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Le cahier juillet-août de l'excellente revue "La Nef" vient d'être mis en ligne. Au sommaire , un dossier consacré à l'orthodoxie russe. Avec l'aimable autorisation de la rédaction de "La Nef" nous vous proposons l'article de Victor Loupan
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Commençons par une mise au point. Les Églises orthodoxes sont généralement perçues comme des institutions conservatrices, passéistes, traditionalistes. Antimodernes dans leur essence, elles sont, pense-t-on, des remparts contre les dérives modernistes, indépendamment des époques. C’est aller un peu vite en besogne.
On ne le sait pas en France, mais le Concile de Moscou de 1917 fut le précurseur, en plus radical sans doute, de Vatican II. L’Église russe, comme le reste de la société, était alors balayée par les vents révolutionnaires. Et les « rénovateurs » ou « modernistes », appelés en Russie « obnovlentsy », ont été, dans les années 1920 et 1930, le bras armé du NKVD au sein de l’Église. Ce qui restait alors de l’Église russe, après la répression sauvage bolchevique, a lutté de toutes ses forces contre ses rénovateurs-là. Le futur patriarche Serge était de ceux qui ont combattu ce modernisme à la fois « guébiste » et occidentaliste. Je voudrais rappeler ici, que pour le grand penseur orthodoxe russe Nicolas Berdiaev, le bolchevisme était l’expression la plus radicale de l’occidentalisme russe.
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Commençons par une mise au point. Les Églises orthodoxes sont généralement perçues comme des institutions conservatrices, passéistes, traditionalistes. Antimodernes dans leur essence, elles sont, pense-t-on, des remparts contre les dérives modernistes, indépendamment des époques. C’est aller un peu vite en besogne.
On ne le sait pas en France, mais le Concile de Moscou de 1917 fut le précurseur, en plus radical sans doute, de Vatican II. L’Église russe, comme le reste de la société, était alors balayée par les vents révolutionnaires. Et les « rénovateurs » ou « modernistes », appelés en Russie « obnovlentsy », ont été, dans les années 1920 et 1930, le bras armé du NKVD au sein de l’Église. Ce qui restait alors de l’Église russe, après la répression sauvage bolchevique, a lutté de toutes ses forces contre ses rénovateurs-là. Le futur patriarche Serge était de ceux qui ont combattu ce modernisme à la fois « guébiste » et occidentaliste. Je voudrais rappeler ici, que pour le grand penseur orthodoxe russe Nicolas Berdiaev, le bolchevisme était l’expression la plus radicale de l’occidentalisme russe.
Ainsi, l’Église orthodoxe sortie des répressions de masse, et qu’on accusait, en Occident, d’être « soviétique », soumise au pouvoir communiste, collaboratrice (en rappelant cela, je bats aussi ma coulpe), avait non seulement survécu par miracle au massacre d’un pouvoir athée sanguinaire, mais aussi, en son sein même, au combat contre les « rénovateurs ». Nous qui la critiquions à l’époque soviétique, oubliions alors que le rejet du modernisme dont le communisme était une des variantes, faisait partie de son ADN, si on veut bien m’autoriser cette métaphore biologique.
À la chute du communisme en 1991, un autre modernisme athée a déferlé sur la Russie, le modernisme libéral. La violence, la pornographie, le culte de l’argent, la dépravation morale ont rempli l’espace laissé vacant par le communisme. Le mal est soudain devenu le bien. Des « évangélisateurs » américains louches se sont mis à louer des stades, à monopoliser à coups de millions de dollars les chaînes de télévision. Des « guérisseurs extrasensoriels » prenaient possession des âmes de millions de personnes désœuvrées, plongées dans la misère matérielle et le désarroi moral. Le règne du mal était partout, présenté, naturellement, comme étant celui du bien. Les sondages de l’époque montraient que la prostitution était considérée comme le métier le plus prestigieux chez les femmes.
La société russe post-soviétique, prude, patriarcale et, au fond, innocente, était tombée dans les bras du Démon, sans même s’en rendre compte. Un démon beau, souriant de ses belles dents blanches, un démon qui expliquait que rien n’était sacré, que tout était permis, possible. Qu’il suffisait de laisser faire et de se laisser aller à toutes les libertés, à tous les caprices.
À la chute du communisme en 1991, un autre modernisme athée a déferlé sur la Russie, le modernisme libéral. La violence, la pornographie, le culte de l’argent, la dépravation morale ont rempli l’espace laissé vacant par le communisme. Le mal est soudain devenu le bien. Des « évangélisateurs » américains louches se sont mis à louer des stades, à monopoliser à coups de millions de dollars les chaînes de télévision. Des « guérisseurs extrasensoriels » prenaient possession des âmes de millions de personnes désœuvrées, plongées dans la misère matérielle et le désarroi moral. Le règne du mal était partout, présenté, naturellement, comme étant celui du bien. Les sondages de l’époque montraient que la prostitution était considérée comme le métier le plus prestigieux chez les femmes.
