"Pourquoi les Grecs ont rejeté l'Union de Florence (1438-1439)"
V.G.

"Le concile de Florence reste dans les mémoires comme une belle occasion manquée, mais il ne fut pas inutile puisqu’une vraie rencontre a eu lieu. Après un long espace de temps où des obstacles politiques ont rendu presque impossible une nouvelle vraie rencontre entre l’Occident et l’Orient chrétiens (domination ottomane puis persécution communiste), le 20e siècle a ouvert de nouvelles perspectives, avec la naissance du mouvement œcuménique puis le concile Vatican II et son ecclésiologie renouvelée, plus proche de celle des orthodoxes." Une étude de Marie-Hélène Congourdeau

Un récent débat télévisé sur KTO montré une grande méconnaissance de la réalité historique du Concile de Florence, avec des positons très tranchées dans lesquelles chaque parti ne fait référence qu'à une partie des données historiques.

Les positions sont bien tranchées: Antoine Arjakovsky, laïc orthodoxe souvent cité dans les media francophones, se place du côté "unioniste" et voit en Florence un concile œcuménique et un réel effort pour faire l’unité (comme l'Église catholique); en revanche pour la majorité des Orthodoxes, comme N. Lossky cité par l'historienne, «le concile de Florence représente le point à partir duquel le schisme entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe est véritablement consommé.»
Aussi j'ai pensé intéressant de présenter cette courte étude , récente (20 Fev. 2012) et particulièrement claire de la byzantiniste réputée MH Congourdeau.

"Pourquoi les Grecs ont rejeté l'Union de Florence (1438-1439)"
Et cette divergences commence par l'Étude des sources comme l'écrit MH Congourdeau: "Curieusement, les Actes du concile de Florence ne sont pas conservés. Pour reconstituer son déroulement, nous disposons des notes d'Andrea de Santa Croce, prôtonotaire du pape, de notes prises par des notaires grecs, compilées et intégrés dans une narration par Jean Plousiadènos, un Grec unioniste postérieur au concile (c’est cette compilation que l’on appelle de façon erronée les "Acta graeca") et des Mémoires de Sylvestre Syropoulos, témoin et acteur au concile, qui nous montre son déroulement du point de vue des Grecs. Malheureusement, les historiens occidentaux ont souvent privilégié les Acta Graeca, arguant du fait que les Mémoires de Syropoulos étaient biaisés (du côté hostile à l’union) alors que les Acta Graeca sont eux‐mêmes partiaux puisque leur auteur (non présent au concile) appartient au parti des Grecs favorables à l’union." Bien entendu les anti-unionistes ne jurent eux que par les Mémoires de Syropoulos…

L'étude de MH Congourdeau, très bien documenté, fait le point des recherches des "historiens indépendants, qui ne cherchent à justifier aucune position de principe acquise à l’avance, mais se veulent guidés par des critères purement scientifiques; ils ont publié des sources inédites et montré que la question est plus complexe qu’on ne le pensait jusqu’alors. En particulier, l’importance du contexte historique a été réévaluée." Et elle commence en effet par poser brillamment ce contexte compliqué:

- Le concile est désespérément attendu depuis 100 ans par un empire byzantin aux abois qui espère une croisade (après la chute de Thessalonique, deuxième ville de l’empire (1429) il ne reste plus de l’empire que Constantinople, la Thrace et la Moree…),

- Il intéresse aussi le pape qui s’oppose au concile réuni à Bale (1431) sur la question de la source de l’autorité dans l’Eglise. Ainsi "celui des deux pouvoirs (le pape et le concile) qui réussira à réconcilier les Eglises d’Orient et d’Occident y gagnera un prestige substantiel. Chacun des deux partis entreprend donc de courtiser l’Eglise grecque… Et les Latins accordent enfin aux Grecs la tenue d’un concile "œcuménique".

"Pourquoi les Grecs ont rejeté l'Union de Florence (1438-1439)"
L'historienne ne s'appesantit pas sur les débats théologiques: les questions du purgatoire, des azymes et de l'autorité du pape ne sont guère évoquées et pour le "filioque" MH Congourdeau résume clairement les débats et conclu: "Finalement, les Latins rédigent un texte qu'ils font approuver par l'empereur, le patriarche et la majorité des Grecs: selon ce texte, les saints étant nécessairement d'accord (inspirés par le Saint Esprit), comme les Pères latins disent que l’Esprit procède du Père et du Fils (ex Patre filioque) et que les Pères grecs disent qu’il procède du Père par le Fils (ἐκ Πατρὸς διὰ Υἱοῦ), les particules ἐκ (de) et διὰ (par) sont forcement synonymes, si bien que le Filioque est légitime."

Surtout elle montre à quel point l'accord était proche et comment les maladresses, essentiellement du côté latin, l'ont fait capoter: "Tout cela (les maladresses qu'elle détaille) donne au peuple l’impression d’une union bâclée, conclue sous la menace, où l'orthodoxie a été sacrifiée à la raison d'Etat. Les Grecs se divisent alors ; les signataires de l’union désavouent leur signature l’un après l’autre. L’élection en 1440 d’un patriarche unioniste, Mètrophane, déclenche la révolte d’un parti anti‐unioniste mené par les moines et par Marc d'Ephèse auquel succèdera Scholarios, futur premier patriarche grec sous les Ottomans. Ils déclarent l'union invalide... L’Union sera cependant proclamée à Sainte Sophie par le cardinal Isidore de Kiev. Nous sommes le 12 décembre 1452 ; cinq mois plus tard, le 29 mai 1453, Mehmet II conquiert Constantinople; l’empire byzantin a vécu ; le nouveau patriarche imposé par le sultan, Gennadios Scholarios, dénoncera l'union."

"Pourquoi les Grecs ont rejeté l'Union de Florence (1438-1439)"
Et Marie-Hélène Congourdeau conclu: "Le concile de Florence reste dans les mémoires comme une belle occasion manquée, mais il ne fut pas inutile puisqu’une vraie rencontre a eu lieu. Après un long espace de temps où des obstacles politiques ont rendu presque impossible une nouvelle vraie rencontre entre l’Occident et l’Orient chrétiens (domination ottomane puis persécution communiste), le 20e siècle a ouvert de nouvelles perspectives, avec la naissance du mouvement œcuménique puis le concile Vatican II et son ecclésiologie renouvelée, plus proche de celle des orthodoxes.

Mais en même temps, l’histoire a apporté de nouvelles fractures qui rendent plus difficile la réduction des anciennes : émiettement ecclésial consécutif à la Réforme en Occident, divisions actuelles du monde orthodoxe, pour ne citer que quelques unes de ces nouvelles ruptures. Entre les deux mondes, la question délicate des Eglises uniates reste comme une épine dans les relations entre Rome et le monde orthodoxe.

Il n’est pas de meilleure voie pour travailler à l’unité que de continuer à étudier les deux traditions, avec des méthodes historiques scientifiques et non confessionnelles, pour supprimer au moins les maladresses et les malentendus."

Et je rajouterais pour ma part que la promulgation des nouveaux "dogmes" catholiques au XIXe et XXe siècles n'est pas venue faciliter les choses…

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 22 Février 2016 à 12:04 | 66 commentaires | Permalien



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