La Ceinture de la Vierge en Russie, quelques réflexions…
Par Pierre Barsov, Ejednevny Journal, le 28 /11/2011

Les organisateurs de la venue en Russie et des modalités de la vénération de la sainte Ceinture de la Vierge sont eux-mêmes stupéfaits des résultats de leur initiative. Les files d’attente pour accéder à la cathédrale du Christ Sauveur s’étiraient sur plusieurs kilomètres et réunissaient des milliers de fidèles. Les gens y patientaient jour et nuit. Il va de soi que les services municipaux ont été perturbés, transports, horaires du métro, stationnement. Comment analyser ce phénomène social ? Il convient de reconnaître que les autorités ont trouvé des solutions optimales à tous les problèmes que posait la sécurité des pèlerins.

Un confort, fût-il minimal, leur avait été garanti : des centaines de cars dans lesquels les pèlerins pouvaient trouver un peu de chaleur, des cuisines de campagne qui offraient de la semoule et du thé, des dizaines de voitures d’urgences médicales et, il y a vraiment de quoi s’étonner quand on connaît la Russie, près de cinq cent sanisettes. Les autorités municipales et ecclésiales de la capitale s’étaient bien mieux préparées à l’accueil de la relique que celles des autres villes.

La Ceinture de la Vierge en Russie, quelques réflexions…
A Divéevo, là où a vécu Saint Séraphin de Sarov, par exemple, les pèlerins devaient en 1993 patienter pendant près de 12 heures avant de pouvoir vénérer la Ceinture de la Vierge alors qu’ils fallait autant de temps pour pouvoir se rendre aux toilettes. De telles difficultés ne sont pas le propre des manifestations religieuses, je me souviens de l’état dans lequel se trouvait Saint Pétersbourg lorsqu’on fêtait le 300 anniversaire de la ville. Moscou a donné un bel exemple de logistique.

Les réactions à cette manifestation de piété populaire n’ont pas été unanimes. Les calculs les plus modestes indiquent que, et ce seulement à Moscou, près de 500.000 personnes ont vénéré la Ceinture. Quotidiennement les chaînes nationales diffusaient des reportages à partir de la cathédrale du Christ Sauveur. Certains des médias avaient des réactions à la limite ironiques : « Les voilà à faire la queue, et ils ne savent même pas qu’une parcelle de la ceinture est conservée dans la paroisse voisine, Saint Elie ! ». Les porte-parole de l’Eglise triomphaient : « Vous disiez qu’il n’y a que de 2 à 3% d’orthodoxes dans le pays, maintenant comptez vous-mêmes et alignez les zéros ».

Cet évènement sans précédent conduira de toute évidence l’Etat à repenser sa politique religieuse. L’Eglise orthodoxe a maintenant toutes les raisons de dire que la décision d’enseigner « Les fondements de la culture religieuse et de l’éthique laïque » dans les écoles publiques était plus que bien fondée. Cela se rapporte tout autant au programme de construction dans la capitale de deux cent églises « de proximité ».

Les autorités politiques ont saisi l’occasion pour, une fois de plus, mettre en valeur leurs priorités confessionnelles : le président Medvedev et son épouse, le premier ministre Poutine, le Directeur général des voies ferrées Yakounine, tous étaient aux cotés du patriarche Cyrille pour accueillir la Ceinture de la Vierge. Vladimir Poutine a rencontré les moines venus de la Sainte Montagne pour les remercier d’être venus en Russie. Ceux qui sont resté indifférents à l’évènement peuvent raisonnablement mettre en doute la piété des hautes autorités. En cette période de campagne électorale tout est bon pour essayer d’améliorer les sondages. Or, nous avons été les témoins d’une authentique et émouvante manifestation de foi populaire, phénomène qui a forcé le respect de l’opinion. L’influence des médias, TV y compris, ne suffit pas à expliquer le phénomène de foule suscité par la venue de la relique athonite.

La Ceinture de la Vierge en Russie, quelques réflexions…
Les médias ne sont pas à même de provoquer une telle mobilisation humaine ex nihilo. Les files d’attente réunissaient des gens simples comme des intellectuels, des personnes âgées et des jeunes équipés de gadgets électroniques, énormément d’enfants. Il y avait là des gens peu enclins à une perception critique des choses comme d’autres, parfaitement informés et qui suivaient l’avancée de la file d’attente sur leurs GPS.

