V. Golovanow

La divergence historique L’Église du Christ dans sa plénitude

Le bulletin de Compiègne de juin 2012 (1) contient un intéressant dossier sur la divergence historique entre l'Orthodoxie et le Catholicisme, en particulier un extrait d'une interview du père Placide (Deseille) (2) par Jean Claude Noyé (3). "Le père Placide résume parfaitement la position Orthodoxe à propos de l'œcuménisme", écrit le père Nicolas Kisselhoff (4) dans son éditorial: « L’image des “deux poumons de l’Église” appliquée à l’Église catholique et à l’Église orthodoxe ne peut satisfaire les Orthodoxes car ils ont la certitude d’être l’Église du Christ dans sa plénitude. Et l’Église catholique a la même conviction de son coté, même si elle réserve une place, à côté du rite latin, à des rites orientaux. Mais ces constatations ne doivent pas nous donner l’impression de nous trouver devant une impasse, continu le père Placide, ni nous porter à la passivité et au découragement. » (ibid).

Pour expliquer les divergences entre l'Église Orthodoxe et les confessions occidentales, le père Placide commence par un rappel sur l'organisation ecclésiale: "depuis les origines, l'Église est structurée localement autour de son évêque sur un territoire donné, les évêques d'une province se réunissent autour de l'évêque de la ville principale sans que celui-ci ait d'autorité particulière sur les autres, il est “primus inter pares” – le premier parmi ses pairs. Les villes les plus prestigieuses deviendront des Patriarcats et Rome a toujours joui d'une primauté d'honneur à ce titre."

"Le «schisme d'Orient», officialisé en 1054, est la conséquence de trois causes principales qui se sont conjuguées, continue le père Nicolas à résumer l'interview du père Placide:
• des «innovations théologiques» de Saint Augustin qui ne furent jamais reçues dans l'Orthodoxie (5);
• la volonté des Capétiens de s'affranchir de l'Empire Chrétien d'Orient qui fut menée à terme par Charlemagne: prenant appui sur ces «innovations théologiques» pour se distancer des Pères de l'Église, ils imposèrent l'ajout du Filioque au Symbole de foi et intentèrent aux «Grecs» une fausse querelle sur la vénération des icônes;
• et enfin « un mouvement de réforme [qui] naquit dans l’est de la France, et se développa grâce à l’abbaye de Cluny qui, pour la première fois dans l’histoire du monachisme, regroupa ses filiales, réparties dans toute l’Europe, en un ordre monastique fortement centralisé. Les réformateurs ne virent pas d’autre remède, pour libérer l’Église de l’emprise des pouvoirs laïcs, que de renforcer la puissance et le prestige de la papauté, en affirmant sa prépondérance sur le pouvoir temporel des rois et des empereurs. »(ibid.) (6)

Cette réaction de défense s'est déclinée de diverses manières, mais les plus néfastes, quant à leurs conséquences pour l'unité de l'Église, ont été le durcissement du pouvoir temporel et spirituel du Pape de Rome au détriment des autres évêques, la méthode scolastique étendue à la théologie et l'isolement et la rupture avec les autres Patriarcats et la théologie des Pères de l'Église conduisant finalement à l'« hérésie, puisque des éléments dogmatiques furent affirmés d’un côté, niés de l’autre. »(ibid.)

Ainsi le renforcement du pouvoir papal a logiquement abouti au dogme catholique romain de l'infaillibilité pontificale, la coupure théologique avec les patriarcats orientaux et le développement des présupposés augustiniens ont abouti à la dogmatisation du Filioque, à l'abandon de la théologie des Énergies divines surabondantes remplacée par celle de la grâce créée et distribuable, des mérites, du péché originel dont chacun est fautif dès la naissance, du purgatoire et de l'enfer comme un lieu physique et de l'Immaculée Conception (que l’Orthodoxie n’admet pas sous cette forme, sans minimiser aucunement la vénération et le culte de la Mère de Dieu)… (ibid.) "

Anti-œcuménisme et Uniatisme

Interrogé sur les moines zélotes (7) du Mont Athos, que le père Placide compare aux intégristes de l'Église Catholique Romaine, il en dit : « Non, [ils ne sont] pas [remontés] contre les catholiques comme tels, mais contre l’idée d’une union avec les catholiques qui sacrifierait, si minimes soient-ils, des éléments de la foi orthodoxe. Mais, en cela, ils ne diffèrent pas des autres orthodoxes. Leur erreur consiste dans leur attitude exagérément soupçonneuse, qui les amène à toujours suspecter du laxisme doctrinal chez les autres.» (ibid.) Ainsi, le père Placide prône-t-il un dialogue ouvert, mais ferme sur le témoignage de la vérité : « Je me refuse à condamner, comme certains orthodoxes, le mouvement œcuménique, car l’expérience a montré qu’il peut contribuer efficacement à une meilleure connaissance et charité réciproques, et donc offrir aux orthodoxes la possibilité d’aider ceux qui s’en sont éloignés à retrouver la plénitude de la grande tradition des apôtres et des Pères de l’Église. Mais il n’est pas sans danger non plus, car il peut conduire certains à relativiser la vérité. Il est sûr que l’unité ne pourra jamais se réaliser au détriment de la vérité, et, pour moi, il n’y a qu’une vérité, celle qui était reconnue par l’ensemble des chrétiens avant la déchirure du XIe siècle.» (ibid.)

