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V. Golovanow
Voici une conférence prononcée le 25 mai 1982 dans la période qui suit Pâques. Et ce n'est pas innocent car Pâques est évidement un moment particulièrement fort de notre vie liturgique que le père Alexandre relie essentiellement au Royaume qui doit encore venir et qui est déjà au milieu de nous: "Quel est le sens de la nuit pascale ? De Pâques ? Nous n’avons pas de conception historique de la fête : elle commémore des événements qui se sont déroulés dans le passé. Mais pour la théologie chrétienne des premiers temps, ce n’était d’aucune façon une simple commémoration ou un souvenir. Ce fut toujours l’entrée de l’Église dans une réalité permanente que le Christ a créé par sa Mort et sa Résurrection."
Mais en fait cette conférence, prononcée un an avant le départ brutal du père Alexandre, contient les principales approches théologiques de ce grand penseur du dernier siècle. (extrait de la conférence ci-dessous)
Voici une conférence prononcée le 25 mai 1982 dans la période qui suit Pâques. Et ce n'est pas innocent car Pâques est évidement un moment particulièrement fort de notre vie liturgique que le père Alexandre relie essentiellement au Royaume qui doit encore venir et qui est déjà au milieu de nous: "Quel est le sens de la nuit pascale ? De Pâques ? Nous n’avons pas de conception historique de la fête : elle commémore des événements qui se sont déroulés dans le passé. Mais pour la théologie chrétienne des premiers temps, ce n’était d’aucune façon une simple commémoration ou un souvenir. Ce fut toujours l’entrée de l’Église dans une réalité permanente que le Christ a créé par sa Mort et sa Résurrection."
Mais en fait cette conférence, prononcée un an avant le départ brutal du père Alexandre, contient les principales approches théologiques de ce grand penseur du dernier siècle. (extrait de la conférence ci-dessous)
Une ère postchrétienne ?
Lorsque je pense à la théologie contemporaine et que j’essaie d’en comprendre la diversité, celle de toutes les tendances, les idéologies, les accents des différentes confessions qui la caractérisent si profondément, je me rappelle une expression qui est devenue populaire depuis plusieurs années dans certains milieux, l’expression « l’ère postchrétienne ». Quel que soit le sens de cette expression, elle a un certain intérêt pour tous ceux qui cherchent un sens à la théologie contemporaine. L’idée commune de cette théologie (malgré toutes les différences confessionnelles et autres), hypothèse faite consciemment ou pas, est que la théologie est écrite, ou bien élaborée, ou bien cru dans une ère postchrétienne.
Ceci est pris pour acquis. Cela ne signifie pas que chaque théologien écrit explicitement au sujet de la période postchrétienne ; au contraire, il y a beaucoup « d’affaires courantes » en théologie. Mais lorsque vous cherchez un principe sous-jacent à la théologie contemporaine, il ressemble à ceci : nous vivons, nous prions et nous « théologisons » dans un monde où notre foi chrétienne vit un divorce ; il y a un profond divorce non seulement dans l’Église mais dans toute la vision du monde d’une part, et la culture et la société dans laquelle nous vivons d’autre part. Ceci est accepté comme une idée évidente par elle-même. Ce n’est pas le thème de la théologie contemporaine, mais une de ses sources. Il est important pour nous d’essayer de comprendre cette expérience de divorce.
La théologie a toujours visé le monde ; elle n’est pas destinée exclusivement à la consommation intérieure de l’Église. Il y a toujours eu un effort de la part des chrétiens d’expliquer l’Évangile en termes d’une culture donnée, d’un contexte particulier. C’est pourquoi la théologie a toujours essayé de parler un langage commun avec le monde dans lequel elle s’exprime. Les Pères de l’Église ont fait exactement cela (non que ceci épuise le sens de la période patristique) ; ils réconciliaient Jérusalem et Athènes, Athènes et Jérusalem, et ils ont créé un langage commun qui serait fidèle à l’Évangile tout en étant intelligible et acceptable cependant dans le monde. Mais que faut-il faire lorsque ce langage commun se décompose et qu’il n’y a plus de langage commun ? Car voilà notre situation aujourd’hui. Une période vient de se terminer, période caractérisée par l’existence de l’Église chrétienne, de la théologie chrétienne, en fait d’un monde chrétien.
