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Prêtre Vladimir Zielinsky
LA BLESSURE QUI NOUS FAIT HOMMES
"Quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore" - lisons-nous dans la Genèse. Ce livre nous introduit dans cette liturgie cosmique de la création, où Dieu était jusqu'à ce moment le seul célébrant. Il dit: « Que la lumière soit » et la lumière fut" (Gen.1, 3). C’est dans cette lumière qu’il modèle l'homme – pour mieux le voir ou pour être vu lui-même ? – ensuite le chasse du paradis, quand sa créature le trahit, envoie le déluge, entre en alliance avec Noé, appelle Abraham, manifeste sa prédilection pour Jacob…,chaque fois se révélant dans toute sa gloire redoutable, ineffable. Après la chute la lumière se retire, mais elle ne disparaît pas complètement et les ténèbres mêmes rassemblent parfois l’habit nocturne de la lumière. Mais à l'improviste la chaîne des théophanies s'interrompt. Dieu sort de sa puissance, de sa lumière et entre - pour une nuit seule - dans l'anonymat. Il devient « Quelqu'un », un Inconnu qui s'engage dans le combat énigmatique avec celui qu'il avait lui-même choisi, sur lequel il avait posé son regard paternel…
LA BLESSURE QUI NOUS FAIT HOMMES
"Quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore" - lisons-nous dans la Genèse. Ce livre nous introduit dans cette liturgie cosmique de la création, où Dieu était jusqu'à ce moment le seul célébrant. Il dit: « Que la lumière soit » et la lumière fut" (Gen.1, 3). C’est dans cette lumière qu’il modèle l'homme – pour mieux le voir ou pour être vu lui-même ? – ensuite le chasse du paradis, quand sa créature le trahit, envoie le déluge, entre en alliance avec Noé, appelle Abraham, manifeste sa prédilection pour Jacob…,chaque fois se révélant dans toute sa gloire redoutable, ineffable. Après la chute la lumière se retire, mais elle ne disparaît pas complètement et les ténèbres mêmes rassemblent parfois l’habit nocturne de la lumière. Mais à l'improviste la chaîne des théophanies s'interrompt. Dieu sort de sa puissance, de sa lumière et entre - pour une nuit seule - dans l'anonymat. Il devient « Quelqu'un », un Inconnu qui s'engage dans le combat énigmatique avec celui qu'il avait lui-même choisi, sur lequel il avait posé son regard paternel…
Il lutte égal à égal et ne veut pas, paraît-il, prendre le dessus sur l'être mortel, infiniment plus faible.
Il semble qu'il ne soit même pas capable de se dégager de la bataille. Mais il veut que la trace de ce combat corps à corps reste pour toujours. « Voyant qu'il ne le maîtrisait pas, il le frappa à l'emboîture de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui. Il dit: "Lâche-moi, car l'aurore est levée » (Gen.32, 25-26).
La Bible nous interpelle tout d'abord avec des images qui entrent et s'enracinent profondément dans le cœur et dans la mémoire. On fixe le regard dans l’obscurité et on devine l'entrelacement de deux corps, la mêlée de deux silhouettes sous les arbres tremblants... À travers leur bruit effrayé, on entend la question: pourquoi le Seigneur-t-il choisi de renoncer à sa force, de « s'incarner » avant l'Incarnation, de s'abaisser au rôle d'un agresseur qui vient de la nuit? De quelle vérité a-t-il voulu instruire le futur patriarche, au nom duquel il va associer sa propre révélation, se « présenter » comme « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » (Es.4, 5), quand il parlera à Moïse ? Quelle leçon donne-t-il par ce combat exténuant, pendant le sommeil?
Le sommeil (car, je crois, cette bataille s'est produite quand la raison de Jacob s'est endormie) nous désarme, dénude notre âme, libère toutes les forces qu'elle recèle. On pense tout de suite au subconscient, à ce « bas » de l'homme avec son patrimoine limoneux; « propriété légitime » de la psychanalyse. Mais la partie « haute » de notre moi qui échappe au contrôle de la raison est, peut-être, beaucoup plus riche, plus volumineuse. La nuit ouvre notre cœur aux démons, mais le fait plus accueillant, plus réceptif aussi à Dieu. Pendant la journée, la pensée veillant cherche souvent à cacher le mal que nous avons commis, à nous convaincre: « cette chose ne peut pas être grave, il n'y a pas de quoi s'inquiéter ».
