La préparation du Concile:  Modification de l'environnement (I)
Vladimir GOLOVANOW

"Si ce Concile permet à chaque Eglise de faire connaitre et respecter sa position, ce sera un facteur d'unité de l'Eglise orthodoxe, qui contribuera à approfondir et à élargir les relations entre les Eglises locales et aussi à régler les questions, incompréhensions et problèmes qui existent dans ces relations." Mgr Hilarion de Volokolamsk

« Le grand concile que nous préparons permettra au peuple de notre Eglise de mieux vivre sa foi. Il s’efforcera non seulement d’adapter à l’homme d’aujourd’hui notre Tradition, mais de rendre à celle-ci sa force d’inspiration et de renouveau.» Patriarche de Constantinople Athënagoras 1er

Reprise du processus préconciliaire


"Une commission interorthodoxe commencera son travail dès septembre 2014 et travaillera jusqu’à la sainte Pâque 2015. Une consultation panorthodoxe préconciliaire s’ensuivra au cours du premier semestre de 2015" avait décidé la synaxe des primats en mars dernier". Et la première réunion de la "Commission interorthodoxe spéciale pour la préparation du Concile panorthodoxe" s’est donc déroulée du 30 septembre au 3 octobre à Chambésy confirmant la poursuite du processus relancé par la synaxe. Pourtant un grand nombre d'Orthodoxes doutent de la tenue du Concile panorthodoxe, voire le rejettent, comme le montrent d'ailleurs les réponses au sondage en cours sur le forum...

Soulignant que « le futur synode ne pouvait être appelé œcuménique ni mis sur le même plan que les sept Conciles œcuméniques sur lesquels est fondée notre sainte foi orthodoxe » a dit le métropolite Hilarion de Volokolamsk, représentant de l’Église orthodoxe russe à la Commission spéciale (1), et il a souhaité que le Concile soit « un évènement qui unisse nos Églises, et permette de clarifier des positions communs sur certains problèmes d’actualité portés à l’ordre du jour du futur concile » (mospat.ru, 30/09/2014). L’Église orthodoxe russe « accorde une grande importance au processus de préparation » et « considère comme une étape importance le travail de la commission qui devra réexaminer les documents préparés précédemment, supposant qu’il fallait « non seulement les réviser, mais y apporter de sérieuses modifications, qui rendront ces textes véritablement d’actualité » a-t-il ajouté (ibid.).

(1) Voir aussi l'explication que donne là-dessus l'archevêque Basile Krivocheine dans sa lettre au métropolite Juvénal de Toula. In "Messager de l'Église orthodoxe russe" no 25, avril juin 2014, éditions Sainte Geneviève, 91860. P. 43

Mgr Basile a dit: "La question [qui se pose]est celle de l’utilité de la convocation d’un concile panorthodoxe et non œcuménique, non parce que nous n’aurions pas le droit de convoquer un concile œcuménique sans les catholiques (c’est absurde, car l’Église orthodoxe n’a pas perdu sa plénitude), mais parce que nous n’y sommes pas prêts et qu’il n’y a pour cela aucune nécessité théologique. Ce n’est que l’avenir qui pourra déterminer si ce concile est œcuménique ou est un « brigandage <....> "La seule question théologique dont devrait s’occuper le futur concile est la reconnaissance en tant que VIII eœcuménique du concile de 879-880 sous le pape Jean VIII et le patriarche Photius, auquel toute l’Église — tant orientale qu’occidentale — était représentée pour la dernière fois, et où le Symbole de Nicée-Constantinople fut proclamé en commun sans le Filioque". Il convient aussi d’accorder une reconnaissance panorthodoxe aux conciles de Constantinople de 1341 et de 1351 qui approuvèrent la doctrine théologique de saint Grégoire Palamas, insuffisamment ancrée encore dans la conscience de nombreux orthodoxes.

