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Rowan Williams, ex-archevêque de Canterbury, qui a publié un livre sur Dostoëvski en 2008 a donné à cette occasion un interview au le site BBC Russian Service. Le blog " Parlons d'orthodoxie" met en ligne la traduction
BBC : Comment vous êtes-vous intéressés à la culture russe et, tout particulièrement, à Dostoïevski, à qui vous avez consacré un de vos livres?
Rowan Williams : Je me suis passionné pour la culture russe en général et après avoir regardé les films d’Eisenstein « Ivan le Terrible » et « Alexandre Nevsky ». Ensuite je me suis plongé dans la musique russe. C’est plus tard j’ai découvert Dostoïevski et la littérature russe. Pendant mes études de théologie, j’ai lu beaucoup d’ouvrages de philosophes et théologiens russes. Vladimir Lossky est devenu le plus important pour moi, je lui ai consacré ma thèse de doctorat. Telle est la longue histoire de mon intérêt pour la Russie.
BBC : Vous avez grandi dans le Pays de Galle. Parlez-vous gallois ?
R. W. : On parlait gallois chez nous. Mes parents et mes grands-parents passaient souvent à leur langue maternelle. Je ne parle pas aussi bien qu’eux, mais la tradition littéraire est importante pour moi comme pour eux.
BBC : Comment vous êtes-vous intéressés à la culture russe et, tout particulièrement, à Dostoïevski, à qui vous avez consacré un de vos livres?
Rowan Williams : Je me suis passionné pour la culture russe en général et après avoir regardé les films d’Eisenstein « Ivan le Terrible » et « Alexandre Nevsky ». Ensuite je me suis plongé dans la musique russe. C’est plus tard j’ai découvert Dostoïevski et la littérature russe. Pendant mes études de théologie, j’ai lu beaucoup d’ouvrages de philosophes et théologiens russes. Vladimir Lossky est devenu le plus important pour moi, je lui ai consacré ma thèse de doctorat. Telle est la longue histoire de mon intérêt pour la Russie.
BBC : Vous avez grandi dans le Pays de Galle. Parlez-vous gallois ?
R. W. : On parlait gallois chez nous. Mes parents et mes grands-parents passaient souvent à leur langue maternelle. Je ne parle pas aussi bien qu’eux, mais la tradition littéraire est importante pour moi comme pour eux.
BBC : Combien de langues parlez-vous ?
R.W. : Je lis neuf ou dix langues, mais je n’en parle que trois.
BBC : Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un livre sur Dostoïevski ? Quel est votre message ?
R.W. : Depuis la publication de mon livre, on me demande : pourquoi nos contemporains doivent-ils lire Dostoïevski ? Pourquoi faut-il le lire en Occident ? La raison pour laquelle on le lit en Russie est différente. Je pourrais répondre à ces deux questions que Dostoïevski nous a montré à deux fois l’image d’un monde dans lequel l’échelle des valeurs a été répudiée. Le libre arbitre est devenu la seule valeur. Mais la volonté de l’homme est une chose étrange et sauvage. Si elle ne sait rien de ce qui est de plus haut qu’elle, si elle ne connait qu’elle-même, si elle n’aime pas, elle se transforme en une force destructive.
D’abord, Dostoïevski nous a montré un homme qui est devenu un criminel – dans Crime et Châtiment. Puis un autre exemple d’une telle transformation pour ainsi dire politisée dans Les Démons qui est, à mon avis, son roman le plus troublant et le plus anxiogène. Il me semble qu’il faut nous demander comment cette expérience s’applique à notre société.
Personne n’aura besoin de l’individu qui vit sans amour, qui ne connait que soi-même. S’il ne s’agit que de pouvoir, de combat, de rivalité et de conquête, la politique devient cruelle à l’extrême. Dostoïevski vise deux cibles : l’individualisme et le collectivisme, le faux individualisme et le faux collectivisme. Dostoïevski est un auteur horriblement incommode pour tout homme politique, qu’il soit de gauche ou de droite : il fait peu de cas de toutes les vanités et de toutes les suffisances.
Ekaterina Guenieva : Dostoïevski est-il pour vous l’un de vos interlocuteurs intimes ? Il est tellement différent de vous.
