Communisme et décommunisation: à propos du livre du père  Georges Mitrofanov
Ces dernières semaines le net et la presse russes sont saturés de textes polémiques consacrés au livre du père Mitrofanov.
Voici une contribution de Xenia Krivochéine

A la télé le camarade Ziouganov (secrétaire du P.C. russe) nous expose sans la moindre gêne les exploits du peuple et nous chante les louanges du grand Staline. Il n’est pas le moins du monde troublé par le souvenir des crimes commis par son parti de concert avec la Tcheka et le KGB. N’exagère-t-il pas les facultés d’oubli des Russes ? Ou mise-t-il sur leur pardon chrétien ? Ziouganov s’adresse à la génération non avertie de ceux nés après 1990 et qui sont dans l’ignorance des camps de concentration. Or sont encore de ce monde leurs pères, leurs grands-parents qui savent parfaitement ce que signifiaient les locutions « ennemi du peuple » ou « enfants d’un ennemi du peuple ». Il induit les jeunes âmes en tentation, il s’agit de sa part d’une manipulation coupable au regard d’un chrétien. On nous apprend dès l’enfance à s’en tenir à la vérité. La notion de « devoir de mémoire » est reconnue depuis la fin de la guerre dans tout les pays civilisés, ce devoir fait l’objet de mille soins de la part des victimes du national-socialisme, surtout par les Juifs du monde entier. Le génocide qu’ils ont eu à souffrir se traduit en une séquelle sans fin de revendications et d’exigences à l’égard de la nation allemande. Il y a longtemps que les Allemands ont apporté leur repentir pour Hitler, leur compatriote dégénéré. Mais le souvenir des atrocités qu’il a commises est toujours là, il nous immunise d’un retour ce ces horreurs à l’avenir.

Qui aurait l’idée de diviniser Hitler ? Alors que le Führer a, dans les années trente, relevé son pays des ruines, le niveau des vie des Allemands s’était considérablement amélioré, l’économie était prospère. Le monde craignait et respectait l’Allemagne. Les Allemands avaient à nouveau conscience d’appartenir à une grande nation, ils se mirent à défiler au pas, à entonner des chants patriotiques, arborer des cravates, à exposer des sculptures relevant du réalisme socialiste et à tourner des films chauvins.
L’espionnite se généralisa rapidement, la délation était devenue la norme. Les dissidents se retrouvèrent derrière les barreaux. Chercheurs, gens de théâtre, écrivains émigraient en nombre. Les Allemands étaient devenue une glaise dont il fallait sculpter « le surhomme ». Je pourrais continuer. Mais la propagande soviétique nous a beaucoup appris sur les crimes de l’hitlérisme…
Des associations ne viennent-elles pas à l’esprit ? Le camarade Ziouganov serait-il naïf au point de ne pas savoir qu’il ne peut y avoir de victimes sans bourreaux ? Voilà que nous venons de proclamer saints les Nouveaux Martyrs, nous nous sommes mis à parler à haute voix du régime athée. Mais ne ce sont-ils pas Lénine et Staline, la Tcheka et le KGB qui ont torturé à mort ces victimes. N’y avait-il pas des Russes parmi les bourreaux ?

Nous dissertons à propos de patriotisme et de trahison. Mais est-ce que nombre de patriotes russes fait prisonniers par la Wermacht et retournés dans leurs pays n’ont pas été passés par les armes et déportés dans le camps ? Pouvons nous dire qu’ils avaient été trahis par Staline et les siens ?
Les tortionnaires de la Tcheka invoquaient les sentiments patriotiques en forçant un fils à signer des dépositions contre son père, une épouse à dénoncer son mari. Délations réciproques entre voisins, entre collègues. L’exemple de Judas était largement suivi. L’homme est faible, il aspire à vivre et aimer, à protéger ses enfants : c’est sur tout cela que se fondait l’école de Judas. Que de Russes ont été brisés. Pour de nombreuses générations ils ont été immergés dans la terreur et l’épouvante. Ceux qui avaient survécu aux tortures et aux camps s’étaient vu intimés l’ordre de se taire, sinon les membres de leurs familles connaîtraient leur sort… Et ils gardaient le silence.

A propos de patriotisme et de trahison:
Dans le recueil « La patrie des gens heureux » le poète Sergueï Mikhalkov (auteur de hymnes soviétiques et d’un hymne russe) fait part de sa joie : « Tu seras effacé de la surface de la terre pour que puissions vivre en paix ». Dans sa pièce « Je veux rentrer chez moi » le poète pour enfants Mikhalkov appelle les émigrés blancs et « les personnes déplacées » à réintégrer l’URSS.
La famille des Krivochéine s’est confiée à cette fable et est rentrée au pays en 1947. Un Oukase de 1946 déclarait le pardon des « ci-devant ». Bien sûr ! Les Krivochéine, de même des que des milliers d’autres Russes blancs souhaitaient prendre part à la reconstruction. Dans la chambre de leur fils Nikita ils avaient après la guerre remplacé un portrait de Nicolas II par une photo de Staline… Igor Krivochéine avait connu la torture de la gestapo rue des Saussaies, puis Buchenwald et Dachau. Médaillé de la Résistance il fût appréhendé dès son arrivée en URSS et condamné à dix ans de camp de rééducation par le travail pour « collaboration avec les bourgeoisie internationale ». Le tour de son fils Nikita vint en 1957. Tout ceci est narré dans les souvenirs de Nina Krivochéine « Les quatre tiers d’une vie » (Albin Michel, 1987).
Cette famille était mue par son patriotisme. Résistance et retour en Russie ! Ces personnes courageuses ont été dupées et trahies. Nombreux, bien sûr, étaient ceux qui croyaient que Staline n’était pas le moins du monde au courant de tout cela (cf.Xenia Krivochéine « Staline toujours et aujourd’hui », revue « Zvezda », N° 11, 2008).

