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V.G. L'hésychasme est à la base de la spiritualité orthodoxe Partie 1
La source au désert
Tout commence dans le désert: «le monachisme naissant venait rappeler que la victoire du Christ et de son Église a d'abord une signification intérieure » écrit le père Placide (ibid. partie 1 note 9) et, dès la seconde moitié du IVe siècle, les déserts d'Égypte s'étaient peuplés de moines. « Ils devenaient le creuset où allait prendre forme les traits majeurs de la spiritualité chrétienne telle qu'elle serait vécue au long des siècles » (ibid). Le premier monachisme est inséparable du climat théologique diffusé dans les grands centres chrétiens par les « Pères de l'Église » à base de culture biblique qui « redevenait pour chacun de ses lecteurs la parole de Dieu vivante et toujours actuelle » (ibid).
Naturellement, les moines furent mêlés aux grandes controverses christologiques mais, en même temps, ils se forgeaient une manière de penser, liée à leur expérience spirituelle et c'est là qu'allait naître ce que l'on appelle la philocalie, c'est-à-dire amour de tout ce qui est beau, vrai, bon, la mise en œuvre de l'amour de Dieu exprimant la tradition hésychaste. Quand le monachisme égyptien s'essouffla dans les querelles théologiques, puis subit l'invasion arabe, ce fut la péninsule du Sinaï qui prit la relève, avec en particulier, saint Jean Climaque (+605 ) puis les moines syriaques comme figures de proue.
La source au désert
Tout commence dans le désert: «le monachisme naissant venait rappeler que la victoire du Christ et de son Église a d'abord une signification intérieure » écrit le père Placide (ibid. partie 1 note 9) et, dès la seconde moitié du IVe siècle, les déserts d'Égypte s'étaient peuplés de moines. « Ils devenaient le creuset où allait prendre forme les traits majeurs de la spiritualité chrétienne telle qu'elle serait vécue au long des siècles » (ibid). Le premier monachisme est inséparable du climat théologique diffusé dans les grands centres chrétiens par les « Pères de l'Église » à base de culture biblique qui « redevenait pour chacun de ses lecteurs la parole de Dieu vivante et toujours actuelle » (ibid).
Naturellement, les moines furent mêlés aux grandes controverses christologiques mais, en même temps, ils se forgeaient une manière de penser, liée à leur expérience spirituelle et c'est là qu'allait naître ce que l'on appelle la philocalie, c'est-à-dire amour de tout ce qui est beau, vrai, bon, la mise en œuvre de l'amour de Dieu exprimant la tradition hésychaste. Quand le monachisme égyptien s'essouffla dans les querelles théologiques, puis subit l'invasion arabe, ce fut la péninsule du Sinaï qui prit la relève, avec en particulier, saint Jean Climaque (+605 ) puis les moines syriaques comme figures de proue.
Les Pères du désert sont donc principalement des moines appelés abbas (Pères); il y en a prés d'une centaine dont les plus connus sont les saints Antoine le Grand, Paul de Thèbes (+ vers 345), Pacôme le Grand (+346), Macaire l'Égyptien, Isaac le Syrien (+406) et aussi Évagre le pontique …Il y a aussi quelques femmes appelées ammas (Mères) et des évêques éminents (les saints Athanase d'Alexandrie, Théophile d'Alexandrie, Cyrille d'Alexandrie, Épiphane de Salamine, Grégoire le Théologien… ). C'est d'eux que provient la formule de la « prière de Jésus », véritable condensé de cette spiritualité et base de la méditation hésychaste: « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi. »
Le flambeau athonite:
Après les invasions arabes, l'hésychasme se réfugia dans et autour de Byzance avec saint Maxime le Confesseur (+ 662) et ses successeurs. La pression des Turcs ne cessait de grandir, réprimant le monachisme, mais le flambeau fut repris à la fin du Xe siècle par le Mont Athos, en Grèce: les premiers grands monastères qui y naquirent à partir des anciens ermitages y reprirent et développèrent la tradition hésychaste. Ce fut en particulier l'œuvre de saint Grégoire Palamas qui développa la contemplation fondée sur la paix du cœur et la répétition de la «prière de Jésus». Attaqué notamment par le philosophe calabrais Barlaam (v. 1290 - v. 1348), qui voulait le faire déclarer hérétique, saint Grégoire va proposer une théorie hardie et vigoureuse, jugée trop aventureuse par beaucoup, notamment en Occident: maintenant fermement à la fois l’absolue incommunicabilité de l’essence divine et le réalisme de la divinisation chrétienne, il introduit en Dieu une distinction entre l’essence et les « énergies » (11). Malgré les oppositions qu’elle rencontra cette doctrine se systématisa à partir du XIVe siècle et se diffusa dans l'Europe orientale et notamment en Russie. Elle y exerça une profonde influence, non seulement, dans le domaine spirituel mais aussi sur le plan liturgique et social, demandant le souci des pauvres de la part des gouvernants et le refus de la part des moines de posséder des biens ecclésiastiques (saint Nil de la Sora en est le représentant dans la dispute entre « non-possédants » et «possédants» en Russie en 1503-1504 (12)).