R.W. : La personnalité de Dostoïevski est très contradictoire. Dans l’une des critiques de mon livre, il avait été observé que Dostoïevski journaliste et publiciste, n’avait pas été du tout le même auteur ouvert à l’écoute et à la vision plurielle dont nous connaissons la pensée d’après ses romans. Le publiciste Dostoïevski est au contraire intolérant et fanatique.
Vous savez, parfois je me demande si j’aimerais voyager dans le même compartiment que Dostoïevski ? Dostoïevski est la preuve de ce qu’un grand artiste est toujours bien plus que sa propre personnalité. L’artiste est toujours plus ample que ce qu’il sait ou ce qu’il croit savoir. Le journaliste Dostoïevski avait des réponses claires à toutes les questions et il sévissait avec mépris et moquerie contre tous ses adversaires. Sa fureur avait une belle plume.
Par contre, en créant un roman, il ne pouvait pas s’en tenir à une vision plate et simpliste. Il était à l’écoute de toute la polyphonie du monde, il la gérait, tel un chef d’orchestre. Je pense qu’aucun artiste ne peut être réduit à sa personnalité dans le sens étroit du terme. Je viens de terminer un livre très important sur Shakespeare de Tony Nuttall, critique anglais décédé - Shakespeare the Thinker (Shakespeare le Penseur). L’auteur nous montre constamment l’objet de la réflexion et les modes de pensée de Shakespeare lorsqu’il écrit. Il ne formule pas sa vue des choses pour l’incarner en un héros dramatique, mais il réfléchit en créant. Le romaniste Dostoïevski en fait de même.
BBC : Le titre originel de votre livre est « Dostoïevsky : Language, Faith and Fiction ». Comment le traduiriez-vous en russe ?
R.W. : C’est une question difficile ! Le mot « Language » dans le titre signifie le « discours », ce qui veut dire le processus du dialogue et de l’échange. En russe, on pourrait le traduire comme « слово » (« mot ») dans le sens français de « parole ». Derrière un mot, il y en a toujours un autre. Une nouvelle étape des relations entre les hommes survient toujours au bout d’un échange. J’ai mis ces trois mots ensemble dans le titre parce que je suis sûr : si vous comprenez ce que faisait Dostoïevski en tant qu’auteur d’une histoire fictionnelle, vous comprendrez également la manière dont il appréhendait la nature de la parole en tant qu’instrument littéraire. Et ainsi vous découvrirez certaines choses sur la foi.
Ainsi pour Dostoïevski, comme pour moi, commence à se révéler, enfin, la parole de Dieu. A la limite, nos relations avec Dieu consistent dans le fait que Dieu laisse à l’homme la liberté et lui permet d’agir selon sa volonté à lui. Ces réflexions se fondent sur les philosophes russes que j’ai lu pendant plusieurs années. Certes, dans mon livre, je me réfère souvent à Bakhtine, mais il y a aussi Alexeï Lossev, auteur remarquable, mais très compliqué, ensuite on peut s’adresser à Lev Vygotski. « Language» - langage, le mot est vaste, très ouvert. Lorsque j’ai découvert Lossev, j’ai été ravi de retrouver les approches de certains philosophes de la tradition byzantine qui affirmaient que le sens des actions divines ne pourrait être compris que grâce à la parole de Dieu. Il est fort plausible que tout cela se retrouve dans le titre de mon livre.
BBC : Comment vous imaginez-vous votre lecteur ?
R.W. : J’en ai parlé dans l’introduction. Je ne m’adressais pas qu’aux spécialistes de la littérature russe, mais je pensais à tous ceux qui s’intéressaient à la littérature en général, à l’art du roman, à la recherche artistique. Je voulais un lecteur qui se poserait des questions sur le fonctionnement de la religiosité que porte la création artistique. Il est intéressant que certains critiques aient saisi cette allusion et remarqué qu’il était possible de mieux découvrir la foi et la religion en étudiant plutôt la conscience d’artiste que grâce à des livres théologiques.
BBC : Qui est-ce qui vous est plus proche parmi les penseurs orthodoxes russes ?
R.W. : J’ai déjà cité Vladimir Lossky. Il a été au centre de mes recherches durant plusieurs années. J’étais tout particulièrement envouté par des auteurs et des penseurs religieux de l’Âge d’argent. Je m’intéressais beaucoup à p. P. Florensky comme à p. Serge Boulgakov. Il y a quelque temps, j’ai publié un livre qui lui est consacré avec, en annexe, ses premières œuvres dans ma traduction.
