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Christianisme. Les rêves de grande union et d’accords doctrinaux entre Églises chrétiennes semblent désormais lointains. Mais les voies du dialogue œcuménique sont peut-être en train de changer.
Par Philippe Clanché
Depuis quelques semaines, le monde œcuménique est en ébullition. « L’œcuménisme, à qui on a reproché son assoupissement, se réveille », se réjouit le P. René Beaupère (1). Ce qui ne veut pas dire que l’on évoque de nouveaux accords doctrinaux… Le temps où certains avançaient un calendrier pour mener les trois branches du christianisme vers l’intercommunion paraît en effet bien loin. « Il y a 40 ans, l’union était proche. Pour l’an 2000, il existait un programme précis. C’était encore l’espérance de Jean Paul II, dans sa lettre Ut unum sint », rappelle le théologien orthodoxe Jean-François Colosimo.
L’actualité de l’œcuménisme se situe donc ailleurs. Il y eut cet automne l’arrivée remarquée d’anglicans rebelles au sein de l’Église catholique (voir TC des 29 octobre et 5 novembre). Jean-François Colosimo en reste encore interdit. « Que Rome, si exigeante d’habitude, adopte un modèle assez mondialisé, une espèce de holding avec des filiales et des satellites, me laisse coi. Au XIXe, ces anglicans auraient commencé par un mea culpa dogmatique à genoux. » Étienne Vion, en charge des questions œcuméniques à la Fédération protestante de France, minimise l’événement. « Sur 80 millions d’anglicans, cela va concerner, au maximum, quelques dizaines de milliers de cas. Cette péripétie n’affecte pas le dialogue, même si elle créée de la confusion. »
Par Philippe Clanché
Depuis quelques semaines, le monde œcuménique est en ébullition. « L’œcuménisme, à qui on a reproché son assoupissement, se réveille », se réjouit le P. René Beaupère (1). Ce qui ne veut pas dire que l’on évoque de nouveaux accords doctrinaux… Le temps où certains avançaient un calendrier pour mener les trois branches du christianisme vers l’intercommunion paraît en effet bien loin. « Il y a 40 ans, l’union était proche. Pour l’an 2000, il existait un programme précis. C’était encore l’espérance de Jean Paul II, dans sa lettre Ut unum sint », rappelle le théologien orthodoxe Jean-François Colosimo.
L’actualité de l’œcuménisme se situe donc ailleurs. Il y eut cet automne l’arrivée remarquée d’anglicans rebelles au sein de l’Église catholique (voir TC des 29 octobre et 5 novembre). Jean-François Colosimo en reste encore interdit. « Que Rome, si exigeante d’habitude, adopte un modèle assez mondialisé, une espèce de holding avec des filiales et des satellites, me laisse coi. Au XIXe, ces anglicans auraient commencé par un mea culpa dogmatique à genoux. » Étienne Vion, en charge des questions œcuméniques à la Fédération protestante de France, minimise l’événement. « Sur 80 millions d’anglicans, cela va concerner, au maximum, quelques dizaines de milliers de cas. Cette péripétie n’affecte pas le dialogue, même si elle créée de la confusion. »
Le pasteur y voit surtout un geste interne du Vatican, un appel du pied aux intégristes catholiques : « Rome veut montrer qu’il est capable d’accueillir en respectant les identités propres. »
La proposition de rapprochement faite par le Patriarcat de Moscou envers Rome constitue l’autre sujet du moment. Mgr Hilarion, son ministre des Relations avec les autres Églises, a affirmé à Paris qu’il fallait unir les tenants de la « tradition » face aux sécularistes qui libéralisent leur doctrine. Directement visées : les Églises issues de la Réforme et les anglicans. « Ce n’est pas la première fois que Mgr Hilarion fait cette offre, explique le P. Beaupère, qui reconnaît l’existence d’intérêts communs à défendre contre des lobbies. » Pour autant, le prêtre avoue sa gêne. « Comme catholique soucieux d’œcuménisme, je ne veux pas d’une alliance contre les protestants. Cherchons à maintenir le dialogue sans mettre personne à l’écart. Même si nous avons des affinités particulières. »
Idylle Rome - Mosou
Jean-François Colosimo regrette également « cette réduction de l’œcuménisme à un front commun moral, culturel, qui relève plus de l’alliance conjoncturelle que d’une recherche d’unité de foi. Il ne s’agit que d’un témoignage commun en étant plus fort. Politiquement, cela va donner l’impression de Fort Chabrol du christianisme, c’est évident. » Le pasteur Vion y voit surtout « une redistribution des cartes au sein du monde orthodoxe et, après la chute du Mur, la nouvelle vigueur de l’Église russe ».
L’avenir semble radieux entre Rome et Moscou. Benoît XVI rêve de réaliser un geste impossible pour son prédécesseur : la rencontre au sommet entre le pape de Rome et le patriarche de Moscou. Pour Mgr Hilarion, reçu un septembre dernier par Benoît XVI, les choses sont en bonne voie. Nulle doute que le président russe Medvedev, reçu au Vatican, en a touché deux mots au pape, lequel plaît beaucoup plus à Moscou que son prédécesseur. « Les orthodoxes connaissent Ratzinger, explique J.- F. Colosimo. Il est allemand, très romain – ce n’est pas un curé planétaire -, il appuie sur la latinité de l’Église romaine plus que sur son universalité. De plus, son articulation liturgie-théologie est proche de la leur. » Pour le théologien, « un boulevard se présente pour la réussite de la rencontre entre Benoît XVI et Kyrill ».
Essoufflement
Avec ce renouvellement de la donne, c’est en fait un modèle de relation œcuménique qui disparaît, celui des années 60 – 70 marquées par des gestes symboliques comme la rencontre entre Paul VI et le patriarche de Constantinople Athenagoras (en 1964 à Jérusalem) et l’expansion du Conseil œcuménique des Églises (COE, créé en 1948). Depuis l’enthousiasme est bien retombé.
« L’axe institutionnel n’a débouché sur rien de concret, car les corps représentés sont peu mobiles, note J.- F. Colosimo. Si les théologiens ont beaucoup œuvré, leurs efforts n’ont pas résolu les problèmes et leur production est peu perceptible parmi les peuples chrétiens. » Son regard est plus positif sur le dialogue à la base et reconnaît des effets bénéfiques : abandon des querelles passées (comme en France dans les Cévennes), meilleure connaissance des autres. « Mais il a fait naître une espèce de quatrième confession chrétienne, les “œcuménistes”, impatients d’arriver à l’intercommunion sans un accord sur la foi préalable. »
« Le COE est en perte de vitesse», reconnaît de même le P. Beaupère, qui espère que le nouveau secrétaire général élu cet été, le luthérien norvégien Olav Fykse Tveit, va le redynamiser. Le prêtre déplore un intérêt moindre chez les jeunes prêtres catholiques et pasteurs luthéro-réformés sur ces questions. « Le repli identitaire de chaque Église peut s’expliquer par l’Histoire. Les anciens sont allés très loin. Aujourd’hui la peur freine et la confiance est moindre. » Plus optimiste, le pasteur Vion remarque que le COE a su se diversifier en lançant en 2007 le Forum chrétien mondial, qui a rassemblé également l’Église catholique (2) et des Églises évangéliques, absentes au COE. « Les travaux institutionnels et la recherche de textes communs ne sont plus la seule porte d’entrée. »
Fraîcheur évangélique
Que dire des mouvements évangéliques et pentecôtistes ? « Le COE a laissé la porte ouverte, mais ils n’ont pas voulu y entrer, fait remarquer le P. Beaupère, qui voit quelques lueurs d’espoir dans l’arrivée de cette nouvelle famille. Les évangéliques ne sont pas lassés par l’histoire œcuménique. Ils arrivent avec la richesse et la fraîcheur de la découverte. Observons tout ce qui se passe, voyons les chemins qui proposent des issues possibles. » Étienne Vion apprécie l’évolution de certains pasteurs. « Hier, il ne discutaient pas. Aujourd’hui, ils sont plus ouverts à la rencontre. » Jean-François Colosimo est nettement plus réservé. Pour lui, leur prosélytisme en milieu chrétien est « une contre-preuve œcuménique ». « Il existe une frange très anti-œcuménique. Dans son essence, ce mouvement attend peu du dialogue et tout de la conversion. » Voici pour le fond. Sur la forme, les obstacles sont également nombreux : « Il est difficile de vivre un dialogue institutionnel du fait de la diversité des institutions. »
Nos trois experts s’accordent en tout cas sur un point : malgré les désaccords et les transactions au sommet, les chrétiens ne se sont jamais autant parlés à la base.
1. Ancien membre du Groupe des Dombes, ce dominicain a fondé à Lyon le Centre St-Irénée, haut lieu de l’œcuménisme français.
2. Elle ne participe qu’à certains groupes de travail du COE.
Mœurs, ministères et théologie
Pourquoi donc les questions de mœurs et de ministères occupent tant l’espace du dialogue œcuménique ? Tout le problème est de savoir si le sexe des ministres (évêques, prêtres, diacres…) relève de choix pastoraux pratiques – où chacun est libre – ou de principes théologiques, qui, eux, engagent les partenaires du dialogue. Pour Jean-François Colosimo, la question des ministères « renvoie à une conception anthropologique et historique. Les Églises catholique et orthodoxe reposent sur une notion ferme de cohérence avec la tradition. Pour elles, ordonner des femmes ou bénir des unions homosexuelles ne provoque pas seulement des ruptures dans la tradition mais aussi dans le dialogue. C’est perçu ainsi, on peut le regretter. Les questions théologiques ne peuvent être résolues sociologiquement. » Et à ceux qui déplorent que tout changement par l’un est taxé d’atteinte à l’œcuménisme par d’autres, il rétorque : « Qui ne prend pas le dialogue œcuménique au sérieux : celui qui n’accepte pas la rupture ou celui qui la provoque ? »
Source Témoignage Chrétien
La proposition de rapprochement faite par le Patriarcat de Moscou envers Rome constitue l’autre sujet du moment. Mgr Hilarion, son ministre des Relations avec les autres Églises, a affirmé à Paris qu’il fallait unir les tenants de la « tradition » face aux sécularistes qui libéralisent leur doctrine. Directement visées : les Églises issues de la Réforme et les anglicans. « Ce n’est pas la première fois que Mgr Hilarion fait cette offre, explique le P. Beaupère, qui reconnaît l’existence d’intérêts communs à défendre contre des lobbies. » Pour autant, le prêtre avoue sa gêne. « Comme catholique soucieux d’œcuménisme, je ne veux pas d’une alliance contre les protestants. Cherchons à maintenir le dialogue sans mettre personne à l’écart. Même si nous avons des affinités particulières. »
Idylle Rome - Mosou
Jean-François Colosimo regrette également « cette réduction de l’œcuménisme à un front commun moral, culturel, qui relève plus de l’alliance conjoncturelle que d’une recherche d’unité de foi. Il ne s’agit que d’un témoignage commun en étant plus fort. Politiquement, cela va donner l’impression de Fort Chabrol du christianisme, c’est évident. » Le pasteur Vion y voit surtout « une redistribution des cartes au sein du monde orthodoxe et, après la chute du Mur, la nouvelle vigueur de l’Église russe ».
L’avenir semble radieux entre Rome et Moscou. Benoît XVI rêve de réaliser un geste impossible pour son prédécesseur : la rencontre au sommet entre le pape de Rome et le patriarche de Moscou. Pour Mgr Hilarion, reçu un septembre dernier par Benoît XVI, les choses sont en bonne voie. Nulle doute que le président russe Medvedev, reçu au Vatican, en a touché deux mots au pape, lequel plaît beaucoup plus à Moscou que son prédécesseur. « Les orthodoxes connaissent Ratzinger, explique J.- F. Colosimo. Il est allemand, très romain – ce n’est pas un curé planétaire -, il appuie sur la latinité de l’Église romaine plus que sur son universalité. De plus, son articulation liturgie-théologie est proche de la leur. » Pour le théologien, « un boulevard se présente pour la réussite de la rencontre entre Benoît XVI et Kyrill ».
Essoufflement
Avec ce renouvellement de la donne, c’est en fait un modèle de relation œcuménique qui disparaît, celui des années 60 – 70 marquées par des gestes symboliques comme la rencontre entre Paul VI et le patriarche de Constantinople Athenagoras (en 1964 à Jérusalem) et l’expansion du Conseil œcuménique des Églises (COE, créé en 1948). Depuis l’enthousiasme est bien retombé.