Le mouvement gagna ainsi les milieux laïcs et, dès ce moment, se formèrent les premiers recueils de textes de la tradition hésychaste. À la fin du XVIII siècle, les lois restrictives influencées par les philosophies occidentales des Lumières supprimèrent une grande partie des monastères en Europe et en Russie (13). Les éditions des philocalies se développèrent après la première édition grecque à Venise (1782, cf. partie 1 note 7) comme moyen pastoral antidote à l'antichristianisme militant des Lumières, admettant certaines des idées nouvelles avec le retour aux véritables sources de l'hésychasme. Ce renouveau fut combattu pour cela par une fraction de moines de l'Athos: querelle entre « anciens et modernes »; mais l'édition des philocalies comprenant les écrits et les enseignements des Pères et des maîtres de l'hésychasme contribuèrent jusqu'à nos jours au renouveau de l'orthodoxie. (Ibid. note 9 partie 1)
Les "Dobrotoljubie" slavons
Onze ans après l’édition vénitienne de la Philocalie grecque paraît à Moscou le Dobrotoljubie slavon qui en reprend une partie (14), écrit Vassa Kontouma (cf. note 3 partie 1), puis il y eut une suite et l’ouvrage contenant les œuvres de 24 auteurs fut réédité cinq fois entre 1822 et 1857. Le nom de saint Païssy Velitchkowsky n’apparaît dans aucune de ces éditions mais plusieurs témoignages attestent que cette traduction lui revient en grande partie. Il s’était en effet attelé, dès avant la compilation de la Philocalie grecque, à la recherche et à la traduction d’œuvres ascétiques et spirituelles et traduit bien avant 1782 des œuvres qui devaient, pour la plupart, trouver leur place dans la Philocalie de Macaire et Nicodème. Ainsi, dès qu’il reçut l’ouvrage imprimé, il décida de procéder à la révision de toutes ses traductions à la lumière des textes grecs corrigés et d’en réaliser de nouvelles pour les œuvres qu’il découvrait à cette occasion (15). Il souhaitait en réserver la lecture aux moines, alors que le métropolite de Novgorod et Saint-Pétersbourg Gabriel Petrov (1730 1801), qui supervisait l'édition d'une nouvelle Philocalie, la jugeait utile à tous les chrétiens.
Comme il apparaît à travers ses nombreuses rééditions, le Dobrotoljubie slavon connut un important succès en Russie, où il rencontra l’intérêt croissant des lecteurs pour la tradition byzantine; ce « renouveau philocalique » trancha avec les tendances rationalistes de l’époque et posa les fondements d’un essor remarquable de la spiritualité russe, la prière du cœur gagnant même les milieux populaires comme le montrent les très célèbres Récits d’un pèlerin russe, qui, traduits en plusieurs langues, contribuèrent à faire connaître la Philocalie jusqu'en Occident (cf. introduction.)
C'est l’évêque érudit saint Théophane le Reclus (1815 1894) qui traduisit les principaux textes de la spiritualité des Pères anciens en russe, dans une langue claire et agréable, pour rendre le Dobrotoljubie accessible à un large public; et le Dobrotoljubie v russkom perevode, dopolnennoe, fut publié de façon progressive, en cinq volumes, entre 1877 et 1890 (16). Il connut plusieurs rééditions jusqu'à la fin du XXe siècle: Monastère de la Sainte-Trinité, Jordanville, NY (1963-1966) ; Paris (1988) ; Laure de la Trinité Saint-Serge, Sergiev Posad (1992).
La diffusion en Occident
(Source "esprit-et-vie.com" ibid. note 9 partie 1)
Comme indiqué en introduction à la partie 1, la spiritualité hésychaste s'étendit en Occident où elle fut en particulier représentée au IVe siècle par saint Jean Cassien "Le Romain"; mais il se heurta à Saint Augustin et fut oublié (reconnu saint par les Orthodoxes il est aussi honoré localement à Marseille où ses reliques seraient conservées dans la chapelle de l'abbaye St Victor, dont il fut le fondateur). Toutefois, le monachisme occidental en reprit des éléments, ainsi que l'étude assidue de l'Écriture à la lumière des Pères grecs: Saint Bernard et d'autres après lui, rappelle le père Placide (ibid. note 9 partie 1) se nourrissaient de la dévotion au Nom de Jésus, sans en faire toutefois une utilisation méthodique. Les mystiques rhénans et saint Jean de la Croix dépassent les méthodes de l'oraison discursive : l'expérience de Dieu est au-delà du raisonnement. Mais, selon le théologien russe Vladimir Lossky (1903 -1958, http://fr.wikipedia.org/wiki/Vladimir_Lossky), « la sécheresse est un état maladif qui ne peut être durable […]. L'attitude héroïque des grands saints de la chrétienté occidentale, en proie à la douleur d'une séparation tragique avec Dieu - la nuit mystique comme voie, nécessité spirituelle -, est inconnue à la spiritualité de l'Église d'Orient » (cité par le père Placide p. 256). Mais en réalité les itinéraires ne sont pas incompatibles et souvent se rejoignent, montre le père Placide en le prouvant par des exemples concrets. Mais il insiste aussi sur les différences : « Entre la prière vocale attentive recommandée aux débutants dans l'orthodoxie, et la méditation occidentale, il existe un écart analogue à celui qui sépare l'icône de l'art religieux répandu dans les carmels d'Espagne à l'époque de la réforme thérésienne. Une semblable différence ne peut être restée sans effet sur l'expérience spirituelle. » Saint François de Sales et les mystiques de l'École française parvinrent « grâce à une connaissance renouvelée de la tradition patristique, à élaborer une conception de la divinisation du chrétien qui va bien au-delà des interprétations réductrices données par la théologie scolastique » (ibid p. 262); et le père Placide mentionne aussi une « école de l'oraison cordiale » chère aux missionnaires bretons du XVIIe siècle.
De son côté Vassa Kontouma (ibid) souligne que la Philocalie est adressée à tous les orthodoxes, moines et laïcs, et aussi, plus simplement, destinée à tous les chrétiens en tant que personnes responsables de leur salut, indépendamment des institutions ecclésiastiques auxquelles ils se rattachent. Ce message très fort a sans doute heurté certains dignitaires du patriarcat de Constantinople, dans les années 1780. Il a peut-être aussi entravé, dans une certaine mesure, la diffusion de la Philocalie dans le monde hellénophone au début du XIXe siècle. Mais il a certainement contribué à son succès ultérieur, particulièrement dans la seconde moitié du XXe siècle.
La Philocalie n’est pas une œuvre confessionnelle, souligne la conférencière, en présentant des textes de Grégoire Palamas, souvent anti-latins, ses éditeurs en ont exclu toute polémique. Par là même, elle a rencontré l’enthousiasme du public occidental, déjà préparé à la recevoir à travers les traductions des Récits d’un pèlerin russe et le travail des théologiens de l'émigration russe qui furent nombreux à s'impliquer dans les différentes instances du dialogue interconfessionnel. Mais la voie ne fut réellement ouverte qu'avec la publication de la Petite philocalie de la prière du cœur, par Jean Gouillard (Paris 1953) qui fut suivie de nombreuses autres publications (ibid).
Ainsi la spiritualité orthodoxe ne fut vraiment réintroduite en Occident qu'à la fin du XXe siècle et amena le renouveau patristique des cinquante dernières années. Citons en France en particulier l'Institut des « Sources chrétiennes » (http://www.sources-chretiennes.mom.fr/) du CNRS, la collection « Spiritualité orientale » (http://www.bellefontaine-abbaye.com/so/somso.htm )... et bien évidement les publications des théologiens orthodoxes issus de l'immigration russe. (17). Elle apporte des réponses aux Chrétiens "en recherche" mais reste encore difficile à cerner par le plus grand nombre.