Même aujourd’hui, je pense que le père Serge Boulgakov reste, avec toutes les particularités excentriques de sa pensée, un des plus grands esprits de notre temps. Qui pouvait encore écrire sur des thèmes littéraires, raisonner sur Dostoïevski et en même temps débattre de questions économiques comme de Nietzsche et sa philosophie ou encore l’histoire du mysticisme Occidental comme Oriental – et enfin refondre tout cela en une vision grâce à sa propre méthode de la synthèse ? C’était un géant.
J’ai reçu plusieurs témoignages de personnes qui le connaissaient : c’était un homme d’une fermeté, d’une clarté et d’une intégrité absolues. Je reviens toujours au père Serge Boulgakov. J’ai toujours à relire Lossky dont je possède un grand nombre d’œuvres inédites sur lesquelles je me suis fondé dans mes recherches. En ce qui concerne Florensky, je lui consacre une nouvelle recherche qui n’est pas encore achevée. D’autant plus intéressante pour moi était l’apparition d’une nouvelle génération de jeunes intellectuels russes dans les années 1990 qui ont découvert ce monde et, si j’ose dire, s’y sont enracinés.
BBC : N’avez-vous jamais pensé à vous convertir à l’orthodoxie ?
R.W. : Bien sûr que si. Effectivement, j’ai pensé à la conversion quand j’étais jeune, mais j’ai toujours eu le sentiment qu’il y avait un danger. Je suppose plutôt que je voulais devenir Russe ! Mais comme je suis né gallois, cela aurait été bien difficile. On peut donc dire que c’était une tentative de mieux se comprendre et de se connaître soi-même.
Ekaterina Guenieva : Qui vous est le plus proche parmi les personnages de Dostoïevski ?
R.W. : Je pense tout d’abord aux personnages qui ont une âme belle. Ils sont compliqués, ambigus. Parfois soudainement, imprévisiblement, en dépit de tout, ils commencent à luire. Pour plusieurs raisons, Zosime est un personnage très important pour moi, mais je pense également à la Sonia de Crime et Châtiment.
J’ai des sentiments étranges au sujet du roman L’Idiot dont tous les personnages sont traumatisés à un tel point qu’il devient impossible d’apercevoir le principe lumineux dans leurs âmes. L’Idiot est donc pour moi le roman le plus douloureux et le plus obscur. On peut le comparer avec Les Démons où la lumière brille, semblerait-il, émise par des hommes les plus inappropriés, mais cette lumière est plus intense que celle qui émane de L’Idiot.
BBC : Que pensez-vous des Russes et des orthodoxes d’aujourd’hui ?
R.W. : Nous entretenons de bonnes relations avec l’Eglise orthodoxe russe. Par contre, je perçois des tensions au sein de cette église. D’une part, il y a ceux, nombreux, qui veulent mettre à profit toutes les possibilités qui s’offrent aujourd’hui dans la société et redécouvrir la tradition. De l’autre, il reste une prudence, voire une défiance, à propos de tout ce qui vient de l’étranger, même si c’est de l’Eglise orthodoxe russe hors-frontières. Ces deux tendances s’opposent l’une à l’autre. Il est très difficile à un étranger d’en parler. Bien qu’il nous soit parfois douloureux d’observer ces contradictions et ces divergences. J’espère que, dans l’église russe, ce sont le courage et la confiance qui d’ailleurs lui sont tellement propres qui triompheront et permettront d’être, enfin, ouverts à ce qui vient de l’étranger ou d’autrui sans aucune craintes ni préjugés.
R.W. : Je lis neuf ou dix langues, mais je n’en parle que trois.
BBC : Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un livre sur Dostoïevski ? Quel est votre message ?
R.W. : Depuis la publication de mon livre, on me demande : pourquoi nos contemporains doivent-ils lire Dostoïevski ? Pourquoi faut-il le lire en Occident ? La raison pour laquelle on le lit en Russie est différente. Je pourrais répondre à ces deux questions que Dostoïevski nous a montré à deux fois l’image d’un monde dans lequel l’échelle des valeurs a été répudiée. Le libre arbitre est devenu la seule valeur. Mais la volonté de l’homme est une chose étrange et sauvage. Si elle ne sait rien de ce qui est de plus haut qu’elle, si elle ne connait qu’elle-même, si elle n’aime pas, elle se transforme en une force destructive.