« L’âme russe » est en errance, sans pouvoir trouver son héros : Léon Tolstoï ou Saint Alexandre de la Neva ? Pourquoi pas Staline ? Quelles sont les références fiables ? Le sol vacille sous nos pieds et nos enfants n’ont pas lu Soljenitsyne et sa « Roue Rouge », l’histoire de notre pays par excellence. Nos enfants ne font plus crédit à leurs parents, de croire en la Russie, ils se moquent de la morale. Ils fument, ils boivent, ils sniffent, ils s’amusent, ne pensent qu’à l’argent et à l’Occident pourri ! Oui, bien sûr, c’est l’Occident qui est fautif de tout cela, l’Occident qui dévoie nos enfants, qui nous déprave nous-mêmes ! Tout cela n’existait pas à l’époque de l’URSS.
La vérité est que c’est bien en URSS que tout ceci a commencé, à ne prendre que Beria, ses méfaits et son dévergondage. Lisez les aveux passés par, le camarade Ejov, un grand ami de Staline (« Сталинский питомец – Николай Ежов», Никита Петров, Марк Янсен, Moscou, 2008). De quelle influence pernicieuse de l’Occident pouvait-on alors parler ? Ejov, fils du peuple et non le produit de la classe des exploiteurs, à peine un certificat d’études, bourreau et criminel de masse patenté.
Un mensonge en entraîne un autre : nous entendons dire aujourd’hui que si la crise économique n’était pas venue « de là-bas », nous n’en serions pas là où nous sommes… Ce n’est pas de notre fait, notre économie est plus saine que la leur. Cessez de raconter ces sornettes, elles ne sont entendues que par des semi patriotes mal instruits dans les provinces reculées. Voila la vieille antienne soviétique de retour : « nous sommes encerclés, on veut notre fin ». Espionnite, russophobie, vocabulaire appartenant au passé. Une chose est vraie : le monde veut voir une Russie forte et amicale.
N’est-il pas temps de faire un peu d’introspection, de remplacer nos vieux robinets rouillés qui débitent une eau saumâtre ? De réfléchir à à la nécessité d’une justice plus juste, de mettre fin à la concussion à tous les niveaux, de châtier le vol conformément au Code pénal et non à la loi du milieu ? Publions pour la jeunesse des manuels fiables.
Les statistiques publiées en Russie nous disent que 24 millions de ses habitants vivent en deçà du seuil de pauvreté. Ceci alors que nous dissertons pour savoir qui est le traître de la pièce, invoquant des notions dont « les simples gens » comme on disait en URSS ont étés aliénés, « honneur et patrie ».
Les intervenants de cette polémique se sont même référés à Berdiaev, un homme qui, jusqu’à la fin de ses jours, était à gauche. Pourquoi aller chercher des parrains parmi les émigrés, ou dans « l’école de Paris », solliciter la bénédiction de Maïakovski ou Volochine, ce serait un débat sans fin… L’intelligentsia russe n’a-t-elle pas par ses errances amenées la Russie au putsch de 1917. Soljenitsyne en a fait une rigoureuse démonstration.
Mais comment trouver le juste milieu : accéder à une qualité de vie acceptable sans perdre son âme ? Seule l’Eglise nous donne cet espoir par son intelligente action pastorale. Ces espoirs sont dubitatifs. Bien que résidant à Paris je reste très attachée à la Russie. Je m’emploie à essayer de ne pas lui être inutile. De tout cœur je lui souhaite intelligence et prospérité, d’être susceptible de revenir sur ses erreurs et de les abjurer.
Le père Basile Ermakov , un ancien déporté, recteur de la paroisse du cimetière ou repose Mgr Basile (Krivochéine)avait envoyé à Ziouganov une admirable lettre dont voici le texte
Mgr. Basile, officier blanc, moine à la Sainte Montagne, éminent patrologue, s’en est toujours tenu au principe « La vérité. Rien que la vérité ! Rien que la vérité ! »


NOTES

Photo: polygone de Boutovo.... une simple croix de bois sur le lieu des exécutions.

Pour compléter le texte qui précède, voici, en russe, un article de Nikita Krivochéine paru dans "Ejednevny Journal":

Voici quelques chapitres du livre:
Archiprêtre Georges Mitrofanov
«La tragédie de la Russie : les sujets interdits de l’Histoire du XXe siècle»

Rédigé par l'équipe rédaction le 23 Septembre 2009 à 09:48 | 12 commentaires | Permalien