Notes de la partie 2
(13) Grande Encyclopédie Larousse "Théologie orthodoxe" Pages 13572-13575
(14) ICI
(15) 1764 : Sécularisation des biens d’Église par Catherine 2: fermeture de 252 couvents sur 413 et transfère à l’État un million de paysans appartenant à l’Église. ICI
(16) Le titre de cette édition est calqué sur le grec : "Dobrotoljubie [= amour du beau] ou discours et chapitres sur la sainte sobriété, rassemblés des écrits des saints Pères inspirés de Dieu, dans laquelle, par le zèle intérieur mis à la pratique et la contemplation, l’intellect est purifié, sanctifié et rendu parfait. Traduction du grec. Suivent ces informations sur l’édition elle-même : Sur décision de Catherine Alekseevna, impératrice de toute la Russie, sous son héritier Paul Petrovic […] et avec la bénédiction du Très-Saint Synode, ce livre est imprimé […] dans la grande cité impériale de Moscou. En l’an 7301 de la création du monde, 1793 depuis la naissance selon la chair du Verbe de Dieu, mois de mai"; Reproduction anastatique de l’editio princeps par D. Zamfirescu, Bucarest 1999. Cité par Vassa Kontouma.
(17) E. CITTERIO, « La Scuola filocalica di Paisij Velichkovskij e la Filocalia di Nicodemo Aghiorita. Un confronto », dans Amore del bello. Atti del Simposio Internazionale sulla Filocalia […], Magnano 1991, p. 181-188. Cité par Vassa Kontouma
(18) M. VAN PARYS, « La Filocalia nella versione russa di Teofane il Recluso », dans Amore del bello, p. 243-276. Cité par Vassa Kontouma
(19) Cf. Par exemple la colloque "Les intellectuels russes en Occident et le renouveau patristique au 20e siècle", Institut Saint Serge de Paris, 25 novembre 2006; ICI
Le flambeau athonite:
Après les invasions arabes, l'hésychasme se réfugia dans et autour de Byzance avec saint Maxime le Confesseur (+ 662) et ses successeurs. La pression des Turcs ne cessait de grandir, réprimant le monachisme, mais le flambeau fut repris à la fin du Xe siècle par le Mont Athos, en Grèce: les premiers grands monastères qui y naquirent à partir des anciens ermitages y reprirent et développèrent la tradition hésychaste. Ce fut en particulier l'œuvre de saint Grégoire Palamas qui développa la contemplation fondée sur la paix du cœur et la répétition de la «prière de Jésus». Attaqué notamment par le philosophe calabrais Barlaam (v. 1290 - v. 1348), qui voulait le faire déclarer hérétique, saint Grégoire va proposer une théorie hardie et vigoureuse, jugée trop aventureuse par beaucoup, notamment en Occident: maintenant fermement à la fois l’absolue incommunicabilité de l’essence divine et le réalisme de la divinisation chrétienne, il introduit en Dieu une distinction entre l’essence et les « énergies » (11). Malgré les oppositions qu’elle rencontra cette doctrine se systématisa à partir du XIVe siècle et se diffusa dans l'Europe orientale et notamment en Russie. Elle y exerça une profonde influence, non seulement, dans le domaine spirituel mais aussi sur le plan liturgique et social, demandant le souci des pauvres de la part des gouvernants et le refus de la part des moines de posséder des biens ecclésiastiques (saint Nil de la Sora en est le représentant dans la dispute entre « non-possédants » et «possédants» en Russie en 1503-1504 (12)).
Le mouvement gagna ainsi les milieux laïcs et, dès ce moment, se formèrent les premiers recueils de textes de la tradition hésychaste. À la fin du XVIII siècle, les lois restrictives influencées par les philosophies occidentales des Lumières supprimèrent une grande partie des monastères en Europe et en Russie (13). Les éditions des philocalies se développèrent après la première édition grecque à Venise (1782, cf. partie 1 note 7) comme moyen pastoral antidote à l'antichristianisme militant des Lumières, admettant certaines des idées nouvelles avec le retour aux véritables sources de l'hésychasme. Ce renouveau fut combattu pour cela par une fraction de moines de l'Athos: querelle entre « anciens et modernes »; mais l'édition des philocalies comprenant les écrits et les enseignements des Pères et des maîtres de l'hésychasme contribuèrent jusqu'à nos jours au renouveau de l'orthodoxie. (Ibid. note 9 partie 1)
Les "Dobrotoljubie" slavons
Onze ans après l’édition vénitienne de la Philocalie grecque paraît à Moscou le Dobrotoljubie slavon qui en reprend une partie (14), écrit Vassa Kontouma (cf. note 3 partie 1), puis il y eut une suite et l’ouvrage contenant les œuvres de 24 auteurs fut réédité cinq fois entre 1822 et 1857. Le nom de saint Païssy Velitchkowsky n’apparaît dans aucune de ces éditions mais plusieurs témoignages attestent que cette traduction lui revient en grande partie. Il s’était en effet attelé, dès avant la compilation de la Philocalie grecque, à la recherche et à la traduction d’œuvres ascétiques et spirituelles et traduit bien avant 1782 des œuvres qui devaient, pour la plupart, trouver leur place dans la Philocalie de Macaire et Nicodème. Ainsi, dès qu’il reçut l’ouvrage imprimé, il décida de procéder à la révision de toutes ses traductions à la lumière des textes grecs corrigés et d’en réaliser de nouvelles pour les œuvres qu’il découvrait à cette occasion (15). Il souhaitait en réserver la lecture aux moines, alors que le métropolite de Novgorod et Saint-Pétersbourg Gabriel Petrov (1730 1801), qui supervisait l'édition d'une nouvelle Philocalie, la jugeait utile à tous les chrétiens.
Comme il apparaît à travers ses nombreuses rééditions, le Dobrotoljubie slavon connut un important succès en Russie, où il rencontra l’intérêt croissant des lecteurs pour la tradition byzantine; ce « renouveau philocalique » trancha avec les tendances rationalistes de l’époque et posa les fondements d’un essor remarquable de la spiritualité russe, la prière du cœur gagnant même les milieux populaires comme le montrent les très célèbres Récits d’un pèlerin russe, qui, traduits en plusieurs langues, contribuèrent à faire connaître la Philocalie jusqu'en Occident (cf. introduction.)
C'est l’évêque érudit saint Théophane le Reclus (1815 1894) qui traduisit les principaux textes de la spiritualité des Pères anciens en russe, dans une langue claire et agréable, pour rendre le Dobrotoljubie accessible à un large public; et le Dobrotoljubie v russkom perevode, dopolnennoe, fut publié de façon progressive, en cinq volumes, entre 1877 et 1890 (16). Il connut plusieurs rééditions jusqu'à la fin du XXe siècle: Monastère de la Sainte-Trinité, Jordanville, NY (1963-1966) ; Paris (1988) ; Laure de la Trinité Saint-Serge, Sergiev Posad (1992).
La diffusion en Occident
(Source "esprit-et-vie.com" ibid. note 9 partie 1)
Comme indiqué en introduction à la partie 1, la spiritualité hésychaste s'étendit en Occident où elle fut en particulier représentée au IVe siècle par saint Jean Cassien "Le Romain"; mais il se heurta à Saint Augustin et fut oublié (reconnu saint par les Orthodoxes il est aussi honoré localement à Marseille où ses reliques seraient conservées dans la chapelle de l'abbaye St Victor, dont il fut le fondateur). Toutefois, le monachisme occidental en reprit des éléments, ainsi que l'étude assidue de l'Écriture à la lumière des Pères grecs: Saint Bernard et d'autres après lui, rappelle le père Placide (ibid. note 9 partie 1) se nourrissaient de la dévotion au Nom de Jésus, sans en faire toutefois une utilisation méthodique. Les mystiques rhénans et saint Jean de la Croix dépassent les méthodes de l'oraison discursive : l'expérience de Dieu est au-delà du raisonnement. Mais, selon le théologien russe Vladimir Lossky (1903 -1958, http://fr.wikipedia.org/wiki/Vladimir_Lossky), « la sécheresse est un état maladif qui ne peut être durable […]. L'attitude héroïque des grands saints de la chrétienté occidentale, en proie à la douleur d'une séparation tragique avec Dieu - la nuit mystique comme voie, nécessité spirituelle -, est inconnue à la spiritualité de l'Église d'Orient » (cité par le père Placide p. 256). Mais en réalité les itinéraires ne sont pas incompatibles et souvent se rejoignent, montre le père Placide en le prouvant par des exemples concrets. Mais il insiste aussi sur les différences : « Entre la prière vocale attentive recommandée aux débutants dans l'orthodoxie, et la méditation occidentale, il existe un écart analogue à celui qui sépare l'icône de l'art religieux répandu dans les carmels d'Espagne à l'époque de la réforme thérésienne. Une semblable différence ne peut être restée sans effet sur l'expérience spirituelle. » Saint François de Sales et les mystiques de l'École française parvinrent « grâce à une connaissance renouvelée de la tradition patristique, à élaborer une conception de la divinisation du chrétien qui va bien au-delà des interprétations réductrices données par la théologie scolastique » (ibid p. 262); et le père Placide mentionne aussi une « école de l'oraison cordiale » chère aux missionnaires bretons du XVIIe siècle.
De son côté Vassa Kontouma (ibid) souligne que la Philocalie est adressée à tous les orthodoxes, moines et laïcs, et aussi, plus simplement, destinée à tous les chrétiens en tant que personnes responsables de leur salut, indépendamment des institutions ecclésiastiques auxquelles ils se rattachent. Ce message très fort a sans doute heurté certains dignitaires du patriarcat de Constantinople, dans les années 1780. Il a peut-être aussi entravé, dans une certaine mesure, la diffusion de la Philocalie dans le monde hellénophone au début du XIXe siècle. Mais il a certainement contribué à son succès ultérieur, particulièrement dans la seconde moitié du XXe siècle.
La Philocalie n’est pas une œuvre confessionnelle, souligne la conférencière, en présentant des textes de Grégoire Palamas, souvent anti-latins, ses éditeurs en ont exclu toute polémique. Par là même, elle a rencontré l’enthousiasme du public occidental, déjà préparé à la recevoir à travers les traductions des Récits d’un pèlerin russe et le travail des théologiens de l'émigration russe qui furent nombreux à s'impliquer dans les différentes instances du dialogue interconfessionnel. Mais la voie ne fut réellement ouverte qu'avec la publication de la Petite philocalie de la prière du cœur, par Jean Gouillard (Paris 1953) qui fut suivie de nombreuses autres publications (ibid).
Ainsi la spiritualité orthodoxe ne fut vraiment réintroduite en Occident qu'à la fin du XXe siècle et amena le renouveau patristique des cinquante dernières années. Citons en France en particulier l'Institut des « Sources chrétiennes » (http://www.sources-chretiennes.mom.fr/) du CNRS, la collection « Spiritualité orientale » (http://www.bellefontaine-abbaye.com/so/somso.htm )... et bien évidement les publications des théologiens orthodoxes issus de l'immigration russe. (17). Elle apporte des réponses aux Chrétiens "en recherche" mais reste encore difficile à cerner par le plus grand nombre.
Notes de la partie 2
(13) Grande Encyclopédie Larousse "Théologie orthodoxe" Pages 13572-13575
(14) ICI
(15) 1764 : Sécularisation des biens d’Église par Catherine 2: fermeture de 252 couvents sur 413 et transfère à l’État un million de paysans appartenant à l’Église. ICI
(16) Le titre de cette édition est calqué sur le grec : "Dobrotoljubie [= amour du beau] ou discours et chapitres sur la sainte sobriété, rassemblés des écrits des saints Pères inspirés de Dieu, dans laquelle, par le zèle intérieur mis à la pratique et la contemplation, l’intellect est purifié, sanctifié et rendu parfait. Traduction du grec. Suivent ces informations sur l’édition elle-même : Sur décision de Catherine Alekseevna, impératrice de toute la Russie, sous son héritier Paul Petrovic […] et avec la bénédiction du Très-Saint Synode, ce livre est imprimé […] dans la grande cité impériale de Moscou. En l’an 7301 de la création du monde, 1793 depuis la naissance selon la chair du Verbe de Dieu, mois de mai"; Reproduction anastatique de l’editio princeps par D. Zamfirescu, Bucarest 1999. Cité par Vassa Kontouma.
(17) E. CITTERIO, « La Scuola filocalica di Paisij Velichkovskij e la Filocalia di Nicodemo Aghiorita. Un confronto », dans Amore del bello. Atti del Simposio Internazionale sulla Filocalia […], Magnano 1991, p. 181-188. Cité par Vassa Kontouma
(18) M. VAN PARYS, « La Filocalia nella versione russa di Teofane il Recluso », dans Amore del bello, p. 243-276. Cité par Vassa Kontouma
(19) Cf. Par exemple la colloque "Les intellectuels russes en Occident et le renouveau patristique au 20e siècle", Institut Saint Serge de Paris, 25 novembre 2006; ICI
Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 20 Novembre 2012 à 11:12
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