La "Conférence Interconciliaire" (CI) de l’Église russe: Un nouveau chapitre dans l’histoire de l’Église orthodoxe russe
V.G.

La seconde assemblée plénière de la CI s'est tenue les 22-23 novembre 2012, dans la salle des Conciles de la cathédrale du Christ Sauveur sous la présidence du Patriarche Cyrille. Cela nous donne l'occasion de faire une rapide analyse des travaux de cet institution originale dans l'Eglise. La CI est un nouvel organisme conciliaire qui est très mal connu en Occident, y compris des Orthodoxes. Rappelons que c'est là un organe délibératif permanent, créé par le Concile local de janvier 2009 (1) pour associer en permanence le Peuple orthodoxe au processus conciliaire. Elle comprend 144 membres nommés par le Saint synode pour quatre ans: 54 évêques, 59 autres clercs, 7 moines et 25 laïcs (2) et représente ainsi un concile local réduit. L'assemblée plénière s'était réunie la première fois en le 28 janvier 2011 et il y a eu cinq réunions du "présidium" (30 membres représentant aussi la diversité de l'Eglise sous la présidence du patriarche) et un intense travail en commissions.

Institution consultative originale, la CI a pour mission de se pencher sur différentes questions soumises par le concile, qui portent sur la vie interne et la mission de l'Église, et de préparer des projets de documents pour les délibérations du concile épiscopal, voire du concile local.


Ses thèmes de travail sont très variés comme on peut en juger d'après les titres des commissions: cela va de sujets strictement ecclésiaux (questions théologiques, droit canon, vie paroissiale, monastères, relations avec les autres confessions et les autres religions…) à des questions sociétales (relations de l'Eglise, de l'état et de la société, information de l'Eglise et relations avec les media…).

Il est important de souligner à quel point le processus d'élaboration des documents par la CI implique le Peuple de Dieu: outre les 144 membres de la Conférence plénière, les 13 commissions auditionnent une cinquantaine d'experts extérieurs puis, après accord du présidium, les projets sont soumis à un débat ouvert via Internet (3) et les diocèses. Comme l'écrit l’archiprêtre Paul Velikanov (4), l'institution de la CI "marque le début d’un nouveau chapitre dans l’histoire de notre Eglise, peut-être même de celle des autres Eglises". C’est en effet la première fois que l’Eglise se dote ainsi d'un organisme représentatif du Peuple de Dieu permanent et ses deux premières réunions plénières, qui ont été préparées par un intense travail des commissions spécialisées, montre que "l'Eglise s’est mise à réfléchir aux questions qu’elle se pose elle-même avec lucidité au lieu de s’employer à répondre à des questions posées du dehors. Et cela sans faire appel à des réponses à l’emporte-pièce, passe-partout et langue de bois... Chacun des documents validés a trait à la vie réelle de l’Eglise et non au combat que se livrent virtuellement le Christ et l’Antéchrist" continue le père Paul.

Deux ans de débats (5)

21 documents ont été débattus en deux ans et demi (la statistique s'arrête mi 2012, les premiers documents ont été publiés en janvier 2010 (6)) et ils ont fait l'objet de plus de 4400 commentaires sur le site bogoslov.ru (ibid. 3) et ce chiffre peut être multiplié par 2 ou 3 pour tenir compte des débats sur le site dédié de la CI.

C'est le document portant sur "L'usage du slavon" qui vient en tête des commentaires (plus de 1519 sur bogslov.ru), devant "l'identification électronique des personnes" (1291) et "Règles des monastères et des moines" (1055). Les documents les moins commentés ont été "L'organisation du travail missionnaire" (2 commentaires!), "Position de l'Eglise face au blasphème volontaire" (4 commentaires … avant l'affaire "Pussy Riot"!) et "L'action sociétale des Orthodoxes" (6 commentaires).

Le père Velikanov fait aussi une analyse qualitative des commentaires, en particulier sur l'usage du slavon qui a été le plus riche (7): il s'agit principalement d'un dialogue de sourds entre deux camps opposés, chacun argumentant sa position, avec force citations des Ecritures et des Pères sans jamais chercher à comprendre ses opposants ou à trouver un accord. L'auteur regrette qu'il n'y ait pratiquement aucune participation de membres du clergé et souligne que, si ce débat devait mesurer le degré de "réception" du document, on devrait considérer qu'il est rejeté…

Il est à noter qu'une part importante de commentaires et propositions est attendue des diocèses et, dans son rapport ouvrant la seconde assemblée plénière de la CI (8), le patriarche Cyrile en a fait ressortir 51 (sur 240) dont l'apport a été particulièrement significatif (aucun diocèse de l'étranger n'est cité…)
Ce débat sert en fait à terminer la rédaction du document en commission de rédaction qui le transmet pour approbation en Assemblée plénière puis au Saint synode et au concile pour validation finale et promulgation. Tous les documents sont disponibles en permanence sur le site de la CI