En complément du numéro 25 du "Messager de l'Église orthodoxe russe", qui consacre un dossier à l'avancement des travaux de préparation (p. 36-61), nous voudrions répondre à ces doutes et interrogations par l'analyse suivante qui éclaire la façon dont ont été abordés les différents thèmes lors des réunions préconciliaires qui suivirent. Nous reprenons les différents points de l'ordre du jour adopté par la 1ère conférence préconciliaire de Chambésy (1976; ibid. "Messager" p. 41) sur la base des informations détaillées données par le métropolite Hilarion de Volokolamsk le 3/11/2011. En conclusion nous suggérons quelques clés pour interpréter la suite de la nouvelle étape préparatoire qui s'est ouverte.

Les textes mis au point précédemment doivent servir de base à cette préparation, mais il y a deux phénomènes qui obligent à les reprendre en profondeur:

1. La modification de l'environnement général qui va modifier les priorités sur des textes précédemment acceptés à l'unanimité:

- Pour ce qui concerne les relations avec les hétérodoxes

- Sur les questions sociétales

- Sur le rapport de l'Orthodoxie à la politique mondiale


2. Les différences d'approches entre les Eglises qui rendent très difficile l'obtention du consensus sur certains thèmes.

Cette première partie de l'étude sur la préparation du concile propose une analyse du premier aspect, le second étant étudié dans la deuxième partie.

Relations des Églises orthodoxes avec l’ensemble du monde chrétien:

Les deux documents adoptés en 1986 sur "Les dialogues bilatéraux" et "le Conseil Œcuménique des Eglise (COE)" sont les premiers qui ont été revus par la Commission spéciale: "La Commission a révisé les projets de documents du Concile panorthodoxe adoptés en 1986, lors de la III Conférence préconciliaire panorthodoxe, sur la question des relations interchrétiennes, en tenant compte des changements significatifs qui ont eu lieu durant les dernières décennies au sein de nombreuses dénominations protestantes" (mospat.ru 04/10/2014).) Ce thème nécessitait évidement un réexamen et l'Eglise avait proposé que les «Principes de base des relations de l’Église orthodoxe russe à l’égard de l’hétérodoxie», adoptés en 2000 par son Concile épiscopal, soient pris en compte dans les projets révisés des résolutions panorthodoxes.

Lors d'un colloque organisé à l'Institut de Théologie Orthodoxe Saint-Serge (Paris) en 2012 Tamara Grzelidze (Église Orthodoxe de Géorgie, Commission œcuménique "Foi et Constitution") a évoqué l’engagement des orthodoxes en faveur du dialogue œcuménique, tout en signalant une certaine ambiguïté dans cet engagement, comme il ressort de plusieurs déclarations et documents orthodoxes officiels. Les orthodoxes font preuve d’une fluctuation permanente entre des modèles ecclésiologiques exclusivistes et des approches plus "inclusivistes"(2). Selon elle, le futur concile panorthodoxe devra se pencher à nouveau sérieusement sur la question de la coresponsabilité des Eglises orthodoxes territoriales «à la lumière de l’ecclésiologie eucharistique orthodoxe et de ses implications œcuméniques» cf. "Contacts" No 243,juillet-décembre 2013.

Il est probable aussi que les deux "réunions au sommet" entre le Pape de Rome et le patriarche de Constantinople qui se sont tenues en 2014 à Jérusalem (25 mai) et à Istanbul (prévue fin novembre) ainsi que le blocage du dialogue théologique vont renouveler le débat au sein de l'Orthodoxie.

(2) Pour les théologiens orthodoxes
"l'inclusivisme" reconnait d'une grâce incomplète chez les autres confessions chrétiennes alors que l'exclusivisme ne leur en reconnait commune, réservant l'exclusivité de la grâce aux Eglise orthodoxes canoniques…

Questions sociétales

Le point sur les empêchements canoniques au mariage donna lieu à deux textes consensuels en 1971 et 1972:

- Sur les empêchements canoniques proprement dits (degrés de parenté, mariage des clercs et des moines, remariage) les pratiques existantes sont unifiées en précisant que «dans la question des empêchements au mariage, l’Église doit prendre également en considération les dispositions de la législation civile locale, mais cela va de soi, dans les limites de la tolérance possible du côté de l’Église»