Mais la pensée qui s’endort est trop faible pour remuer les arguments lourds et logiques pour sa défense ; elle devient infantile, légère, volatile, ingénue.
Notre système de protection est débranché, et un autre savoir surgit nul sait pas d’où, comme un voleur dans la nuit. Et ce savoir est combattant et actif, il ne nous laisse pas en paix. Ainsi nous devenons con-scient que nous avons un témoin qui nous guette, un accusateur qui nous juge, que nous ne sommes pas protégés contre sa vérité… Ce germe du savoir est comme l'ancre jetée dans le subconscient qui s'accroche à la racine d'immortalité…
« Quand Dieu a créé l'homme, il a semé en lui quelque chose de divin, comme une certaine pensée qui contient en soi, la lumière et la chaleur, la pensée qui illumine l'intellect et lui montre ce qui est bon et ce qui est mauvais, cela s'appelle la conscience et elle est la loi naturelle » (Abba Dorothée). La conscience est propre à notre nature humaine, soit-elle croyante ou païenne, mais au fond de la même nature, elle révèle la présence d'une force étrangère qui agit en nous, et plus souvent contre nous… « Même la nuit mon cœur m’instruit » exclame David (Ps. 15,7). Cette « instruction de la nuit » est plus qu'intime, mais elle vient du dehors. Elle est plus que personnelle, mais elle préfère rester dans l'anonymat. Elle ne peut pas se dissocier de nous, comme nous ne pouvons pas nous libérer d'elle, car nous en avons infiniment besoin.
« Je ne te lâcherai pas, que tu m'aies béni », dit Jacob.
Et nous aussi, si nous ne voulons pas vaincre celui qui nous blesse, à « l'emboîture de la hanche » - n'est-ce pas, afin que nous ne puissions pas nous enfuir de lui? Or, nous ne voulons pas nous enfuir, bien que la partie toute rationnelle de notre être résiste et ne se laisse pas à se vaincre si facilement devant l'agression de « quelqu'un », notre système de défense tient bon… « Tu as été fort contre Dieu… » Cette force est aussi notre faiblesse là où « se déploie la puissance de Dieu » (2 Cor.12, 9); nous avons besoin de celui qui nous fait mal, car ce mal porte la grâce et la bénédiction.
La conscience fonctionne quand les deux adversaires ou les deux parties de notre existence échangent des coups. Leur contact est tellement étroit qu'elles ne peuvent pas se séparer. L'homme prend le dessus, écarte les frontières du possible, qui deviennent plus « spacieuses », plus ajustées, plus modernes. Mais à l’improviste il cède et sa conscience devient son accusatrice, « le juge incorruptible » (St.Jean Chrysostome) ou « le juge pénitent » (Albert Camus). À ce moment l'homme est tourmenté par une interrogation: Qui es-tu, toi qui combats contre moi? Et pourquoi en dépit de la blessure que tu as laissé sur mon corps, je ne veux pas te laisser aller? Pourquoi ne puis-je pas vivre sans ta bénédiction?
Il semble qu'il ne soit même pas capable de se dégager de la bataille. Mais il veut que la trace de ce combat corps à corps reste pour toujours. « Voyant qu'il ne le maîtrisait pas, il le frappa à l'emboîture de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui. Il dit: "Lâche-moi, car l'aurore est levée » (Gen.32, 25-26).
La Bible nous interpelle tout d'abord avec des images qui entrent et s'enracinent profondément dans le cœur et dans la mémoire. On fixe le regard dans l’obscurité et on devine l'entrelacement de deux corps, la mêlée de deux silhouettes sous les arbres tremblants... À travers leur bruit effrayé, on entend la question: pourquoi le Seigneur-t-il choisi de renoncer à sa force, de « s'incarner » avant l'Incarnation, de s'abaisser au rôle d'un agresseur qui vient de la nuit? De quelle vérité a-t-il voulu instruire le futur patriarche, au nom duquel il va associer sa propre révélation, se « présenter » comme « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » (Es.4, 5), quand il parlera à Moïse ? Quelle leçon donne-t-il par ce combat exténuant, pendant le sommeil?