Le « oui » radical : la théologie de la libération et la théologie thérapeutique
Face à ce divorce, à cette rupture d’un langage commun, deux attitudes fondamentales ont tendance à se développer en théologie.
Un type de théologie – et à l’intérieur de celle-ci il y a un très large pluralisme – continue encore à chercher un langage commun avec le monde, et elle fait ceci en adoptant ce que l’on peut décrire comme le discours propre au monde d’aujourd’hui, c’est-à-dire qu’elle emprunte un discours que j’associe au père Yves Congar, qui dit que c’est le monde qui détermine les préoccupations de l’Église. Je me souviens très bien, j’étais en train de flâner, il y a trois ans, dans une librairie théologique à Paris, où on trouve toute la théologie moderne en vingt minutes. J’y rencontrai le titre Une lecture marxiste de saint Luc ; quelques minutes après je trouvai Une lecture freudienne de saint Jean. Dans les titres de ces deux livres et d’autres semblables, nous trouvons une théologie à la recherche désespérée d’un langage commun avec le monde, une théologie qui trouve ce langage dans le discours du monde même.
Ce type de théologie comprend différents genres. Lorsqu’elle traite plus spécialement de la justice et de la politique, elle peut prendre la forme de théologie de la libération. Une autre tendance dans le même type de théologie est bien décrite dans le titre du livre Le triomphe de la thérapie. Nous développons une théologie thérapeutique, parce que notre monde est thérapeutique. Nous essayons toujours d’aider les gens. Je ne sais pas comment cela se passe à Londres, mais à New York vous ne pouvez pas lire des réclames pour du dentifrice sans garantie de bonheur. Nous avons la même exigence pour la religion : elle aussi « garantit le bonheur ». Amenez votre famille à l’église ou à la synagogue de votre choix. Cela aide.
Il y a donc deux tendances ici, la première qui concerne la société et l’autre l’individu. La première vient dans une certaine mesure de Hegel avec sa transformation de l’histoire en Histoire avec un « H » majuscule. La seconde adopte le point de vue de l’individu qui prédomine dans le monde aujourd’hui, qui le considère comme un patient dans un hôpital cosmique, constamment en traitement avec néanmoins une promesse de guérison totale et d’immortalité. Ici, comme dans le domaine de la politique, la théologie cherche à prendre une part de plus en plus active : nous voulons montrer que nous ne restons pas à la traîne, que nous rattrapons ce triomphe thérapeutique.
Suite ICI
........................................................
Première conférence en mémoire de Nicolas Zernov, Oxford, le 25 mai 1982.
Première publication en français.
Extrait de : Alexander Schmemann, Liturgy and Life,
Theological Reflections of Alexander Schmemann
St Vladimir’s Seminary Press, Crestwood NY, 1990.
Traduction : Valère De Pryck
Lorsque je pense à la théologie contemporaine et que j’essaie d’en comprendre la diversité, celle de toutes les tendances, les idéologies, les accents des différentes confessions qui la caractérisent si profondément, je me rappelle une expression qui est devenue populaire depuis plusieurs années dans certains milieux, l’expression « l’ère postchrétienne ». Quel que soit le sens de cette expression, elle a un certain intérêt pour tous ceux qui cherchent un sens à la théologie contemporaine. L’idée commune de cette théologie (malgré toutes les différences confessionnelles et autres), hypothèse faite consciemment ou pas, est que la théologie est écrite, ou bien élaborée, ou bien cru dans une ère postchrétienne.
Ceci est pris pour acquis. Cela ne signifie pas que chaque théologien écrit explicitement au sujet de la période postchrétienne ; au contraire, il y a beaucoup « d’affaires courantes » en théologie. Mais lorsque vous cherchez un principe sous-jacent à la théologie contemporaine, il ressemble à ceci : nous vivons, nous prions et nous « théologisons » dans un monde où notre foi chrétienne vit un divorce ; il y a un profond divorce non seulement dans l’Église mais dans toute la vision du monde d’une part, et la culture et la société dans laquelle nous vivons d’autre part. Ceci est accepté comme une idée évidente par elle-même. Ce n’est pas le thème de la théologie contemporaine, mais une de ses sources. Il est important pour nous d’essayer de comprendre cette expérience de divorce.