D’abord, Dostoïevski nous a montré un homme qui est devenu un criminel – dans Crime et Châtiment. Puis un autre exemple d’une telle transformation pour ainsi dire politisée dans Les Démons qui est, à mon avis, son roman le plus troublant et le plus anxiogène. Il me semble qu’il faut nous demander comment cette expérience s’applique à notre société.
Personne n’aura besoin de l’individu qui vit sans amour, qui ne connait que soi-même. S’il ne s’agit que de pouvoir, de combat, de rivalité et de conquête, la politique devient cruelle à l’extrême. Dostoïevski vise deux cibles : l’individualisme et le collectivisme, le faux individualisme et le faux collectivisme. Dostoïevski est un auteur horriblement incommode pour tout homme politique, qu’il soit de gauche ou de droite : il fait peu de cas de toutes les vanités et de toutes les suffisances.
Ekaterina Guenieva : Dostoïevski est-il pour vous l’un de vos interlocuteurs intimes ? Il est tellement différent de vous.
R.W. : La personnalité de Dostoïevski est très contradictoire. Dans l’une des critiques de mon livre, il avait été observé que Dostoïevski journaliste et publiciste, n’avait pas été du tout le même auteur ouvert à l’écoute et à la vision plurielle dont nous connaissons la pensée d’après ses romans. Le publiciste Dostoïevski est au contraire intolérant et fanatique.
Vous savez, parfois je me demande si j’aimerais voyager dans le même compartiment que Dostoïevski ? Dostoïevski est la preuve de ce qu’un grand artiste est toujours bien plus que sa propre personnalité. L’artiste est toujours plus ample que ce qu’il sait ou ce qu’il croit savoir. Le journaliste Dostoïevski avait des réponses claires à toutes les questions et il sévissait avec mépris et moquerie contre tous ses adversaires. Sa fureur avait une belle plume.
Par contre, en créant un roman, il ne pouvait pas s’en tenir à une vision plate et simpliste. Il était à l’écoute de toute la polyphonie du monde, il la gérait, tel un chef d’orchestre. Je pense qu’aucun artiste ne peut être réduit à sa personnalité dans le sens étroit du terme. Je viens de terminer un livre très important sur Shakespeare de Tony Nuttall, critique anglais décédé - Shakespeare the Thinker (Shakespeare le Penseur). L’auteur nous montre constamment l’objet de la réflexion et les modes de pensée de Shakespeare lorsqu’il écrit. Il ne formule pas sa vue des choses pour l’incarner en un héros dramatique, mais il réfléchit en créant. Le romaniste Dostoïevski en fait de même.
BBC : Le titre originel de votre livre est « Dostoïevsky : Language, Faith and Fiction ». Comment le traduiriez-vous en russe ?
R.W. : C’est une question difficile ! Le mot « Language » dans le titre signifie le « discours », ce qui veut dire le processus du dialogue et de l’échange. En russe, on pourrait le traduire comme « слово » (« mot ») dans le sens français de « parole ». Derrière un mot, il y en a toujours un autre. Une nouvelle étape des relations entre les hommes survient toujours au bout d’un échange. J’ai mis ces trois mots ensemble dans le titre parce que je suis sûr : si vous comprenez ce que faisait Dostoïevski en tant qu’auteur d’une histoire fictionnelle, vous comprendrez également la manière dont il appréhendait la nature de la parole en tant qu’instrument littéraire. Et ainsi vous découvrirez certaines choses sur la foi.
Ainsi pour Dostoïevski, comme pour moi, commence à se révéler, enfin, la parole de Dieu. A la limite, nos relations avec Dieu consistent dans le fait que Dieu laisse à l’homme la liberté et lui permet d’agir selon sa volonté à lui. Ces réflexions se fondent sur les philosophes russes que j’ai lu pendant plusieurs années. Certes, dans mon livre, je me réfère souvent à Bakhtine, mais il y a aussi Alexeï Lossev, auteur remarquable, mais très compliqué, ensuite on peut s’adresser à Lev Vygotski. « Language» - langage, le mot est vaste, très ouvert. Lorsque j’ai découvert Lossev, j’ai été ravi de retrouver les approches de certains philosophes de la tradition byzantine qui affirmaient que le sens des actions divines ne pourrait être compris que grâce à la parole de Dieu. Il est fort plausible que tout cela se retrouve dans le titre de mon livre.