Le sommeil (car, je crois, cette bataille s'est produite quand la raison de Jacob s'est endormie) nous désarme, dénude notre âme, libère toutes les forces qu'elle recèle. On pense tout de suite au subconscient, à ce « bas » de l'homme avec son patrimoine limoneux; « propriété légitime » de la psychanalyse. Mais la partie « haute » de notre moi qui échappe au contrôle de la raison est, peut-être, beaucoup plus riche, plus volumineuse. La nuit ouvre notre cœur aux démons, mais le fait plus accueillant, plus réceptif aussi à Dieu. Pendant la journée, la pensée veillant cherche souvent à cacher le mal que nous avons commis, à nous convaincre: « cette chose ne peut pas être grave, il n'y a pas de quoi s'inquiéter ».
Mais la pensée qui s’endort est trop faible pour remuer les arguments lourds et logiques pour sa défense ; elle devient infantile, légère, volatile, ingénue.
Notre système de protection est débranché, et un autre savoir surgit nul sait pas d’où, comme un voleur dans la nuit. Et ce savoir est combattant et actif, il ne nous laisse pas en paix. Ainsi nous devenons con-scient que nous avons un témoin qui nous guette, un accusateur qui nous juge, que nous ne sommes pas protégés contre sa vérité… Ce germe du savoir est comme l'ancre jetée dans le subconscient qui s'accroche à la racine d'immortalité…
« Quand Dieu a créé l'homme, il a semé en lui quelque chose de divin, comme une certaine pensée qui contient en soi, la lumière et la chaleur, la pensée qui illumine l'intellect et lui montre ce qui est bon et ce qui est mauvais, cela s'appelle la conscience et elle est la loi naturelle » (Abba Dorothée). La conscience est propre à notre nature humaine, soit-elle croyante ou païenne, mais au fond de la même nature, elle révèle la présence d'une force étrangère qui agit en nous, et plus souvent contre nous… « Même la nuit mon cœur m’instruit » exclame David (Ps. 15,7). Cette « instruction de la nuit » est plus qu'intime, mais elle vient du dehors. Elle est plus que personnelle, mais elle préfère rester dans l'anonymat. Elle ne peut pas se dissocier de nous, comme nous ne pouvons pas nous libérer d'elle, car nous en avons infiniment besoin.
« Je ne te lâcherai pas, que tu m'aies béni », dit Jacob.
Et nous aussi, si nous ne voulons pas vaincre celui qui nous blesse, à « l'emboîture de la hanche » - n'est-ce pas, afin que nous ne puissions pas nous enfuir de lui? Or, nous ne voulons pas nous enfuir, bien que la partie toute rationnelle de notre être résiste et ne se laisse pas à se vaincre si facilement devant l'agression de « quelqu'un », notre système de défense tient bon… « Tu as été fort contre Dieu… » Cette force est aussi notre faiblesse là où « se déploie la puissance de Dieu » (2 Cor.12, 9); nous avons besoin de celui qui nous fait mal, car ce mal porte la grâce et la bénédiction.
La conscience fonctionne quand les deux adversaires ou les deux parties de notre existence échangent des coups. Leur contact est tellement étroit qu'elles ne peuvent pas se séparer. L'homme prend le dessus, écarte les frontières du possible, qui deviennent plus « spacieuses », plus ajustées, plus modernes. Mais à l’improviste il cède et sa conscience devient son accusatrice, « le juge incorruptible » (St.Jean Chrysostome) ou « le juge pénitent » (Albert Camus). À ce moment l'homme est tourmenté par une interrogation: Qui es-tu, toi qui combats contre moi? Et pourquoi en dépit de la blessure que tu as laissé sur mon corps, je ne veux pas te laisser aller? Pourquoi ne puis-je pas vivre sans ta bénédiction?
Rédigé par Prêtre Vladimir Zielinsky le 3 Février 2011 à 13:07
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