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Un article de Constantin Matsan, traduit par Laurence Guillon Revue FOMA
Le monastère dédié à la Sainte et vénérable martyre, la Grande Duchesse Elisabeth, a été créé en été 1999 dans la banlieue de Minsk, le village de Novinki (qui fait actuellement partie de la ville). C’est la Communauté orthodoxe des sœurs de la Charité laïques qui a donné naissance au monastère.
Un exemple de ce que peut être le rythme de la vie monastique
…C’était une véritable rédaction, avec des portes de verre et des cloisons, les vibrations constantes d’une imprimante et des textes imprimés jetés de tous les côtés, des épreuves, des maquettes de livres etc. Il n’y avait d’inhabituel qu’une seule chose : voir dans cet environnement des sœurs en habit monastique. Cela se déroulait dans les éditions du monastère Sainte-Elizabeth à Minsk. « Elles n’auraient pas l’habit, j’aurais pensé que c’étaient des journalistes ordinaires… » m’est-il passé par la tête.
Le monastère dédié à la Sainte et vénérable martyre, la Grande Duchesse Elisabeth, a été créé en été 1999 dans la banlieue de Minsk, le village de Novinki (qui fait actuellement partie de la ville). C’est la Communauté orthodoxe des sœurs de la Charité laïques qui a donné naissance au monastère.
Un exemple de ce que peut être le rythme de la vie monastique
…C’était une véritable rédaction, avec des portes de verre et des cloisons, les vibrations constantes d’une imprimante et des textes imprimés jetés de tous les côtés, des épreuves, des maquettes de livres etc. Il n’y avait d’inhabituel qu’une seule chose : voir dans cet environnement des sœurs en habit monastique. Cela se déroulait dans les éditions du monastère Sainte-Elizabeth à Minsk. « Elles n’auraient pas l’habit, j’aurais pensé que c’étaient des journalistes ordinaires… » m’est-il passé par la tête.
Mais ma pensée suivante fut : « Non, non, elles sont différentes. Pour leur comportement au travail, elles ressemblent peut-être aux autres, mais intérieurement, elles sont différentes, particulières… » Oui, mais en quoi ?
Nous sommes sortis dans la rue et nous avons pris place dans une voiture pour aller des éditions au monastère. Une vieille voiture de marque étrangère, de couleur vert foncé, un clin d’œil au milieu des années 90, visiblement offerte par quelqu’un. C’était peut-être la première fois que j’étais dans une voiture conduite par une moniale. Drôle d’impression.
Le portable de mère Hillaria sonnait sans arrêt. « Comme chez n’importe qui », pensai-je. Mère Hillaria est l’économe du monastère. Pour chercher un équivalent profane, elle est « l’administrateur principal ». La moniale se plaignait que lorsque des gens de l’extérieur la voyaient avec un portable, il leur venait souvent la question suivante : quel genre de moniales êtes-vous, si vous en utilisez un, comme tout le monde ? Vous devez être concentrée (traduire : sinistre) et prier constamment (sans lever les yeux du sol), vous consacrer à Dieu (fuir les gens) etc.
- Et comment réagissez-vous à ce genre de « reproches » ?lui demandai-je.
— C’est une sorte de stéréotype, répondit mère Hillaria. Vous savez, il y a des représentations déformées de la spiritualité. Certains pensent, on n sait pourquoi, que plus le mur du monastère est élevé et infranchissable, plus sont spirituels ceux qui s’y cachent. Et plus ils sont rébarbatifs et mal disposés envers les gens, plus forte est leur foi. C’est bizarre. Les gens les plus élevés spirituellement que j’ai rencontrés, étaient les plus simples et les plus ouverts. Ils étaient normaux.
Un monastère dans un hôpital
Dans la petite église en bois consacrée à saint Nectaire d’Egine, sur le territoire de l’internat pour enfants avec des handicaps psychomoteurs particuliers, on n’avait pas encore eu le temps de mettre l’électricité. Nous y sommes arrivés le soir, quand il faisait déjà sombre. Il nous fallut chercher les cierges à tâtons.