BBC : Comment vous imaginez-vous votre lecteur ?
R.W. : J’en ai parlé dans l’introduction. Je ne m’adressais pas qu’aux spécialistes de la littérature russe, mais je pensais à tous ceux qui s’intéressaient à la littérature en général, à l’art du roman, à la recherche artistique. Je voulais un lecteur qui se poserait des questions sur le fonctionnement de la religiosité que porte la création artistique. Il est intéressant que certains critiques aient saisi cette allusion et remarqué qu’il était possible de mieux découvrir la foi et la religion en étudiant plutôt la conscience d’artiste que grâce à des livres théologiques.
BBC : Qui est-ce qui vous est plus proche parmi les penseurs orthodoxes russes ?
R.W. : J’ai déjà cité Vladimir Lossky. Il a été au centre de mes recherches durant plusieurs années. J’étais tout particulièrement envouté par des auteurs et des penseurs religieux de l’Âge d’argent. Je m’intéressais beaucoup à p. P. Florensky comme à p. Serge Boulgakov. Il y a quelque temps, j’ai publié un livre qui lui est consacré avec, en annexe, ses premières œuvres dans ma traduction.
Même aujourd’hui, je pense que le père Serge Boulgakov reste, avec toutes les particularités excentriques de sa pensée, un des plus grands esprits de notre temps. Qui pouvait encore écrire sur des thèmes littéraires, raisonner sur Dostoïevski et en même temps débattre de questions économiques comme de Nietzsche et sa philosophie ou encore l’histoire du mysticisme Occidental comme Oriental – et enfin refondre tout cela en une vision grâce à sa propre méthode de la synthèse ? C’était un géant.
J’ai reçu plusieurs témoignages de personnes qui le connaissaient : c’était un homme d’une fermeté, d’une clarté et d’une intégrité absolues. Je reviens toujours au père Serge Boulgakov. J’ai toujours à relire Lossky dont je possède un grand nombre d’œuvres inédites sur lesquelles je me suis fondé dans mes recherches. En ce qui concerne Florensky, je lui consacre une nouvelle recherche qui n’est pas encore achevée. D’autant plus intéressante pour moi était l’apparition d’une nouvelle génération de jeunes intellectuels russes dans les années 1990 qui ont découvert ce monde et, si j’ose dire, s’y sont enracinés.
BBC : N’avez-vous jamais pensé à vous convertir à l’orthodoxie ?
R.W. : Bien sûr que si. Effectivement, j’ai pensé à la conversion quand j’étais jeune, mais j’ai toujours eu le sentiment qu’il y avait un danger. Je suppose plutôt que je voulais devenir Russe ! Mais comme je suis né gallois, cela aurait été bien difficile. On peut donc dire que c’était une tentative de mieux se comprendre et de se connaître soi-même.
Ekaterina Guenieva : Qui vous est le plus proche parmi les personnages de Dostoïevski ?
R.W. : Je pense tout d’abord aux personnages qui ont une âme belle. Ils sont compliqués, ambigus. Parfois soudainement, imprévisiblement, en dépit de tout, ils commencent à luire. Pour plusieurs raisons, Zosime est un personnage très important pour moi, mais je pense également à la Sonia de Crime et Châtiment.
J’ai des sentiments étranges au sujet du roman L’Idiot dont tous les personnages sont traumatisés à un tel point qu’il devient impossible d’apercevoir le principe lumineux dans leurs âmes. L’Idiot est donc pour moi le roman le plus douloureux et le plus obscur. On peut le comparer avec Les Démons où la lumière brille, semblerait-il, émise par des hommes les plus inappropriés, mais cette lumière est plus intense que celle qui émane de L’Idiot.
BBC : Que pensez-vous des Russes et des orthodoxes d’aujourd’hui ?
R.W. : Nous entretenons de bonnes relations avec l’Eglise orthodoxe russe. Par contre, je perçois des tensions au sein de cette église. D’une part, il y a ceux, nombreux, qui veulent mettre à profit toutes les possibilités qui s’offrent aujourd’hui dans la société et redécouvrir la tradition. De l’autre, il reste une prudence, voire une défiance, à propos de tout ce qui vient de l’étranger, même si c’est de l’Eglise orthodoxe russe hors-frontières. Ces deux tendances s’opposent l’une à l’autre. Il est très difficile à un étranger d’en parler. Bien qu’il nous soit parfois douloureux d’observer ces contradictions et ces divergences. J’espère que, dans l’église russe, ce sont le courage et la confiance qui d’ailleurs lui sont tellement propres qui triompheront et permettront d’être, enfin, ouverts à ce qui vient de l’étranger ou d’autrui sans aucune craintes ni préjugés.
BBC : Est-ce qu’il y a des choses dans la tradition orthodoxe que vous souhaiteriez transposer dans la vie de l’église anglicane ?
R.W. : Je vois deux points que je voudrais introduire dans la tradition philosophique anglicane. D’abord, la distinction entre l’individu et la personnalité qui est profondément élaborée dans le personnalisme russe et, en particulier, dans les œuvres de Vladimir Lossky. Nous parlons plus souvent des individus et ne réfléchissons guère aux rapports entre l’individu et la personnalité. L’individu appartient à une génération, c’en est un atome biologique ou social. Il peut devenir une personnalité grâce à l’expression de sa volonté, de l’apprentissage de soi-même, de son développement, de la connaissance de Dieu.
Quand j’enseigne ou que je prononce une homélie, je dois assez souvent expliquer ce fait si simple : un individu n’est pas encore une personnalité. On me répond : « Oh ! Pourquoi n’y ai-je jamais pensé ? Pourquoi personne ne me l’a dit auparavant ? ». C’est cet élément que je voudrais introduire dans la conscience anglicane.
L’autre point qui est certainement lié au premier, touche le sens même de l’existence de l’Eglise. L’Eglise n’est pas un simple lieu de rassemblement; l’Eglise est le lieu où des relations se mettent en place en qui permettent à l’individu de devenir une personnalité.
Ce thème n’était pas développé que par des auteurs orthodoxes bien qu’ils aient commencé à en traiter au début du XXe . Des philosophes français et ensuite américains l’ont repris. Je connais, par exemple, le métropolite grec Jean Zizioulas qui travaillait, lui aussi, sur ce thème. Je pense qu’il serait d’accord avec l’idée que sa propre théologie repose sur les œuvres de prédécesseurs tels que Lossky et Florensky. Je voudrais introduire ces idées par l’enseignement et la prédication. D’ailleurs, ce que j’ai écrit sur Dostoïevski relève du même esprit.
Traduction Dimitri Garmonov
Site Киевская Русь
R.W. : Je vois deux points que je voudrais introduire dans la tradition philosophique anglicane. D’abord, la distinction entre l’individu et la personnalité qui est profondément élaborée dans le personnalisme russe et, en particulier, dans les œuvres de Vladimir Lossky. Nous parlons plus souvent des individus et ne réfléchissons guère aux rapports entre l’individu et la personnalité. L’individu appartient à une génération, c’en est un atome biologique ou social. Il peut devenir une personnalité grâce à l’expression de sa volonté, de l’apprentissage de soi-même, de son développement, de la connaissance de Dieu.
Quand j’enseigne ou que je prononce une homélie, je dois assez souvent expliquer ce fait si simple : un individu n’est pas encore une personnalité. On me répond : « Oh ! Pourquoi n’y ai-je jamais pensé ? Pourquoi personne ne me l’a dit auparavant ? ». C’est cet élément que je voudrais introduire dans la conscience anglicane.
L’autre point qui est certainement lié au premier, touche le sens même de l’existence de l’Eglise. L’Eglise n’est pas un simple lieu de rassemblement; l’Eglise est le lieu où des relations se mettent en place en qui permettent à l’individu de devenir une personnalité.
Ce thème n’était pas développé que par des auteurs orthodoxes bien qu’ils aient commencé à en traiter au début du XXe . Des philosophes français et ensuite américains l’ont repris. Je connais, par exemple, le métropolite grec Jean Zizioulas qui travaillait, lui aussi, sur ce thème. Je pense qu’il serait d’accord avec l’idée que sa propre théologie repose sur les œuvres de prédécesseurs tels que Lossky et Florensky. Je voudrais introduire ces idées par l’enseignement et la prédication. D’ailleurs, ce que j’ai écrit sur Dostoïevski relève du même esprit.
Traduction Dimitri Garmonov
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Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 1 Juin 2013 à 14:19
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