La société russe post-soviétique, prude, patriarcale et, au fond, innocente, était tombée dans les bras du Démon, sans même s’en rendre compte. Un démon beau, souriant de ses belles dents blanches, un démon qui expliquait que rien n’était sacré, que tout était permis, possible. Qu’il suffisait de laisser faire et de se laisser aller à toutes les libertés, à tous les caprices.
Dans cette violence sanglante, car le sang, évidemment, coulait à flots, l’Église s’est trouvée seule, vraiment très seule, pour dire ce qui était le beau, le bon et le vrai.
Près de vingt-cinq ans sont passés depuis cette époque noire. Époque inintelligible, car d’un côté, un chrétien ne pouvait pas ne pas se réjouir de la chute du pouvoir athée qui a donné en 70 ans plus de martyrs de la foi que durant toute l’histoire de la chrétienté.
Mais de l’autre, il ne pouvait accepter le viol organisé de l’âme humaine conséquent à la chute du communisme. Aujourd’hui, l’Église russe est à nouveau accusée en Europe de soutenir le pouvoir. D’être « du côté de Poutine ». Ceux qui le font ignorent la théologie orthodoxe dite de la « symphonie des pouvoirs », autrement dit de la répartition des tâches, des rôles si je puis dire, entre le pouvoir temporel et le pouvoir intemporel.
Il se fait que le pouvoir russe actuel, qu’on peut critiquer par ailleurs, respecte officiellement les préceptes de l’Église. Le président Poutine qui, je le rappelle, vient de divorcer, est un chrétien avoué et pratiquant.
Les positions très critiques de l’Église orthodoxe russe sur les transgressions sociétales promues actuellement en Europe, sont très proches de celles du pape et de l’Église catholique. La différence essentielle étant que l’Église catholique est en opposition frontale par rapport aux « valeurs » libérales promues dans l’UE (« mariage » homosexuel, euthanasie, promotion du divorce et de l’avortement, idéologie transgressive, pornographie généralisée, démantèlement de la protection sociale), alors que l’Église russe est soutenue par le pouvoir dans la défense des valeurs chrétiennes traditionnelles. Cette différence est de taille.
Source : La Nef n°272 de juillet-août 2015
Près de vingt-cinq ans sont passés depuis cette époque noire. Époque inintelligible, car d’un côté, un chrétien ne pouvait pas ne pas se réjouir de la chute du pouvoir athée qui a donné en 70 ans plus de martyrs de la foi que durant toute l’histoire de la chrétienté.
Mais de l’autre, il ne pouvait accepter le viol organisé de l’âme humaine conséquent à la chute du communisme. Aujourd’hui, l’Église russe est à nouveau accusée en Europe de soutenir le pouvoir. D’être « du côté de Poutine ». Ceux qui le font ignorent la théologie orthodoxe dite de la « symphonie des pouvoirs », autrement dit de la répartition des tâches, des rôles si je puis dire, entre le pouvoir temporel et le pouvoir intemporel.
Il se fait que le pouvoir russe actuel, qu’on peut critiquer par ailleurs, respecte officiellement les préceptes de l’Église. Le président Poutine qui, je le rappelle, vient de divorcer, est un chrétien avoué et pratiquant.
Les positions très critiques de l’Église orthodoxe russe sur les transgressions sociétales promues actuellement en Europe, sont très proches de celles du pape et de l’Église catholique. La différence essentielle étant que l’Église catholique est en opposition frontale par rapport aux « valeurs » libérales promues dans l’UE (« mariage » homosexuel, euthanasie, promotion du divorce et de l’avortement, idéologie transgressive, pornographie généralisée, démantèlement de la protection sociale), alors que l’Église russe est soutenue par le pouvoir dans la défense des valeurs chrétiennes traditionnelles. Cette différence est de taille.
Source : La Nef n°272 de juillet-août 2015
Victor Loupan journaliste, écrivain, ancien grand reporter au "Figaro magazine", membre du Conseil pour la culture du patriarche de Moscou, président du comité éditorial et rédacteur en chef de "La pensée russe", journal de référence de l’émigration russe en Europe, fondé à Paris en 1947 et de son supplément Le messager orthodoxe. Producteur et animateur des émissions "Lumière de l’Orthodoxie", Écrans et Toiles et Surexposition, il participe régulièrement au Débat de la semaine sur Radio Notre Dame. Il est également réalisateur de films documentaires pour la télévision et auteur de nombreux ouvrages. Dernier livre paru: "Les derniers jours de Jésus" - L'œuvre éditions, 2012.
Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 5 Octobre 2015 à 11:34
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