Premier résultats

Ouvrant la seconde assemblée plénière de la CI, le patriarche Cyrile a présenté un bilan des travaux (8):
- Deux documents préparés par la CI ont été adoptés par le Saint synode du 27/12 2011. Il s'agit de documents organisant l'action de l'Eglise dans la société (catéchisation et mission) qui ont ensuite été transmis à l'ensemble de l'Eglise pour servir de base à l'organisation concrète du travail sur le terrain.
- Le document sur la participation des clercs aux élections politiques a fait l'objet d'une procédure accélérée entre le synode, la CI et le Haut Conseil ecclésial.
- Le document sur les monastères a été renvoyé en commission devant la vague de réactions négatives qu'il a soulevé.

- La procédure d’élection du Patriarche a fait l'objet de 4 propositions diffusées et discutées en 2010. L'Assemblée plénière a décidé de les transmettre pour décision au concile épiscopal de 2013.
- Un débat très intéressant a porté sur la répartition des responsabilités entre les conciles épiscopaux et locaux: les conciles épiscopaux ont la responsabilité de proclamer la Vérité de l'Eglise, mais c'est le Peuple de Dieu qui "reçoit" cette Vérité et c'est donc le concile local, qui représente le Peuple de Dieu, qui veille à la pureté de la foi et au respect des canons. L'Assemblée plénière a décidé de transmettre ce texte au concile épiscopal de 2013.
- De même sont transmis au concile le document "sur la réforme du droit de la famille et la justice des mineurs", "Position de l’Église suite à l’apparition et aux perspectives de développement des nouvelles technologies d’identification de la personnalité" et "Conception écologique de l’Église orthodoxe russe".
- Le texte "de la participation de l'Eglise russe à la réadaptation des narco-dépendants" a été transmis au Saint Synode.

Apprendre à dialoguer

"En répondant aux défis de notre époque, la CI montre un exemple d'approche raisonnable des processus en cours, dit le patriarche (ibid. 8). Loin d'un rejet catégorique du point de vue de l'autre, il s'agit d'une approche réfléchie des problèmes, pour construire un dialogue avec l'adversaire le plus passionné ou simplement avec celui dont le point de vue est seulement un peu différent.Des controverses animées se déroulent en commissions, des polémiques aigues surgissent aussi dans les débats du présidium, mais ensuite on prend en compte tous les points "pour" et "contre" et le projet passe à la commission de rédaction. Et il peut y avoir une nouvelle discussion animée lorsque le projet passe en discussion publique.

Apprendre dialoguer aidera nos fidèles à vaincre la peur. Rappelons-nous les évènements révolutionnaires d'il y 95 ans et les pages sanglantes de l'histoire de l'Eglise russe. Le dernier siècle nous a fait connaitre la multitude des confesseurs de la foi chrétienne, mais de nos jours encore bien des croyants ont du mal à témoigner de leur foi et afficher son christianisme aujourd'hui demande aussi du courage: effet, dans certains milieux aujourd'hui, comme avant la révolution et comme après la révolution, il se forme des stéréotypes qui collent au croyant une image de rétrograde, démodé, et être Chrétien peut être un handicap dans la société…

… La CI permet de voir, comprendre et transmettre aux autres, s'il le faut, le message précieux et authentique de l'Eglise. Elle donne à chaque Chrétien les moyens de s'affirmer en développant la culture du débat non seulement parmi les membres de l'Eglise, mais aussi dans l'ensemble de la société. Si nous savons entendre les arguments des autres, nous serons aussi capables de débattre avec ceux qui sont encore indifférents, étrangers à l'idéal Evangélique ou qui tentent de discuter avec nous "sur les rudiments du monde" (Col. 2:8).

Et le patriarche conclu en insistant sur l'importance d'impliquer les médias dans ce processus… J'espère pour ma part que ma courte explication amorcera un intérêt des médias francophones pour cette incontestable avancée de la conciliarité dans l'Orthodoxie.
.....................................
(1)
(2) Liste complète sur
(3) et Bogoslov
(4)
(5)
(6) n'ai pas trouvé de statistiques complète concernant les deux sites, mais un article portant sur 8 documents débattus en 2010 montre que les commentaires sur le site dédié de la CI (cf. 3 ci-dessus) sont à chaque fois 2 à 3 fois plus nombreux que ceux de bogoslov.ru
(7)
(8)
(9) Extraits traduits par VG






Rédigé par Vladimir Golovanow le 26 Novembre 2012 à 12:06 | 0 commentaire | Permalien



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