La théologie a toujours visé le monde ; elle n’est pas destinée exclusivement à la consommation intérieure de l’Église. Il y a toujours eu un effort de la part des chrétiens d’expliquer l’Évangile en termes d’une culture donnée, d’un contexte particulier. C’est pourquoi la théologie a toujours essayé de parler un langage commun avec le monde dans lequel elle s’exprime. Les Pères de l’Église ont fait exactement cela (non que ceci épuise le sens de la période patristique) ; ils réconciliaient Jérusalem et Athènes, Athènes et Jérusalem, et ils ont créé un langage commun qui serait fidèle à l’Évangile tout en étant intelligible et acceptable cependant dans le monde. Mais que faut-il faire lorsque ce langage commun se décompose et qu’il n’y a plus de langage commun ? Car voilà notre situation aujourd’hui. Une période vient de se terminer, période caractérisée par l’existence de l’Église chrétienne, de la théologie chrétienne, en fait d’un monde chrétien.
Le « oui » radical : la théologie de la libération et la théologie thérapeutique
Face à ce divorce, à cette rupture d’un langage commun, deux attitudes fondamentales ont tendance à se développer en théologie.
Un type de théologie – et à l’intérieur de celle-ci il y a un très large pluralisme – continue encore à chercher un langage commun avec le monde, et elle fait ceci en adoptant ce que l’on peut décrire comme le discours propre au monde d’aujourd’hui, c’est-à-dire qu’elle emprunte un discours que j’associe au père Yves Congar, qui dit que c’est le monde qui détermine les préoccupations de l’Église. Je me souviens très bien, j’étais en train de flâner, il y a trois ans, dans une librairie théologique à Paris, où on trouve toute la théologie moderne en vingt minutes. J’y rencontrai le titre Une lecture marxiste de saint Luc ; quelques minutes après je trouvai Une lecture freudienne de saint Jean. Dans les titres de ces deux livres et d’autres semblables, nous trouvons une théologie à la recherche désespérée d’un langage commun avec le monde, une théologie qui trouve ce langage dans le discours du monde même.
Ce type de théologie comprend différents genres. Lorsqu’elle traite plus spécialement de la justice et de la politique, elle peut prendre la forme de théologie de la libération. Une autre tendance dans le même type de théologie est bien décrite dans le titre du livre Le triomphe de la thérapie. Nous développons une théologie thérapeutique, parce que notre monde est thérapeutique. Nous essayons toujours d’aider les gens. Je ne sais pas comment cela se passe à Londres, mais à New York vous ne pouvez pas lire des réclames pour du dentifrice sans garantie de bonheur. Nous avons la même exigence pour la religion : elle aussi « garantit le bonheur ». Amenez votre famille à l’église ou à la synagogue de votre choix. Cela aide.
Il y a donc deux tendances ici, la première qui concerne la société et l’autre l’individu. La première vient dans une certaine mesure de Hegel avec sa transformation de l’histoire en Histoire avec un « H » majuscule. La seconde adopte le point de vue de l’individu qui prédomine dans le monde aujourd’hui, qui le considère comme un patient dans un hôpital cosmique, constamment en traitement avec néanmoins une promesse de guérison totale et d’immortalité. Ici, comme dans le domaine de la politique, la théologie cherche à prendre une part de plus en plus active : nous voulons montrer que nous ne restons pas à la traîne, que nous rattrapons ce triomphe thérapeutique.
Suite ICI
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Première conférence en mémoire de Nicolas Zernov, Oxford, le 25 mai 1982.
Première publication en français.
Extrait de : Alexander Schmemann, Liturgy and Life,
Theological Reflections of Alexander Schmemann
St Vladimir’s Seminary Press, Crestwood NY, 1990.
Traduction : Valère De Pryck
Rédigé par Vladimire Golovanow le 9 Mai 2011 à 10:23
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