Interview exclusive du métropolite Hilarion de Volokolamsk: « Nous sommes non rivaux, mais frères » (partie 1)
Interview exclusive du métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Dépatement des relations ecclésiales extérieures accordée au portail « Pravoslavie i mir ».

Éminence, à la veille de la rencontre entre le Patriarche et le Pape, de nombreux commentateurs ont dit que l’important est le fait même de la rencontre, et non ce qui s’y est dit. Dites-nous quel a été le moment le plus important de cette rencontre.

Je suis d’accord que le fait même de cette rencontre est important, même s’il n’y avait pas eu la Déclaration commune, le fait que pour la première fois dans l’histoire le Pape de Rome et le Patriarche de Moscou et de toute la Russie se rencontrent est un pas en avant incontestable dans les relations réciproques entre nos deux Églises. N’oublions pas que la première tentative d’organiser une telle rencontre remonte à 1996, devaient se rencontrer le pape Jean-Paul II et le patriarche Alexis II. La date et le lieu étaient fixés. Cependant quelques jours avant qu’elle ne se produise, il a fallu l’annuler parce qu’il n’a pas été possible de s’accorder sur certains points du document final qui avaient pour nous une importance fondamentale. Dans les années qui ont suivi, cette tentative a été tantôt renouvelée, tantôt bloquée. Et enfin, vingt ans plus tard elle a eu lieu.

Qu’est-ce qui est le plus important dans la déclaration commune des deux pontifes ?

Je ne peux citer un point au détriment des autres. Tout y est important. Au début, il y est constaté que le Pape et le Patriarche « Avec joie, [se sont] retrouvés comme des frères dans la foi chrétienne qui se rencontrent pour se parler de vive voix (2 Jn 12), de cœur à cœur, et discuter des relations mutuelles entre les Églises », il y est relevé que la rencontre a lieu « loin des vieilles querelles de l’„Ancien Monde” ». Je voudrais, à ce propos, souligner que c’est le patriarche Cyrille qui a proposé que la rencontre ait lieu à Cuba, et non quelque part en Europe. Il a, dès le départ, souhaité que la rencontre entre le Pape de Rome et le Patriarche de Moscou ne soit pas entachée du souvenir des conflits qui ont opposé catholiques et orthodoxes durant des siècles sur le continent européen. Il fallait sortir de ce contexte et envisager plus largement les relations entre deux traditions et parler non tant du passé que du présent et de l’avenir.

Très importante est l’affirmation : « Nous partageons la commune Tradition spirituelle du premier millénaire du christianisme. Les témoins de cette Tradition sont la Très Sainte Mère de Dieu, la Vierge Marie, et les saints que nous vénérons. Parmi eux se trouvent d’innombrables martyrs qui ont manifesté leur fidélité au Christ et sont devenus „semence de chrétiens” ». Plus loin il est dit : « Orthodoxes et catholiques doivent apprendre à porter un témoignage unanime à la vérité dans les domaines où cela est possible et nécessaire » car « La civilisation humaine est entrée dans un moment de changement d’époque. Notre conscience chrétienne et notre responsabilité pastorale ne nous permettent pas de rester inactifs face aux défis exigeant une réponse commune. »

Le thème central de la rencontre a été celui des persécutions dont sont victimes les chrétiens. Y a—t-il eu des décisions pratiques ? Les pontifes envisagent-ils des perspectives de solutions ? Peut-on, selon eux, réduire ces persécutions ? Les pontifes s’adressent à l’opinion mondiale, est-ce que leur voix sera entendue ?


Effectivement la situation des chrétiens victimes de génocides de la part de terroristes qui se cachent derrière des slogans religieux a été au cœur de la rencontre. Le Pape et le Patriarche ont trouvé des mots forts : « Notre regard se porte avant tout vers les régions du monde où les chrétiens subissent la persécution. En de nombreux pays du Proche Orient et d’Afrique du Nord, nos frères et sœurs en Christ sont exterminés par familles, villes et villages entiers. Leurs églises sont détruites et pillées de façon barbare, leurs objets sacrés sont profanés, leurs monuments, détruits. En Syrie, en Irak et en d’autres pays du Proche Orient, nous observons avec douleur l’exode massif des chrétiens de la terre d’où commença à se répandre notre foi et où ils vécurent depuis les temps apostoliques ensemble avec d’autres communautés religieuses. »