« L’axe institutionnel n’a débouché sur rien de concret, car les corps représentés sont peu mobiles, note J.- F. Colosimo. Si les théologiens ont beaucoup œuvré, leurs efforts n’ont pas résolu les problèmes et leur production est peu perceptible parmi les peuples chrétiens. » Son regard est plus positif sur le dialogue à la base et reconnaît des effets bénéfiques : abandon des querelles passées (comme en France dans les Cévennes), meilleure connaissance des autres. « Mais il a fait naître une espèce de quatrième confession chrétienne, les “œcuménistes”, impatients d’arriver à l’intercommunion sans un accord sur la foi préalable. »
« Le COE est en perte de vitesse», reconnaît de même le P. Beaupère, qui espère que le nouveau secrétaire général élu cet été, le luthérien norvégien Olav Fykse Tveit, va le redynamiser. Le prêtre déplore un intérêt moindre chez les jeunes prêtres catholiques et pasteurs luthéro-réformés sur ces questions. « Le repli identitaire de chaque Église peut s’expliquer par l’Histoire. Les anciens sont allés très loin. Aujourd’hui la peur freine et la confiance est moindre. » Plus optimiste, le pasteur Vion remarque que le COE a su se diversifier en lançant en 2007 le Forum chrétien mondial, qui a rassemblé également l’Église catholique (2) et des Églises évangéliques, absentes au COE. « Les travaux institutionnels et la recherche de textes communs ne sont plus la seule porte d’entrée. »
Fraîcheur évangélique
Que dire des mouvements évangéliques et pentecôtistes ? « Le COE a laissé la porte ouverte, mais ils n’ont pas voulu y entrer, fait remarquer le P. Beaupère, qui voit quelques lueurs d’espoir dans l’arrivée de cette nouvelle famille. Les évangéliques ne sont pas lassés par l’histoire œcuménique. Ils arrivent avec la richesse et la fraîcheur de la découverte. Observons tout ce qui se passe, voyons les chemins qui proposent des issues possibles. » Étienne Vion apprécie l’évolution de certains pasteurs. « Hier, il ne discutaient pas. Aujourd’hui, ils sont plus ouverts à la rencontre. » Jean-François Colosimo est nettement plus réservé. Pour lui, leur prosélytisme en milieu chrétien est « une contre-preuve œcuménique ». « Il existe une frange très anti-œcuménique. Dans son essence, ce mouvement attend peu du dialogue et tout de la conversion. » Voici pour le fond. Sur la forme, les obstacles sont également nombreux : « Il est difficile de vivre un dialogue institutionnel du fait de la diversité des institutions. »
Nos trois experts s’accordent en tout cas sur un point : malgré les désaccords et les transactions au sommet, les chrétiens ne se sont jamais autant parlés à la base.
1. Ancien membre du Groupe des Dombes, ce dominicain a fondé à Lyon le Centre St-Irénée, haut lieu de l’œcuménisme français.
2. Elle ne participe qu’à certains groupes de travail du COE.
Mœurs, ministères et théologie
Pourquoi donc les questions de mœurs et de ministères occupent tant l’espace du dialogue œcuménique ? Tout le problème est de savoir si le sexe des ministres (évêques, prêtres, diacres…) relève de choix pastoraux pratiques – où chacun est libre – ou de principes théologiques, qui, eux, engagent les partenaires du dialogue. Pour Jean-François Colosimo, la question des ministères « renvoie à une conception anthropologique et historique. Les Églises catholique et orthodoxe reposent sur une notion ferme de cohérence avec la tradition. Pour elles, ordonner des femmes ou bénir des unions homosexuelles ne provoque pas seulement des ruptures dans la tradition mais aussi dans le dialogue. C’est perçu ainsi, on peut le regretter. Les questions théologiques ne peuvent être résolues sociologiquement. » Et à ceux qui déplorent que tout changement par l’un est taxé d’atteinte à l’œcuménisme par d’autres, il rétorque : « Qui ne prend pas le dialogue œcuménique au sérieux : celui qui n’accepte pas la rupture ou celui qui la provoque ? »
Source Témoignage Chrétien
Rédigé par l'équipe de rédaction le 18 Décembre 2009 à 13:04
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