Qu’il est pénible, désolant, affligeant de subir, depuis l’automne dernier, l’agonie de l’Archevêché des Eglises orthodoxes russes en Europe occidentale, tel que nous l’avons connu et aimé.

Nous sommes des spectateurs ébahis, écœurés

En Suisse, on pourrait dire que cela ne nous concerne pas, puisqu’il ne s’y trouve pas de paroisses de l’Archevêché. Mais «quand un membre souffre, tous partagent sa souffrance» (1 Corinthiens 12,26). A titre personnel, je ne puis être indifférent. En 1956, rue Daru, je suis entré pour la première fois dans une église orthodoxe

En 1981, j’ai été reçu dans l’Eglise orthodoxe par le père Jean Renneteau, alors recteur de la Paroisse orthodoxe francophone de Chambésy. Avec lui, et avec des frères et sœurs orthodoxes venus d’au moins dix juridictions, nous avons fondé en 1982 la première paroisse orthodoxe à Fribourg. Dans la Métropole de Suisse du Patriarcat œcuménique, coexistant avec des paroisses de style grec, nous avons pu nous inspirer plutôt du style russe et développer une vie paroissiale dans une grande liberté, respectant la composition de la paroisse, avec sa diversité de langues et de cultures; elle avait des particularités qui lui donnaient un beau visage. Ce fut une magnifique aventure. A qui me demandait alors ce qu’est l’Eglise orthodoxe, j’osais dire : Venez et voyez! En ce temps-là, j’ai travaillé avec le père Jean. Plus tard, j’ai salué Mgr Jean de Charioupolis. Et maintenant je dois dire à Mgr Jean de Doubna : Que ces titres ne changent rien à votre identité de baptisé!

Malgré mon éloignement physique, permettez-moi quelques réflexions.

Le 15 septembre dernier, quand il a reçu la lettre de Mgr Jean demandant d’être accueilli dans le Patriarcat de Moscou, le patriarche Cyrille a déclaré: «La mise en œuvre de ce souhait mettrait fin à la division de l’Eglise russe à l’étranger. La possibilité devient réelle d’une unité complète de l’Eglise dans la patrie avec celle qui se trouve à l’étranger. Nous pouvons désormais nous considérer comme un peuple uni au sein de l’Eglise orthodoxe russe réunifiée.»

C’est oublier que le peuple de l’Archevêché n’est pas uni dans cette démarche, que des paroisses s’en éloignent. Oublier aussi l’existence en Russie des Vieux-Croyants et quelques fissures de l’unité en Ukraine ou ailleurs. Oublier que le désordre canonique n’est pas résolu: Ici ou là, il y aura trois évêques russes, un du Patriarcat de Moscou, un de l’Eglise hors-frontières et un évêque «russe» d’une structure à définir. Il y aura à Paris deux cathédrales russes, Rue Daru et Quai Branly. Et qu’en sera-t-il de l’Institut Saint-Serge face au Séminaire russe à Epinay-sous-Sénart?

Que Mgr Jean me pardonne! Dans le communiqué du bureau de l’archevêque (25.09.2019), certaines formules répétées, assénées pour marquer l’autorité de l’archevêque me chiffonnent: «Monseigneur Jean exerce la plénitude du ministère pastoral… Monseigneur Jean seul, dans l’exercice de la plénitude de son pouvoir d’administration et de ministère pastoral… Notre archevêque, agissant seul et régulièrement au vu des statuts…» Je n’aime pas le mot «pouvoir» : père Jean le sait. J’aime encore moins la solitude du pouvoir, ni surtout du ministère pastoral. Quand on se réfère à la conciliarité, il faut tirer la leçon du Concile de Jérusalem (Actes 15,1-35), «avec toute la foule» des fidèles, «il a semblé bon aux apôtres et aux anciens avec toute l’église… Il nous a semblé bon d’un commun accord…»

C’est bien cette conciliarité, l’ecclésiologie de communion dont les orthodoxes sont si fiers, qui a manqué, dès le début, dans toute cette affaire et de tous côtés. La conciliarité, forme concertée de la communion, seul rempart efficace contre le cléricalisme, est inerte dans l’Eglise orthodoxe aujourd’hui. Elle le fut, malgré les apparences, dans le Concile «panorthodoxe» de Crète en 2016, ce pourquoi ce concile fut raté. Où est la communion?

Ce qui s’est passé depuis plusieurs mois n’est pas qu’un «dégât d’image», c’est un contre-témoignage. Tirons-en un plus de modestie. Pourrais-je dire encore Venez et voyez?

A rebours de ce qui se fait souvent dans le forum de PO, cessons de critiquer les autres chrétiens, de leur donner des leçons. Baissons la tête et imitons Mardochée: «Apprenant tout ce qui s’était passé, Mardochée déchira ses vêtements, se couvrit d’un sac et de cendre. Il parcourut la ville en poussant un grand cri de douleur. Puis il alla jusque devant la porte royale, car revêtu d’un sac personne ne pouvait franchir la porte royale.» (Esther 4,1-2) Il sera temps ensuite, et il le faudra, pour tous, prêtres, moines, hommes et femmes de l’Eglise, dans une vraie conciliarité, de dire à nos hiérarques ce que nous pensons de leurs actes.

Noël Ruffieux

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 26 Septembre 2019 à 10:36 | 9 commentaires | Permalien



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