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Cet article fut rédigé dans la revue " Chrétiens en marche " par Ludmilla Titchenkova*, iconographe et fondatrice de "l’Atelier St Jean Damascene", sur la demande du Père René Beaupère, prêtre catholique, directeur de la revue et du Centre Saint-Irénée à Lyon. Il donne un éclairage sur les déviations iconographiques auxquelles succombent des catholiques de bonne volonté, mais mal éclairés.
Comme nous vous le disions lors de notre récente rencontre, le sujet que vous nous proposez de traiter est plutôt explosif ! C’est peut-être pourquoi personne à ce jour n’a osé l’aborder sérieusement... Merci donc à vous, prêtre catholique, d’avoir le courage de soulever cette importante question des icônes non canoniques qui, pour beaucoup, semble secondaire et de peu d’intérêt, et qui cependant choque bien des chrétiens orthodoxes.
Comme nous vous le disions lors de notre récente rencontre, le sujet que vous nous proposez de traiter est plutôt explosif ! C’est peut-être pourquoi personne à ce jour n’a osé l’aborder sérieusement... Merci donc à vous, prêtre catholique, d’avoir le courage de soulever cette importante question des icônes non canoniques qui, pour beaucoup, semble secondaire et de peu d’intérêt, et qui cependant choque bien des chrétiens orthodoxes.
Il faut d’abord préciser que nous ne chercherons à faire aucune polémique, même si, à la lecture de l’article, certains penseront le contraire par la mise en opposition, ou comparaison inévitable, de l’Orient/Occident. Aucun de nous ne détient la Vérité et les orthodoxes ne rendent pas toujours un bon témoignage : s’ils parlent très bien des icônes, ce n’est pas pour autant que toutes leurs églises reflètent la Beauté décrite. /V. Golovanow/
"l’Atelier St Jean Damascene"
"l’Atelier St Jean Damascene"
LAXISME EN ORIENT
De nos jours. il existe en effet un certain laxisme en ce domaine. Peut-être le manque de vérification par nos hiérarques en est-il la cause ?
"L ’Eglise a toujours accordé beaucoup d’attention à son art : elle a veillé à ce qu’il exprime sa doctrine. Toutes les déviations ont été écartées conciliairement (….). Aujourd’hui, il n’y a plus dans l’Eglise de pensée bien établie et explicitée sur l’art sacré, et encore moins de contrôe exercé sur cet art par l’autorité ecclésiastique. On admet dans l’enceinte de l’église pratiquement tout", nous dit Père Zénon". "L’icône prend naissance dans l’expérience eucharistique de l’Eglise, elle est étroitement dépendante de cette expérience et, d’une façon plus générale, du niveau de la vie ecclésiale. Quand ce niveau était élevé, l’art sacré était lui aussi à la hauteur : quand la vie ecclésiale s’étiolait ou que venaient pour elle les temps de décadence, l’art sacré à son tour tombait évidemment en décadence. Souvent l’icône était transformée en tableau à sujet religieux et sa vénération cessait d’être authentiquement orthodoxe...". affirme-t-il également.
On remarque effectivement que l’icône devient soit un décor d’église richement orné, mais vide de sens ; soit un support de prière, mais maladroitement exécuté. Que faire ? …
Par ailleurs, on fera volontiers appel "au plus offrant", c’est-à-dire à celui même qui n’aura reçu aucune formation iconographique mais qui, par contre, travaillera gratuitement. Alors, le critère de peindre une icône ou des fresques dans une église devient non plus celui de la recherche de la beauté, mais plutôt celui de l’économie.
Il y a eu un temps où l’église orthodoxe en Occident, complétement démunie de moyens financiers, faisait de son mieux pour sortir des cendres et utilisait les dons de chacun sans qu’il y ait nécessairement "qualification spéciale". Mais ce temps est révolu. Si l’on admire encore aujourd’hui certaines icônes peintes rapidement sur contre-plaqué et avec les moyens du bord, c’est en devant les replacer dans leur contexte premier : l’après-guerre. Et non en tant qu’œuvres d’art exemplaires dont il faudrait s’inspirer.
Ce n’est pas un " renouveau iconographique ". Il n’ya pas lieu de s’extasier sur des compromis
De nos jours. il existe en effet un certain laxisme en ce domaine. Peut-être le manque de vérification par nos hiérarques en est-il la cause ?
"L ’Eglise a toujours accordé beaucoup d’attention à son art : elle a veillé à ce qu’il exprime sa doctrine. Toutes les déviations ont été écartées conciliairement (….). Aujourd’hui, il n’y a plus dans l’Eglise de pensée bien établie et explicitée sur l’art sacré, et encore moins de contrôe exercé sur cet art par l’autorité ecclésiastique. On admet dans l’enceinte de l’église pratiquement tout", nous dit Père Zénon". "L’icône prend naissance dans l’expérience eucharistique de l’Eglise, elle est étroitement dépendante de cette expérience et, d’une façon plus générale, du niveau de la vie ecclésiale. Quand ce niveau était élevé, l’art sacré était lui aussi à la hauteur : quand la vie ecclésiale s’étiolait ou que venaient pour elle les temps de décadence, l’art sacré à son tour tombait évidemment en décadence. Souvent l’icône était transformée en tableau à sujet religieux et sa vénération cessait d’être authentiquement orthodoxe...". affirme-t-il également.
On remarque effectivement que l’icône devient soit un décor d’église richement orné, mais vide de sens ; soit un support de prière, mais maladroitement exécuté. Que faire ? …
Par ailleurs, on fera volontiers appel "au plus offrant", c’est-à-dire à celui même qui n’aura reçu aucune formation iconographique mais qui, par contre, travaillera gratuitement. Alors, le critère de peindre une icône ou des fresques dans une église devient non plus celui de la recherche de la beauté, mais plutôt celui de l’économie.
Il y a eu un temps où l’église orthodoxe en Occident, complétement démunie de moyens financiers, faisait de son mieux pour sortir des cendres et utilisait les dons de chacun sans qu’il y ait nécessairement "qualification spéciale". Mais ce temps est révolu. Si l’on admire encore aujourd’hui certaines icônes peintes rapidement sur contre-plaqué et avec les moyens du bord, c’est en devant les replacer dans leur contexte premier : l’après-guerre. Et non en tant qu’œuvres d’art exemplaires dont il faudrait s’inspirer.
Ce n’est pas un " renouveau iconographique ". Il n’ya pas lieu de s’extasier sur des compromis
FANTAISIES OCCIDENTALES
Il nous semble que c’est seulement après un tel préambule que nous pouvons nous permettre d’aborder la question des "déviations auxquelles succombent des catholiques de bonne volonté, mais mal éclairés...".
Il est à craindre que l’Occident, sous prétexte de défendre la " liberté d’expression avant tout ", se permette toutes sortes de fantaisies. Et l’Orthodoxie, hélas plus ou moins laxiste en ce domaine comme nous venons de le constater, n’affiche pas suffisamment le label de qualité pour être prise au sérieux dans ses remarques.
C’est dire combien l’iconographe se sent seul et presque abandonné dans la mesure où rien ni personne ne le contrôle ni le soutient. Il est presque obligé, par ce fait même, à inlassablement recopier les modèles anciens pour ne pas courir le risque d’une, interprétation erronée et par trop personnelle. Nous connaissons les époques où, par manque d’encouragement et de vérification de l’élise, des icônes pourtant remarquablement peintes sont devenues sinon des tableaux religieux, du moins des icônes plus ou moins païennes. Et aujourd’hui, nous constatons pratiquement le même phénomène.
Devant cette faiblesse de l’église orthodoxe, le monde catholique, redécouvrant l’icône avec émerveillement mais refusant dans le même temps son côté statique et immuable, peut alors se permettre, sans la moindre impunité et de bonne foi, toutes sortes d’interprétations. Ainsi il nous est arrivé d’entendre, lors d’un cours d’iconographie, des élèves dire : "Oh !vous les orthodoxes, vous êtes toujours coincés dans votre Tradition ! Heureusement que nous, catholiques, nous avons l’évolution et la liberté d’expression !".
Mais où nous mène-t-elle, cette soi-disant liberté ? On remarquera volontiers qu’en Occident il sera demandé à l’icône surtout affection et tendresse. Ainsi par exemple, à choisir entre deux reproductions : celle d’un Christ miséricordieux sous des traits quasi "humains", et celle d’un Christ en Majesté quelque peu hiératique par sa gravité, c’est la première image qui sera retenue. L’icône de la Vierge de tendresse, celle dont le regard est plein d’amour pour son tout petit enfant Jésus, remporte aussi tous les suffrages. Mais n’en est-il pas de même pour les offices liturgiques ?
Nous avons souvent remarqué que, lors d’une célébration catholique, l’aspect fraternel l’emporte sur l’aspect paternel si évident dans l’orthodoxie. Le Christ semble trés proche, il est comme un grand frère que l’on peut aborder facilement et même lui taper amicalement sur l’épaule... plutôt que le Père, le Créateur, qui demande un plus grand respect. une plus grande retenue, donc aussi une certaine distance.
Elever l’icône
Notre comportement durant la liturgie est révélateur d’une sensibilité différente.. Il en est de même pour notre attitude face à l’icône. Fasciné par sa couleur, le chrétien catholique peut facilement remplacer le bouquet de fleurs par une icône et la poser à même le sol, sur les marches du sanctuaire, comme il le ferait pour un vase... Et il la contemplera, assis. L’attitude d’un chrétien orthodoxe est tout autre : il "élèvera" icône sur un haut pupitre recouvert de parures et l’honorera en s’inclinant profondément devant elle par trois fois et en l’embrassant. Il découle de ces deux manières d’être si différentes que l’un considére l’icône comme un objet à contempler, l’autre comme une personne qui vous regarde...
Il nous semble que c’est seulement après un tel préambule que nous pouvons nous permettre d’aborder la question des "déviations auxquelles succombent des catholiques de bonne volonté, mais mal éclairés...".
Il est à craindre que l’Occident, sous prétexte de défendre la " liberté d’expression avant tout ", se permette toutes sortes de fantaisies. Et l’Orthodoxie, hélas plus ou moins laxiste en ce domaine comme nous venons de le constater, n’affiche pas suffisamment le label de qualité pour être prise au sérieux dans ses remarques.
C’est dire combien l’iconographe se sent seul et presque abandonné dans la mesure où rien ni personne ne le contrôle ni le soutient. Il est presque obligé, par ce fait même, à inlassablement recopier les modèles anciens pour ne pas courir le risque d’une, interprétation erronée et par trop personnelle. Nous connaissons les époques où, par manque d’encouragement et de vérification de l’élise, des icônes pourtant remarquablement peintes sont devenues sinon des tableaux religieux, du moins des icônes plus ou moins païennes. Et aujourd’hui, nous constatons pratiquement le même phénomène.
Devant cette faiblesse de l’église orthodoxe, le monde catholique, redécouvrant l’icône avec émerveillement mais refusant dans le même temps son côté statique et immuable, peut alors se permettre, sans la moindre impunité et de bonne foi, toutes sortes d’interprétations. Ainsi il nous est arrivé d’entendre, lors d’un cours d’iconographie, des élèves dire : "Oh !vous les orthodoxes, vous êtes toujours coincés dans votre Tradition ! Heureusement que nous, catholiques, nous avons l’évolution et la liberté d’expression !".
Mais où nous mène-t-elle, cette soi-disant liberté ? On remarquera volontiers qu’en Occident il sera demandé à l’icône surtout affection et tendresse. Ainsi par exemple, à choisir entre deux reproductions : celle d’un Christ miséricordieux sous des traits quasi "humains", et celle d’un Christ en Majesté quelque peu hiératique par sa gravité, c’est la première image qui sera retenue. L’icône de la Vierge de tendresse, celle dont le regard est plein d’amour pour son tout petit enfant Jésus, remporte aussi tous les suffrages. Mais n’en est-il pas de même pour les offices liturgiques ?
Nous avons souvent remarqué que, lors d’une célébration catholique, l’aspect fraternel l’emporte sur l’aspect paternel si évident dans l’orthodoxie. Le Christ semble trés proche, il est comme un grand frère que l’on peut aborder facilement et même lui taper amicalement sur l’épaule... plutôt que le Père, le Créateur, qui demande un plus grand respect. une plus grande retenue, donc aussi une certaine distance.
Elever l’icône
Notre comportement durant la liturgie est révélateur d’une sensibilité différente.. Il en est de même pour notre attitude face à l’icône. Fasciné par sa couleur, le chrétien catholique peut facilement remplacer le bouquet de fleurs par une icône et la poser à même le sol, sur les marches du sanctuaire, comme il le ferait pour un vase... Et il la contemplera, assis. L’attitude d’un chrétien orthodoxe est tout autre : il "élèvera" icône sur un haut pupitre recouvert de parures et l’honorera en s’inclinant profondément devant elle par trois fois et en l’embrassant. Il découle de ces deux manières d’être si différentes que l’un considére l’icône comme un objet à contempler, l’autre comme une personne qui vous regarde...
Donc, avec cette liberté d’expression et une sensibilité autre, il est pratiquement normal qu’il y ait des déviations dans l’exécution des icônes par des "catholiques de bonne volonté mal éclairés"...
La théologie de l’icône n’est pas affaire personnelle ni purement artistique. Elle concerne l’ensemble de la communauté locale (et mondiale !). C’est pourquoi il est difficile de la séparer de l’église plénière.
L’icône ne doit pas être "inventée", mais "révélée". Elle ne peut être une juxtaposition de symboles mis en place volontairement et avec une imagination exagérée. Les vrais symboles sont ceux qui traversent le temps et qui ont une signification profonde de ce qu’il est difficile d’exprimer autrement. Ce n’est pas un patchwork un découpage d’icônes anciennes avec un morceau pris à droite et un autre à gauche, puis rassemblés. Même s’il y a de l’or et que le travail est fait à la perfection, ce ne sera pas obligatoirement une icône.
Des exemples
Ainsi c’est une erreur grave de s’être inspiré de l’icône nommée "CONCEPTION DE LA MERE DE DIEU", qui représente traditionnellement Joachim et Anne enlacés, "concevant" la Mère de Dieu, fêtée le 8 décembre. Il en a été fait une icône nouvelle : le même couple est représenté, tendrement enlacé, dont on aura seulement changé les noms : Marie et Joseph...
Paul Evdokimov définit l’icône comme "La PAROLE (...) mystérieusement dessinée (qui) s’offre en contemplation, en théologie visuelle"".
A la lecture de cette "fausse icône", ou à l’écoute de sa Parole, qu’apprenons-nous ? Que le Christ est uniquement homme, ayant pour parents de chair saints Joseph et Marie... Quelle hérésie !
La théologie de l’icône n’est pas affaire personnelle ni purement artistique. Elle concerne l’ensemble de la communauté locale (et mondiale !). C’est pourquoi il est difficile de la séparer de l’église plénière.
L’icône ne doit pas être "inventée", mais "révélée". Elle ne peut être une juxtaposition de symboles mis en place volontairement et avec une imagination exagérée. Les vrais symboles sont ceux qui traversent le temps et qui ont une signification profonde de ce qu’il est difficile d’exprimer autrement. Ce n’est pas un patchwork un découpage d’icônes anciennes avec un morceau pris à droite et un autre à gauche, puis rassemblés. Même s’il y a de l’or et que le travail est fait à la perfection, ce ne sera pas obligatoirement une icône.
Des exemples
Ainsi c’est une erreur grave de s’être inspiré de l’icône nommée "CONCEPTION DE LA MERE DE DIEU", qui représente traditionnellement Joachim et Anne enlacés, "concevant" la Mère de Dieu, fêtée le 8 décembre. Il en a été fait une icône nouvelle : le même couple est représenté, tendrement enlacé, dont on aura seulement changé les noms : Marie et Joseph...
Paul Evdokimov définit l’icône comme "La PAROLE (...) mystérieusement dessinée (qui) s’offre en contemplation, en théologie visuelle"".
A la lecture de cette "fausse icône", ou à l’écoute de sa Parole, qu’apprenons-nous ? Que le Christ est uniquement homme, ayant pour parents de chair saints Joseph et Marie... Quelle hérésie !
Suite Atelierdamascene
* Note de VG: Ludmilla Garrigou-Titchenkova, décédée le 5 mai 2014, était une iconographe française d'origine russe très réputée en France. Elle avait fondé avec son mari, le père Nicolas Garrigou, l’Atelier ST JEAN DAMASCENE qu'ils dirigèrent d'abord à Paris puis dans le Vercors. Cet article, écrit pour une revue catholique, montre bien sa parfaite connaissance de la signification théologique de l'icône.
* Note de VG: Ludmilla Garrigou-Titchenkova, décédée le 5 mai 2014, était une iconographe française d'origine russe très réputée en France. Elle avait fondé avec son mari, le père Nicolas Garrigou, l’Atelier ST JEAN DAMASCENE qu'ils dirigèrent d'abord à Paris puis dans le Vercors. Cet article, écrit pour une revue catholique, montre bien sa parfaite connaissance de la signification théologique de l'icône.
Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 26 Mai 2016 à 11:49
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