- Sur la question des mariages mixtes: l’acribie canonique s'oppose au mariage des orthodoxes avec les hétérodoxes, mais l'Eglise "peut cependant le bénir par condescendance et humanité sous la condition définie que les enfants de ce mariage soient baptisés et éduqués dans l’Église orthodoxe". Les Églises orthodoxes locales autocéphales peuvent prendre leurs décisions, relativement à l’application de l’économie, dans des cas individuels, en fonction de leurs besoins pastoraux particuliers. "Le mariage entre orthodoxes et fidèles des autres religions ou des non-croyants est absolument interdit… Mais en cas de tels mariages, les Églises orthodoxes locales autocéphales peuvent néanmoins appliquer l’économie pastorale au conjoint orthodoxe, en fonction de leurs besoins pastoraux particuliers" (ibid. conférence du métropolite Hilarion de Volokolamsk)

Mais les questions de la vie et de la famille s'invitent dans le débat, comme le mentionne le "Message de la synaxe" de mars dernier, et il est très probable que des textes seront élaborés sur ces sujets comme l'a déjà fait l'Eglise russe dans "Les Bases de la conception sociale de l’Eglise orthodoxe russe" (ch. X. "Morale personnelle, familiale et sociale"), adoptées au Concile épiscopal jubilaire de l’an 2000 (Cf. traduction français de H. Destivelle, éditions du Cerf 2007) et ce d'autant plus que le dernier synode de l'Eglise catholique, où des prélats orthodoxes sont intervenus en qualité d'invités, portait sur ces questions.

Politique mondiale

Le point "Contribution des Eglises orthodoxes à la réalisation des idéaux chrétiens de paix, de liberté, de fraternité et d'amour entre les peuples, et à la suppression des discriminations raciales" fut aussi discuté en 1986. Le document adopté aborde les thèmes de la conception chrétienne du monde, de la dignité de la personne humaine, de la liberté de l’homme, de la question nationale… mais ils portent la marque de l'époque et le document se focalise sur le désarmement universel (ibid. conférence du métropolite Hilarion de Volokolamsk)

Là aussi, comme l'indique le "Message de la synaxe", des développements nouveaux seront probablement introduits pour mettre l'accent sur la vague de persécutions sans précédent qui touche actuellement les Chrétiens et introduire le thème de l'environnement dont le patriarche de Constantinople Bartholomée est un fervent défenseur (il a ainsi fait adopter par le saint synode de Constantinople la décision de consacrer un dimanche à la fête de la création). L’homme est le porteur de l’image du Maître de maison céleste et comme tel doit, selon saint Grégoire de Nysse, montrer sa dignité royale non pas dans la domination violente sur le monde environnant mais en «cultivant» et «gardant» (Gn 2, 15) le royaume sublime de la nature, dont il répondra devant Dieu" écrit l'Eglise russe, de son côté dans "Les Bases de la conception sociale de l’Eglise orthodoxe russe" (ibid. ch. XIII. "Eglise et écologie").

"Je pense que l'importance de ce concile ne consistera pas tant dans ses décisions que dans le fait même de sa convocation: les évêques des différentes Églises se réuniront pour discuter des questions actuelles et exprimer leur soutien aux Chrétiens persécutés du Proche-Orient et dans d'autres régions et pays. J'estime que tout cela deviendra un facteur significatif qui renforcera notre unité orthodoxe" dit le métropolite Hilarion de Volokolamsk. "Messager de l'Église orthodoxe russe" No 25, p. 61.

Il semble probable que le consensus recherché sera trouvé sur les questions que nous venons d'analyser. Les autres points, par contre, qui vont du calendrier au jeune et à l'organisation de l'Eglise, ont montré de profondes divergences lors des débats précédant et au cours des derniers mois. C'est l'analyse de ces divergences qui fera l'objet de la deuxième partie de cette étude.


Rédigé par Vladimir Golovanow le 11 Novembre 2014 à 15:54 | 3 commentaires | Permalien



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