— Je me rappelle souvent, avec une grande joie, notre première liturgie dans ce sanctuaire, avec les enfants malades de l’internat, raconte mère Ioanna. C’était le matin, il faisait encore plutôt sombre, c’étaient les enfants eux-mêmes qui tenaient les cierges. Et pout cette raison, pendant tout l’office, il semblait que la lumière vacillait…
D’une façon générale, tout le monastère Sainte Elisabeth « a poussé » grâce à la communauté des sœurs de charité, qui travaillait depuis la fin des années 80, sous la direction de l’archiprêtre Andreï Lemechonka, avec les malades de l’Hôpital Clinique Psychiatrique Républicain, internat psycho neurologique n°3 (l’établissement est situé non loin). En 1998, l’une des sœurs prit l’habit monastique. Et l’on considère le 22 août 1999 comme la date anniversaire du monastère, quand le métropolite Philarète tonsura encore trois novices. La construction du sanctuaire commença sur place, à côté de l’hôpital. Ce n’est pas un exemple fréquent : le monastère, essentiellement, est apparu sur le territoire de l’hôpital. Ils ont gardé jusqu’à présent un mur mitoyen.
Les moniales n’ont jamais cessé de nourrir les malades. Et la fraternité des sœurs de charité fonctionne comme avant, elle comprend aujourd’hui 200 sœurs. On les appelle « les sœurs blanches » et les moniales « les sœurs noires ». Les unes et les autres sont dans l’établissement presque chaque jour. Malheureusement, on n’y a pas accepté les journalistes.
— Pourquoi travailler avec des enfants malades qui, essentiellement, ne comprennent rien ? demandai-je?
— Et d’où tenez-vous qu’ils ne comprennent rien ? s’étonna la moniale Marfa, la sœur responsable de l’internat pour enfants. Ils comprennent justement mieux que les autres. Ils comprennent même quelquefois ce qu’il vaudrait mieux ne pas comprendre…
- Comment cela ?
- J’ai vu le cas suivant. Je marchais le long du corridor, dans le service, et je ne sais pourquoi, je ne pouvais me concentrer, me mettre dans l’état requis. Il me tournait dans l’esprit toutes sortes de pensées à propos du prochain dîner. Et voilà que sort de sa chambre un petit garçon qui s’adresse à moi directement : « Goinfre ! Tu ne penses qu’à la nourriture… »
La mère s’arrêta une seconde et ajouta :
- Ce n’est pas par hasard qu’on les dit plus proches de Dieu. Nous nous efforçons tous de nous diriger de ce côté, mais le Seigneur les a déjà rapprochés de lui, et a privé leurs cœurs de toute méchanceté. Pensez donc, et on appelle les gens comme eux des déshérités…
«To-to-chka!»
... Ces enfants jouent aussi dans des spectacles, que les sœurs organisent avec eux et la communauté du monastère, sous la direction de l’artiste émérite de Biélorussie, Alexandre Jdanovitch…
— Un jour, une petite fille, qui jouait Totochka, dans le « Magicien de la Ville d’Emeraude », tomba tout à fait malade et ne put prendre part au spectacle suivant, nous raconta Alexandre. Nous avons du prendre à sa place un petit garçon, qui avant ne jouait pas, mais avait vu nos spectacles de nombreuses fois et les connaissait par cœur. Il est vrai qu’il avait des problèmes d’élocution, c’est pourquoi nous avons décidé qu’il ferait tous les gestes sans paroles. Mais la petite fille avec qui il jouait la scène, lui demanda par habitude : « comment t’appelles-tu » ? Nous nous attendions à une pause embarrassée, mais soudain le garçon, qui parlait d’ordinaire avec de grandes difficultés, lui répondit très clairement, et même avec l’intonation : « To-to-chka… »
Alexandre Jdanovitch est l’un des acteurs les plus en vue du théâtre dramatique académique national Gorki. Il a, à ce jour, onze spectacles à son répertoire, dans la majorité desquels, il joue les rôles principaux (par exemple, Goloubkov, dans « la Fuite » de Mikhaïl Boulgakov). Et son travail à la télévision, dans l’émission « Kalikhanka », l’équivalent biélorusse de « Bonne nuit les petits », en fait naturellement le favori de l’auditoire enfantin. Avec son épouse Lioudmila, il rend visite aux enfants malades à l’internat et monte avec eux des spectacles. Je ne pus m’empêcher de lui demander :
- Au nom de quoi vous occuper « d’improvisation hospitalière » ?
- Je ne dirai sans doute rien de nouveau, mais les enfants malades nous sont nécessaires à nous, adultes sains, tout autant que nous le leur sommes. C’est une façon d’éduquer en soi l’amour et l’altruisme. Je sais que, de l’extérieur, cela peut sembler sec, mais tout change, quand on se plonge vraiment dans la communication avec eux. Je supposais au début (c’était apparemment mon habitude du travail dans un théâtre professionnel qui se faisait sentir) que, dans un internat, tout allait se passer d’une façon désorganisée : On répète une fois, et pas l’autre, et on ne peut jamais être sûr qu’on arrivera à faire le spectacle à temps et correctement. Mais avec le temps, j’ai commencé à comprendre : pire c’est, et mieux c’est. Dans le sens que le Seigneur dirige lui-même, il nous revient simplement de remplir honnêtement notre tâche. Et, quand le jour de la première, on s’attend à un désastre, et que le spectacle, contre toute attente, se déroule bien, alors là, on apprend vraiment à se confier à Dieu.
SDF : une façon de penser
Sur la route enneigée et difficile, la petite Volkswagen asthmatique obéissait à sœur Irina au doigt et à l’œil. Les sombres atours monastiques s’harmonisaient là aussi plutôt mal avec les impératifs d’un chauffeur expérimenté. La sœur nous conduisait depuis le monastère au village Lyssaïa Gora, où se trouvait le métochion. Le long de la route, elle racontait :
Quand j’ai commencé à remplir mon office au métochion, c’était très difficile. Et même, au début, j’en pleurais. Je ne pouvais pas comprendre comment j’allais m’en sortir, avec des gens aussi difficiles. Les « gens difficiles », c’étaient des SDF, d’anciens détenus, des drogués, des alcooliques. Ici, on les appelle des « frères ». Ils travaillent ici, ils ont des tâches physiques ordinaires. Le métochion a sa propre exploitation : la ferme, la pâture, et un élevage de chiens.
— Mais peu à peu, j’ai commencé à comprendre, continua la sœur Irina, si on essaie de la ramener, ce qui s’appelle, « faire l’important », ils ont vite fait de te remettre en place. Spécialement ceux qui sortent de prison : à force de fréquenter les surveillants, ils sont devenus de fins psychologues. Avec eux, il faut être simplement quelqu’un de normal. Ca marche, mais pas tout de suite. La plupart d’entre eux n’ont jamais connu quelqu’un qui les considère sans haine.
Les frères arrivent au métochion en passant par le monastère. Quand ils arrivent (et ils n’ont généralement plus d’autre endroit où aller), le prêtre discute avec eux et leur propose de vivre au métochion. Là, ils travaillent, ils prient, ils se confessent, ils communient. A proprement parler, l’idée d’un métochion avec une activité économique étendue est née de la nécessité de socialiser peu ou prou les gens comme eux.
— Bien sûr, les frères « craquent », raconte sœur Irina. Il arrive même qu’ils s’en aillent tout simplement, en criant : « Rendez-moi mes affaires. Je vivrai bien sans vous ! » J’ai tout de suite envie de leur demander : »Quelles affaires ? Tu es arrivé chez nous complètement en loques ! » Mais le bonhomme s’en va vagabonder, boire, et ensuite il revient . Il demande pardon, il veut qu’on le reprenne. On le reprend. Et petit à petit, il se rééduque.
Chaque samedi, on dit la liturgie au métochion. On y lit le psautier vingt-quatre heures sur vingt-quatre.La règle, ici, n’est, bien sûr, pas monastique, mais les prières du matin et du soir sont obligatoires, le mercredi et le vendredi sont jeunés.
— Etre SDF, ce n’est pas un statut social, c’est une façon de vivre et une façon de penser. C’est contre cela que nous luttons, ajoute sœur Irina.
— Comment?
— Il n’y a là qu’un seul moyen : les adapter au travail. Longuement et avec patience.
Cet homme bronzé d’environ trente ans, grand et fort, avec de bons yeux accueillants, c’est le chef des frères de la ferme, où l’on élève des cochons, des vaches, des chèvres, des chevaux. On sent qu’il connaît son affaire. Et il n’est pas dur de le deviner : pour mener une grosse exploitation, il faut un patron avec une main de fer et, cela va sans dire, « de l’autorité parmi les mecs ». Et certains mecs, pour ce qui est de la « façon de penser », ne sont pas des plus sûrs. En regardant ce patron, j’aurais eu tendance à penser que pour organiser la ferme, on avait décidé d’embaucher simplement un directeur expérimenté à l’extérieur.
— Comment est-il arrivé ici ? demandai-je à mère Irina.
— C’est un ancien drogué.
A l’élevage de chiens, c’est le frère Alexandre qui travaille. Au premier abord, il est sombre, rébarbatif et taciturne. D’après ce qu’on raconte, il est parti à quinze ans de chez lui, et n’y est plus revenu. D’une manière ou d’une autre, il s’est retrouvé en Afghanistan. Après la guerre, il avait des cauchemars terribles : une équipe de vingt hommes est partie en opération, il en est revenu cinq. Il s’est mis à boire. Un jour, il est arrivé au métochion. On a donné à Sacha pour tâche de s’occuper des chiens, que les moniales, à ce moment-là, avaient pris pour protéger les lieux. Sacha se mit à la tâche avec un sérieux viril et au bout de quelques années, le métochion eut son propre élevage de bergers asiates. Trois murs de la chambre de Sacha sont recouverts de diplômes et de médailles que les chiens du monastère ont remportés à des concours internationaux. Les yeux du sombre Sacha se sont mis à étinceler, quand la conversation est venue sur ses protégés :
— Nous avons ici quatre inter champions, c’est-à-dire quatre bergers qui ont remporté les premières places à plusieurs championnats de différents pays.
Aujourd’hui, au métochion, vivent plus de cent frères, mais à les voir, on les dirait solitaires. Pas seulement parce que le territoire est grand. Simplement, ils ont toujours des « missions » à remplir, ils sont occupés à travailler à leurs différents postes. On ne les voit jamais se baguenauder. Pour mettre de la variété dans la vie du métochion, les moniales montent des spectacles avec les frères. Cette année, ils ont choisi de mettre en scène « le Petit Prince ».
SITE du monastère Sainte-Elisabeth à Minsk
Photos Vladimir Echtokine
Nous sommes sortis dans la rue et nous avons pris place dans une voiture pour aller des éditions au monastère. Une vieille voiture de marque étrangère, de couleur vert foncé, un clin d’œil au milieu des années 90, visiblement offerte par quelqu’un. C’était peut-être la première fois que j’étais dans une voiture conduite par une moniale. Drôle d’impression.
Le portable de mère Hillaria sonnait sans arrêt. « Comme chez n’importe qui », pensai-je. Mère Hillaria est l’économe du monastère. Pour chercher un équivalent profane, elle est « l’administrateur principal ». La moniale se plaignait que lorsque des gens de l’extérieur la voyaient avec un portable, il leur venait souvent la question suivante : quel genre de moniales êtes-vous, si vous en utilisez un, comme tout le monde ? Vous devez être concentrée (traduire : sinistre) et prier constamment (sans lever les yeux du sol), vous consacrer à Dieu (fuir les gens) etc.
- Et comment réagissez-vous à ce genre de « reproches » ?lui demandai-je.
— C’est une sorte de stéréotype, répondit mère Hillaria. Vous savez, il y a des représentations déformées de la spiritualité. Certains pensent, on n sait pourquoi, que plus le mur du monastère est élevé et infranchissable, plus sont spirituels ceux qui s’y cachent. Et plus ils sont rébarbatifs et mal disposés envers les gens, plus forte est leur foi. C’est bizarre. Les gens les plus élevés spirituellement que j’ai rencontrés, étaient les plus simples et les plus ouverts. Ils étaient normaux.
Un monastère dans un hôpital
Dans la petite église en bois consacrée à saint Nectaire d’Egine, sur le territoire de l’internat pour enfants avec des handicaps psychomoteurs particuliers, on n’avait pas encore eu le temps de mettre l’électricité. Nous y sommes arrivés le soir, quand il faisait déjà sombre. Il nous fallut chercher les cierges à tâtons.
— Je me rappelle souvent, avec une grande joie, notre première liturgie dans ce sanctuaire, avec les enfants malades de l’internat, raconte mère Ioanna. C’était le matin, il faisait encore plutôt sombre, c’étaient les enfants eux-mêmes qui tenaient les cierges. Et pout cette raison, pendant tout l’office, il semblait que la lumière vacillait…
D’une façon générale, tout le monastère Sainte Elisabeth « a poussé » grâce à la communauté des sœurs de charité, qui travaillait depuis la fin des années 80, sous la direction de l’archiprêtre Andreï Lemechonka, avec les malades de l’Hôpital Clinique Psychiatrique Républicain, internat psycho neurologique n°3 (l’établissement est situé non loin). En 1998, l’une des sœurs prit l’habit monastique. Et l’on considère le 22 août 1999 comme la date anniversaire du monastère, quand le métropolite Philarète tonsura encore trois novices. La construction du sanctuaire commença sur place, à côté de l’hôpital. Ce n’est pas un exemple fréquent : le monastère, essentiellement, est apparu sur le territoire de l’hôpital. Ils ont gardé jusqu’à présent un mur mitoyen.
Les moniales n’ont jamais cessé de nourrir les malades. Et la fraternité des sœurs de charité fonctionne comme avant, elle comprend aujourd’hui 200 sœurs. On les appelle « les sœurs blanches » et les moniales « les sœurs noires ». Les unes et les autres sont dans l’établissement presque chaque jour. Malheureusement, on n’y a pas accepté les journalistes.
— Pourquoi travailler avec des enfants malades qui, essentiellement, ne comprennent rien ? demandai-je?
— Et d’où tenez-vous qu’ils ne comprennent rien ? s’étonna la moniale Marfa, la sœur responsable de l’internat pour enfants. Ils comprennent justement mieux que les autres. Ils comprennent même quelquefois ce qu’il vaudrait mieux ne pas comprendre…
- Comment cela ?
- J’ai vu le cas suivant. Je marchais le long du corridor, dans le service, et je ne sais pourquoi, je ne pouvais me concentrer, me mettre dans l’état requis. Il me tournait dans l’esprit toutes sortes de pensées à propos du prochain dîner. Et voilà que sort de sa chambre un petit garçon qui s’adresse à moi directement : « Goinfre ! Tu ne penses qu’à la nourriture… »
La mère s’arrêta une seconde et ajouta :
- Ce n’est pas par hasard qu’on les dit plus proches de Dieu. Nous nous efforçons tous de nous diriger de ce côté, mais le Seigneur les a déjà rapprochés de lui, et a privé leurs cœurs de toute méchanceté. Pensez donc, et on appelle les gens comme eux des déshérités…
«To-to-chka!»
... Ces enfants jouent aussi dans des spectacles, que les sœurs organisent avec eux et la communauté du monastère, sous la direction de l’artiste émérite de Biélorussie, Alexandre Jdanovitch…
— Un jour, une petite fille, qui jouait Totochka, dans le « Magicien de la Ville d’Emeraude », tomba tout à fait malade et ne put prendre part au spectacle suivant, nous raconta Alexandre. Nous avons du prendre à sa place un petit garçon, qui avant ne jouait pas, mais avait vu nos spectacles de nombreuses fois et les connaissait par cœur. Il est vrai qu’il avait des problèmes d’élocution, c’est pourquoi nous avons décidé qu’il ferait tous les gestes sans paroles. Mais la petite fille avec qui il jouait la scène, lui demanda par habitude : « comment t’appelles-tu » ? Nous nous attendions à une pause embarrassée, mais soudain le garçon, qui parlait d’ordinaire avec de grandes difficultés, lui répondit très clairement, et même avec l’intonation : « To-to-chka… »
Alexandre Jdanovitch est l’un des acteurs les plus en vue du théâtre dramatique académique national Gorki. Il a, à ce jour, onze spectacles à son répertoire, dans la majorité desquels, il joue les rôles principaux (par exemple, Goloubkov, dans « la Fuite » de Mikhaïl Boulgakov). Et son travail à la télévision, dans l’émission « Kalikhanka », l’équivalent biélorusse de « Bonne nuit les petits », en fait naturellement le favori de l’auditoire enfantin. Avec son épouse Lioudmila, il rend visite aux enfants malades à l’internat et monte avec eux des spectacles. Je ne pus m’empêcher de lui demander :
- Au nom de quoi vous occuper « d’improvisation hospitalière » ?
- Je ne dirai sans doute rien de nouveau, mais les enfants malades nous sont nécessaires à nous, adultes sains, tout autant que nous le leur sommes. C’est une façon d’éduquer en soi l’amour et l’altruisme. Je sais que, de l’extérieur, cela peut sembler sec, mais tout change, quand on se plonge vraiment dans la communication avec eux. Je supposais au début (c’était apparemment mon habitude du travail dans un théâtre professionnel qui se faisait sentir) que, dans un internat, tout allait se passer d’une façon désorganisée : On répète une fois, et pas l’autre, et on ne peut jamais être sûr qu’on arrivera à faire le spectacle à temps et correctement. Mais avec le temps, j’ai commencé à comprendre : pire c’est, et mieux c’est. Dans le sens que le Seigneur dirige lui-même, il nous revient simplement de remplir honnêtement notre tâche. Et, quand le jour de la première, on s’attend à un désastre, et que le spectacle, contre toute attente, se déroule bien, alors là, on apprend vraiment à se confier à Dieu.
SDF : une façon de penser
Sur la route enneigée et difficile, la petite Volkswagen asthmatique obéissait à sœur Irina au doigt et à l’œil. Les sombres atours monastiques s’harmonisaient là aussi plutôt mal avec les impératifs d’un chauffeur expérimenté. La sœur nous conduisait depuis le monastère au village Lyssaïa Gora, où se trouvait le métochion. Le long de la route, elle racontait :
Quand j’ai commencé à remplir mon office au métochion, c’était très difficile. Et même, au début, j’en pleurais. Je ne pouvais pas comprendre comment j’allais m’en sortir, avec des gens aussi difficiles. Les « gens difficiles », c’étaient des SDF, d’anciens détenus, des drogués, des alcooliques. Ici, on les appelle des « frères ». Ils travaillent ici, ils ont des tâches physiques ordinaires. Le métochion a sa propre exploitation : la ferme, la pâture, et un élevage de chiens.
— Mais peu à peu, j’ai commencé à comprendre, continua la sœur Irina, si on essaie de la ramener, ce qui s’appelle, « faire l’important », ils ont vite fait de te remettre en place. Spécialement ceux qui sortent de prison : à force de fréquenter les surveillants, ils sont devenus de fins psychologues. Avec eux, il faut être simplement quelqu’un de normal. Ca marche, mais pas tout de suite. La plupart d’entre eux n’ont jamais connu quelqu’un qui les considère sans haine.