Parlant de son expérience personnelle de l’uniatisme, par laquelle il est arrivé à l'Orthodoxie, le père Placide explique que ce principe "avait été conçu par Rome comme un moyen d’amener les Orthodoxes à la foi et à l’unité romaines, sans les obliger à renoncer à leurs usages. […] Mais peu à peu, un problème que nous n’avions pas entrevu à l’origine se fit jour. Nous avions été amenés à entrer en rapports à la fois avec des monastères orthodoxes et avec des communautés de rite oriental unies à Rome. A mesure que nous nous connaissions mieux les uns et les autres, nous pouvions constater à quel point les Églises uniates étaient coupées de leurs racines et de leur propre tradition, et n’occupaient dans l'Église catholique romaine qu’une position très marginale. Même lorsque les Uniates reproduisaient aussi exactement que possible les formes extérieures de la liturgie et du monachisme orthodoxes, l’esprit qui animait leurs réalisations était très différent." (Ibid.)

Notes du rédacteur (pour ceux qui ne liraient pas l'ensemble du texte)

(1) Source:ICI
(2) Le père Placide est entré à l'abbaye cistercienne de Bellefontaine en 1942 à l'âge de seize ans, son intérêt constant pour les Pères de l'Église l'a amené en 1966 à tenter une expérience d'uniatisme 2 dans le monastère de la Transfiguration qu'il a fondé à Abazine avec d'autres moines, puis il est devenu Orthodoxe sur le Mont Athos et finalement il a fondé le monastère Orthodoxe Saint Antoine le Grand dans le Vercors. Cela fait de lui un observateur de premier plan du dialogue œcuménique et un passeur entre l'Orient et l'Occident chrétiens. (père Nicolas Kisselhoff; Ibidem)
(3) Jean Claude Noyé, Propos d'un moine orthodoxe, Groupe DDB (Lethielleux, 2010)
(4) ICI

(5) Le père Placide écrit: "Saint Augustin "a été amené à majorer les capacités de l’intelligence humaine en ce qui concerne la connaissance de Dieu et du mystère même de la Sainte Trinité (…). Il résulte de cette conception que toutes les notions qui expriment la nature, les propriétés et les opérations de l’esprit créé peuvent être appliquées à Dieu, d’une manière qui, assurément, transcende tous leurs modes de réalisation dans les créatures, mais néanmoins au sens propre." Et le père Placide oppose cette approche à la théologie orthodoxe gardera toujours une conscience très vive de ce que la transcendance de Dieu le place tellement au dessus de toute essence créée qu’aucun des concepts que nous employons pour parler des créatures ne peut s’appliquer à lui dans son sens propre ; c’est pourquoi aucune définition, aucun raisonnement ne peuvent être appliqués aux réalités divines avec une rigueur permettant de construire une théologie systématique." (ibidem)

(6) "Les légats pontificaux qui, en 1054, déposèrent une bulle d’excommunication sur l’autel de Sainte Sophie, appartenaient au milieu des réformateurs. Deux éléments donnèrent à leur geste, hâtif et inconsidéré, une portée qu’on ne pouvait alors apprécier. D’une part, les légats soulevaient la question du Filioque, désormais introduit à Rome dans le Symbole de la Foi ; or la chrétienté non latine avait toujours ressenti cette addition comme contraire à la tradition apostolique. D’autre part, les « Romains » d’Orient, sujets de l’empereur de Constantinople, découvraient le dessein des réformateurs occidentaux d’étendre l’autorité absolue et directe du pape sur tous les évêques et les fidèles, même dans leur Empire. C’était une ecclésiologie totalement nouvelle pour eux, et ils ne pouvaient que la refuser, au nom de la fidélité à la Tradition de l’Église." (ibid.)

(7) Qualificatif généralement donné aux anti-œcuménistes. Pour le père Placide, lui-même Athonite, il ne s'applique qu'aux moines du mont Athos "qui ont rompu la communion avec tous les autres moines de la Sainte Montagne pour, croient ils, mieux défendre l’intégrité de la foi" (il s'agit essentiellement des moines du monastère d'Esphigménou). Car pour ce qui concerne l'attitude générale de la sainte Montagne, le père Placide écrit "En matière d'œcuménisme comme de vie spirituelle, l’attitude de l’Athos est faite de sobriété et de discernement. Il faut savoir filtrer aussi bien les élans de la sensibilité que les raisonnements de l’esprit, et surtout renoncer à « plaire aux hommes », si l’on veut plaire à Dieu et entrer dans Son Royaume."


Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 7 Août 2012 à 04:33 | -1 commentaire | Permalien



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