Mythes et légendes du métropolite Stéphane d’Estonie
Analyse de Archiprêtre Igor Prekoup, clerc de l’Église orthodoxe estonienne du Patriarcat de Moscou

Dans une interview à la chaîne de télévision grecque «4E » le métropolite Stéphane d’Estonie a parlé des confesseurs de la foi estoniens et des martyrs de l’Eglise estonienne : « Le martyre compte huit siècles d’histoire en Estonie. Les époques, cependant, se sont suivies sans se ressembler. Avant le XIIe siècle, nous avons été envahi par les Danois, puis les croisés allemands se sont installés pour deux siècles, suivis des Russes, pour les deux siècles suivants. L’histoire des XXe et XXIe siècles est en grande partie une histoire de martyre, car l’Eglise était forte. Pour un million et demi d’habitants, on comptait deux cent mille orthodoxes.

En 1945, le régime communiste, qui avait mis la main sur l’Estonie, a fermé notre Eglise, l’a liquidée, a installé un métropolite venu de Russie de façon anticanonique, et c’est ainsi que les persécutions ont commencé. Les premières persécutions datent de 1920, avec le martyre du premier évêque estonien, Mgr Platon, à Tartu, avec deux autres prêtres... »


Mgr Stéphane a raison, l’histoire des martyrs en Estonie compte déjà huit siècles. Encore faudrait-il préciser qu’il s’agit de martyrs orthodoxes, et non de martyrs chrétiens en général.

Le peuple estonien, c’est un fait, a beaucoup souffert, il a été à deux doigts de disparaître, d’abord à cause de la peste, puis parce que l’Estonie a été un champ de bataille pendant la guerre de Livonie, puis pendant la guerre du Nord.

Quant aux martyres, aux cas de confession de la foi des chrétiens en général, ils se rapportent surtout à la courte période de la terreur rouge, fin 1918 – début 1919. Les persécutions reprennent à la période que le peuple appelle simplement « l’occupation soviétique », tandis que les hommes politiques, luttant pour l’exactitude terminologique, préfèrent parler de « l’incorporation » ou de « l’annexion ». Quel que soit le terme choisi pour désigner l’évènement qui marqua l’instauration de l’athéisme bolchevik en Estonie, les faits sont là : c’est à ce moment que les chrétiens en général ont été amenés à témoigner de leur foi, certains jusqu’au martyre.

Jusque là, on ne peut parler que de confession de la foi et de martyre orthodoxes. Ce phénomène historique a bien huit siècles, puisqu’il commence avec la tentative d’évangélisation de notre pays par les croisés, au XIIIe siècle, qui mit artificiellement fin à la transmission de la tradition orthodoxe. Pourtant, avant leur invasion, l’évangélisation se faisait pacifiquement, à la fois par l’Occident et par l’Orient. Les missionnaires russes ont d’ailleurs laissé une trace indélébile dans la langue estonienne. Mentionnons, notamment les mots relatifs aux principaux moyens de prédication : rist – de krest (la croix), raamat – le livre (du mot slavon gramota). Le verbe estonien ristima – baptiser, vient du mot rist, ce qui démontre l’enracinement de l’évangélisation venue d’Orient dans la conscience des Estoniens médiévaux : en russe, en effet, le sacrement de la naissance à la vie éternelle est désigné du mot krestit’, dérivé de krest. Le lien entre le baptême, la Croix du Christ et la croix que le chrétien aura à porter dans la vie est ainsi souligné. Dans la plupart des langues européennes, par contre, ce sacrement est désigné par des mots dérivés du grec ancien βαπτίζω (baptiso) – littérallement je plonge, tandis que l’allemand taufen, baptiser, vient de tauchen, plonger, mettre dans l’eau.

Lire L’Archiprêtre Igor Prekoup : A propos des problèmes de l'orthodoxie en Estonie

A Tartu, la ville de Iouriev fondée en 1030 par le prince Iaroslav le Sage, l’orthodoxie a perduré jusqu’en 1472, date du martyre de saint Isidore de Iouriev, prêtre de paroisse, et de ses 72 compagnons. Le prêtre Ioann Chestnik (saint Jonas, de son nom monastique), qui trouva refuge à Pskov, fonda le monastère des Grottes. Saint Corneille, higoumène de ce monastère, prêcha l’orthodoxie non seulement aux Estoniens installés dans les environs du monastère, mais ayant poussé jusqu’à Narva, fonda des paroisses à Neuhausen (aujourd’hui Vastseliina) et ailleurs.
Mythes et légendes du métropolite Stéphane d’Estonie

Le témoignage orthodoxe reprend en 1841 : à compter de cette date, on observe un mouvement spontané de conversion des paysans lettons et estoniens luthériens à l’orthodoxie (en dépit, d’ailleurs, du « statut spécial » de la province et de la politique impériale dans la gouvernance générale d’Ostsee). La noblesse balte germanique déclenche contre eux de violentes persécutions.

Le métropolite Stéphane, cependant, évite d’attirer l’attention sur la confession de foi orthodoxe, sur le martyre des orthodoxes, persécutés par les hétérodoxes. Cette façon « d’arrondir les angles » à la mode politiquement correcte est compréhensible, de la part du métropolite Stéphane, mais on ne saurait l’approuver.

Mentionnant les persécutions du début du siècle dernier, Mgr Stéphane focalise fort justement l’attention sur la personnalité du premier évêque orthodoxe estonien, le martyr Platon (Kulbusch). J’estime cependant important de souligner, d’une part, que les persécutions contre la foi n’ont pas commencé en 1920 (cependant, si Mgr Stéphane a en vue l’expulsion de plusieurs prêtres orthodoxes en Russie soviétique par les autorités estoniennes à l’été 1920, je suis prêt à l’approuver), d’autre part, que Mgr Platon, chronologiquement parlant, n’est pas le premier des nouveaux martyrs estoniens. Il fut martyrisé le 14 janvier 1919, un an après sa consécration épiscopale, qui eut lieu le 31 décembre 1917 (13 janvier 1918 nouveau style). Les commissaires rouges Kull, Otter et Riatsepp tuèrent avec lui les archiprêtres Nikolaï Bejanitski et Mikhaïl Bleive. Cependant, quelques temps auparavant, les bolcheviks avaient déjà martyrisé le prêtre Sergueï Florinski (30.12.1918), puis les prêtres Alexandre Volkolv et Dimitri Tchitoserdov (08.01.1919).
Mythes et légendes du métropolite Stéphane d’Estonie

Je ne peux me défendre de soupçonner Mgr Stéphane de n’englober sous le terme de « nouveaux-martyrs estoniens » que les « nouveaux martyrs de nationalité estonienne », se concentrant volontairement sur eux.

Peut-être le symbolisme du martyre commun d’un Russe (le père Nikolaï) avec des Estoniens (Mgr Platon et le père Mikhaïl) se s’inscrit-il pas dans sa vision de l’histoire ? Et sans doute lui est-il tout à fait malaisé d’attirer l’attention sur ce fait, puisqu’à cette époque l’orthodoxie estonienne était canoniquement unie sous l’omophore du patriarche Tikhon de Moscou et de toutes les Russies ?

Au contraire, il ne nous semble pas inutile de souligner que les nouveaux-martyrs de l’Eglise estonienne, aussi bien des Estoniens, comme Mgr Platon (Kulbusch) ou les pères Mikhaïl Bleive et Ioann Pettaï, que des Russes, comme les pères Nikolaï Bejanitski, Sergueï Florinski, Alexandre Volkov et Dimitri Tchistoverov, étaient unis dans leur fidélité aussi bien à Dieu et à Son Eglise, qu’à leur mère, l’Eglise orthodoxe russe. Le sang des martyrs estoniens est une semence d’unité pour l’orthodoxie estonienne. Chercher à détruire cette unité, c’est des honnorer leur mémoire.

Selon Mgr Stéphane, « en 1945, le régime communiste, qui avait mis la main sur l’Estonie, a fermé notre Eglise, l’a liquidée, a installé un métropolite venu de Russie de façon anti canonique, et c’est ainsi que les persécutions ont commencé. » Cette déclaration est très embrouillée. D’une part parce que le régime communiste avait « mis la main sur l’Estonie » dès 1940. Les répressions, qui touchèrent surtout les émigrés blancs et les membres d’organisations reconnues politiquement hostiles (au nombre desquelles on inclut même le Mouvement chrétien des étudiants russes), commencèrent immédiatement par des arrestations, suivies d’emprisonnements dans des camps de concentration ou d’exécutions capitales.

En 1941, 9000 personnes furent expulsées du pays. Pour un pays aussi petit que l’Estonie, c’est un chiffre énorme, surtout si l’on tient compte de l’émigration vers Occident de 70 à 80000 personnes, en 1944. Enfin, en mars 1949, dans le cadre de l’opération « Priboï », 20723 personnes furent déportées dans la direction opposée. SUITE >>> ICI
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Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 9 Juillet 2021 à 07:26 | 0 commentaire | Permalien



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