La déclaration commune appelle la communauté internationale : i[« à des actions urgentes pour empêcher que se poursuive l’éviction des chrétiens du Proche Orient. […] à mettre fin à la violence et au terrorisme et, simultanément, à contribuer par le dialogue à un prompt rétablissement de la paix civile. », à accorder une aide humanitaire aux peuples de Syrie et d’Irak, aux nombreux réfugiés dans les pays voisins, à œuvrer pour la prompte libération des métropolites d’Alep Paul et Jean Ibrahim séquestrés depuis avril 2013.]i

Les derniers événements qui se sont développés autour de la Syrie sont évoqués dans la Déclaration commune. Je rappelle que ces derniers temps on a pu entendre en provenance de différentes parties de graves annonces d’une intention de certains pays de participer à des opérations terrestres dans ce pays. Se créent des coalitions qui risquent d’entrer en conflit direct les unes contre les autres. Qu’est-ce que cela signifie ?

Le début d’actions militaires d’envergure non plus contre les terroristes, mais l’un contre l’autre, un pas vers une troisième guerre mondiale.

De cela Sa Sainteté Cyrille a parlé ces derniers jours, alors que nous nous préparions à nous envoler pour Cuba. Selon lui, ce qui se produit actuellement rappelle ce qui s’est passé en octobre 1962 où ce que l’on a appelé la crise des Caraïbes a placé le monde au bord d’un conflit nucléaire. En ce moment critique une bonne volonté politique a permis, des deux côtés, d’éviter une catastrophe. Et aujourd’hui, devant les développements plus que dangereux de la situation qui peuvent conduire à un affrontement d’états possédant l’arme nucléaire il est indispensable d’appeler toutes les parties qui peuvent être entraînées dans le conflit à faire preuve de bonne volonté et à ne pas dépasser la limite fatale car cela peut mener à une tragédie d’ordre planétaire.

C’est dans ce contexte que la déclaration commune contient des appels aux politiques à se ressaisir et à garder la tête froide :
« Nous adressons un fervent appel à toutes les parties qui peuvent être impliquées dans les conflits pour qu’elles fassent preuve de bonne volonté et s’asseyent à la table des négociations. Dans le même temps, il est nécessaire que la communauté internationale fasse tous les efforts possibles pour mettre fin au terrorisme à l’aide d’actions communes, conjointes et coordonnées. Nous faisons appel à tous les pays impliqués dans la lutte contre le terrorisme pour qu’ils agissent de façon responsable et prudente. »

C’est en effet l’absence de coordination entre les forces engagées dans le conflit qui peut conduire à une guerre généralisée. Pour vaincre le terrorisme nul n’est besoin de plusieurs coalitions. Il n’en faut qu’une, celle qui réunit tous les gens de bonne volonté, elle doit ne pas compter que des politiques, mais comprendre des leaders religieux. C’est dans ce contexte qu’acquièrent une actualité toute particulière les paroles de la déclaration commune : « En cette époque préoccupante est indispensable le dialogue inter-religieux.
Les différences dans la compréhension des vérités religieuses ne doivent pas empêcher les gens de fois diverses de vivre dans la paix et la concorde. Dans les circonstances actuelles, les leaders religieux ont une responsabilité particulière pour éduquer leurs fidèles dans un esprit de respect pour les convictions de ceux qui appartiennent à d’autres traditions religieuses. Les tentatives de justifications d’actions criminelles par des slogans religieux sont absolument inacceptables. Aucun crime ne peut être commis au nom de Dieu. »

J’espère que la voix une des représentants des deux Églises, qui s’élève dans un moment si critique pour l’humanité, sera entendue.

Bien que la rencontre ait lieu loin de l’Europe, les problèmes européens n’ont pas été éludés…

Les changements qui sont intervenus en Russie et dans plusieurs pays d’Europe orientale où ont dominé des régimes athées sont évoqués dans la déclaration commune : « Aujourd’hui les fers de l’athéisme militant sont brisés et en de nombreux endroits les chrétiens peuvent confesser librement leur foi. En un quart de siècle ont été érigés là des dizaines de milliers de nouvelles églises, ouverts des centaines de monastères et d’établissements d’enseignement théologique. Les communautés chrétiennes mènent une large activité caritative et sociale, apportant une aide diversifiée aux nécessiteux. Orthodoxes et catholiques œuvrent souvent côte à côte. Ils attestent des fondements spirituels communs de la cohabitation entre les hommes, en témoignant des valeurs évangéliques. ».