Aussi, je me permets de supposer que c’est dans les profondeurs de la conscience populaire qu’il convient de chercher des explications à ce qui s’est passé. L’évènement n’a pas encore fait l’objet d’une étude approfondie.
Jamais en Russie la proximité d’une relique n’a joué en sa faveur. Il fallait prendre le chemin du pèlerinage, ceci sans confort et en acceptant d’accomplir un petit exploit ascétique. Sans difficultés, sans labeur le pèlerinage se réduit à une simple excursion. Les Grands Princes de Moscou marchaient 70 verstes (La verste est une ancienne mesure de longueur utilisée en Russie, valant 1 066,8 mètres) pour vénérer les reliques de Saint Serge de Radonezh. Les gens simples allaient à pied à la Laure des Grottes à Kiev. Les offices se doivent d’être longs. On y prie de toute son âme. « J’ai assisté aux vêpres du début à la fin », voici une expression très typique de la piété populaire russe. Il fallait précisément patienter debout pour pouvoir vénérer la châsse de la Ceinture et ceci 24 heures d’affilée plutôt que 12. Le peuple a soif d’exploits. Il ne s’agit pas là de fanatisme ou de folie collective. Nous avons été les témoins d’une manifestation d’authentique foi populaire. Comment ne pas être saisi d’admiration en voyant cette foi se manifester ainsi dans les rues ? Comment ne pas évoquer ce que disait le père Paul Florensky se souvenant des croyants qui communiaient au même calice en pleine épidémie de choléra à Tiflis, la capitale de la Géorgie. Il parle avec admiration de « cet acte de foi incompréhensible au bon sens ».

J’ai demandé à un prêtre de mes connaissance qui avait conseillé à ses paroissiens de participer à la vénération de la Ceinture ce qu’il pensait de tout cela. Il m’a répondu : « Nous sommes encore capables d’accomplir un tel pèlerinage et nous devons nous en réjouir. Oui, bien sûr, les fidèles lisent rarement l’Evangile, ne vont pas souvent à l’église, ils communient trop rarement. Mais il y a chez eux une foi tout en profondeur. Peu nombreux sont ceux qui observent l’ensemble des règles mais leurs parents, leurs amis et voisins éprouvent l’influence de ceux-ci et deviennent, ne fût-ce qu’un peu, de vériatbles chrétiens. La religion peut être comparée au Soleil, le noyau en est à la température maximale alors que la surface, moins incandescente, émet chaleur et lumière. La foi populaire nous a permis de résister à l’afflux des faux prédicateurs, ils s’étaient précipités en Russie dans les années 90 pour « instruire » le peuple. Mais ils ne sont pas immergés dans l’eau glacée le jour de la Théophanie. Il s’est trouvé que leur foi était à nos yeux pour ainsi dire malingre et faiblarde. Ce ne sont d’ailleurs pas que des orthodoxes qui sont allés se recueillir auprès de la Ceinture. Lorsque les reliques de Sainte Matrona de Moscou ont été exposées à Kazan un prêtre m’avait dit que des milliers de Tatars musulmans avaient participé à la vénération. En effet, les musulmans prient la Vierge Marie. Cependant, comment ne pas éprouver d’inquiétude : en 1903 lorsque les reliques de Saint Séraphin de Sarov devinrent accessibles, une ligne de chemin de fer fut alors spécialement construite, la famille impériale participa aux solennités. Puis, ce furent trois révolutions à la suite et l’assassinat du Tsar et des siens. En 1988 nous avons célébré le millénaire du baptême de la Russie. En 1991 nous avons redécouvert les reliques de Saint Séraphin, les pèlerins se comptaient par milliers partout dans le pays. Je me pose la question : où en est aujourd’hui le pays ? ». Voilà ce que pense un croyant et ces pensées sont d’ordre métaphysique. Serions-nous à nouveau à la croisée des chemins ? Souvent la conscience religieuse russe venait démentir les prévisions des analystes pragmatiques : ceux qui nous gouvernent se disent que tout est pour le mieux et qu’ils sont unis avec le peuple alors que le peuple se refuse à mélanger religion et politique. Les gens ne veulent pas de politique en église.
Soit dit en passant les élections tombent sur le jour où nous célébrons la Présentation de la Sainte Vierge au Temple.

"PO" Traduction Nikita Krivochéine

Ejednevny Journal

Rédigé par Nikita Krivocheine le 4 Décembre 2011 à 17:00 | 2 commentaires | Permalien



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