Les frères arrivent au métochion en passant par le monastère. Quand ils arrivent (et ils n’ont généralement plus d’autre endroit où aller), le prêtre discute avec eux et leur propose de vivre au métochion. Là, ils travaillent, ils prient, ils se confessent, ils communient. A proprement parler, l’idée d’un métochion avec une activité économique étendue est née de la nécessité de socialiser peu ou prou les gens comme eux.
— Bien sûr, les frères « craquent », raconte sœur Irina. Il arrive même qu’ils s’en aillent tout simplement, en criant : « Rendez-moi mes affaires. Je vivrai bien sans vous ! » J’ai tout de suite envie de leur demander : »Quelles affaires ? Tu es arrivé chez nous complètement en loques ! » Mais le bonhomme s’en va vagabonder, boire, et ensuite il revient . Il demande pardon, il veut qu’on le reprenne. On le reprend. Et petit à petit, il se rééduque.
Chaque samedi, on dit la liturgie au métochion. On y lit le psautier vingt-quatre heures sur vingt-quatre.La règle, ici, n’est, bien sûr, pas monastique, mais les prières du matin et du soir sont obligatoires, le mercredi et le vendredi sont jeunés.
— Etre SDF, ce n’est pas un statut social, c’est une façon de vivre et une façon de penser. C’est contre cela que nous luttons, ajoute sœur Irina.
— Comment?
— Il n’y a là qu’un seul moyen : les adapter au travail. Longuement et avec patience.
Cet homme bronzé d’environ trente ans, grand et fort, avec de bons yeux accueillants, c’est le chef des frères de la ferme, où l’on élève des cochons, des vaches, des chèvres, des chevaux. On sent qu’il connaît son affaire. Et il n’est pas dur de le deviner : pour mener une grosse exploitation, il faut un patron avec une main de fer et, cela va sans dire, « de l’autorité parmi les mecs ». Et certains mecs, pour ce qui est de la « façon de penser », ne sont pas des plus sûrs. En regardant ce patron, j’aurais eu tendance à penser que pour organiser la ferme, on avait décidé d’embaucher simplement un directeur expérimenté à l’extérieur.
— Comment est-il arrivé ici ? demandai-je à mère Irina.
— C’est un ancien drogué.
A l’élevage de chiens, c’est le frère Alexandre qui travaille. Au premier abord, il est sombre, rébarbatif et taciturne. D’après ce qu’on raconte, il est parti à quinze ans de chez lui, et n’y est plus revenu. D’une manière ou d’une autre, il s’est retrouvé en Afghanistan. Après la guerre, il avait des cauchemars terribles : une équipe de vingt hommes est partie en opération, il en est revenu cinq. Il s’est mis à boire. Un jour, il est arrivé au métochion. On a donné à Sacha pour tâche de s’occuper des chiens, que les moniales, à ce moment-là, avaient pris pour protéger les lieux. Sacha se mit à la tâche avec un sérieux viril et au bout de quelques années, le métochion eut son propre élevage de bergers asiates. Trois murs de la chambre de Sacha sont recouverts de diplômes et de médailles que les chiens du monastère ont remportés à des concours internationaux. Les yeux du sombre Sacha se sont mis à étinceler, quand la conversation est venue sur ses protégés :
— Nous avons ici quatre inter champions, c’est-à-dire quatre bergers qui ont remporté les premières places à plusieurs championnats de différents pays.
Aujourd’hui, au métochion, vivent plus de cent frères, mais à les voir, on les dirait solitaires. Pas seulement parce que le territoire est grand. Simplement, ils ont toujours des « missions » à remplir, ils sont occupés à travailler à leurs différents postes. On ne les voit jamais se baguenauder. Pour mettre de la variété dans la vie du métochion, les moniales montent des spectacles avec les frères. Cette année, ils ont choisi de mettre en scène « le Petit Prince ».
SITE du monastère Sainte-Elisabeth à Minsk
Photos Vladimir Echtokine
Rédigé par Laurence Guillon le 24 Février 2012 à 14:41
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