Les deux pontifes se sont aussi préoccupés des pays « où les chrétiens se heurtent de plus en plus souvent à une restriction de la liberté religieuse, du droit de témoigner de leurs convictions et de vivre conformément à elles. », Ils s’inquiètent de « la transformation de certains pays en sociétés sécularisées, étrangère à toute référence à Dieu et à sa vérité, constitue un sérieux danger pour la liberté religieuse, [… de] la limitation actuelle des droits des chrétiens, voire de leur discrimination, lorsque certaines forces politiques, guidées par l’idéologie d’un sécularisme si souvent agressif, s’efforcent de les pousser aux marges de la vie publique. » Il est ici question de l’Europe qui « doit rester fidèle à ses racines chrétiennes. » Le Pape et le Patriarche appellent les chrétiens d’Europe occidentale et orientale « à s’unir pour témoigner ensemble du Christ et de l’Évangile, pour que l’Europe conserve son âme formée par deux mille ans de tradition chrétienne. »

Quels sont les autres points de la déclaration commune dont vous voudriez souligner l’importance ?

La déclaration commune aborde également le problème de la répartition injuste des ressources matérielles et celui des réfugiés « qui frappent à la porte des pays riches » Elle appelle les Églises chrétiennes « à défendre les exigences de la justice, le respect des traditions des peuples et la solidarité effective avec tous ceux qui souffrent. »

Ces derniers temps il a beaucoup été question dans les relations bilatérales de la défense de la famille.
La déclaration commune affirme : « La famille est le centre naturel de la vie humaine et de la société. Nous sommes inquiets de la crise de la famille dans de nombreux pays. Orthodoxes et catholiques, partageant la même conception de la famille, sont appelés à témoigner que celle-ci est un chemin de sainteté, manifestant la fidélité des époux dans leurs relations mutuelles, leur ouverture à la procréation et à l’éducation des enfants, la solidarité entre les générations et le respect pour les plus faibles. […] La famille est fondée sur le mariage, acte d’amour libre et fidèle d’un homme et d’une femme ». Aussi il est regrettable « que d’autres formes de cohabitation soient désormais mises sur le même plan que cette union, tandis que la conception de la paternité et de la maternité comme vocation particulière de l’homme et de la femme dans le mariage, sanctifiée par la tradition biblique, est chassée de la conscience publique. »

Le droit inaliénable de chacun à la vie est affirmé avec force en réaction à cette idéologie qui qui admet l’avortement, l’euthanasie, les technologies biomédicales de manipulation de la vie humaine : « Nous appelons chacun au respect du droit inaliénable à la vie. Des millions d’enfants sont privés de la possibilité même de paraître au monde. La voix du sang des enfants non nés crie vers Dieu (cf. Gn 4, 10). » Ici la déclaration commune utilise la métaphore du récit biblique de l’assassinat d’Abel par son frère Caïn : chaque enfant non parvenu à la naissance, tué dans le sein de sa mère, est comparé à l’innocent Abel dont le sang crie vers Dieu.

La déclaration commune appelle tout spécialement les jeunes chrétiens à ne pas craindre « d’aller à contre-courant, défendant la vérité divine à laquelle les normes séculières contemporaines sont loin de toujours correspondre. »

Peut-on dire que les deux Églises ont changé leur point de vue sur l’uniatisme ? Est-ce que les orthodoxes ont trouvé les mots d’apaisement et d’admission ? Les catholiques reconnaissent-ils les problèmes existants ?

Déjà en 1993, dans le document de la commission du dialogue orthodoxe-catholique signé à Balamand (Liban), les catholiques ont reconnu le problème et ont admis que la voie du catholicisme grec n’est pas une solution pour l’union. La déclaration commune des deux pontifes reprend ce texte presque mot pour mot : « Il est clair aujourd’hui que la méthode de l’« uniatisme » du passé, comprise comme la réunion d’une communauté à une autre, en la détachant de son Église, n’est pas un moyen pour recouvrer l’unité. »

