombait se mirent à faire feu de tout bois sur les projets qui n’étaient pas de leur goût. De notre côté nous avons formé un petit groupe de travail qui a entendu tous les postulants. Cela afin que chacun des projets soit révisé de sorte à devenir plus acceptable. Dans une plus ou moins grande mesure chacun d’entre eux se devait de relever de la tradition architecturale russe. Tous les projets choisis à l’issue du premier tour furent amendés et améliorés.

Au dernier stade de la sélection la majorité de nos collègues français accordait leur préférence à un projet « alambiqué » qui ne pouvait guère nous convenir. En définitive nous pouvons dire que ce sont les tenants du classicisme qui ont eu gain de cause. Le projet sélectionné permettra d’ériger une belle église russe. Le revêtement en forme de « vague » est le résultat d’un compromis. Il va de soi que les autorités municipales exercaient un droit de regard plus que légitime. Il serait difficilement concevable de construire une telle cathédrale à Moscou, Novossibirsk ou Kiev, nous en sommes parfaitement conscients. Les responsables parisiens de l’urbanisme souhaitaient une cathédrale russe qui s’intègre bien aux bords de Seine. C’est précisément ce choix qui a été fait. Les intérêts de l’Eglise russe ont été pris en compte, il n’y pas lieu de regretter la décision qui a été prise. Elle prend en considération les avis de chacun des deux pays…

- Que pouvez-vous dire des relations que vous entretenez avec l’Eglise catholique ? La croissance rapide des diasporas orthodoxes n’a-t-elle pas rendu ces relations plus difficiles ?

- Mgr. Marc: De nombreux catholiques sont bien plus inquiets de l’influence croissante exercée par l’islam. Les orthodoxes pour leur part bénéficient en Europe Occidentale d’une attitude dans l’ensemble bienveillante. Souvent on nous offre la possibilité de dire des offices dans des églises catholiques tombées en déshérence. L’Eglise catholique nous prête de par ailleurs divers locaux où nous pouvons nous réunir pour prier.

- Quelle est la situation dans le diocèse de Souroge qui a récemment connu des temps difficiles ? (3)

- Mgr.Marc: La situation s’y est stabilisée. Notre présence en Grande-Bretagne s’est accrue : de nouveaux prêtres y sont affectés, des communautés s’y constituent, le nombre des fidèles augmente. La liturgie dominicale réunit à Londres près de 500 à 600 croyants russophones à la cathédrale de la Dormition. Il n’y avait pas assez de prêtres pour confesser. La situation est revenue à la normale. Les paroissiens originaires de Russie ne sont plus discriminés comme ils l’étaient auparavant. Après la mort du métropolite Antoine (Bloom) c’est l’évêque Basile (Osborne) qui a assumé la direction du diocèse. Il fit cesser la lecture des missives du patriarche de Moscou dans les paroisses ainsi que la commémoration de son nom au cours des offices. Ces pratiques relèvent maintenant du passé. Tous les fidèles sans exception sont accueillis de la manière la plus cordiale, l’ambiance est fraternelle, les rapports entre les anglophones et les russophones sont harmonieux.

- Que pouvez-vous dire des relations qui se sont établies avec celles des paroisses qui ont transité dans la juridiction du patriarcat de Constantinople ?

- Mgr.Marc : Vous savez sans doute que Mgr Basile (Osborne) a été déchu de sa dignité d’évêque.(4)
La majorité des paroisses du diocèse sont restées fidèles au patriarcat de Moscou, en particulier la cathédrale de la Dormition à Londres. Le diocèse de Souroge est pratiquement resté intact.

- Que peut-on dire de la vie de nos paroisses dans les pays arabes, Libye, Egypte, Tunisie ?

- Mgr.Marc: Nous étions représentés en Libye par un prêtre originaire d’Ukraine. Il y a des paroisses en Egypte, en Tunisie et en Syrie. La situation étant ce qu’elle est actuellement dans ce pays les choses ne sont pas faciles. Mais nos prêtres continuent à servir et il n’est pas question de leur départ.
De nombreux orthodoxes viennent travailler dans les Emirats Arabes Unis. Une jeune et énergique communauté s’y est constituée. Tout récemment une église a été construite à Sharjah. C’est la seule église chrétienne de la péninsule arabique à être couronnée par des croix. Le Gouverneur de l’émirat de Sharjah nous a donné cette autorisation à titre exceptionnel.

- Quelle est la situation de l’Eglise orthodoxe russe en Iran ?

- Mgr.Marc: Naguère la communauté orthodoxe russe en Iran était très nombreuse et active. Un home pour personnes âgées y fut ainsi mis en place. C’est bien plus tard que des établissements catholiques, arméniens, etc. apparurent dans le pays. On compte malheureusement maintenant peu d’orthodoxes en Iran. Les offices réunissant un nombre important de fidèles ne se tiennent qu’aux grandes fêtes comme Pâques, Noël, la Théophanie. Le reste du temps les offices ne sont pas célébrés d’une manière hebdomadaire. Il y a très peu de Russes dans le pays, à l’exception des fonctionnaires des missions diplomatiques.

- Nous savons qu’une communauté orthodoxe est en voie de constitution en Thaïlande. Pourriez-vous préciser ?

- Mgr.Marc: La Thaïlande est un pays ouvert et tolérant. Le tourisme a fait que de nombreux compatriotes s’y sont installés. Malheureusement, et c’est l’un de nos prêtres qui l’a dit, il arrive souvent que les gens se rendent en Thaïlande pour y commettre des péchés plutôt que pour prier… Des églises doivent absolument être construites dans ce pays, plusieurs sont déjà en chantier. L’Eglise connait en Thaïlande une croissance rapide, on peut dire que cela tient du miracle. Nos paroisses comptent un certain nombre de Thaïs. Récemment l’un d’entre eux a été fait protopresbytre. Un monastère orthodoxe s’est ouvert l’hiver dernier… La situation s’améliore dans une durée qui est propre à l’Eglise.

Entretien : diacre Dimitri Assratian
Site " Patriarchia.ru"

Traduction "P.O." - Nikita Krivocheine, version abrégée
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Notes:

1.Séminaire orthodoxe russe - Maison Sainte-Geneviève


2.Le projet de la nouvelle église orthodoxe et du centre culturel russes quai Branly à Paris


3. THE RUSSIAN ORTHODOX CHURCH IN GREAT BRITAIN AND IRELAND

4. L’évêque Basile (Osborne) est déchu de son état d’évêque et de moine

Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 16 Septembre 2011 à 19:00 | 33 commentaires | Permalien



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