Mais nous devons comprendre que reconnaître l’erreur de l’uniatisme, utilisé par le passé, comme méthode n’est pas suffisant. Les effets de cette erreur du passé se font sentir encore de nos jours et l’uniatisme est une plaie ouverte sur le corps du christianisme. Les événements récents en Ukraine où les gréco-catholiques ont pris des positions très agressives et extrêmement politisées l’attestent de toute évidence. La déclaration des deux pontifes évoque la mission commune d’annonce de l’Évangile qui suppose le respect réciproque des communautés chrétiennes et exclut toute forme de prosélytisme. « Nous sommes non rivaux, mais frères » affirment le Pape et le Patriarche en s’adressant aux croyants des deux Églises. Cette affirmation est importante, elle va changer la perception réciproque des croyants des deux traditions. D’une relation de rivalité qui a assombri les relations entre les deux Église durant des siècles, nous devons passer à une relation de partenariat dans tous les domaines où cela est possible et souhaitable.

Je voudrais insister sur la concordance de vue du Pape et du Patriarche sur la situation en Ukraine. Cette concordance s’est déjà exprimée auparavant quand le Pape a exprimé des idées conformes à celles formulées par le Patriarche, mais la déclaration commune affirme avec force cette identité de vues : « Nous déplorons la confrontation en Ukraine qui a déjà emporté de nombreuses vies, provoqué d’innombrables blessures à de paisibles habitants et placé la société dans une grave crise économique et humanitaire. Nous exhortons toutes les parties du conflit à la prudence, à la solidarité sociale, et à agir pour la paix. Nous appelons nos Églises en Ukraine à travailler pour atteindre la concorde sociale, à s’abstenir de participer à la confrontation et à ne pas soutenir un développement ultérieur du conflit. »

Dans la discussion avec le Patriarche, le Pape François a clairement affirmé qu’il considère le Patriarche de Moscou et de toute la Russie comme seule autorité canonique de tous les orthodoxes d’Ukraine. Le thème du schisme est présent dans la déclaration commune : « Nous exprimons l’espoir que le schisme au sein des fidèles orthodoxes d’Ukraine sera surmonté sur le fondement des normes canoniques existantes, que tous les chrétiens orthodoxes d’Ukraine vivront dans la paix et la concorde et que les communautés catholiques du pays y contribueront. »

La déclaration commune exprime le regret de la perte de l’unité, est-ce à dire que des pas vont être faits pour le rétablissement de la communion eucharistique ?

La déclaration commune n’aborde pas les problèmes théologiques. Et cela n’était pas prévu. Les divergences dogmatiques bien connues qui séparent les catholiques des orthodoxes n’ont pas fait l’objet de discussions entre le Pape et le Patriarche. Cependant on ne pouvait pas ne pas mentionner que « Malgré cette Tradition commune des dix premiers siècles, catholiques et orthodoxes, depuis presque mille ans, sont privés de communion dans l’Eucharistie. » La perte de l’unité est la conséquence « de la faiblesse humaine et du péché, qui s’est produite malgré la Prière sacerdotale du Christ Sauveur : „Que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous” (Jn 17, 21). »

Dites-nous comment a été préparée cette déclaration commune, la langue et le style en sont étonnamment beaux.

La déclaration a été rédigée dans la plus stricte confidentialité. Sa rédaction a été assurée par le cardinal Koch, pour l’Église catholique romaine, et par moi pour l’Église russe. Même mes collaborateurs les plus proches qui suivent au Département des relations ecclésiales extérieures les affaires de l’Église catholique ont tout ignoré jusqu’à la dernière minute et du texte de la déclaration et de la rencontre envisagée. Les vrais auteurs de cette déclaration sont le Patriarche et le Pape. C’est leur point de vue sur la situation qui s’exprime dans ce texte. En automne le Patriarche m’a fait part de ses idées concernant ce texte, puis j’ai rencontré le Pape François et je lui ai fait part du contenu global du document. Puis le texte a été rédigé et il a été, par l’intermédiaire du cardinal Koch, mis au point avec le Pape. Les dernières mises au point ont été faites juste avant notre départ pour La Havane. Le cardinal Koch était à l’aéroport quand nous avons mis le point final (il s’est envolé pour La Havane le 10 février au soir, et nous le 11 au matin).

La 2e partie suivra ...

Traduction "Parlons d'orthodoxie"




Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 15 Février 2016 à 16:52 | 6 commentaires | Permalien



Recherche



Derniers commentaires


RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile